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Le lexique alimentaire dans Le ventre de Paris D'Emile Zola: Réalisme et métaphore

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par Fethi Esdiri
Institut de langue de Gabes, Tunisie - Maîtrise 2006
  

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II. NATURES MORTES

DANS LE GOUT

IMPRESSIONNISTE

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II. Natures mortes dans le goût ipressionniste

1. Peindre/Décrire

Dans cette partie, on va essayer de montrer le rôle que joue la description dans le passage de l'image réelle des aliments à leur image métaphorique. C'est en quelque sorte cette touche d'artiste qui transfigure le réel et le transforme en objet métaphorique.

« En réalité, il est impossible de séparer le peintre de l'écrivain dans Le Ventre de Paris, mais il convient de bien voir l'au-delà du peintre et l'au-delà du romancier ainsi que l'a proposé M. David Baguele y, dans son étude sur « Le supplice de Florent» »46.

Zola, dans ce roman, illustre une théorie qui remonte à Horace. Il s'agit de l'ut pictura poesis ou « il en est de la poésie comme d'une peinture ». Une théorie qui met l'accent sur le rapport étroit entre le peintre et l'écrivain. Les deux cherchent la visualisation, l'un par son pinceau l'autre par sa plume, l'un par les couleurs l'autre par les mots. La différence est que l'espace de représentation pour le peintre est la toile tandis que celui de l'écrivain est le texte. L'ut pictura poesis est donc l'expression de tout un mécanisme de représentation mimétique.

Dans Le Ventre de Paris, l'influence de cette théorie peut se manifeste à travers le choix des personnages. La description des Halles se fait à travers deux points de vue principaux celui de Claude Lantier, un peintre, et Florent qui remplit le statut de l'homme instruit l'homme penseur et par extension le poète :

Eh bien! si je vous aime, vous, c'est que vous m'avez l'air de faire de la politique absolument comme je fait de la peinture. Vous vous chatouillez, mon cher. Et comme l'autre protestait :

-Laissez donc ! vous êtes un artiste dans votre genre, vous rêver politique ; je parie que vous passez des soirées ici, à regarder les étoiles, en les prenant pour les bulletins de vote de l'infini~ Enfin, vous vous chatouillez avec vos idées de justice et de vérité. Cela est si vrai que vos idées, de même que mes ébauches, font une peur atroce aux bourgeois Puis là, entre nous, si vous étiez Robine, croyez-vous que je m'amuserais à être votre ami Ah ! grand poète que vous êtes ! (510).

46 Préface du Ventre de Paris, édition des Rougon Maquart, p. 381.

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Claude Lantier, nous rappelle Claude Monet, ami de Zola. Le choix de ce nom et du personnage même de Claude ne paraît pas anodin. Son nom « Lantier » rime avec « Monet » et « Manet », (Edouard Manet, chef de file des impressionnistes). Le discours de Claude semble à la fois la voix d'un peintre et d'un critique d'art. On a l'impression que Zola prône à travers ce personnage une conception de l'art adoptée par un groupe de peintres dits impressionnistes.

Il s'agit, en effet, d'un mouvement pictural qui se forma en France dans le dernier tiers du XIXè siècle en réaction contre la peinture académique. Ce mouvement a déstabilisé la tradition de la peinture, et opéré les révolutions stylistiques qui ont marqué le début du XXè siècle. Zola paraît remarquablement influencé par les idées des jeunes peintres du « Salon ». Ses romans, notamment le Ventre de Paris, un roman essentiellement descriptif, se transforment, par moments, en une succession de tableaux impressionnistes qui prônent le goût du plein air et les effets de lumière.

Zola, opte pour une description marquée par un jeu sur les contrastes, une passion pour le clair-obscur qui présentent les aliments comme des créatures à grandeur extravagante. Le choix du matin pour la description des Halles ne paraît pas fortuit. Le lever de soleil est un moment sacré pour les peintres impressionnistes. Il s'agit d'étudier l'effet de la lumière sur l'objet décrit. Dans Le Ventre de Paris, la plupart des tableaux descriptifs sont peints avec la lumière du matin :

J'ai réfléchi à ça toute la semaine... Hein ! Les beaux légumes, ce matin. Je suis descendu de bonne heure, me doutant qu'il y aurait un lever de soleil superbe sur ces gredins de choux. (392)

Ainsi, on peut dire que le choix du personnage de Claude rend compte de la dimension artistique du Ventre de Paris. Ces « gigantesques natures mortes » sont présentées à travers le point de vue d'un spécialiste en vue de les rendre plus crédibles plus authentiques et plus frappantes. Il y a, peut-être, lieu de parler d'une théorie de l'« Écran » que Zola définit ainsi :

Un chef d'école est un Écran très puissant, qui donne les images avec une grande vigueur. Une école est une troupe de petits Écrans opaques d'un grain très grossier, qui, n'ayant pas eux-mêmes la puissance de donner des images, prennent celle de l'Écran puissant et pur dont ils font leur chef de file47.

L'accent est mis sur l'importance du point de vue. Qu'il soit celui de

47 Colette Becker, Op. cit., p. 235.

l'écrivain, du narrateur ou du personnage, il s'agit d'une manière personnelle de voir les choses. La nourriture débordante des Halles est décrite à travers deux «Écrans » : l'artiste, Claude, et l'homme d'esprit, Florent. Zola pose ainsi la charnière où s'articulent les deux axes, esthétique et politique, de son oeuvre. Les grandes fresques de natures mortes vues à travers le regard de Florent peuvent être conçues comme l'expression d'une nouvelle conception de l'art de la représentation qui touche autant le peintre que le descripteur. Derrière le

personnage de Claude semble se cacher Zola le peintre, influencé par ses amis du café Guerbois. Il partage avec eux le dégoEt pour les ateliers académiques où l'on prétend leur apprendre à peindre en appliquant les conventions du grand style. Ces artistes sont hantés, en effet, par l'envie de vivre, de respirer le grand air, et ils pensent que l'art ne doit pas forcément sentir le renfermé pour rtre noble et grand. Ils fuient donc l'ambiance des ateliers et partent à la campagne étudier la nature suivant ainsi l'exemple des peintres de Barbizon48. Aussi Zola semble -t-il attiré par ces jeunes peintres, voyant dans leurs idées l'essence même de sa doctrine naturaliste :

Dans les oeuvres purement littéraires, la nature intervient et règne bientôt avec Rousseau et son école ; les arbres, les oiseaux, les montagnes, les grands bois deviennent des êtres, reprennent leur place dans le mécanisme du monde ; l'homme n'est plus une abstraction intellectuelle, la nature le détermine et le complète.49

Dans le Ventre de Paris, sa description des produits de la nature parâit, à la
limite, comme l'expression d'un panthéisme naturaliste qui situe le divin partout où
éclate le vivant et qui va jusqu'à diviniser la nature. Cette nature mère qui ne cesse
d'éblouir l'homme par sa beauté, sa puissance, ses lois, son harmonie et sa perfection.
Ainsi, Zola reprend, peut-être, la philosophie de Rabelais et de Diderot qui
prônent l'idée de l'excellence de la nature : « La nature ne fait rien d'incorrect. Toute
forme, belle ou laide, a sa cause ; et de tous les rtres qui existent, il n'y en a pas un
qui ne soit comme il doit être » affirme ce dernier dans Essai sur la peinture (à la page
656). Pour Diderot la nature est un organisme doué d'une vie qu'il incombe à l'artiste
de saisir.Peindre la nature est, pour lui, un enjeu, un défi : il ne suffit pas pour

48 Il s'agit là d'une sorte de synthèse des différents documents que nous avons lus au sujet des impressionnistes.

49 Zola, « Le Roman expérimental », « Le Naturalisme au théâtre », OEuvre critique I, Notices et Notes de Henri Mitterand, Cercle du livre précieux, Paris,1880, p. 1234-1235.

l'observateur, qu'il soit peintre ou homme de lettre, d'imiter superficiellement la nature. L'enjeu pour le peintre est de produire des choses, belles certes, mais surtout vivantes. Seuls les génies qui s'intéressent au mouvement avant la forme peuvent faire ce travail. Il paraît que Zola prétend rtre l'un de ces génies en risquant cet enjeu. Par le biais d'un style impressionniste, il vise, peut-être, à saisir la nature dans son mouvement, à capter instantanément ce qu'il voit, bref à saisir l'insaisissable : l'impression fugitive. Il s'érige en peintre, en descripteur, voire en photographe pour ainsi dire. Son travail aboutit à une longue série d'images, le cliché d'un film documentaire sur la nourriture débordante des Halles.

Zola semble opérer une révoltions esthétique. Son roman curieusement descriptif, présente une nouvelle définition de la description qu'il met au service de son projet naturaliste :

Décrire n'est plus notre but ; nous voulons simplement compléter et déterminer [...]. Cela revient à dire que nous ne décrivons plus pour décrire, par un caprice et un plaisir de rhétoricien. Nous estimons que l'homme ne peut être séparé de son milieu, qu'il est complété par son vêtement, par sa maison, par sa province50.

Ainsi nous pouvons conclure que la description, chez Zola, n'est pas uniquement ornementale. Ce dernier, à l'instar des écrivains réalistes, la libère de son rôle décoratif. La description devient tributaire d'une fonction didactique. Décrire un objet signifie désormais, pour Zola, reproduire minutieusement et apporter des informations, un savoir sur cet objet décrit. Outre sa fonction mimétique :

La description est donc le lieu textuel où se surdétermine une compétence linguistique (essentiellement lexicale et paradigmatique) et une compétence encyclopédique (une mémoire, la Mathésis, le savoir sur les objets ou les sujets, sur le monde et/ou le(s) texte(s))51.

Zola voit donc dans la nature la matière principale de sa description. Elle représente un lieu d'apprentissage, une intarissable source de savoir, bref une encyclopédie perpétuellement ouverte recelant une infinité d'informations. ce propos, l'auteur de l'Assommoir, affirme :

La nature est entrée dans nos oeuvres d'un élan si impétueux, qu'elle les a emplies, noyant parfois l'humanité, submergeant et emportant les personnages au milieu d'une débâcle de roches et de grands arbres[...]. On trouve là des documents excellents, qui seraient très précieux dans une histoire de l'évolution

50 Zola, « Le Roman expérimental », p. 1299.

51 P. Hamon, Introduction à l'analyse du descriptif, Op. Cit., p. 54.

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naturaliste52.

Nous nous permettons de dire que, pour Zola, décrire c'est observer pour bien analyser. La description n'est plus une fin. Elle est plutôt un moyen d'acquérir le savoir. Elle est douée d'une fonction épidictique et didactique en ce qu'elle fait l'éloge des différents produits de la nature et de sa force harmonieuse et permet de comprendre le fonctionnement de son organisme. De même, la description a aussi une fonction herméneutique en ce quelle permet de décrypter les mystères de cette nature. Par ailleurs, dans une autre perspective, la description de la matière nutritive débordante des Halles semble avoir une fonction critique. Le choix du personnage de Florent est à cet égard, digne d'être souligné. Ce personnage incarne, en fait, le savoir. Plongé dans une foule de gourmands, ses pensées révolutionnaires se heurtent à l'ignorance et à l'égoïsme de ces « gras » qui ne pensent qu'à « manger et dormir en paix ».

Leurs esprits sont envahis par leurs désirs. Zola les qualifie d'ailleurs de bétail. Cette métaphore met l'accent sur leur ignorance qui les rapproche des bêtes et souligne en mr me temps leur goinfrerie. La vie se réduit pour eux à l'acte de manger. La nature débordante devient donc ce voile qui les emprche de raisonner. C'est de là qu'émane peut-être le dégoût que prouve Florent pour la nourriture excessive. Si Claude déguste, dans une extase d'artiste, la beauté des aliments et voit en eux des oeuvres d'art, Florent, au contraire, voit dans les flots des aliments des géants sinon terrifiants du moins importuns. Les « gigantesques natures mortes » qui enlèvent la parole à Claude, deviennent pour lui des obstacles, des murailles qui empêchent les gens d'rtre lucides, de voir au-delà des choses, et les enferment ainsi dans un cycle monotone : travailler, manger, dormir. Selon lui pour rompre ce cycle ennuyeux et sortir de cette sphère d'ignorance, il faut rompre avec la nourriture, et corollairement, avec cette société consommatrice. Solitaire, pensif et voyageur, Florent devient l'image d'un poète. Un poète pensant son siècle.

En effet, la dimension poétique du Ventre de Paris est d'autant plus sensible que nous nous permettons de parler dÇn long poème des nourritures. D'ailleurs, Zola le dit explicitement dans une lettre du six novembre mille huit cent quatre-vingt deux : « pour mon compte, je suis poète ; tous mes livres en portent la trace. Il n'y a pas un

52 Zola, Le Roman expérimental, p. 1300.

seul de mes livres excepté Pot-Bouille, peut-être, qui ne soit traversé par une figure de fantaisie »53.

En inventant le personnage de Florent, Zola pensait, peut-être, à Hugo. Comme lui, ce dernier s'est exilé à causes des propos mordants et des sarcasmes féroces qu'il a adressés au gouvernement suite à la défaite de mille huit cent soixante- dix.

Ainsi, nous pouvons donc dire qu'il y a deux personnages clés dans Le Ventre de Paris : Claude, le peintre, et Florent, le poète. Ce sont aussi, selon l'expression de Zola, deux « Écrans » qui permettent de lire l'oeuvre dans deux perspectives différentes ; la première esthétique, la deuxième poétique certes mais aussi critique. De toutes façons, il s'agit bien de la peinture et de la poésie. Nous nous trouvons derechef, dans l'ut pictura poesis. Le Ventre de Paris, n'est-il pas une application de cette fameuse théorie d'Horace ?

Ce qui est certain c'est que le style de Zola est visiblement artiste, il est marqué par un curieux jeu de lumière et une manipulation fantaisiste des couleurs qu'on propose d'analyser dans la deuxième sous-partie.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote