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Le cinéma d'horreur en France : entre culture et consommation de masse

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par Laure HEMMER
EAC Paris - Master 1 Management de projets culturels 2007
  

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2.3.5. Les chaînes spécialisées sur le câble

L'évolution de la demande, liée aux nouvelles attentes des communautés qui veulent avoir une visibilité dans le paysage télévisuel, a fait émerger sur le câble une pléthore de chaînes thématiques, permise par l'évolution technologique et promotionnelle. L'apparition du premier bouquet satellite (Canal Satellite) au milieu des années 1990 a ouvert la porte à de nouveaux concurrents. Cependant, le pionnier continue d'occuper sa position de leader, notamment depuis son rapprochement avec TPS au sein de Canal+ France en 2006. Le nombre de chaînes thématiques diffusées sur le câble et le satellite est passé de 8 en 1993 à 91 en 20021 puis à 116 en 2005 (plus 9 chaînes déclarées pendant l'année). Parmi les thématiques les plus représentées, le cinéma tient naturellement une place essentielle, malgré la récente réduction liée à la contraction des deux bouquets principaux déjà évoquée. En effet, alors qu'il y avait 21 chaînes thématiques dédiées au cinéma en 2005, il n'y en avait guère plus que 8 fin 20062. A côté de cette thématique dédiée au cinéma, il y a des chaînes qui se positionnent plus spécifiquement sur la fiction, répertoriée comme une thématique en soi. Néanmoins, les chaînes spécialisées fiction restent loin derrière le top cinq des thématiques (qui en 2005 était composé de la sorte : cinéma, jeunesse, musique, documentaire et sport), malgré la création de 2 nouvelles chaînes cette année-ci: Sci-Fi et Fox Life. Dans ce paysage audiovisuel en constante évolution et très réceptif à la satisfaction de toutes les communautés, une place est faite au cinéma d'horreur, sur des chaînes plus ou moins spécialisées dans le fantastique.

1 Guide des chaînes thématiques, ACCeS/CSA/CNC, janvier 2003

2 Guide des chaînes thématiques, ACCeS/CSA/CNC, 2006

Aujourd'hui, si beaucoup de chaînes cinéma généralistes diffusent des films d'horreur, il existe plusieurs chaînes plus ou moins spécialisées dans le genre qui nous intéresse. Nous pouvons en recenser quatre, dont une ayant disparu avec la clôture du bouquet TPS, il s'agissait de TPS Cinextreme, dont la programmation, portée à la fois sur le fantastique et l'action, se rapprochait de celle de Ciné Cinéma Frisson, une des sept chaînes du groupe Ciné Cinéma, comme le montre la promesse de la chaîne (« le cinéma de l'action, du fantastique et du suspense »). D'autre part, deux chaînes semblent encore plus restreintes au niveau de la programmation. Ce sont Sci-Fi, créée en décembre 2005, basée essentiellement sur la science-fiction, le fantastique et l'anticipation, et Ciné FX, éditée par le groupe AB lancée à l'automne 2002, intégrant de façon plus prégnante l'horreur en plus du fantastique et de la science-fiction avec une promesse alléchante (« la chaîne à regarder les yeux fermés »). La cible de toutes ces chaînes est principalement masculine et jeune, comprise entre 15 et 40 ans environ, cinéphile et assez noctambule. Cependant il semble au regard du profil des abonnés à Ciné FX1, les spectateurs sont plutôt compris dans les tranches 35-49 ans et 50 ans et + (se situant à environ 40% des abonnés chacune). Au regard de la programmation, Ciné Cinéma Frisson se positionne sur un créneau beaucoup plus large, avec des genres de cinéma plus hétéroclites que les autres chaînes dédiées au fantastique, qui prétendent toucher un public plus homogène. Néanmoins, des soirées thématiques peuvent recouvrir ponctuellement des genres plus restreints, comme pour le « Vendredi 100% George A. Romero » (18 avril) ou encore le « mois spécial vampires » en avril 2008, avec des films comme Dracula (1992) de F.F. Coppola ou The Addiction (1995) d'Abel Ferrara. L'analyse de la programmation de Ciné FX pendant la même période relève que cette chaîne est la plus spécialisée sur le genre de l'horreur. En effet, aucun jour n'est programmé sans film d'horreur, pouvant aller jusqu'à cinq films quotidiens, comme c'est le cas le dimanche 17 février2. Néanmoins, le stock de titres différents n'étant pas infini, les multidiffusions s'enchaînent. Ainsi, entre le 17 février et le 15 mars, Le chat noir de Lucio Fulci (1981) ainsi que Vendredi 13 part 4, Chapitre Final ont été diffusés 7 fois chacun. Cet exemple illustre la nécessité de combler les grilles en journée ainsi qu'un turn-over de films assez restreint malgré tout, dicté essentiellement par des contraintes économiques et une volonté de rentabilisation des achats sur un temps prédéfini. Pourtant on ressent une réelle envie de partager des films dans le discours de Laurent Zameczkowski et Pascal Goubereau, respectivement responsable des achats et responsable éditorial de la

1 Voir brochure de présentation de la chaîne, p.1 0, annexe n°36, p.102

2 Avec La Malédiction des rats de Damian Lee (1989) à 10h30 ; Phase IV de Saul Bass (1974) à 17h55 ; Vendredi 13 part 4, Chapitre Final de Jospeh Zito (1984) à 21h ; Vendredi 13 part 2, Le tueur du vendredi de Victor Miller (1981) à 22h30 et enfin Vendredi 13 part 3, Meurtres en trois dimensions de Steve Miner (1982) à 23h55. Voir tableau, annexe n°38, p.109

chaîne1. En effet, la création de Ciné FX, comme celle des autres chaînes du bouquet cinéma, émanait de la démarche de cinéma de quartier ; faire découvrir ou redécouvrir des films qu'on avait pu voir quelques années plus tôt, rediffuser des classiques du genre, proposer des soirées thématiques tout en ciblant toujours un public bien précis. Car ce sont avant tout des fans du genre et qu'ils ont monté Ciné FX pour que celui-ci perdure et s'affirme en tant que tel dans le paysage télévisuel français. Avec le lancement de la Ciné Box et du nouveau bouquet BisTV, elle espère toucher un public plus large en proposant une offre satellitaire à moindre coût, distribuée par les câblo-opérateurs traditionnels.

Cependant ces chaînes connaissent des contentieux récurrents avec le CSA et les obligations qu'il leur impose en matière de quotas de diffusion2. En effet, toutes les chaînes de télévision sont soumises à ces obligations de diffusion concernant la nationalité des films et des programmes. En ce qui concerne les chaînes cinéma, elles doivent diffuser, aux heures de grande écoute (de 18h à 2h pour les oeuvres cinématographiques) comme sur le reste de leur grille, un minimum de 60% d'oeuvres cinématographiques européennes, et parmi elles 40% de françaises par an (c'est le même régime pour les programmes audiovisuels). Or la production française de fantastique et d'horreur s'est toujours faite plutôt rare et il n'en est pas autrement pour la production européenne3. Or s'il est aisé pour une chaîne généraliste ou spécialisée dans le cinéma dramatique ou bien comique de respecter ces quotas, cela semble plus difficile, au regard des données de la production, pour des thématiques comme le fantastique et encore plus l'horreur. Comme l'attestent les bilans annuels constitués par le CSA, les chaînes spécialisées fantastique sont régulièrement rappelées à l'ordre pour non-respect de ces obligations de diffusions. Dans ses rapports d'activités, le Conseil a rappelé qu'il avait mis en demeure : « la chaîne Ciné FX, pour non-respect de ses quotas de diffusion d'oeuvres audiovisuelles européennes et d'expression originale française ; la chaîne Ciné Cinéma Frisson, pour non-respect de ses quotas de diffusion d'oeuvres audiovisuelles européennes et d'expression originale française, de son quota de titres différents d'oeuvres cinématographiques européennes et d'expression originale française et de son quota de diffusion d'oeuvres cinématographiques d'expression originale française aux

1 Voir compte-rendu de l'entretien mené le 25 avril 2008, annexe n°22, p.51

2 Aux termes de l'article 27 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée et des articles 7, 13 et 14 du décret n°90-66 modifié

3 Le principe de cette contrainte, destinée à promouvoir la diversité culturelle, notamment face au raz-de- marée des films venant d'outre-Atlantique, se retrouve également à tous les échelons de la filière cinématographique, à travers de nombreuses taxes mises en place afin d'alimenter les fonds du cinéma français avec les recettes tirées de toutes les exploitations de films, et en premier lieu aux film américains (nous pensons bien sur à la TSA, prélevée sur tout billet de cinéma, quelle que soit la nationalité du film et versée sur le fonds du compte de soutien à l'industrie cinématographique, géré par le CNC

heures de grande écoute1. » En effet, les quotas de ces chaînes en oeuvres EOF et européennes se situent plus autour de 35-37% que de 40%. Dès lors comment concilier une thématique basée sur une culture anglo-saxonne où les films européens et français sont quasiment absents et respect des obligations appliquées sans distinction de spécificité des programmations ? Les chaînes achètent alors les droits sur des films plus éloignés de leur ligne éditoriale, au risque de perdre des téléspectateurs et leur crédibilité à cause de cette hétérogénéité. Pour l'heure, selon Philippe Vignon de la direction des programmes du CSA, le contentieux récurrent avec Ciné FX est entre les mains du service juridique, qui, étudie les possibilités d'un éventuel abaissement des quotas pour ces chaînes, comme le réclament leurs responsables.

Les films qui n'ont pas bénéficié de sorties dans les salles françaises, et ne possèdent donc pas de visa, peuvent parfois poser problème, mais permettent une plus grande rentabilisation avec une valorisation par le caractère inédit et un achat à moindre coût. Dans cette logique de diffusion de films inédits, la chaîne Ciné FX avait cru judicieux de programmer les courts-métrages ultraviolents Guinea Pig, assortis de leurs making-of et de commentaires des réalisateurs. Le CSA les a rappelés à l'ordre en leur adressant une mise en garde contre la diffusion de ces oeuvres, comme le fait remarquer Pascal Goubereau2. Avec l'échec de telles tentatives, le responsable éditorial de la chaîne assure l'adoption d'une attitude plus prudente : « C'est sûr que maintenant, on ne va plus prendre des risques et on va rester en terrain connu avec des films qui ont déjà leur visa au CNC3. » Dès lors comment instiller de l'innovation, des programmes inédits dans des grilles souvent trop dictées par les quotas, dans une logique de remplissage ? Les professionnels ne critiquent pas l'existence d'une institution comme le CSA, qui relève de la responsabilité publique, mais l'incohérence des ses décisions et de l'élaboration de la réglementation qui leur incombe. Ils objectent la médiocrité et la dangerosité des programmes dits de télé-réalité aux mises en demeure du Conseil pour la violence des programmes signalisés. Hervé Bérard, membre de la SRF et du collège des professionnels de la commission de classification, ne dit pas autre chose : « La vraie violence des images est télévisuelle, principalement ces émissions de télé-réalité qui fonctionnent sur l'humiliation. Des candidats promis à l'exclusion sous le regard voyeur de téléspectateurs sadiques, il ne faut pas y toucher parce que çà fait de l'audience4. ». Or le rapport remis par Blandine Kriegel sur la violence à la télévision, remarquait aussi les dérives de tels programmes, qui ne sont soumis à aucun contrôle ou visionnage préalable

1 Rapports d'activité 2004 et 2006, chapitres sanctions et mises en demeure

2 Interview réalisée par Nathanaël Bouton-Drouard, Fantastic Report, janvier-février 2006, annexe n°3, p.14

3 ibidem

4 in Laurent Jullier, op. cit. p. 47

ni contrôle parental conseillé, avec des émissions quotidiennes récurrentes aux heures de grande écoute. Conscients des dérives de ce que certains appellent « la télé-poubelle », les institutionnels et les professionnels pointent du doigt l'acharnement des commissions et des différents rapports sur le cinéma, au lieu de s'intéresser aux nouveaux impératifs médiatiques, qui dictent des productions pouvant aller beaucoup plus loin qu'un simple film d'horreur (Fear Factor,...). Cependant, le fait d'invoquer la vraie violence que représentent ces programmes ne doit pas légitimer la diffusion de n'importe quel film, sous prétexte qu'il n'y peu rien y avoir de pire. Philippe Lux rappelle à ce titre qu'on ne peut pas tout montrer à la télévision, sous-peine que ce soit un média assez libre et qu'il y ait des chaînes câblées1.

Le dernier problème afférant aux films d'horreur et à leur diffusion télévisuelle est celui des films interdits aux moins de 18 ans, même si les films d'horreur de cette catégorie sont rares. En effet, toutes les chaînes ne sont pas autorisées à diffuser des films interdits aux moins de 18 ans. Parmi les chaînes cinéma, seules le bouquet Canal+ et Ciné Cinéma disposent de cette autorisation, mais doivent s'engager à un certain nombre de pré-requis, notamment en matière de cryptage. De plus, les chaînes bénéficiant de cette capacité ne peuvent l'utiliser qu'entre minuit et 5h du matin, ce qui peut paraître absurde si l'on veut passer un film de genre (cela faisait partie des principales protestations quant à la polémique autour de l'interdiction aux moins de 18 ans de Martyrs de Pascal Laugier). Cependant, au regard de la politique de renforcement de la signalétique par rapport au visas d'exploitation pratiquée par le CSA, il arrive que des chaînes soient rappelées à l'ordre pour avoir diffusé des films interdits aux moins de 16 ans en salles mais pour lesquels le Conseil avait demandé une interdiction aux moins de 18 ans, comme cela fut le cas pour Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato (1980), diffusé sur TPS Cinextrême le 22 septembre 2004 à 21 h : « Le Conseil a mis en demeure la société TPS Cinéma de ne plus diffuser sur l'antenne de cette chaîne de programmes de catégorie V, conformément à l'article 2-4-3 de sa convention, selon lequel les programmes de catégorie V font l'objet d'une interdiction totale de diffusion sur son antenne. Ce film, diffusé dans son intégralité, comporte en effet de très nombreuses scènes de très grande violence (viols, découpe de corps humains, avortement suivi du meurtre de la mère, viols collectifs, empalement d'une jeune femme, castration de jeunes hommes, etc.), dont certaines ne sont pas simulées (dépeçages d'animaux vivants). Le CSA a considéré que la signalétique -16 était insuffisante pour une diffusion de ce film à la télévision et qu'il aurait dû être classé -18 (catégorie V). » Ces incidents restent

1 Voir entretien mené le 24/07/08, annexe n°27, p.70

toutefois assez, rares, les chaînes se conformant le plus souvent à leur convention à ce propos, malgré les récents rappels à l'ordre de Canal+ au sujet de deux films en début d'année 2008, évoqués plus haut.

Les réseaux classiques de la filière cinématographique réservent une petite place à l'horreur. Les entreprises ont bien intégré le fait que ce créneau attire un certain public, composé de passionnés autant que de curieux, et en premier lieu le marché vidéo, suivi par la télévision qui compte même des chaînes spécialisées et en diffuse un grand nombre. Si le cinéma semble être le moins enclin à lui faire une place dans sa programmation, subordonnée cependant à la production, il n'en est pas absent, malgré les frilosités de certains exploitants.

Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato (1980)

Les films d'horreur sont présents sur tous les supports médiatiques, mais de façon différenciée. Ils ont investi la presse des kiosques, avec des titres nationaux comme Mad Movies, dépassant la logique des fanzines tout en la transposant sur Internet. Ce nouveau média apparaît comme un formidable outil d'expansion pour le genre, comme pour tous les milieux méconnus qui veulent se faire une place sur la toile. Il est aussi un lieu d'échange entre aficionados, qui à travers les forums et les blogs, peuvent contaminer une importante partie des internautes. En tant que plate-forme de communication, il peut aussi être utilisé pour promouvoir un certain type d'évènements, caractérisé par le bénévolat, comme l'organisation de soirées ou de festivals. Commencés dans l'amateurisme, certains tendent cependant à devenir professionnels et à acquérir une renommée au-delà des milieux horrifiques comme c'est le cas pour le festival de Gérardmer ou la Cinémathèque Française. Et le succès est au rendez-vous, malgré les difficultés de budget et les contraintes économiques. C'est le souci de rentabilité, présent dans toute activité économique, qui empêche également les acteurs de la filière cinématographique de se positionner plus précisément sur l'horreur. La majorité des salles et des éditeurs vidéo spécialisés ayant disparu, ou survivant difficilement, encore une fois avec le concours bienveillant de nombreux passionnés travaillant plus ou moins gratuitement. Cependant, les entreprises généralistes n'hésitent pas à s'engager dans ce créneau en déployant un marketing racoleur basé sur l'efficacité et la séduction. Dans toute la filière, des distributeurs aux exploitants en passant par les éditeurs et distributeurs vidéo et les chaînes de télévision, les films d'horreur apparaissent dans les catalogues. Peu chers et faciles à rentabiliser après leur sortie en salles, qui passe souvent inaperçue au regard du nombre de copies distribuées, ils sont largement diffusés dans les médias de masse que sont le DVD et la télévision. On y trouve de tout et pour tous les goûts, du film signé Troma au blockbuster hollywoodien, malgré un important turn-over et de nombreuses opérations commerciales signant le déclin rapide du produit. Face à cette logique, la consommation des films se fait de façon accélérée, tout en pouvant répondre à la soif de diversité des fans, même si une grande partie des films n'est toujours visible qu'à travers le téléchargement illégal. Malgré les barrières érigées par la morale et la réglementation, il semble que finalement le cinéma d'horreur puisse avoir une place plus que légitime au sein des circuits de diffusion des films.

La place du cinéma d'horreur fait débat, cela est certain. Pourtant présent dès l'aube de la cinématographie, il s'est forgé une réputation sulfureuse. Favorisant les réactions physiques des spectateurs dans une logique de provocation de la peur et de stimulation des émotions, il permet de s'échapper comme de se purger. Or identifier le cinéma d'horreur à un effet est bien réducteur au regard de ses potentialités esthétiques, comme le soulignent de nombreux auteurs et réalisateurs. Le cinéma d'horreur est en genre en soi, qui dispose de nombreuses ramifications et s'est épanoui à chaque époque de façon différente. S'il produit une multitude de codes et de schémas supposés l'enfermer dans une structure redondante, qui permettent de l'identifier, il sait aussi s'en dégager. Cependant, la récurrence de ces figures indique que l'horreur traite principalement de crimes, en lien avec la violence, la justice, la folie et une certaine idée de la morale. Ces échos quasi-indispensables ne sont donc pas de simples accessoires, à la différence de l'humour ou des scènes sanglantes. L'évolution historique, politique et sociale du XXe siècle a contribué à nourrir la réflexion des réalisateurs et scénaristes, ébauchant de nouveaux genres qui tendent à s'interpénétrer. Après la déferlante gore qui a éclaboussé les écrans de l'après Seconde Guerre mondiale, balayant par là les monstres de la littérature gothique, de nouvelles pistes sont explorées. La menace devient plus humaine et s'incarne à travers des tueurs fous dont les actes dépassent les limites de l'entendement. La torture refait surface de façon plus prégnante, au sein d'une société de fin de siècle où la surmédiatisation de la violence est un phénomène palpable, que certain films d'horreur tendent à mettre en lumière, sans toutefois se lancer dans l'apologie ou dans la dénonciation. L'éloignement par rapport à la source fantastique de l'horreur est la principale caractéristique de l'évolution de sa production, se faisant l'écho des préoccupations de son temps. Malgré ces changements de forme, la France n'a toujours pas réussi à trouver sa place dans ce créneau. Les protagonistes de l'horreur à la française sont rares et comptent peu de soutiens au sein de la filière cinématographique. Les mécanismes traditionnels de la production hexagonale empêchent ces films d'obtenir des aides et de trouver des débouchés. Le cinéma de genre français, tiraillé entre la copie américaine et l'originalité nationale, n'est pas considéré comme un cinéma d'auteur et ne bénéficie que rarement d'aides et d'investissement importants. La nouveauté réside tout de même dans le fait que ce problème a émergé au grand jour, avec les conséquences économiques engendrées par les interdictions élevées. En effet, afin de protéger les spectateurs les plus jeunes, la commission de classification des oeuvres cinématographiques du CNC interdit souvent l'accès de ce type de films, quelle que soit sa nationalité, aux mineurs de moins de 16 ans, voire de 18 ans. C'est sans compter sur l'esprit de subversion qui anime les spectateurs recherchant cette culture de l'horreur. La dimension de partage et les

nombreux codes développés au sein et en dehors des films rendent ce cinéma particulièrement propice au développement de comportements subculturels, qu'ils soient ponctuels ou quotidiens. A l'oeuvre tant dans les films que dans le public, le monde horrifique se conçoit comme une communauté cinéphile codifiée mue par la volonté de transgression des codes établis, mettant en lumière les contradictions de la société. Cependant les spectateurs occasionnels semblent utiliser les films d'horreur pour une toute autre fonction, évoluant entre le désir cathartique et le voyeurisme. Ces comportements sont marginaux et ne constituent pas le ciment des amateurs d'horreur. Or le marketing des entreprises de la filière cinématographique semble privilégier cette dimension, en tablant sur l'exploitation et la satisfaction de ces attentes, supposées être exprimées par les adolescents et les jeunes adultes. Pourtant, les amateurs du genre sont souvent plus âgés que cette cible prédéfinie et certaines sociétés tendent à se diriger vers eux, en tablant sur leur esprit de collection. Les films en eux-mêmes autant que leurs fans présentent ainsi de fortes velléités culturelles, qui tendent à définir un genre et à uniformiser des pratiques.

L'amateurisme définit bien les pratiques qui sont à la base de la cinéphilie. Le tournage de courts-métrages, l'organisation de soirées de visionnage domestiques ou publiques, le rassemblement dans des festivals de films ou encore la lecture régulière de magazines fétiches constituent les principaux avatars de cette communauté de passionnés. Profitant de ces évènements et d'Internet pour échanger avec d'autres individus des considérations esthétiques ou futiles sur le cinéma d'horreur, les aficionados élaborent la hiérarchisation de la communauté, qui donne le primat à l'ancienneté et à la connaissance quasi-encyclopédique des oeuvres du genre. Cependant, l'investissement personnel peut aller au-delà et tendre vers la professionnalisation, tout en s'appuyant toujours sur un nombre important de bénévoles. Des festivals d'envergure nationale continuent de se développer et de grandir, rassemblant des milliers voire des dizaines de milliers de spectateurs, principalement connaisseurs et amateurs d'horreur. Certaines institutions ne rechignent donc pas à accueillir ces évènements, dans une logique de promotion de la diversité du cinéma. Ayant compris que la controverse suscite l'attirance, tout en forçant la consommation de supports, les différents acteurs de la filière cinématographique française situés en aval de la production n'hésitent pas à se positionner sur l'horreur. Cependant il existe une grande disparité entre eux, liée à l'importance des enjeux financiers à l'oeuvre dans ces secteurs. En vertu de la sacralité que revêtent les salles obscures pour les cinéphiles, la diffusion de films d'horreur devrait s'y effectuer de manière significative. Or si cela a pu exister à une époque, cela n'est plus vrai aujourd'hui. Les salles et les distributeurs étant subordonnés à des impératifs

économiques et à une réglementation -et parfois à certains préjugés- qui ne leur laisse pas d'autre choix que celui de la diversité, comme le pratiquent les multiplexes. L'horreur a dès lors une place chez les exploitants mais celle-ci est restreinte et l'engagement qu'elle pourrait susciter n'est guère de mise. En revanche, il n'en est pas de même pour les autres secteurs. Plus rentables sur les supports à usage domestique (vidéo et télévision) qu'en salles, les films d'horreur s'étalent dans les catalogues de ventes et de droits. Les moindres frais engendrés par leur exploitation rendent encore possible l'existence de niches uniquement positionnées sur le fantastique, l'horreur et la science- fiction, qui sont souvent rassemblés dans les appellations. Les ventes explosent, facilitées par les opérations spéciales et la nature même de la consommation vidéo. Pourtant, des petits éditeurs cohabitent avec des géants de l'industrie du DVD, et s'interpénètrent selon un système oligopolistique de distribution. Si cette existence est remarquable, l'adaptation est inévitable et la survie difficile pour des petites entreprises souvent gérées par des passionnés. En tant que média de consommation de masse, la télévision est également un des lieux privilégiés de l'expression de la richesse du cinéma, et peut être le plus offrant de cette diversité. Alors que les plus assidus se porteront sur des chaînes spécialisées dans le fantastique, disposant de politiques éditoriales spécifiques et d'une réglementation plus souple au regard de la signalétique jeunesse, les spectateurs occasionnels ont peu de chances de voir des films d'horreur à la télévision sans disposer d'un bouquet satellitaire, à l'exception de soirées propices à leur diffusion comme Halloween. Car si certains films peuvent être diffusés sur les chaînes généralistes, ce sont les chaînes cinéma qui en présentent le plus, même si le système des multidiffusions tronque quelque peu les résultats. Le cinéma d'horreur s'exprime donc de façon hétérogène sur différents supports, résolument plus tournés vers la consommation indifférenciée et la rentabilisation que vers l'engagement solennel, même s'il perdure à travers une partie des acheteurs et des entrepreneurs.

L'intérêt du cinéma d'horreur pour le grand public grandit, même si elle procède encore de la découverte ou de la curiosité, si ce n'est de logiques psychologiques et sociales difficiles à démêler. Il a sa place au sein de la filière cinématographique et prouve qu'il est capable de s'épanouir et de satisfaire aux exigences du milieu, malgré les nombreuses embûches posées par la réglementation. Alors qu'ils procèdent d'une culture spécifique, visible tant dans les oeuvres qu'au sein du public, les films d'horreur affichent leur bonne santé dans les exploitations les plus individuelles. Pourtant, la logique de partage à l'oeuvre dans le genre et dans les subcultures devrait dicter le contraire. C'est bien le signe d'une consommation plus standardisée, qui se préoccupe moins des codes

établis que de la satisfaction d'un besoin ou d'un désir de visionnage, sans annihiler totalement l'existence de démarches plus impliquées. Ces deux comportements se nourrissent l'un l'autre afin de produire une communauté plus importante mais mue par la même passion, dans des degrés plus ou moins gradués. Si les films d'horreur continuent de susciter des oppositions, ils n'en demeurent pas moins des acteurs incontournables du paysage cinématographique, susceptibles de s'inscrire dans l'histoire du genre comme de se passer de références. La médiatisation de certains évènements et débats qui leur sont corrélés tend à faire émerger les problèmes rencontrés en amont par les acteurs principaux du développement de ces films, précisément en France. Car sans eux, pas de visionnage, pas de catharsis, pas de subculture possible. L'émergence du phénomène et sa médiatisation, ainsi que le témoignage de sa bonne santé économique ne doit pas être circonscrit à une vulgaire mode en provenance d'outre-Atlantique. Il incombe maintenant aux institutions et aux entreprises de légitimer le cinéma de genre national afin de lui faire acquérir une place digne de son ombre...

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