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L'identité de la démocratie américaine

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par Catherine MARAS
UPMF Grenoble - Master 1 philosophie 2005
  

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LA PLACE DE LA RELIGION AUX ETATS-UNIS

En principe les Etats-Unis sont neutres en matière de religion, la séparation de l'Eglise et de l'Etat existe bien aux Etats-Unis, c'est une tradition politique affirmée par la Constitution40(*)et sanctionnée par la Cour Suprême et les tribunaux fédéraux. C'est pourquoi aucune confession n'a jamais été choisie comme religion officielle. Tocqueville disait d'ailleurs, que pour qu'un mariage harmonieux puisse se réaliser entre démocratie et religion, il est souhaitable, en effet, que la religion obéisse à un certain nombre de conditions telles que reconnaître sa spécificité et bien savoir définir son domaine de façon à ne pas empiéter sur le domaine des institutions laïques. Ainsi, si la religion s'attache à un gouvernement donné dans l'espace et dans le temps, elle en vient à servir les intérêts d'un groupe humain spécifique et perd alors sa dimension de généralité. En revanche, quand la religion renonce à l'exercice d'une puissance de type temporelle, elle peut acquérir par des moyens indirects, une influence considérable et bénéfique pour la société. Néanmoins, force est de constater que l'équilibre n'est pas facile à trouver ; par exemple, nous savons que la prière en classe aux Etats-Unis est depuis plusieurs années interdite, mais il est arrivé que la Cour Suprême reconnaisse aux élèves le droit d'y tenir après les cours des réunions de nature spirituelle. Autrement dit, la sécularisation aux Etats-Unis n'a pas mis fin à la religiosité ; depuis l'arrivée des colons puritains en Amérique, jusqu'à aujourd'hui encore les Etats-Unis sont fortement emprunts de religiosité. En effet la religion est loin d'être absente de la politique américaine, bien qu'en principe il est supposé y avoir une séparation de l'Eglise et de l'Etat ; la société américaine est parsemée de référence religieuse. Pour ne cité que quelques exemples : la devise nationale «  In God We Trust » ( « En Dieu nous mettons notre confiance »), que l'on retrouve sur les billets et les pièces de monnaie, dans l'hymne national et gravée sur les murs du Congrès ; le serment de fidélité au drapeau, qui contient la formule «  One Nation Under God » ( « Une seule nation sous le regard de Dieu ») ; le serment prêté sur la Bible par tout nouveau président, qui se termine par « So Help Me God » ( « Avec l'aide de Dieu »), ou encore le Mémorial Day (Journée du souvenir), qui est un jour de congé officiel aux Etats-Unis, instauré au lendemain de la guerre en l'honneur des femmes et des hommes qui perdirent leur vie durant la guerre de sécession. Après la Seconde Guerre Mondiale, cette journée est devenue une cérémonie religieuse durant lequel sont lus les noms des soldats morts en service. Pour décrire cette dimension religieuse publique qui s'exprime dans un ensemble de croyances et de symboles, Robert N. Bellah, spécialiste d'histoire et de sociologie comparées des religions, utilise la notion de « religion civile ». Dieu dit-il, est le symbole de la religion civile :

«  Derrière chaque aspect de la religion civile se profilent des archétypes bibliques : l'Exode, le Peuple Elu, la Terre Promise, la Nouvelle Jérusalem, le Sacrifice de la mort et de la renaissance. Elle compte ses propres prophètes et martyrs, ses lieux sacrés et ses histoires saintes, ses rites solennels et ses symboles. Elle entend que l'Amérique soit une société aussi conforme que possible à la volonté de Dieu, et soit une lumière pour toutes les nations »41(*).

Autrement dit, selon Bellah, la religion est enracinée dans l'idéologie de la nation américaine, elle est même essentielle semble t-il à son identité nationale. Alors que la plupart des pays effectivement tirent leur l'identité nationale de leur histoire culturelle, les Etats-Unis fondent leur identité sur une longue tradition religieuse. C'est pourquoi « Dieu » est mentionné ou évoqué dans tous les discours présidentiels. Ainsi, à l'issue de la Première Guerre Mondiale, le président Wilson affirme : «  Je crois que Dieu a présidé à la naissance de cette nation et que nous sommes choisies pour montrer la voies aux nations du monde dans leur marche sur les sentiers de la liberté»42(*) ; lors des débuts de l'engagement des Etats-Unis dans la guerre du Vietnam, le président Johnson déclare en 1965 : « l'histoire et nos propres oeuvres nous ont donné la responsabilité principale de protéger la liberté sur la terre » ; le président Clinton, le 1er janvier 2000, termine son discours à la nation en confirmant sa mission universelle : « Si l'Amérique respecte ses idéaux et ses responsabilités, nous pouvons faire de ce siècle nouveau une époque de paix sans pareille, de liberté et de prospérité pour notre peuple comme pour tous les citoyens du monde. » ; ou enfin après le drame du 11 septembre 2001, George W. Bush, dans un climat d'extrême religiosité, fait appel à l'esprit de croisade contre « l'Axe du Mal »43(*). Autrement dit, les invocations religieuses ont toujours marqué le langage politique aux Etats-Unis comme nous pouvons le constater. Mais pourquoi les Américains ont ce sentiment d'être un peuple élu ? Pourquoi ont-ils ce sentiment d'avoir une mission à accomplir ?

Selon le sociologue allemand, Max Weber, le protestantisme puritain (calvinisme) des premiers colons aurait imprégné durablement les moeurs de la société américaine, d'après son ouvrage : l'Ethique Protestante et l'Esprit du Capitalisme, le modèle américain aurait hérité du calvinisme. Pour les calvinistes, Dieu aurait crée le monde pour sa gloire et aurait prédestiné l'homme, à son insu, au salut ou à la damnation. Bien qu'il soit prédestiné, il faut cependant que sa conduite ne soit pas immorale. Aussi, le puritain doit rechercher les signes de son excellence dans le succès temporel, interpréter sa réussite séculière, en particulier le développement de son entreprise, comme un signe de bénédiction divine, comme une preuve attestant qu'il fait parti des élus. Il doit autrement dit travailler régulièrement et méthodiquement pour développer des richesses. Néanmoins, il ne s'agit pas d'accumuler des richesses pour en jouir et se reposer dans la luxure, mais de mener une vie ascétique, consacrée au travail. Conduire sa vie rationnellement et systématiquement, c'est apparemment pour le calvinisme bien savoir utiliser son temps et savoir faire des efforts à bon escient ; en réalité et plus profondément, c'est soumettre sa vie à l'éthique du travail. Le travail devient donc une forme d'ascèse qui permet de se rapprocher de Dieu, d'éviter de trop s'adonner au plaisir et de ne pas gaspiller son temps. Cette étude sur l'éthique protestante, a finalement permit à Weber de montrer l'influence que pouvait avoir la religion (l'ascétisme protestant) sur l'économie. Quant à notre problème, cette étude nous permet de mieux comprendre, grâce à l'idée de prédestination des Calvinistes, qui se voyaient comme le peuple élu par Dieu, pourquoi les dirigeants américains se donnent pour mission de sauver le monde. Mais une telle emprunte de la religion dans la société, n'est-elle pas un danger pour la démocratie ? Bien que pour Tocqueville la religion serait un moyen d'améliorer la vie d'ici-bas, un instrument pour résoudre les problèmes de la société ou de l'individu, le grand danger toutefois dans un pays aussi religieux que les Etats-Unis, est qu'un dirigeant politique n'agisse de façon messianique et ne diabolise à l'excès un adversaire politique, au nom du grand combat du Bien et du Mal. La guerre annoncée par George W. Bush contre l'Irak, comme une « croisade pour délivrer le monde des malfaisants »44(*), ne rentrerait-elle pas dans ce cas de figure ? Les avis sur la question sont partagés, pour certains Bush n'est pas un fondamentaliste religieux, sa doctrine de la guerre préventive serait fondamentalement areligieuse ; le dieu de Bush serait coupé de ses bases confessionnelles et institutionnelles, c'est un dieu rhétorique pleinement instrumentalisé par le pouvoir politique et la stratégie. Mais d'autres personnes pensent au contraire que beaucoup de guerres menées par les Américains, comme cette guerre en Irak ou encore la guerre du Vietnam, sont des guerres religieuses. L'Amérique agirait par pure conviction, convaincue d'être le peuple élu de Dieu, ces guerres sont enfin de compte comme une mission, celle d'appliquer partout les institutions, les moeurs, les principes américains pour effacer entre les hommes où qu'ils soient toutes différences. Mais une telle conviction, ne serait-elle pas plus dangereuse que le mensonge ? Le menteur sait la vérité qu'il travestit, mais le convaincu l'ignore. Toute conviction est conservatrice, rebelle à toute nouveauté ; aucune conviction ne peut tolérer la concurrence d'une autre vision des choses, élevant ainsi une prétention totalitaire, hégémonique et oppressive. Certes, il y a des convictions qui ne sont pas dangereuses, à condition qu'elles soient lucides et pas seulement superstitieuses et délirantes, à condition qu'elles soient conscientes d'elles-mêmes, qu'elles ne soient pas une vérité qui s'impose partout. Or, les convictions religieuses de Bush sont-elles lucides ? Pour le public européen et français sa vision manichéenne du monde, opposant les bons et les mauvais, les «  purs » et les « impurs », n'a rien de lucide, elle fait même plutôt penser aux discours que prônent les fanatiques, auxquels Bush s'oppose lui-même. Néanmoins, ces invocations religieuses que l'on retrouve dans le discours de Bush, avec les termes de « croisade », « d'axe du mal », de « destinée manifeste » par exemple, ne sont pas des créations de l'administration Bush, ce type de discours comme nous l'avons vu, fait parti des fondements de la politique étrangère de Etats-Unis. Par conséquent en quoi la conviction de George W. Bush, ne serait-elle pas lucide ?

Selon Max Weber, la passion, la conviction c'est-à-dire le dévouement est une qualité essentielle de l'homme politique ; mais pour diriger la conviction ne lui est pas suffisante, il lui faut le sentiment de responsabilité. La différence entre l'éthique de la responsabilité et l'éthique de la conviction est fondamentale. Etre responsable, c'est répondre de ses actes, c'est aussi envisager les conséquences prévisibles de son agir. Alors que être convaincu, c'est agir selon ses sentiments sans référence explicite ou implicite aux conséquences. Bien que ces deux éthiques se différencient, toutes les deux sont nécessaires ; c'est en effet un « pêché mortel en politique, écrit Weber, que de ne défendre aucune cause ou de n'avoir aucun sentiment de responsabilité ». Autrement dit, non seulement la croyance et la foi sont nécessaires en politique, mais la responsabilité l'est aussi ; un politique sans conviction ni responsabilité est « le produit d'un esprit blasé, souverainement superficiel et médiocre, fermé à toute signification de l'activité humaine [...] »45(*). Ainsi, avoir des convictions religieuses en politique ne semblerait pas être un défaut mais une qualité, à condition néanmoins que l'on soit aussi responsable. En effet Weber nous met en garde contre l'idée d'une séparation absolue. Pour lui dans l'action du politique, l'éthique de la conviction et l'éthique de la responsabilité ne peuvent pas être disjointes l'une de l'autre. La première, considérée en elle-même, conduite à ses extrêmes conséquences, est propre au fanatique. En effet, la conviction est telle qu'elle le rendrait incapable de juger par lui-même, ni d'envisager ou de tolérer toute autre opinion que la sienne. La seconde quant à elle, considérée en elle-même, conduite à ses extrêmes conséquences, est propre au cynique qui est tournée uniquement vers le succès, sans croire à aucune valeur.

Si l'on admet l'hypothèse selon laquelle George W. Bush aurait agit par conviction, qu'il aurait fait autrement dit la guerre en Irak dans le but d'apporter la paix, la prospérité, les valeurs démocratiques ; peut-on dire qu'il a eu le sentiment de responsabilité dont parle Weber ?

Non seulement, il n'y a toujours pas la paix en Irak, le bilan humanitaire de la guerre s'élève à des milliers de morts dans les rangs de l'armée américaine, irakienne et des civils irakiens46(*), mais cette violence a aussi amplifié l'antiaméricanisme chez les Irakiens, parce que la démocratie politique, même minimale est un processus et ne peut ni se décréter, ni s'exporter sans transformation profonde et lente, des mentalités, des modes de vie et du fonctionnement des organisations47(*). Outre ce renforcement de l'anti-américanisation, l'invasion en Irak a dynamisé le recrutement terroriste. Chomsky écrit à ce propos, que le meilleur moyen de stopper le terrorisme, c'est de ne pas y participer. Certes on pourrait rétorquer à Chomsky que quelques fois ne rien faire, c'est mal faire, c'est refuser de regarder le mal en face, mais dans cette situation, il aurait sans doute été préférable de ne rien faire, l'intervention militaire n'a effectivement pas diminué ce terrorisme au contraire, elle l'a alimenté et renforcé le sentiment de haine contre les «infidèles ». Avec les conséquences qu'a eu cette guerre, beaucoup de personnes soupçonnent les raisons mêmes pour lesquelles les Etats-Unis l'ont faite. Si certains pensent que l'Amérique a vraiment voulu protéger la sécurité des américains, d'autres pensent qu'elle a agit juste par vengeance, l'humiliation étant intenable. D'autres encore comme Todd, pensent que la guerre paraissait pour les Etats-Unis comme une solution logique pour affirmer de nouveau leur hégémonie, leur superpuissance. D'après une étude intéressante sur la capacité des Etats-Unis à renverser un régime et à installer une démocratie, sur les seize régimes que les Etats-Unis ont tenté de renverser, seulement quatre étaient encore des démocraties dix ans après le départ des troupes américaines. Les deux premières datent de la Seconde Guerre Mondiale (Japon et Allemagne) et les deux autres sont des petits Etats (Grenade et Panama)48(*). Autrement dit d'après cette étude, la préoccupation exprimée par l'Amérique concernant les droits humains du peuple irakien et le manque de démocratie dans le pays ne seraient pas non plus les véritables raisons des interventions américaines.

Finalement si l'on doute sur le fait que George W. Bush ait agi par conviction, il y a nul doute sur le fait qu'il ait agi sans tenir compte des conséquences de ses actes. Autrement dit le danger pour la démocratie américaine, ce n'est pas d'avoir des dirigeants aux convictions religieuses, mais des dirigeants n'ayant que des convictions, sans avoir le sens des responsabilités. Aucun régime politique, semble t-il ne peut fonctionner correctement sans que celui ou ceux qui sont au pouvoir ne fassent preuve d'une grande conscience de leurs responsabilités. La religion en politique n'est donc pas un danger pour la démocratie américaine, souvenons nous que Martin Luther King était pasteur, et que son mouvement : la Southern Christian Leadership a servi la cause des Noirs, un problème d'ordre politique à l'époque. En Amérique, écrit Tocqueville, il y a « chez l'être humain un désir d'infini que les choses finies n'épuisent jamais et que l'espace d'une vie ne permet pas de contenter _ et ceci encore plus vrai, rappelons-le, pour l'homme démocratique dont les désirs matériels sont insatiables »49(*). La religion, selon Tocqueville, serait la réponse à cet appétit. En effet, la religion permettrait à qui souhaite ardemment l'immortalité de se tourner vers un autre monde et comblerait ses aspirations profondes ; l'homme matérialiste sortirait de sa matérialité grâce à la religion, qui est immatérielle, plutôt que de rester dans la matérialité, qui fait que les croyances religieuses sont oubliées. Par conséquent l'empreinte de la religion même forte dans la société américaine n'exclurait pas le fonctionnement de la démocratie, au contraire la religion semblerait même être, comme nous l'avons déjà dit lorsque nous avions évoqué l'étude de Bellah, encastrer dans les fondements de la démocratie américaine.

* * *

Finalement, bien que l'Amérique fût longtemps considérée comme un pays de rêve, un pays d'intégration, bien qu'elle ait fasciné le monde à travers le cinéma hollywoodien et ses « happy end », etc. ; la fascination exercée par le modèle américain n'est pas exempte d'une certaine méfiance. En effet comme nous avons pu le constater au cours des pistes principales du développement, certaines actions du gouvernement américain sont inquiétantes parce qu'elles n'obéissent pas aux normes nationales et internationales, parce qu'elles ne servent pas le bien commun et enfin parce qu'elles portent atteintes aux droits fondamentaux de l'individu. Il y aurait d'autres raisons, que nous n'avons pas évoquées dans les pistes du développement et qui expliqueraient pourquoi ce modèle est contesté comme par exemple sa domination sur le plan économique. Pour les antimondialistes, l'Amérique serait un problème pour l'économie des autres pays. Ainsi, à travers la mondialisation, les antimondialistes, en lutte contre la liberté de circulation des personnes et des marchandises visent directement l'Amérique, le capitalisme démocratique, c'est-à-dire le modèle économique américain. Selon les antimondialistes, la mondialisation favoriserait des inégalités entre les riches et les pauvres et profiterait aux entreprises, notamment américaines, au détriment des salariés, des consommateurs et de l'environnement. Or la mondialisation, comme le fait remarquer Revel à juste titre, a été positive parce que l'ensemble des pays pauvres aujourd'hui est moins pauvre qu'il y a un demi siècle parce que l'ouverture des marchés ne profite pas uniquement aux entreprises américaines : les Etats-Unis représentent un marché très attractif pour les entreprises étrangères étant donné qu'ils consomment énormément. On aurait pu citer de nombreux exemples encore comme ceux-là, où l'on critique les Etats-Unis par manque d'information comme l'écrit Revel, ou pire par désinformation. Depuis la guerre en Irak par exemple, les journalistes n'hésitent pas à alimenter l'antiaméricanisme, modifiant l'opinion publique; toute critique du gouvernement, se confondant avec une critique ouverte visant l'ensemble des Etats-Unis. Les médias ont ce pouvoir de nous informer et de nous désinformer : pour servir leur intérêt particulier, les médias peuvent choisir par exemple ce qu'il faut mentionner et ce dont il faut passer sous silence. Or le postulat démocratique présuppose bien sûr que les médias se consacrent à la recherche de la vérité avant d'en informer le public. Mais, il suffirait que les médias soient autocensurés par des groupes de pression par exemple pour que l'on manque d'information, ou qu'ils manipulent l'information pour que l'on en soit désinformé50(*). Les médias ont ceci de particulier, c'est qu'ils peuvent influencer, contrôler l'opinion publique. Aussi d'après Revel si les arguments des antiaméricains sont contradictoires, c'est justement parce qu'ils manquent d'informations. C'est pourquoi, dans les pistes principales du développement il m'a semblé inutile de rappeler l'ensemble des raisons pour lesquelles les Etats-Unis sont un modèle contesté. S'il y a un argument qui permet de soulever les insuffisances du modèle démocratique américain, c'est celui que nous avons étudié dans la première piste du développement. Cet argument souligne les contradictions de la politique américaine et à lui seul est suffisant pour remettre en question le modèle démocratique américain. Mais cet argument est-il suffisant pour dire de la démocratie américaine qu'elle est en déclin vers un despotisme ? Je pense que la réponse à cette question est clairement négative. En effet si l'on considère la démocratie américaine en déclin à cause des actions de la politique américaine, alors on devrait considérer la France de la même manière ; n'a-t-elle pas en effet pratiqué la torture en Algérie ? Or la torture est un acte prohibé par les textes internationaux de la proclamation des droits de l'homme, et pourtant la France est toujours, jusqu'à preuve du contraire, démocratique.

Pour que l'Amérique devienne en effet un jour despotique, il faudrait que la population américaine consente à sa propre servitude. Selon La Boétie, l'homme semble être, sinon la victime constante, du moins l'auteur de son propre asservissement. Par nature, nous ne sommes «  serfs de personne », écrit La Boétie : « c'est le peuple qui s'asservit, qui se coupe la gorge, qui ayant le choix ou d'être serf ou d'être libre, quitte la franchise et prend le joug, qui consent à son mal, ou plutôt le pourchasse ». Autrement dit, si despotisme il y a, c'est parce que la population aura consenti volontairement et non sous la contrainte, à restreindre sa liberté, à se plier, à se rallier à la volonté d'un autre51(*). Est-ce par servitude que la plupart des Américains ont suivi leur président dans la guerre en Irak, alors que vue de la France, et un bon nombre d'autres pays, cette guerre est décrite comme précipitée, disproportionnée, injustement cruelle pour les populations civiles? Comment en effet expliquer le fait que les Américains ont réélu Bush pour un second mandat, alors qu'il a trompé son peuple et menti au Congrès pour obtenir l'autorisation de conduire « une guerre préventive » et envahir l'Irak52(*) ; alors qu'il a encouragé un usage disproportionné de la force et provoqué la mort de civils irakiens innocents, alors qu'il a violé la convention de Genève sur le traitement des prisonniers de guerre permettant la pratique de la torture dans la prison de Guantanamo ? Autrement dit, comment encore soutenir ce président, à moins d'être asservi ? Pour Pierre Hassner ou encore Denis Lacorne, si les Américains ont été imperméables aux objections extérieures, c'est parce qu'ils sont unis dans la lutte contre l'ennemi terroriste, d'où cet étonnant élan patriotique, ce sentiment de fierté qui les poussent à se battre pour leur pays. La population Américaine ne serait donc pas asservie, elle serait unie. Le patriotisme américain est comme un devoir sacré, il fait parti des valeurs américaines, et donc de l'identité du pays. En effet l'identité de la démocratie américaine ne se résume pas à ses institutions ou encore à sa politique. L'identité de la démocratie américaine s'inscrit dans le temps, parce qu'elle est fondée sur des bases stables telles que la Constitutions des Etats-Unis, mais ce n'est pas pour autant qu'elle ne change pas, elle tire sa richesse aussi des moeurs et des valeurs qui évoluent avec le temps. Pour revenir à notre problème, on ne peut pas dire que la population américaine soit asservie, car bien que la majorité de la population ait été favorable pour mener cette guerre, cela ne signifie pas pour autant que le président Bush soit apprécié. En effet, les manifestations contre la politique de Bush et son administration sont nombreuses ; Michael Moore par exemple qui est un réalisateur américain de documentaires engagés, n'hésite pas à exprimer librement ses opinions et à dénoncer au travers de ces films ou ses livres, tels que Bowling for Columbine, Fahrenheit 9/11, Mike contre-attaque ! : Bienvenue aux Etats Stupides d'Amérique, à coup d'anathèmes l'administration Bush53(*). Autrement dit, le droit de critique et la liberté d'expression des individus, sont assurés aux Etats-Unis, c'est une raison suffisante pour prouver que la démocratie n'a pas tourné au despotisme, malgré les abus dans l'usage politique de la force.

Par ailleurs pour que l'Amérique devienne despotique, il faudrait qu'il y ait un despote, or bien que George W. Bush occupe la fonction la plus déterminante du système politique, celle qui offre le plus de possibilité d'action puisqu'il est à la fois le chef de l'état, le chef du gouvernement, et le chef des armées ; il n'a pas le droit de tout faire, il ne peut être tout puissant. En effet, le président des Etats-Unis dispose d'un pouvoir très étendu mais dans les limites tracées par la Constitution. Aussi s'il peut conduire avec une certaine liberté la politique étrangère, pour déclarer une guerre il a toutefois besoin de l'approbation du Sénat. Outre ce contrôle du Congrès sur le président et son administration, il y a aussi le contrôle du pouvoir judiciaire. Aux Etats-Unis, le pouvoir judiciaire joue le rôle d'un contre-pouvoir extrêmement puissant, mais complexe54(*). Ce pouvoir est en effet complexe parce que les Etats-Unis d'Amérique sont une fédération constituée de cinquante Etats. Ainsi chaque Etat a son propre système judiciaire. Le pouvoir judiciaire est donc composé en réalité d'une multitude de systèmes autonomes : il existe un système judiciaire fédéral et les systèmes judiciaires individuels des États. Ces systèmes fédéraux et fédérés sont structurés comme des pyramides. Au sommet de chaque pyramide se trouve une instance de dernier ressort (au niveau fédéral, la Cour suprême des États-Unis ; au niveau de chaque État, la cour suprême de l'État) qui a le pouvoir d'interpréter le droit de cette juridiction. Il existe également un niveau intermédiaire : une cour d'appel dans la plupart des États, comme dans le système fédéral. Aux Etats-Unis n'importe quel tribunal a le droit de déclarer qu'une loi ou une action du pouvoir exécutif est inconstitutionnelle, sous réserve d'examen ultérieur par une cour de niveau supérieur. Ainsi grâce à cette pratique du fédéralisme, les pouvoirs sont partagés entre les Etats ce qui permet d'éviter, comme au niveau gouvernemental (exécutif et législatif sont séparés), qu'une seule personne ne détienne le pouvoir. Il y a toujours un contrôle qui s'effectue afin d'éviter tout abus du pouvoir. Par conséquence, malgré les actions illégales du gouvernement américain, on ne peut pas dire des Etats-Unis qu'ils soient en déclin progressif vers un despotisme, en revanche ne peut-on pas parler de crise d'identité démocratique américaine ? L'identité de la démocratie américaine s'adapte, nous l'avons vu, à l'évolution des moeurs, elle n'est pas un produit fini mais un processus en perpétuel évolution. Si l'on observe comme nous l'avons fait au cours des pistes principales du développement, l'univers social et politique dans lequel la démocratie évolue actuellement, il est possible de dire qu'elle soit en crise d'identité. Cette crise s'apparenterait à la crise d'identité d'un individu, qui change tout en restant le même. La différence donc entre une Amérique qui est en crise d'identité et une Amérique qui serait despotique, c'est que dans un premier cas on affirme qu'elle est toujours démocratique, bien que quelques aspects aient changés, alors que dans le second elle perd complètement son identité pour devenir un autre régime.

* 40 Premier amendement (1791) «  le Congrès ne pourra faire aucune loi ayant pour objet l'établissement d'une religion ou interdisant son libre exercice, de limiter la liberté de parole ou de presse, ou le droit des citoyens de s'assembler pacifiquement et d'adresser des pétitions au gouvernement pour qu'il mette fin aux abus ». TOINET, M.-F., Le système des Etats-Unis, PUF, Paris, 1987, p.609.

* 41 BELLAT, N., «  La religion civile aux Etats-Unis », 1967, Le débat, n°30, mai 1984, p.111. « C'est moi qui souligne ».

* 42 Ronald Steel, «Mr Fix-it», in New York Review of Books, 5 octobre 2001, pp.19-21.

* 43 «States like these, and their terrorist allies, constitute an axis of evil, arming to threaten the peace of the world» (« De tels Etats constituent, avec leurs alliés terroristes, un axe maléfique et s'arment pour menacer la paix mondiale), Discours prononcé par le président Bush le 29 janvier 2002.

* 44 Selon les termes de George W. Bush du 16 septembre 2001 : «  crusade » to «  rid the world of evil-doers ».

* 45 WEBER, M., Le savant et le politique, trad. de l'allemand par J. Freund, Paris, Le Monde en 10-18, 1963, p.64.

* 46 On peut retrouver le nombre de civils morts en Irak par les interventions militaires américaines, sur : http://www.iraqbodycount.net.

* 47 La conception des droits de l'homme, par exemple ne correspondrait pas à image et à la culture des Etats musulmans, c'est pourquoi d'ailleurs ils ont adopté en 1981, la Déclaration islamique universelle des droits de l'homme, car pour les musulmans les droits de Dieu priment sur les droits de l'homme, leur conception des droits de l'homme se fondent autrement dit sur la volonté divine.

* 48 Etude réalisée par Carnagie Endowment.

* 49 TOCQUEVILLE, W., De la Démocratie en Amérique, I, 2ème partie, chap. IX.

* 50 « Les tentatives gouvernementales pour « influencer » la pesse sont fréquentes. Elles vont parfois jusqu'à manipuler les informations (...), voire à poursuivre et ruiner la carrière de certains journalistes comme ce fut le cas pendant la période maccarthyste ». TOINET, M.-F., Le système politique des Etats-Unis, Paris, PUF, 1987, p.572-573.

* 51 S'il y a corruption et trahison, c'est parce que, écrit Spitz : «  les citoyens cèdent aux charmes de l'intérêt privé et qu'ils ont cessé d'être réellement des citoyens pour ne plus être que des sujets confiants à des politiciens professionnels, le soin de leurs affaires collectives ». SPITZ, J.-F., « Bruce Ackerman, théoricien de la démocratie dualiste », Critique, Décembre 1998, N°619, p.860.

* 52 Dans une interview diffusée en avril par la radio BBC, le chef des inspecteurs en désarmement, Hans Blix, a dénoncé la falsification de ce document pour justifier la guerre en Irak.

* 53 « We like nonfiction and we live in fictitious times. We live in the time where we have fictitious election results that elects a fictitious president. We live in a time where we have a man sending us to war for fictitious reasons. Whether it's the fiction of duct tape or fiction of orange alerts we are against this war, Mr. Bush. Shame on you, Mr. Bush, shame on you. » (« Nous aimons ce qui n'est pas fictif et nous vivons dans des temps fictifs. Nous vivons à une époque où nous avons les résultats d'une élection fictive qui élisent un président fictif. Nous vivons une époque où un homme nous envoie à la guerre pour des raisons fictives. Qu'il s'agisse de la fiction du ruban adhésif ou de la fiction des alertes orange nous sommes contre cette guerre, M. Bush. Honte sur vous, M. Bush, honte sur vous. » ). Discours prononcé lors des Oscars par Michael Moore, le lundi 24 mars 2003.

* 54 Cf. Annexe : l'organisation judiciaire aux Etats-Unis.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry