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Administration coloniale, chefferie indigène et relations inter-ethniques dans la région de Franceville de 1880 à  1960

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par Serge Romuald ONGALA
Université Omar Bongo - Maà®trise 2005
  

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LA REGION DE FRANCEVILLE (1920-1960)

L'organisation des chefferies "obéit à la logique de la maîtrise de l'espace et de sa mise en valeur. Tel est le cas des chefferies administratives qui, dans le raisonnement du gouvernement général de l'Afrique Equatoriale Française (A.E.F.), constituent des unités spéciales d'encadrement des populations, des lieux de prélèvement de l'impôt de capitation et des zones de recrutement de la main-d'oeuvre"287(*).

1. Les chefs de l'administration générale

La carence en personnel administratif et le manque de fonds obligèrent les autorités supérieures de l'administration coloniale à recourir, à partir des années 1920, à l'utilisation des chefs autochtones288(*). Le but de cette entreprise, précisait Raphaël Antonetti, était « de connaître les vrais besoins et les aspirations de l'indigène, afin de l'aider á s'élever suivant sa tradition à un degré de civilisation qu'il ne saurait atteindre seul »289(*).

Ainsi, dans la région de Franceville comme partout en A.E.F., l'autorité administrative était secondée, dans le commandement de la population indigène, par les chefs de cantons ou de tribus, les chefs de terres, les chefs de villages et les chefs de quartiers.

1-1.Les chefs de terres, de cantons ou de tribus.

Créés par arrêtés des chefs de région ou du gouverneur général, selon le cas, après avis du chef de département, « la terre, le canton ou la tribu sont constitués par un groupement de villages et de territoires qui en dépendent »290(*). Ces unités administratives étaient placées sous l'autorité des chefs autochtones qui prenaient les titres "de chef de terre, de canton ou de tribu, suivant la région et la coutume locale"291(*).

Ainsi, nommés par le lieutenant-gouverneur sur proposition du chef de subdivision, ces chefs - qui reçurent une partie de l'autorité coloniale - avaient des attributions non négligeables en matière administrative, judiciaire et financière.

En effet, au niveau administratif, les chefs de terres, de cantons ou de tribus étaient les agents de transmission et de liaison entre le chef de département, le chef de subdivision ou de poste de contrôle administratif et les chefs de villages. D'une façon générale, ils devaient veiller à ce que les villageois et leurs chefs exécutent les obligations qui leur incombaient. Et par la suite, ils rendaient compte au chef de leur département du résultat de leur contrôle. De même, ils dressaient et enregistraient les actes d'état-civil indigène. Dans leurs attributions administratives, les chefs de terres, de cantons, ou de tribus tenaient à jour une liste de recensement, par village, des populations sédentaire et flottante. Ils devaient aussi apporter leur aide à la confection des listes de recensement établis à l'occasion des opérations de recrutement et présenter les jeunes gens portés sur ces listes devant les commissions villageoises ou cantonales. Enfin, ils tenaient à jour la liste des réservices292(*).

Sur le plan judiciaire, les chefs étaient les auxiliaires du chef de subdivision en matière de police indigène. De ce fait, en cas de litige, ils étaient investis du pouvoir de concilier les parties dans les tribunaux coutumiers de leur juridiction. De même, il leur appartenait de veiller à l'ordre et à la sûreté publique dans leur canton, terre ou tribu et de rechercher et surveiller tous les agissements de nature à troubler l'ordre et la sûreté publics. Dans le même sens, enfin, ils devaient dénoncer les crimes et les délits et en livraient les auteurs aux autorités, auxquelles ils fournissaient les preuves qu'ils avaient pu rassembler293(*).

Dans le domaine financier, les chefs de terres, de cantons, ou de tribus surveillaient le paiement de l'impôt et des diverses taxes des villages de leur ressort ; ils avaient la mission de répartir, le cas échéant, entre les différents villages, les charges prestataires - que les autochtones appellaient « passataire »- et les réquisitions. Pour accomplir toutes ces tâches, les chefs de terres, de cantons ou de tribus - qui étaient de véritables collaborateurs du chef de subdivision - avaient, à leur disposition, un secrétaire et étaient assistés d'une commission cantonale composée des différents chefs de villages ou de terres294(*).

Retenons toutefois que, dans la circonscription du Haut-Ogooué295(*), avant 1934, les chefs de terres avaient les mêmes attributions administratives des chefs de cantons. Ils exerçaient sous le contrôle du chef de tribu296(*), le véritable collaborateur du chef de subdivision, qui s'éfforçait de régler les affaires indigènes avant qu'elles ne soient éventuellement portées à l'appréciation du « commanda »297(*). Dans ce cas d'organisation, le chef de tribu devait se rendre auprès des chefs de cantons pour leur transmettre les recommandations des autorités supérieures et veiller à leur exécution. Par ses prérogatives, il était de droit assesseur titulaire près le tribunal indigène. Examinons à présent les missions dévolues aux chefs de villages.

1.2. Les chefs de villages

Nommés « par l'administrateur, chef de département, sur proposition du collège des notables du village, réunis en "commissions villageoise" »298(*), les chefs de villages pouvaient être révoqués de ces fonctions par le chef de département exceptionnellement pour des raisons de police et désigner un remplaçant temporaire.

Les chefs de villages étaient pourvus de certaines attributions en rapport avec leurs aptitudes traditionnelles. Ainsi, en matière de police générale, l'autorité du chef de village s'exerçait sur tous les habitants du village et sur les individus de passage, sans distinction de race. Ils devaient maintenir l'ordre, empêcher les rixes et les disputes ainsi que tout tumulte dans les lieux d'assemblée publique. Lorsqu'ils avaient ils devaient procédé à une arrestation (criminels, délinquants ou prisonniers évadés, etc.), les chefs de villages devaient sans tarder conduire ou faire conduire le criminel soit auprès du chef de terre, du chef de canton ou du chef de tribu, qui le livrait immédiatement soit à ces autorités elles-mêmes. Ils devaient, dans l'intervalle, veiller aussi à ce que le prisonnier soit nourri et éviter que ce dernier ne soit l'objet de mauvais traitements299(*)

Aidés des résidents de leurs villages qu'ils pouvaient réquisitionner à cet effet, les chefs de villages devaient prêter leur concours aux victimes en cas d'accidents, d'événements graves, de calamités ou de sinistres tels que les incendies, les inondations, etc. En plus, ils devaient  rendre compte à leur chef de terre, du canton ou de la tribu et, en cas d'urgence, au chef de subdivision et au chef de département, de tous faits de propagande subversive tendant à troubler l'ordre public qu'ils étaient amenés à constater300(*).

En ce qui concerne la police rurale, les chefs de villages devaient  veiller á la protection des cultures, des plantations et des récoltes, en empêchant, notamment, qu'elles soient abîmées par les feux de brousse, le bétail de passage, etc.301(*) Autres missions : les chefs de villages devaient  empêcher la divagation des animaux sur les terrains de culture, les grandes routes et, en particulier, sur les portions de route  qui  traversaient leurs villages. Ils devaient, entre autre,  veiller à l'entretien des pépinières établies sur le territoire de leurs villages, à ce que les plantations vivrières soient toujours d'étendue suffisante pour les besoins des habitants et à l'entretien des greniers de réserve302(*).

Pour ce qui est de la voirie, les chefs de villages devaient  maintenir en état de propreté l'agglomération et ses environs immédiats, veiller à la conservation et au bon entretien des chemins et sentiers de leurs villages, des plantations faites en bordure des voies qui parcourent leurs territoires respectifs, des plaques indicatrices placées le long de ces voies. Ils rendaient compte sans délai des détériorations qu'ils constataient à leurs chefs de terres, de cantons ou de tribus, ou bien à l'autorité administrative locale. Enfin, les chefs de villages devaient veiller à la sûreté et à la commodité du passage dans les rues et ruelles de leurs villages, à l'enlèvement des obstacles qui entravaient la voie publique303(*).

En matière de salubrité, les chefs de villages devaient signaler immédiatement à leurs chefs de terres, de cantons ou de tribus, ou à l'autorité la plus proche, le cas de maladies contagieuses constatées : variole ou toute autre épidémie, etc. Ils prenaient sans retard les mesures nécessaires pour assurer l'isolement des malades et la désinfection des locaux contaminés304(*).

En matière d'hygiène enfin, les chefs de villages surveillaient l'abattage des animaux de boucherie et signalaient les épizooties (épidémies). Ils devaient veiller à la propreté générale et prescrire de débrousser les voisinages de leurs villages.

Sur le plan judiciaire, les chefs de villages étaient, selon la coutume et en vertu des textes réglementaires, investis en matière civile et commerciale du pouvoir de concilier les parties si elles sont habitants de leurs villages305(*).

Concernant la perception des impôts indigènes, les chefs de villages étaient chargés de rassembler l'impôt de la population sédentaire du village et de le remettre entre les mains des agents spéciaux ou des agents du Trésor. Ils tenaient à jour la liste des contribuables et assuraient la répartition des quotes-parts afférentes aux différentes familles. Ils signalaient en même temps à leurs chefs de terres, de cantons ou de tribus les étrangers qui devaient payer l'impôt au titre de la population non sédentaire. Ils assuraient également la distribution des charges collectives (prestations), réquisitions, amendes306(*).

Dans la partie administrative de leur tâche, les chefs de villages étaient chargés de recevoir les déclarations d'état-civil des indigènes de leurs villages, notamment les naissances, décès, mariages et divorces, et puis de veiller à ce que celles de ces déclarations qui devaient être faites obligatoirement à l'état-civil indigène le soient dans les délais voulus ; ils transmettaient les autres à leurs chefs de terres, de cantons ou de tribus pour enregistrement. Ils tenaient à jour, dans leurs villages, la liste des étrangers qui y séjournaient ou qui s'y fixaient. Ils aidaient leurs chefs de terres, de cantons, ou de tribus à dresser les listes de recensement pour leurs villages et leur rendaient compte périodiquement des modifications à y apporter par suite des départs, arrivées, décès, naissances, mariages, etc307(*).

Par ailleurs, les chefs et les habitants des villages devaient satisfaire á toutes les obligations imposées par les autorités en ce qui concerne l'application des règlements administratifs. En outre, dans les limites de leur cadre de compétence, les chefs de villages faisaient assurer, dans les cas urgents, l'exécution des réquisitions, le transport des courriers rapides (administratifs ou judiciaires), la remise des convocations.308(*)

Les chefs de villages étaient assistés par un conseil de notables de leurs villages qui prenaient le nom de « commission villageoise ». Cette dernière se réunissait le plus souvent sur la convocation des chefs de village et fonctionnait sous le contrôle des chefs de terre, de canton ou de tribu309(*).

1.3 . Les chefs de quartiers 

A la suite du développement de la ville de Franceville, les populations venues des cantons environnants, obligées, de par leurs activités, à résider à proximité des lieux de travail, s'étaient installées dans de petits villages d'ouvriers et de commerçants. Cette situation provoqua des difficultés à Nanga, chef de la terre ondouama et François Kiki, chef du canton ndumu dans l'exécution de leurs tâches administratives, judiciaires et financières. Pour remettre de l'ordre autour du poste, le chef de la région du Haut-Ogooué apporta une modification à la chefferie du district de Franceville310(*).

Le commandement des villages situés entre la Pasa, la Mission, la Météo et le village Mangoungou fut ainsi retiré au chef de terre ondouama et au chef de canton ndumu. Ces villages furent organisés en douze quartiers311(*) groupés en un village autonome appelé  « Franceville »312(*).

Dans de tels centres urbains, les attributions du chef de village pouvaient être confiées aux chefs de quartiers nommés après consultation des notables par le chef de département. Pour l'exercice de leurs fonctions, les chefs étaient assistés d'une « commission de quartier » qui fonctionnait sous le contrôle direct du chef de district.

Il faut néanmoins préciser que, pour avoir des chefs dignes de ce nom, il fallait leur accorder une certaine rétribution. Celle-ci leur était allouée en fonction du travail fourni dans leurs unités administratives respectives. C'est d'ailleurs, le cas pour les chefs de villages qui étaient rémunérés au moyen de remise sur le produit de l'impôt de capitation prélévé sur les indigènes de leurs limites administratives. Les chefs de tribus ou de cantons et les chefs de terres autonomes étaient, quant à eux, payés par une allocation annuelle fixe, payable mensuellement, par douzième, et exclusivement de toute remise sur le montant des impôts de capitation. C'est ainsi que pour se valoriser auprès des autorités supérieures de la hiérarchie de l'administration coloniale, ces chefs du commandement indigènes avaient obligation de fournir des résultats satisfaisants aux consignes ou attributions sus-mentionnées. Le revers de la médaille, pour ces derniers, était l'application, à leur encontre, des mesures disciplinaires draconiennes qui allaient de la réprimande par le chef de département à la suspension temporaire du paiement de l'allocation, de la réduction du taux de la remise sur l'impôt ou l'allocation, qui constituait leur salaire, au retrait temporaire ou à la révocation pur et simple de leurs fonctions313(*).

Ainsi, dans les faits, les chefs indigènes étaient de véritables courroies de transmission, des agents de liaison indispensables entre l'administration coloniale et les populations autochtones.

En dehors de ces institutions administratives, l'embrigadement ou le contrôle des populations autochtones s'est aussi opéré par le biais des juridictions judiciaires soumises à l'autorité des chefs des tribunaux coutumiers.

2. Les chefs des tribunaux coutumiers

Avant l'installation de l'administration coloniale dans la région de Franceville, les litiges entre autochtones étaient tranchés selon les prescriptions de la tradition par le "fùm'a puãu" ou "nga puãu", qui était juge-arbitre siégeant dans un conseil des anciens du village dénommé "kani". Il était assisté de quelques sages ou notables des différents clans, lignages ou segments de lignages constituant le village. Les prévenus étaient toujours accompagnés d'un parent qui faisait office d'intercesseur. Après l'audition des parties en conflit et leurs plaidoiries, le kani se retirait pour un conciliabule afin de délibérer. Les sanctions étaient variées et allaient de l'indemnité payable en esclaves à la peine de mort dans le cas de crime non indemnisé314(*).

Mais, la colonisation engagée par la France en Afrique, nous l'avons dit plus haut, avait pour objectif une assimilation à la culture et à la société française des peuples soumis. Concernant le cas précis de la justice indigène, « la législation antérieure au décret du 29 avril 1927 ne faisait aucune distinction entre les crimes, délits et contraventions ; elle instituait un tribunal unique, celui de la circonscription, pour le jugement de toutes les infractions considérées soit comme des attentats aux personnes soit comme des attentats aux biens soit enfin comme des atteintes portées à l'ordre public ou à une administration publique » 315(*).

Cet état de choses a été modifié par le décret du 29 mai 1936, qui prévoyait que, « sur toute l'étendue des territoires relevant du gouvernement général de l'A.E.F., la justice est administrée à l'égard des indigènes tels qu'ils sont définis à l'article 2, par des juridictions indigènes, qui sont : des tribunaux de conciliation, des tribunaux de premier degré, des tribunaux de deuxième degré, une chambre spéciale d'homologation »316(*).

A partir de cette date, il fut précisé qu'« en matière civile et commerciale, la tentative de conciliation est obligatoire. Les chefs de village ou tribus sont investis du pouvoir de concilier les partis qui les saisissent de leurs (*)litiges lorsque ces partis

comptent parmi leurs ressortissants »3(*)08 et que, « dans le cas contraire, les pouvoirs de conciliation sont délégués à un assesseur du tribunal de premier degré désigné par(*) le commandant du département ou par le chef de la subdivision »3(*)09.

Par ailleurs, dans sa circulaire (N°I.686/ S.J.) du 26 octobre 1945, le procureur général près de la cour d'appel de l'A.E.F. demandait aux lieutenants gouverneurs, chefs de territoires du Moyen-Congo, du Gabon, de l'Oubangui-Chari et du Tchad de « prendre des arrêtés en vue de remplacer les tribunaux dits de conciliation,(*) par tribunaux coutumiers partout où ils (*)le jugeaient nécessaire »3(*)10. Ces institutions prévues depuis 19443(*)11 entrèrent en application en 1950, notamment par l'arrêté n° 80/APS du 13 janvier 1950 qui créait un certain nombre de tribunaux coutumiers dans certains districts. C'est le cas d'ailleurs du district de Franceville.

Il convient toutefois de noter, comme Latana, que « ces juridictions n'ont pas supprimé les tribunaux de conciliation et de premier degré aux civils prévus par le décret du 29 (*)mai 1936 portant réorganisation de la justice indigène en A.E.F. »3(*)12. On comprend aisément que l'administration coloniale a mis en place deux types de justice. Le premier type s'adressait aux Européens et assimilés. Il reposait sur la loi métropolitaine. Le second pendant de cet encadrement judiciaire arbitraire était spécialement conçu pour les autochtones qui étaient régis par un certain nombre de réglementations spécifiques qui, de temps en temps, faisaient appel à leurs coutumes locales. Aussi est-il utile de rappeler que « la compétence des tribunaux coutumiers ne s'étend pas aux questions touchant l'état des personnes, à la famille, au mariage, au divorce, à la filiation qui sont réservées aux tribu(*)naux de 1er degré et il est de même en cas de conflit de coutume »3(*)13.

Dès lors, les tribunaux coutumiers devaient se contenter des jugements des affaires relevant de leur compétence - "...les affaires civiles, commerciales ou criminelles dans lesquelles des indigènes sont seuls intéressés"3(*)14 - et renvoyer au tribunal de premier degré les matières qui étaient du ressort de ce dernier.

Il va néanmoins de soi que des propositions étaient faites à l'autorité supérieure de l'administration coloniale pour étendre la compétence des tribunaux coutumiers aux problèmes relatifs à l'état des personnes, entre autres : les mariages, divorces, etc., ou bien admettre, comme règlement de dette civile, le remboursement des dots qui constituaient en effet, prè(*)s de 90 % des affaires à régler dans les districts de l'intérieur3(*)15.

Ainsi, les chefs des tribunaux coutumiers, notamment le président et les assesseurs étaient les auxiliaires de justice de l'administration coloniale auprès des populations autochtones. Ces tribunaux, selon les cadres géographiques (quartier, village, terre, canton), étaient composés d'un président, des assesseurs et d'une assistance technique composée d'un interprète et d'un secrétaire. Mais quel était le rôle dévolu à chacun d'eux ?

2-1. Le président (juge-président) ou conciliateur

En parlant des attributions judiciaires des chefs de village, de terre, de canton ou de tribu, nous avons dit ci-dessus qu'ils étaient, en matière civile et commerciale, investis du pouvoir de conciliation, d'arbitre dans leurs juridictions .

En effet, «  le chef du village, de terre, de canton ou de tribu, lorsque les parties sont toutes au nombre de ces ressortissants, c'est-à-dire des gens qui, appartiennent à sa tr(*)ibu, à sa terre ou à son village, sont soumis à son autorité administrative. »3(*)16. Cela laisse donc supposer que, dans les tribunaux coutumiers (tribunaux ethniques ou tribunaux de conciliation), les chefs du commandement indigène faisaient office de "juge-président". A juste titre, en cas de litige entre les ressortissants d'un même village, d'une même terre, d'un même canton ou de villages, terres et cantons différents par exemple, le rôle de  "président " ou de "conciliateur" était dévolue au chef du village, de terre, de canton ou de tribu qui, imprégné des réalités (us et coutumes) de son cadre de compétence, était investi des pouvoirs repressifs. Mais lorsque les matières relevaient du ressort du tribunal du premier degré, « le président du tribunal de premier degré est le chef de la subdivision, ou tout autre fonctionnaire désigné à cet effet par le chef de la colonie »3(*)17. Dans tous les cas, le président ou juge-président ne pouvait en aucun cas siéger seul. Il était, pour l'occasion, « assisté de deux assesseurs qui n'ont que voix consultative »3(*)18.

2-2. Les assesseurs

Les fonctions d'assesseur dans les tribunaux coutumiers étaient confiées aux notabilités indigènes qui, dans leurs limites administratives, jouissaient de la considération publique. Ces fonctions pouvaient être exercées "pendant plusieurs années par les mêmes personnes"3(*)19.

Dans chaque juridiction, la liste des assesseurs (au moins quatre à six assesseurs par tribunal3(*)20) nommés par le chef de région sur proposition du chef de district, devait être composée de telle sorte que tous les différents assesseurs soient représentatifs des coutumes, des groupes religieux ou ethniques. Ces derniers devaient être porté dans l'ordre de leur âge. " Parmi ces assesseurs, le lieutenant-Gouverneur désigne deux titulaires pour l'année. Les autres prennent le titre d'assesseurs adjoints"3(*)21.

Toutefois, lorsqu'un assesseur titulaire était indisponible, c'est l'un des assesseurs adjoints présents qui le remplaçait. Mais ce remplacement devait tenir compte de la coutume de l'une ou l'autre des parties. Par ailleurs, si, de tous les assesseurs inscrits sur la liste, aucun ne connaissait la coutume des protagonistes, le président de la juridiction faisait appeler, dans les environs où siège le tribunal, un notable indigène de l'une ou l'autre des parties jouissant d'un estime publique. Mais ce dernier n'avait que voix et mention de consultation. Rappelons, tout de même, que ces chefs de tribunaux coutumiers n'étaient que de simples intermédiaires judiciaires de tribunaux coutumiers car, comme le dit Georges Bruel, « On doit appliquer les coutumes locales lorsqu'elles ne sont pas contraires aux principes de la civilisation française »3(*)22

Que valent alors ces différents chefs coutumiers si la loi qu'ils sont censés faire appliquer ou respecter est incomprise ou contestée par ceux qu'elle est supposée régir ? C'est dans ce domaie que le rôle joué par les agents ou assistants techniques de l'administration coloniale fut indispensable.

2-3. Les assistants techniques

Pour le contrôle et l'homologation des jugements rendus dans les juridictions coutumières, l'administration coloniale exigea que soit tenu, au sein de chaque tribunal, « un registre, dit des conciliations, qui sera côté et paraphé par le chef du district et où seront indiqués pour chaque affaire les noms des parties, la nature et l'objet de(*)s contestations, les termes des arrangements intervenus, etc. »3(*)23. Cette nécessité fit recourir dans toutes les juridictions à l'assistance technique des interprètes et des secrétaires qui avaient, auprès de ces chefs coutumiers (les conciliateurs), un rôle déterminant.

En ce qui concerne le rôle dévolu aux interprètes, notons d'entrée qu'ils étaient à la fois « la bouche » et « l'oreille » des chefs indigènes auprès de leurs supérieurs hiérarchiques. A ce propos, Pierre N'Dombi, citant Jean Clauzel, écrit : « le pouvoir de l'interprète n'était pas seulement celui du traducteur, mais aussi celui de l'homme de mémoire qui guidait le chef de subdivision dans le règlement des conflits entre les(*) chefs de village, de la façon de procéder de ses prédécesseurs »3(*)24. Hormis ces interprètes de la subdivision qui, en tant que fonctionnaires indigènes, prêtaient leurs concours aux différentes audiences des tribunaux coutumiers, les parties avaient aussi le droit de s'exprimer par le biais d'un interprète choisi par elles et agréé par le tribunal. Le rôle assigné à ces interprètes était de traduire fidèlement les propos des protagonistes.

Quant aux secrétaires, c'étaient des lettrés chargés de la tenue des registres (registres dit des conciliations et registres dit des jugements) où étaient transcrits intégralement tous les jugements. Pour montrer leur importance, Lanata écrit qu'« au cas où un greffier ne pourra être recruté sur place parmi les ressortissants des villages, un écrivain du poste pourrait être mis à date régulière, à(*) la disposition de divers présidents pour la tenue des audiences »3(*)25.

D'ores et déjà, nous pouvons dire que, dans les tribunaux coutumiers, l'assistance technique a joué un rôle non pas subsidiaire mais capital pour la compréhension des déclarations d'appels formulées soit par les parties soit par le chef de subdivision ou de district. En d'autres termes, l'assistance technique a joué un rôle non négligeable pour le fonctionnement des juridictions.

En gros, ce chapitre nous a permis de constater que, dans la région de Franceville comme partout où l'administration coloniale française s'est implantée, sa domination s'est réalisée par le truchement des institutions tant politiques que juridiques. En effet, en s'appuyant sur le prolongement que constituait les chefs locaux, l'administration coloniale a fait de ces derniers une courroie de transmission pour pouvoir passer les " principes de la civilisation française". Aussi, débarrassés de leurs prérogatives et attributions traditionnelles, les chefs locaux ont-ils ainsi cessé d'être les autorités indigènes pour devenir simplement des agents administratifs. Ce qui est sûr c'est qu'ils étaient, dès lors, grandement affaiblis et éliminés.

Toutefois, examinons les différents chefs indigènes supérieurs de la région de Franceville et leur action.

* 287 BINGA (H.), Chefferie et territoire dans le Sud-Est du Gabon (Haut-Ogooué). Tome 2, op.cit., p.510.

* 288 Il était hors de propos pour l'administration coloniale d'exercer une autorité directe sur les populations autochtones eu égard au manque de cadres administratifs et de fonds car, les puissances coloniales ont été prises de cour par les explorations dans la mesure où la formation du personnel ne suivait pas, à la même vitesse, les conquêtes qui se faisaient sur le terrain. En outre, la mise en valeur des territoires conquis et leur administration exigeaient un certain nombre de moyens que certaines puissances (comme la France), malheureusement, n'avaient presque pas en ce moment-là. D'où l'utilisation des institutions des indigène existantes.

* 289 A.N.G., Fonds de la Présidence de la République, politique indigène, carton n° 981 : circulaire n° 27 du 21 janvier 1927, p.3 .

* 290 A.N.G., Fonds de la Présidence de la République, administration générale, carton n°2686 : Article 9 de l'arrêté du 28 décembre 1936 portant organisation et réglementation de l'administration locale indigène en A.E.F. , modifié par l'arrêté du 26 novembre 1937, p. 6.

* 291A.N.G., Fonds de la Présidence de la République, administration générale, carton n°2686 : Article 10 de l'arrêté du 28 décembre 1936 portant organisation et réglementation de l'administration locale indigène en A.E.F. , modifié par l'arrêté du 26 novembre 1937, p. 6.

* 292 A.N.G., Fonds de la Présidence de la République, administration générale, carton n°2686 : Article 12 de l'arrêté du 28 décembre 1936 portant organisation et réglementation de l'administration locale indigène en A.E.F. , modifié par l'arrêté du 26 novembre 1937, pp.7-8.

* 293 Ibid.

* 294 Ibid.

* 295 La circonscription de Franceville, aux termes des découpages successifs, devient, en 1916, la circonscription du Haut-Ogooué.

* 296 La " tribu", nous apprend le dictionnaire encyclopédique Hachette, est « l'ensemble des membres d'une famille, d'un groupe nombreux ». Selon le même dictionnaire, la tribu est « un groupe présentant (généralement) une unité politique, linguistique et culturelle, dont les membres vivent le plus souvent sur un même territoire ». Dans notre travail, la " tribu", est la classification proposée par André Raponda-Walker dans sa description du peuple gabonais en 1924. Cette même notion était utilisée par l'administration coloniale afin d'identifier les peuples dans une région précise. C'est ainsi que les Atåãå, Ambaama, Awandji, Batsengi, Bewumvu, Bungom, Kani?ß, Mba?ß, Ndumu et Ndzèbi, vivant dans la circonscription du Haut-Ogooué, constituèrent la tribu du Haut-Ogooué dont les chefs, de 1920 à 1931, furent les chefs ndumu Lendoyi-Li-Bangwali et son fils Langhi (voir p. 120)

* 297Information recueillie auprès de Mokikali dit Ossaâßãß (J.), Entretien du 25 avril 2003 au quartier Mbaya (Franceville).

* 298 A.N.G., Fonds de la Présidence de la République, administration générale, carton n°2686 : Article 4 de l'arrêté du 28 décembre 1936 portant organisation et réglementation de l'administration locale indigène en A.E.F. , modifié par l'arrêté du 26 novembre 1937, p.2.

* 299 Idem,p.3

* 300 Ibid.

* 301 Ibid.

* 302 Ibid.

* 303 Ibid.

* 304 Idem, p.4

* 305 Ibid.

* 306 Ibid.

* 307 Ibid.

* 308 Ibid.

* 309 Idem, p.5

* 310 A.N.G., Fonds d'archives de Franceville, politique indigène, sous-série 2Db (I).52.1: réorganisation cantonale : regroupement et délimitation des chefferies , allocations des chefs ( 1948-1958),lettre n°658/D du chef de région du Haut-Ogooué à Monsieur le gouverneur du Gabon, Franceville, le 17 juin 1948. p.2

* 311 Voir annexe 6, p. 170.

* 312 A.N.G., Fonds d'archives de Franceville, politique indigène, sous-série 2Db (I).52.1: réorganisation cantonale : regroupement et délimitation des chefferies, allocations des chefs (1948-1958), note n°654/D du chef de région du Haut-Ogooué à Messieurs le chef de district, l'agent spécial et le médecin-chef de Franceville, Franceville, le 15 juin 1948, pp.1.

* 313 A.N.G., Fonds de la Présidence de la République, administration générale, carton n°2686 : Article 14 de l'arrêté du 28 décembre 1936 portant organisation et réglementation de l'administration locale indigène en A.E.F. , modifié par l'arrêté du 26 novembre 1937, p.9.

* 314 A.N.G., Fonds de la Présidence de la République, service judiciaire, carton n° 27 : tribunaux indigènes, jugements rendus, peines disciplinaires, justice indigène (1928-1939), p.2 .

* 315A. N. G., Fonds des archives de Franceville, service judiciaire, sous-série 2Db (I ) 54.2 : Région du Haut-Ogooué, instructions complémentaires relatives à l'application du décret du 29 avril 1927 réorganisant la justice indigène ( 1928 ), adressées par le gouverneur de l'A.E.F. Raphael Antonetti à MM. Les lieutenants-gouveneurs du Gabon, de l'Obangui-Chari et du Tchad, p. 3.

* 316 A.N.G., Fonds de la Présidence de la République, service judiciaire, carton n°1645 : décret du 29 mai 1936 réorganisant la justice indigène en A.E.F., article 1er, p. 5.

* 308 A.N.G., Fonds de la Présidence de la République, service judiciaire, carton n°1645: décret du 29 mai 1936 réorganisant la justice indigène en A.E.F., article 3,p.6.

* 309 A.N.G., Fonds de la Présidence de la République, service judiciaire, carton n°1645: décret du 29 mai 1936 réorganisant la justice indigène en A.E.F., alinéa 1 de article 3,p.6.

* 310 A.N.G., Fonds des archives de Franceville, Affaires politiques, sous-série 2Db (I.).54.4 : circulaire N° 415 du 5 juillet 1948 du Haut-commissaire , au gouverneur général de l' A.E. F., p. 2.

* 311 A.N.G., Fonds des archives de Franceville, Affaires judiciaires, sous-série 2Db (I).54.4 : tribunaux coutumiers (mode de fonctionnement) 1945-1954. Circulaire du 3 février1950 de M. LATANA (Secrétaire général) à Monsieur les chefs de régions. p.1.

* 312 A.N.G., Fonds des archives de Franceville, Affaires judiciaires, sous-série 2Db (I).54.4 : ordonnance du 26 juillet 1944 concernant l'organisation des tribunaux coutumies.

* 313 Idem, p.2.

* 314BRUEL (G.), La France Equatoriale Africaine, op. cit. p.444.

* 315 Idem, p.3.

* 316 A. N. G., Fonds de la Présidence de la République, Affaires judiciares, carton n°203 : Instructions complémentaires relatives à l'application du décret du 29 avril 1927 réorganisant la justice indigène ( 1928), adressées par le gouverneur de l'A.E.F. Raphael Antonetti à MM. Les lieutenants-gouveneurs du Gabon, de l'Obangui-Chari et du Tchad, p.5.

* 317 Idem, p.9.

* 318 Idem, p.11.

* 319 Idem, p.13.

* 320 Voir annexe 7, p171.

* 321 A. N. G., Fonds de la Présidence de la République, Affaires judiciares, carton n°203, op.cit., p14. 

* 322 BRUEL (G.), La France Equatoriale Africaine, op. cit. p.444.

* 323 A.N.G., Fonds des archives de Franceville, affaires judiciaires, sous-série 2Db ( I ). 54. 4 : tribunaux coutumiers, fonctionnement. Circulaire n°415 du 5 juillet 1945, du Haut- commissaire de la République gouverneur général de l'A.E .F. , p.2.

324 N'Dombi (P.), L'administration publique de l'A. E. F. de 1921-1956 .Histoire d'un Etat-providence colonial ? Thèse de doctorat histoire 3ème cycle, Université d'Aix-En-Provence Marseille, Tome 1, 1994-1996, 3 vol. p.97.

* 325 A.N.G., Fonds d'archives de Franceville, affaires politiques et sociales, sous-série 2Db ( I ). 54. 4 : tribunaux coutumiers, fonctionnement, accession au statut civil de droit commun.1945-1954.Circulaire n°496 /APS .du 3 février 1950 du Lieutenant-gouverneur du Gabon à Messieurs les chefs de région, p.3.

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