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Le cinéma d'horreur en France : entre culture et consommation de masse

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par Laure HEMMER
EAC Paris - Master 1 Management de projets culturels 2007
  

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2.2.1. Le splatter movie : aux frontières du gore et du survival

L'évolution la plus significative, qui fait souvent aujourd'hui le corollaire indispensable du film d'horreur est probablement la naissance du film dit « gore ». Emprunté à l'adjectif anglais qui signifie sanguinolent, ce genre de films décline les détails insoutenables et répulsifs d'un crime, faisant apparaître des flots de sang et de chair meurtrie.1 Les premières scènes gores de l'histoire du cinéma se situent dès l'aube de son apparition dans des films recouvrant des sujets très divers : une décapitation dans Une mort de Marie Stuart d'Edmond Kuhn (1893), des scènes de torture dans La Sorcellerie à travers les âges de B. Christensen (1921) ou encore le célèbre coup de rasoir fendant un oeil mis en scène par Luis Bunuel dans Un Chien andalou (1928). Or en tant que genre à part entière, ce que l'on appelle aussi les splatter movies n'émergent que dans les années 1960, au sein d'un contexte cinématographique toujours régi par la censure (malgré la fin de l'application du code Hays au milieu des années 1950) et d'une société américaine plongée dans l'affrontement idéologique et militaire. La réaction conservatrice, dont la chasse aux sorcières menée par le sénateur Mc Carthy dans le cadre de la guerre froide est le meilleur exemple, et l'engagement armé effectif des Etats-Unis dans la guerre du Viet Nam perturbe une génération de cinéastes qui n'a pas vécu la Seconde Guerre mondiale.

Dans la veine de l'émergence du rock au sein du monde musical, le cinéma va aussi connaître son lot de provocations, notamment avec Hershell Gordon Lewis, initiateur du « cinéma vomitif » et salué comme « the godfather of gore », dont l'influence sur le cinéma d'horreur contemporain reste importante. La popularité acquise par ses films ne fit que grandir dans les années qui suivirent les multiples réalisations de Lewis : son premier film gore, Blood Feast (1963), rapporta au final plus de 7 millions de dollars pour un budget quasiment 300 fois inférieur (estimé à 25 000 dollars). Ses réalisations ultérieures n'en furent pas moins célèbres : 2000 Maniacs, Colour me Blood Red (1965), A Taste of Blood (1967, fortement inspiré des films de la Hammer) ou encore Wizard of Gore (1970) flirtent avec le cinéma bis, la série Z, le slapsitck et l'horreur pour donner naissance à un cinéma décomplexé, volontairement provocateur et auto dérisoire. Sans faire une liste qui se voudrait exhaustive, il convient de donner ici certains titres incontournables, qui s'inspirent de ce genre initié dans les années 1960 : Massacre à la Tronçonneuse de Tope Hooper (1974, même s'il n'est pas vraiment gore, et se mêle au slasher* naissant), Evil Dead de Sam Raimi ou encore Bad Taste et Braindead de Peter

1 A. Puzzuoli, J.P. Kremer, Dictionnaire du fantastique, Paris, éd. Jacques Grancher, 1992, article « gore »

Jackson. Le gore caricatural, constitué par les excès de sang et d'humour, a donné naissance à un terme spécifique ; le « splatstick », dont relèvent par exemple aujourd'hui des films anglo-saxons comme Shaun of the Dead d'Edgar Wright ou Dead and Breakfast de Matthew Leutwyler ou encore les films produits par la société de production Troma incarnée par le célèbre Lloyd Kaufman (Toxic Avenger, Terror Firmer, Poultrygeist). Or cette trivialisation de l'horreur est souvent dénoncée par ceux qui tentent de faire émerger un cinéma de genre plus mûr, à l'instar de Pascal Laugier en France.

L'autre éminent représentant, et non le moindre, de cet héritage post-Seconde Guerre mondiale est le réalisateur et producteur George A. Romero, dont le film La Nuit des morts vivants, sorti en 1968, lointaine adaptation du livre de Richard Matheson I am Legend, a inspiré tous les cinéastes engagés depuis dans ce créneau. Si ses films intègrent des éléments gores, c'est plutôt de la frayeur suscitée par les invasions de zombies et l'impuissance des victimes que vient l'horreur1. La critique sociale et politique patente imprégnant son cinéma illustre bien ce phénomène de rébellion par une contre-culture en pleine constitution. Romero apparaît comme le « maître des zombies » mettant en scène des morts-vivants, auxquels sont confrontés des individus reflétant parfaitement les préoccupations des sociétés dans lesquelles ils évoluent : l'adversité dans La Nuit des Morts-Vivants (1968), la consommation de masse dans Zombie (1978) ou encore la surmédiatisation et Internet dans Diary of the Dead (2008). C'est ce qui fait la force du cinéma de Romero, ce mélange de dénonciation, d'humour et de scènes gores, que certains seraient tentés de qualifier de gratuites, mais qui en réalité suivent bien le propos et le schéma narratif du film. Si pendant longtemps, George A. Romero est resté un cinéaste de seconde zone2, ne bénéficiant pas de la considération du monde professionnel et de la critique -mais vénéré par les fans-, cela tend à changer depuis quelques années3. Son dernier film, Diary of the Dead, a été encensé par la critique, tant dans la presse généraliste que cinématographique4. Serait-il devenu pour autant un film d'auteur ? Pour certains c'est indéniable, mais pour d'autres, le maître des zombies reste cantonné à son univers qu'il a lui-même créé et continue de l'alimenter, mais avec l'appui des studios cette fois : « J'ai perdu beaucoup d'argent dans les années 1990 à développer des projets qui n'ont jamais vu le jour. Et là, d'un coup, Universal me

1 Le gore des zombies, par Philippe Rouyer, in Politique des zombies, L'Amérique selon George A. Romero, ouvrage coordonnée par Jean-Baptiste Thoret, Paris, 2007, Ellipses, coll Les Grands mythes du cinéma

2 Zombies : de la marge au centre, La réception française des films de George Romero, par Sébastien Le Pajolec, in Jean-Baptiste Thoret, op. cit.

3 C'est ce qu'explique Stephen King dans son roman autobiographique Anatomie de l'Horreur : malgré ses dizaines de livres et d'adaptations au cinéma, ses romans restent déconsidérés, taxés de littérature de gare.

4 Voir critiques de presse, annexe n°17, p.36

propose 20 millions de dollars pour faire monter mon film1 ». En effet, le réalisateur a bénéficié du succès de L'Armée des Morts de Zack Snyder, présenté en sélection officielle au festival de Cannes en 2005 (plus de 400 000 entrées France). Ce film a permis de redonner un coup de fouet au genre en lui donnant une plus grande visibilité. « Tuer à tour de bras n'empêche [...] pas de penser » affirme Alexandre Aja, qui y voit un corollaire essentiel pour un film réussi, comme son remake de La Colline a des Yeux2.

Zombie de George A. Romero (1978)

Il s'avère cependant difficile de séparer complètement ces deux tendances. Des films d'horreur relevant le la série B peuvent impliquer des réflexions sociales et politiques latentes (mais quel film n'en a pas lorsqu'il s'inscrit dans un contexte précis ?), et des films plus engagés présenter des scènes gores et humoristiques sans que cela n'affecte le propos. D'autre part, on remarque une multiplication des scènes dites gores dans des films dont le schéma narratif n'est pas dérivé de l'horreur. Prenons l'exemple de David Cronenberg qui a réalisé tant de films devenus cultes se situant entre la science- fiction et l'horreur (Videodrome, Scanners, La Mouche) Ses deux derniers films (A History of violence et Les Promesses de l'ombre) relèvent plutôt du thriller dramatique mais font quand même place à un lot de scènes gores. Au regard de l'exportation facile de telles scènes au sein d'autres types de cinéma, ainsi que vis-à-vis de son contexte d'émergence (le film historique ou mythologique), on peut se demander si le cinéma gore fait réellement partie du cinéma fantastique, le réalisme de certaines scènes ne devant rien à l'imaginaire, bien au contraire. Dans tous les cas, le gore est un élément inspirant pour de nombreux genres, au sein et en dehors de l'horreur propre. Cette intégration de la violence montrée à l'écran, difficile à renouveler sinon dans l'escalade, est le principal problème qui se pose aux réalisateurs de films d'horreur gores.

1 Extrait de l'article Sang pour sang horreur, par Frédéric Granier, TGV Magazine, 2006, annexe n°1, p.7

2 Extrait de l'article Gore j'adore, par Christophe Carrière, L'Express Mag du 22.06.2006, annexe n°4, p.1 5

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