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Le lexique alimentaire dans Le ventre de Paris D'Emile Zola: Réalisme et métaphore

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par Fethi Esdiri
Institut de langue de Gabes, Tunisie - Maîtrise 2006
  

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2. Abondance

La propension à la parataxe et aux structures énumératives et accumulatives met aussi en évidence l'abondance de la nourriture dans Le Ventre de Paris. En effet, si la variété des aliments touche leurs natures, leurs formes et leurs odeurs, autrement dit, le côté formel et esthétique de la matière, l'abondance, elle, met l'accent sur la quantité des aliments.

A cet égard, le penchant de Zola pour l'hyperbolisation et, selon l'expression de Zola, « l'agrandissement » des aliments est certain. L'abondance selon une logique de croissance qui traverse le texte, glisse vers la surabondance, l'hypertrophie, bref, vers l'excès. Zola lui-même affirme « J'agrandis cela est certain... ». L'accumulation de la nourriture entraîne de nombreux passages descriptifs qui, par le recours à des phrases longues et à des structures énumératives et accumulatives vise, dans un premier lieu, la reproduction exhaustive des aliments. La description cherche à peindre l'objet alimentaire dans sa fraîcheur et à le présenter, ainsi,comme réel.

Parmi les aliments les plus abondants dans le texte, on cite les légumes. Le début de l'oeuvre en présente une parfaite illustration:

IMAGE 2 :

" Sur le carreau, les tas dpchargps s'ptendaient maintenant jusqu'à la chaussée. Entre chaque tas, les maraîchers ménageaient un étroit sentier pour que le monde pût circuler. Tout le large trottoir, couvert d'un bout à l'autre, s'allongeait avec les bosses sombres des lpgumes ". (391).

Deux éléments fondamentaux constituent la composante de ce petit tableau : l'homme et la nature.

Les légumes présents dans ce tableau sont la carotte, le navet, le pois et le chou. Le premier signe d'abondance est l'emploi du pluriel : « les tas déchargés », « les bosses sombres des légumes », la manche bleue d'une blouse ».

Dans « , la manche bleue d'une blouse », par un effet de contraste, les déterminants « la » et « une » rendent plus visible le pluriel de l'article indéfini « des ». De même, on passe de la synecdoque particularisante à la synecdoque généralisante : si les maraîchers sont désignés par les manches de leurs blouses, les légumes sont présentés surtout par leur couleur. Accentué par la métaphore nominale « floraison », soutenue elle-mrme par l'adjectif à valeur hyperbolique « énorme », ce tableau rend plus visible la grande quantité des légumes.

En revanche, l'abondance subit un glissement vers la surabondance. Au niveau lexical, ce glissement se traduit par un changement des expressions qui déterminent les aliments. On ne parle plus de « bouquets » de carottes et de navets mais plutôt de « montagnes » et des « entassements » de choux et de pois :

Et derrière, les neufs autre tombereaux, avec leurs montagnes de choux, leurs montagnes de pois, leurs entassements d'artichauts. (387).

Ce passage, décrivant l'arrivée des maraîchers aux Halles, nous montre la grande quantité des légumes. L'adjectif numéral cardinal « neuf » accentué par l'expression métaphorique « montagnes de » marquée par le pluriel et répétée deux fois dans une forme d'insistance, ainsi que le substantif « entassements », disent l'hypertrophie des légumes. Cette hypertrophie atteint son paroxysme, et dans une souple progression, « les montagnes » et « les entassements » se transforment en un véritable écoulement de la matière nutritive :

Ces tas moutonnants comme des flots pressés, le fleuve de verdure qui semblait couler dans l'encaissement de la chaussée, pareil à la débâcle des pluies d'automne, prenaient des ombres délicates et perlées.(399).

Dans ce passage les légumes dépassent toute mesure : c'est l'esthétique zolienne du débordement. Le narrateur emprunte l'image des flots, de fleuve et des pluies pour rendre compte de leur quantité démesurée. Le participe présent « moutonnant » exprime une action continue et illimitée et produit une impressin de réalité.

Il nous renvoie à l'image des vagues d'eau dans leur mouvement. Cette image est renforcée par le verbe « couler » qui croise le substantif « débâcle » dans les sèmes « fuite » et « énergie ».

Par le biais d'une « comparaison filée », opérée par « comme » puis par « pareil à », le « narrateur-descripteur » fait un rapprochement entre les légumes et l'eau, deux éléments naturels qui partagent l'idée du débordement, de la force et du mouvement énergique.

En revanche, l'abondance, dans ce roman, ne concerne pas uniquement les légumes. Elle caractérise bien d'autres aliments.

Outre les procédés typographiques et linguistiques, Zola use de « la construction par contraste de l'objet décrit »6. Marie Scapra, dans une étude ethnocritique du Ventre de Paris intitulée Le Carnaval des Halles, explique d'une manière circonstanciée ce procédé :

Dans un premier temps, c'est l'idée du nombre qui suscite celle de l'engorgement, de « l'entassement » ; mais l'hyperbolisation est due également à la technique de la construction par contraste de l'objet décrit, « perçu » par un personnage dont le statut et l'état vont faire qu'il n'en pourra ressentir que le côté remarquable et spectaculaire. Ainsi, comment mettre mieux en scène le pléthorique alimentaire qu'à travers le regard d'un meurt-de-faim7

Marie Scapra semble faire allusion, ici, à Florent. C'est à travers les yeux de ce personnage que nous voyons les légumes. Elle met l'accent sur l'importance du point de vue dans la description. L'abondance outrée des légumes est influencée par la sensation de la faim qui hante Florent et qui sert, apparemment, d'un amplificateur d'images. Cette analyse de Marie Scapra souligne, en effet, l'importance de la sensation et du tempérament dans la mise en images ou la description chez l'écrivain ou l'artiste indifféremment. Cette conception constitue le fondement de la doctrine naturaliste. En témoigne cette citation de Zola où il montre la place essentielle qu'occupe la personnalité de l'artiste dans son oeuvre : « les écrivains naturalistes sont ceux dont la méthode de l'étude serre la nature et l'humanité de plus près possible, tout en laissant, bien entendu, le tempérament particulier de l'auteur libre de se

6 On doit cette expression à Marie Scapra.

7 Marie Scapra, Le Carnaval des Halles, une ethnocritique du Ventre de Paris de Zola, CNRS Éditions, Paris, 2000, p. 31.

manifester ensuite dans l'oeuvre »8. La description des légumes à travers le regard de Florent, un « meurt-de-faim », relève d'une propension de la part du narrateur à amplifier l'objet décrit. Cette amplification relève d'une « rhétorique du pléthorique » que prône le roman.

Par ailleurs, c'est aussi sous le signe de l'excès que l'auteur nous décrit la charcuterie des Quenu. La description de la cuisine est, à ce propos, l'un des passages les plus représentatifs du débordement dans l'oeuvre :

La graisse débordait, malgré la propreté excessive, suintait entre les plaques de faïence, cirait les carreaux rouges du sol, donnait un reflet grisâtre à la fonte du fourneau, polissait les bords de la table à hacher d'un luisant et d'une transparence de chrne verni. Et au milieu de cette buée amassée goutte à goutte, de cette évaporation continue des trois marmites, où fondaient les cochons, il n'était certainement pas, du plancher au plafond, un clou qui ne pissât la graisse. (427).

Le narrateur dans ce passage, fait un « zoom » sur la graisse. Il s'agit, en effet, d'un signe de surabondance en ce qu'elle présente une marque d'embonpoint. Repartie surtout dans le tissu conjonctif sous-cutané, la graisse, placée entre la chair et la peau, n'est pas sans traduire une abondance et un excès de santé. Dans ce passage, en signe d'hégémonie, la graisse serpente la cuisine de la charcuterie « du plancher au plafond ». En position de sujet, le mot « graisse » régit cinq verbes : « débordait », « suintait », « cirait », « donnait », « polissait ». Exprimant une action illimitée, l'imparfait fait écho à la quantité illimitée de cette graisse. Le verbe « déborder » soutenu par l'image du suintement entre les plaques de faïence et, renforcé par la construction concessive opérée par la préposition « malgré », souligne le foisonnement de la graisse qui envahit le lieu.

Dans la mrme perspective, l'adjectif numéral « trois », caractérisant les marmites, corroboré par le pluriel régissant le mot « cochons », exprime la grande quantité de viande. Dans une harmonie imitative, la dernière phrase de cet extrait, faisant écho à la buée dense « amassée goutte à goutte », de la cuisine, peut-être l'expression d'une grande concentration sémantique : dans le cadre d'une construction négative restrictive, la métaphore du clou pissant la graisse peut être sentie comme une image, non dénuée d'humour, de l'abondance excessive.

8 Article de 1876 où Zola définit le naturalisme comme un élargissement du réalisme, cité dans Germinal (Balise).

Par ailleurs, la description du marché de la marée rend compte, elle aussi, du foisonnement, sciemment exagéré, des produits de la mer :

C'était le long du carreau, des amoncellements de petites bourriches, un arrivage continu de caisses et des paniers. (433).

Dans cet extrait, le terme « amoncellement » et l'expression « arrivage contenu » connotent la quantité illimitée des poissons. Un peu plus loin, on se trouve face à une autre illustration de l'hypertrophie alimentaire :

Les sacs de moules, renversés, coulaient, dans des paniers ; on en vidait d'autres à la pelle. Les mannes défilaient les raies, les soles, les maquereaux, les saumons, apportés et remportés par les compteurs- verseurs, au milieu des bredouillements qui redoublaient.(483).

L'isotopie de l'abondance est lisible à travers les verbes « coulaient », « défilaient » qui évoquent l'idée du grand nombre. L'énumération est ouverte comme pour dire que la liste n'est pas finie. Le syntagme prépositionnel « à la pelle » est une expression de la grande quantité. De même, le verbe « redoublaient » exprime la croissance et la multiplication. Le verbe « coulait » réhabilite une métaphore mentionnée dans la description des légumes et de la cuisine des Quenu ; c'est la métaphore de l'écoulement énergique de la matière qui se transforme en mer disant ainsi l'idée de la démesure et du débordement. C'est ce que Marie Scapra appelle le «phénomène de grossissement » :

Ce phénomène de « grossissement » est tellement net que l'on peut littéralement parler de gigantisme, opéré le plus souvent par le biais de la métaphore corporelle. Ce n'est pas seulement les « tas » des denrées qui sont impressionnants mais les denrées en elles-mêmes : que dire au premier chapitre de ces « énormes choux blancs », de ce « gros radis noir » et surtout de ces potirons « élargissant leur gros ventres » ? Les espaces qui les exposent, à savoir l'ensemble du marché, sont pris aussi dans cette logique. Les Halles centrales, sont pris aussi dans cette logique. Les Halles centrales qu'elles soient vues par le narrateur, Claude ou Florent (et par tous les autres personnages, d'ailleurs), nous sont décrites, presque toujours, d'une façon hyperbolique9 .

À dire vrai, des nourritures énormes et des lieux énormes évoquent corollairement des consommateurs énormes. Ce sont les Gras. Aliments et personnages se partagent entre gras et maigres, reprenant ainsi la bataille des « Gras »

9 Marie Scapra, Op. Cit. , p.32.

et des « Maigres ». Zola opère, en effet, une réécriture de Rabelais et de Bruegel. Il y a dans le roman les traces d'un réalisme copieux et puissant cher à Rabelais : son art de mettre en évidence la matière nutritive dans sa vitalité. Au niveau du style, Zola emprunte à ce dernier le goEt de l'excès rendu plus visible par le recours fréquent aux structures énumératives et accumulatives.

La description des légumes et des Halles nous renvoie, en fait, à l'art rabelaisien d'agrandir la réalité jusqu'au gigantisme, dont « Gargantua » représente une parfaite illustration. Cependant, poussée à fond, la tendance de Zola à « l'agrandissement » des aliments provoque des images qui, à force de recourir à la métaphore, donnent à la nourriture une valeur poétique, certes, mais surtout symbolique qui fera l'objet de notre troisième sous-partie.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus