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Le lexique alimentaire dans Le ventre de Paris D'Emile Zola: Réalisme et métaphore

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par Fethi Esdiri
Institut de langue de Gabes, Tunisie - Maîtrise 2006
  

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3. Vers un récit poétique

Dans Le ventre de Paris deux mondes s'enchevrtrent : un monde poétique et un monde sinon fantastique du moins étrange.

En effet, maints lieux communs de l'étrange sont repérables dans l'oeuvre. On a d'abord le topos du lieu inconnu : Florent est un étranger qui vient voir les nouvelles Halles pour la première fois, car ces grands marchés, comme on l'a déjà mentionné, étaient construits pendant son exil. Ils sont pour lui un lieu inconnu. De plus, ces grands marchés décrits dans la lumière terne des becs de gaz, évoquent le lieu commun du château qui caractérise le roman noir. À cela s'ajoute l'emploi récurrent de la métaphore, le jeu du clair-obscur, l'importance donnée à l'ombre et aux effets de lumière en général.

Zola marque les aliments des Halles et les Halles mrmes d'une teinte de mystère. L'abondance des nourritures, leur entassement et leurs grandes tailles n'est pas sans créer, au moins pour Florent, une atmosphère d'étrangeté inquiétante.

Il lui semble parfois qu'elles sont dotées de vie. Zola les présente comme des ttres animés :

A certains craquements, à certains soupirs légers, il semblait qu'on entendît naître et pousser les légumes. Les carrés d'épinards et d'oseilles, les bandes de radis, de navets, de carottes, les grands plants de pomme de terre et de choux, étalaient leurs nappes.(487).

La construction impersonnelle « il semblait que » fonctionne comme une formule modalisante exprimant une certaine illusion, un doute qui fait l'essence mrme du fantastique:

Le fantastique, c'est l'hésitation éprouvée par un rtre qui ne connaît
que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel68.

Ainsi Florent hésite, se demande, peut-r tre, s'il a entendu, ou non, naître et pousser les légumes. Que les légumes poussent et naissent est tout à fait naturel. Ceci relève du réel. Mais entendre les légumes pousser et naître paraît surnaturel. Cela relève du surréel. Il s'agit d'un mot clés.

68 Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Èdition du Seuil, Points, 1970, p. 29.

C'est l'essence mr me du récit poétique tel que le définit Jean Yves Tadié :

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Mythes symboles et rêves hantent le récit poétique au XX siècle; ils assument dans la littérature française, qui passait, jadis, pour si raisonnable et maintenant, pour si moderne, la survie du langage archaïque, des « rêves séculaires de la jeune humanité ». Et c'est bien d'abord au traitement du langage qu'un récit est poétique. Ni la conception des personnages, ni celle du temps ou de l'espace, ou la structure ne sont une condition suffisante: la densité, la musicalité, les images ne manquent au contraire jamais, et peuvent aller jusqu'à procurer l'impression qu'ouvrir ces récits c'est lire de longs poèmes en prose. Le récit, parce qu'il a voulu reprendre à la musique et à la poésie leur bien, a était traité comme un poème69.

Bien que le récit poétique n'ait triomphé qu'à partir des années vingt, suite à la crise du roman, et à ce qu'on appelle la banqueroute du roman naturaliste, l'écriture zolienne, notamment dans Le Ventre de Paris, semble en être une anticipation. L'importance que ce dernier accorde à la matière, autant nutritive que verbale, la surabondance des mots entraîne une sursignification et parallèlement les débordements de la matière verbale entraînent un débordement sémantique.

Les choses commencent à sursignifier comme l'a mentionné Geneviève Sicotte, dans son analyse de la dimension symbolique des aliments.

L'importance que donne Zola à la matière est rendue plus visible par le recours à la métaphore anthropomorphique. Ce dernier, dans son culte de la chair va jusqu'à la personnification des parties du corps :

Ce dos énorme très gras aux épaules, était blrme, d'une colère contenue, il se renflait, gardait l'immobilité et le poids d'une accusation sans réplique. Quenu, tout à fait décontenancé par l'extrr~me sévérité de ce dos qui semblait l'examiner avec la face épaisse d'un juge, se coula sous les couvertures, souffla la bougie, se tint sage. (463).

Ce curieux « grand plan » fait sur le dos de Lisa s'avère d'une prodigieuse importance. Cette manière d'évoquer le personnage par une partie du corps, est très fréquente chez Zola. Elle exprime l'importance que ce dernier donne à la chair, à la matière qui constitue le corps humain. Il y a là le tempérament d'un naturaliste, un spécialiste dans l'analyse du corps, bref, un anatomiste. De mrme, la personnification du dos de Lisa n'est pas indifférente. Il s'agit d'une métaphore anthropomorphique

69 Jean-Yves Tadié, Le Récit poétique, Gallimard, 1994, p. 179.

filée qui structure le passage.

C'est aujourd'hui une constante dans le récit poétique en ce qu'elle exprime un jeu sur le signifiant abolissant les frontières entre le concret et l'abstrait. Du concret relève le «dos » caractérisé par l'adjectif « blême » employé ordinairement pour désigner le visage. De même, le substantif « colère » renvoie au monde abstrait des sensations. Ce « télescopage » entre l'abstrait et le concret a un nom : le zeugme. Ce procédé de style consiste en fait, à juxtaposer des éléments dissemblables. C'est surtout l'expression d'une absence de liaison, une fragmentation du réseau sémantique, et rompt ainsi la linéarité d'un texte. Zola met sur le même niveau, par coordination, ce qui relève du matériel, de l'anatomique « le dos » et ce qui relève du sentimental, du caractériel, de l'abstrait, « colère », « sévérité ». Ce glissement sémantique est de nos jours l'une des marques du récit poétique.

On a là la magie zolienne de papillonner entre le réel et l'imaginaire, entre l'anatomique et le poétique. La métaphore personnalisante du dos, enclenchée par le verbe « examiner » dit bien la place qu'occupe le corps chez Zola. Aussi, à travers cet extrait, et tout au long du roman d'ailleurs, Zola développe-t-il une esthétique de fusion, d'effacement des frontières : l'abstrait avec le concret, l'anatomique avec le sentimental, le fantastique avec le poétique, le réalisme avec la métaphore. Zola dans son Ventre de Paris qui, par la forme circulaire qu'évoque le mot ventre et qui nous rappelle l'image du récipient, fait une grande préparation où il met tout : des tas de légumes, de fruits, de viandes, de poissons de volailles etc. Il prépare un repas géant à un gourmand tout aussi géant : Paris.

En naturaliste, Zola, motivé par un esprit scientifique, développe son goût pour l'expérience et prépare ainsi une solution littéraire, pour ainsi dire, dans laquelle il opte pour un mélange des tons. Dans Le Ventre de Paris, l'épique, le mythologique, le fantastique et le poétique s'interpénètrent et fusionnent ensemble.

En effet, le thème de la fusion traverse toute l'oeuvre. Dès le début, Zola nous offre une nouvelle image du repas :

Le long de la rue couverte, maintenant, des femmes vendaient du café, de la soupe. Au coin du trottoir, un large rang de consommateurs était formé au tour d'une marchande de soupe aux choux. Le sceau de fer- blanc étamé, plein de bouillon, fumait sur le petit réchaud bas dont les trous jetaient une lueur pâle de braise. (397).

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Il s'agit d'une nouvelle forme de repas : « le repas du peuple » qui s'oppose au repas familial intime :

Evalué à l'aune de la séparation entre le privé et le public et entre le haut et le bas, le repas du peuple fait figure de dînette, de « demi- portion » ; rogné par le temps et par l'argent qui manquent, il est caractérisé par l'inorganisation et par une socialité toujours peu ou prou incomplète70.

C'est une autre illustration du thème de la fusion. Ce repas public représente d'abord la fusion entre l'intérieur et l'extérieur, entre le privé et le public. Ensuite, la fusion d'une part entre l'homme et l'animal et d'autre part entre l'homme et son milieu.

Zola recourt, dans sa peinture de la société, à la métaphore de l'animal. Ces bourgeois qui habitent Paris sont présentés comme des bêtes animées par le besoin de manger et l'instinct de la « lutte pour la vie».

Dans le mr me ordre d'idées, le chef de file des naturalistes explique : « les naturalistes reprennent l'étude de la nature aux sources mrmes remplaçant l'homme métaphysique par l'homme physiologique et ne le séparant du milieu qui le détermine » 71 . Dans Le Ventre de Paris, le passage qui décrit la Sarriette entourée de ses fruits est certes, comme l'a signalé P.Hamon dans Le Personnel du roman, l'un des moments les plus représentatifs de cette doctrine naturaliste en ce qu'il montre le rapport exigu entre l'r~tre humain et le milieu qui l'influence.

Ainsi, le thème de la fusion, non seulement jalonne l'oeuvre, mais paraît comme l'une des idées maîtresses sur lesquelles est bâti le roman. Le Ventre de Paris devient donc l'expression de toute une nouvelle conception de l'oeuvre littéraire. Ce roman contient des éléments que nous trouvons aujourd'hui dans le récit poétique à propos duquel Dominique Combe affirme :

Aussi, le genre mixte du « roman poétique » doit-il être compris comme juxtaposition des éléments contradictoires dans une totalité supérieure puisqu'il est étranger à une synthèse organique véritable [...]. Le roman poétique loin d'r~tre un genre synthétique, n'est qu'un genre hybride d'inspiration fragmentaire72.

70 Geneviève Sicotte, Op. Cit., p.173.

71 Zola, OEuvres Complètes, « Le Naturalisme », p. 508.

72 Dominique Combe, Poésie et Récit; Une Rhétorique des genres, José Corti, 1989, p. 144-145.

A cet égard, le thème de la fusion peut rtre senti comme une demande d'abolir les frontières qui séparent les genres littéraires. Il s'agit surtout d'une tendance qui caractérise la fin du XIXè siècle pour annoncer une nouvelle conception de l'oeuvre littéraire. La poéticité et le récit gastronomique peuvent être perçus comme une tentative de promouvoir le genre romanesque par des innovations qui visent à réhabiliter ce genre en dégradation et qui annoncent en même temps une nouvelle conception du roman en particulier et de l'oeuvre littéraire en général. Ainsi Zola, avec une « écriture artiste » marquée par la juxtaposition, les séries énumératives et accumulatrices, le style imagé fondé sur les images métaphoriques, les descriptions dans le goût impressionniste, fait du Ventre de Paris une oeuvre d'art. On y trouve de la poésie, du roman, du théâtre et même des procédés qui renvoient à la peinture comme l'ekphrasis. Zola parle déjà d'un nouveau type de roman où s'interpénètrent science, littérature et art, un roman analyste, moderne.

Définissant sa conception du roman et du romancier moderne Zola affirme :

Il est, avant tout, un savant de l'ordre moral. J'aime à me le représenter comme l'anatomiste de l'k~me et de la chair. Il dissèque l'homme, étudie le jeu de passions, interroge chaque fibre, fait l'analyse de l'organisme entier. Comme le chirurgien, il n'a ni honte ni répugnance lorsque il fouille les plaies humaines. Il n'a souci que de vérité. Et étale devant nous le cadavre de nôtre coeur. Les sciences modernes lui ont donné pour instrument l'analyse et la méthode expérimentale.73.

Il paraît que la vérité et la liberté sont donc les deux thèmes centraux sur lesquels Zola pose sa conception du roman moderne. Le Ventre de Paris, à cet égard, peut-être lu comme une réalisation de cette conception. C'est en quelque sorte un résumé de la doctrine naturaliste. Dans sa dimension documentaire, cette oeuvre cherche la vérité. Par sa valeur poétique, sa dimension artistique et son allure épique elle vise la liberté. Le choix de la nourriture comme sujet de l'oeuvre n'est paraît pas fortuit. La nourriture évoque par métonymie une classe goinfre ; la bourgeoisie. Cette classe qui soutient le régime impérial et lui sert de base. Ce régime, en revanche lui procure un climat de paix et de tranquillité qui favorise l'essor de son commerce. Dans une autre perspective, le libéralisme littéraire que vante Zola fait écho à un libéralisme économique qui traverse les marchés à l'époque. Dans une perspective symbolique, Zola compare les Halles à une table gigantesque « toujours servie ».

73 Émile Zola, OEuvres Complètes, « Deux Définitions du roman », p. 281.

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Ne pouvons- nous pas dire que cette « gigantesque table » bourgeoise dont parle Zola, est le dernier repas festif de cette classe goinfre ? Car le déclenchement de

la guerre franco-allemande lui réserve des jours difficiles.

Pour la bourgeoisie adulée le Carnaval sera bientôt fini. C'est la période du Carême qui se prépare.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon