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Le cinéma d'horreur en France : entre culture et consommation de masse

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par Laure HEMMER
EAC Paris - Master 1 Management de projets culturels 2007
  

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SYNTHèse

L'imaginaire, comme la pensée, est une ressource inépuisable chez l'homme. Le cinéma l'a bien compris. Grâce à sa puissance de représentation du réel comme du fantastique, il a permis aux monstres en tous genres de prendre vie, pour le plus grand plaisir d'amateurs en quête de sensations fortes. Grâce aux évolutions structurelles et conjoncturelles de ce média de masse, l'incarnation des protagonistes les plus effrayants des contes et légendes, des mythes et des cauchemars, fut possible et continue d'inspirer les réalisateurs. L'histoire des films d'horreur court sur tout le siècle précédent et présente, tout comme son contenu, des périodes glorieuses ainsi que des plus sombres. Or il semble que le cinéma fantastico-horrifique, malgré sa dimension d'exploitation, se nourrit d'éléments subversifs tout en alimentant une culture qui lui est propre. Dès lors, comment s'effectue cet arbitrage subtil entre provocation du contenu et recherche de visibilité, dans un milieu où la rentabilité n'est pas toujours au rendez-vous ? Les films d'horreur semblent en effet parfaitement révélateurs de la dialectique intrinsèque au cinéma. De cette joute perpétuelle entre art et industrie naît un genre de cinéma qui fait débat, qui intrigue, qui choque. Quel est le modèle socio-économique des films d'horreur ? S'insèrent-ils dans un schéma de grande consommation, touchant par là un public assoiffé de divertissement sanguinolent ou revêtent-ils des velléités culturelles fortes, aptes à transiter par des réseaux de diffusion spécialisés, à destination d'un public d'initiés ? C'est à cette question qu'il faut tenter de répondre, en abordant dans un premier temps ses caractéristiques, son historique -notamment française- et son public puis dans une deuxième partie les différents réseaux de diffusion hexagonaux, afin de faire sortir le film d'horreur de son ombre.

Le cinéma d'horreur prend sa source dans le fantastique mais tend à s'en distinguer tant par ses intentions que par ses évolutions diégétiques. La peur recherchée par les amateurs du genre peut prendre plusieurs formes mais elle reste, pour les uns une fin, pour les autres un moyen. L'intérêt porté à ces films est souvent incompris, leur public comme leurs auteurs largement marginalisés, principalement en France où l'oeuvre cinématographique est considérée comme un objet sacré à ne pas exposer aux regards de novices prompts au seul divertissement.

Comme son nom l'indique, le cinéma d'horreur s'attache à susciter des émotions fortes et à provoquer des réactions physiques, qui sont généralement inversement proportionnelles au degré de connaissance du genre par le spectateur. Cette définition, qui n'exclut pas d'autres caractéristiques, est la plus répandue pour tenter de cerner un terme protéiforme, conçu à la fois comme un sous-genre du fantastique et comme un cinéma générique renfermant ses multiples évolution ultérieures. Les affects générés par la vue d'images horrifiques peuvent être produits de différentes façons mais il n'existe pas de règles qui président à son élaboration. De la précision chirurgicale à la suggestion du hors-champ, les réalisateurs et leurs équipes artistiques ont puisé dans la petite boutique des horreurs que leurs prédécesseurs ont contribué à bâtir. Cependant, l'instinctivité déclenchée par les images ou les ambiances angoissantes et répulsives ne saurait être la seule raison d'être du genre, qui renferme des accessoires tendant à l'indispensable. Si la violence, les crimes, les connotations morales et sexuelles ou encore les échos sociohistoriques ne sont pas des caractéristiques propres à la diégèse horrifique (des films naturalistes aux films d'action, une foule d'autres genres en usent), ils s'en avèrent toutefois des éléments constitutifs, au point d'être considérés comme de réels codes et de justifier l'appellation cinéma de genre. Permettant aux identités cinématographiques de se façonner et aux différents courants de se consolider, ils sont appelés à évoluer en fonction de l'environnement dans lequel ils ont été utilisés.

Ces particularités contextuelles et esthétiques dessinent des tendances, qui se transforment rapidement en sous-genres et viennent nourrir la diversité d'un cinéma aux courbes ascendantes et descendantes, suivant un cycle régulier de vivacité puis de stagnation. A la première exploitation hollywoodienne des créatures légendaires dans la première moitié du XXe siècle (vampires, loup-garou, momies, zombies,...) suivit une deuxième vague de productions anglaises dans les années 1950, attisées toutes deux par la relégation de l'horreur dans l'imaginaire, forcée par les atrocités de la guerre et la censure. Il faut attendre la génération suivante, moins consensuelle, pour voir émerger un cinéma d'horreur plus audacieux, renouant avec la proximité de la menace, qu'elle soit de nature fantastique ou réelle. Ce furent en premier lieu les films gores de H.G. Lewis et les splatter movies ultérieurs, qui éclaboussèrent les écrans de leurs excès graphiques, choquèrent l'opinion et ravirent les spectateurs les plus jeunes (souvent engagés dans d'autres mouvements extrêmes, qu'ils soient musicaux ou artistiques). Une brèche était ouverte. Suivirent les films mettant en scène des morts-vivants ou des cannibales, dérives des expériences humaines, sous le patronage de G. A. Romero ainsi que nombreux réalisateurs italiens. Le réalisme gagnant du terrain à mesure que les souvenirs des conflits s'éloignent, de nombreux genres tentent de réhabiliter l'humanité -réelle ou

supposée- des tueurs ; le masque devient le symbole d'une génération de psycho-killers, dont l'expansion à travers les gialli et les slashers signe un nouveau cycle de prospérité pour le cinéma d'horreur dans les années 1970. A l'approche de la dernière décennie du siècle, de nouvelles formes horrifiques naissent, s'éloignant du fantastique pour s'ancrer de plus en plus dans la réalité ; les thrillers, les post-slashers et les torture-flicks décrivent un monde où tout espoir de salut est anéanti, où les faits divers triomphent, où l'horreur est omniprésente, mettant ainsi à bas certains codes, mécontentant les plus exigeants.

Si les Anglo-saxons ont été et sont toujours les exploitants les plus chevronnés du genre, la production horrifique française brille par sa rareté dans le paysage cinématographique national et international. Etriqué entre le modèle hollywoodien et la volonté d'intellectualiser la terreur, un petit nombre de films français a été réalisé depuis une demi-douzaine d'années. Cette émergence de l'horreur à la française, portée par une nouvelle génération de cinéastes audacieux, reste tout de même marginale vis-à-vis de la production globale hexagonale (de l'ordre d'1%). En effet, ce type de cinéma est fortement méprisé en France et les projets sont difficiles à élaborer, notamment à cause de la censure qui l'a assimilé au cinéma pornographique, le privant de distribution. Aujourd'hui la commission de classification des oeuvres cinématographiques dépendant du CNC s'attache à réglementer l'accès aux salles en fixant des limites d'âge. En raison de leur caractère violent, les films d'horreur sont souvent assortis d'interdictions aux moins de 12 ans ou aux moins de 16 ans, voire aux moins de 18 ans, classification polémique récemment élaborée. Ces différents paliers d'interdiction sont le reflet de la préoccupation des pouvoirs publics concernant l'influence de la violence médiatique sur le jeune public. Mais ils ont également des implications socio-économiques. Provoquant parfois l'effet inverse, c'est-à-dire l'attractivité des restrictions élevées, ils posent cependant problème aux entrepreneurs de la filière, notamment à cause de l'importance des chaînes de télévision dans le plan de financement des films, qui forcent à l'autocensure. La discrétion des aides financières contribuent à marginaliser ce type de cinéma, défendu par quelques passionnés qui souhaitent réhabiliter un genre, tant du point de vue économique qu'artistique, dans le berceau national du 7e art.

Malgré ces petites avancées, la volonté de se faire peur subsiste souvent incomprise. Comment supporter un déluge de violence et y consentir sans afficher de troubles d'ordre psychologique ? L'influence d'images dures sur les spectateurs, notamment les plus jeunes, peut être perçue de différentes façons, oscillant d'un conséquentialisme fort à une relativisation toute libérale. A la manière des jeux de cirque, les films d'horreur ont également été pris en tant qu'exutoire aux passions les plus

dévorantes. Or les partisans de la catharsis restent peu nombreux, les nouveaux films tendant plus à l'expression d'un voyeurisme latent qu'à la saignée psychique. Le plaisir du regard portant sur des actes répréhensibles ou incompréhensibles n'a pourtant rien de pathologique dans la grande majorité des cas et s'accommode parfaitement avec des phobies en tous genres. Néanmoins, si la réception varie fortement d'un individu à l'autre, il semble que la démarche de visionnage soit plus homogène et comporte une forte dimension subversive, à l'image de celle présente dans les films eux-mêmes. Cette volonté d'aller à l'encontre des normes sociales et de pointer les contradictions de la société par une pratique culturelle à la marge, que ce soit occasionnellement ou de façon régulière, est l'une des caractéristiques d'un mouvement subculturel. La provocation, pourtant traditionnellement considérée comme l'avatar des jeunes générations, n'a pas de limite d'âge et le public des films d'horreur transcende largement les catégories marketing qui lui sont reliées.

L'histoire de l'horreur au cinéma prouve sa vitalité comme ses difficultés de renouvellement, mais témoigne de son extraordinaire richesse, avec quelques nuances géographiques. Chargés d'une culture et de codes qui les privent d'une certaine légitimité, ces films séduisent et repoussent à la fois, jouant avec les mécanismes d'une peur plus ou moins contrôlée. Or qu'il soit motivé par la passion ou par le simple loisir, le spectateur de films d'horreur dispose néanmoins de nombreux moyens d'entretenir son intérêt pour le genre. Ceux-ci relèvent de plusieurs démarches, allant de l'amateurisme au professionnalisme, de l'entreprise spécialisée aux firmes généralistes, dans un marché où la volonté de rentabilisation dicte aux acteurs des stratégies différentes.

Un mouvement culturel, et a fortiori d'autant plus lorsqu'il se teinte de subculture, est généralement entretenu par un certain nombre d'amateurs qui s'investissent pour faire perdurer et promouvoir l'objet de leur passion. La presse spécialisée (et à leur tête Mad Movies en leader incontesté) et Internet sont les outils principaux de collecte et de diffusion d'informations en tous genres autour des films. Aspirant à contribuer personnellement à la connaissance du genre, les blogueurs et les posteurs, en tant que journalistes du XXIe siècle, échangent leurs avis sur la toile en toute liberté. La démarche participative et de partage est très prégnante dans ce milieu qui valorise l'ancienneté et le savoir et où le respect des films cultes est indispensable. Outre un nombre exceptionnel de courts-métrages réalisés entre amis, une multitude de soirées intimistes sont organisées, en privé ou dans des lieux publics comme des bars, des petites salles de

projection ou des cinémas indépendants. Si le bénévolat régit bien souvent l'investissement de ces cinéphiles, ils peuvent cependant se tourner ponctuellement vers le professionnalisme. C'est notamment le cas en ce qui concerne les petits festivals locaux qui ont pu acquérir une dimension nationale à force de visibilité et de qualité (comme l'Etrange Festival et ses différentes éditions). Mais de plus gros évènements, régis par des institutions du monde cinématographique, existent aux côtés de ces pratiques plus ou moins artisanales, emmenés par des individus personnellement impliqués à promouvoir la diversité du cinéma au sein de leur entreprise. Aussi la Cinémathèque Française propose-t-elle des soirées à thématique bis incluant souvent de l'horreur et la ville de Gérardmer dans les Vosges accueille-t-elle depuis quinze ans un important festival de films fantastiques. Ouverts à tous mais rassemblant surtout un public d'habitués, ces différents types d'évènements se conjuguent pour le plus grand plaisir des fans, participant ainsi à la promotion d'un genre qui souffre parfois de sa marginalité, tout en continuant de l'entretenir simultanément.

Si les entreprises de la filière cinématographique, dont la survie dépend de la fréquentation et des chiffres de ventes, s'adressent à des clients amateurs ou passionnés, elles doivent prendre en compte un certain nombre d'impératifs économiques et prennent plus de risques que les outils de diffusion précédemment décrits. Il est souvent affirmé que la réussite d'un film dépend de son résultat en salles. Or il semble que cet adage soit quelque peu erroné en ce qui concerne les productions d'horreur. En effet elles ne réalisent que peu d'entrées dans les salles obscures, indépendamment de leur nationalité, et attirent rarement au-delà de 300 000 personnes -ce qui confirme l'étroitesse du cercle des initiés. En effet, beaucoup d'exploitants se montrent réticents à programmer ce type de films, notamment au sein des circuits qui aspirent à toucher un plus large public. Et si les cinémas indépendants apparaissent comme les plus enclins à projeter ce genre d'oeuvres, ils n'en sont pas moins limités par l'exclusion de l'horreur des normes Art et Essai. Cependant, l'entrave principale réside plutôt dans le secteur de la distribution car la part des films d'horreur dans le volume global des films distribués se situe autour de 5%. Cette activité risquée est dominée par d'importantes firmes d'origine américaine qui s'avèrent les plus prolifiques en matière d'horreur. Mais cette configuration n'empêche pas les petits distributeurs de se positionner ponctuellement sur le genre. En revanche, le monde de l'édition et de la distribution vidéo semble plus ouvert aux possibilités en matière de diversité des genres, offertes par l'infériorité des coûts et les effets de structure. Les supports de consommation privée que sont les VHS et les DVD -et maintenant de la VaD- réussissent aux films d'horreur, dont certains titres vont jusqu'à atteindre plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Ces produits, qu'ils émanent de

géants de la distribution ou de petits éditeurs spécialisés -dont la survie est cependant difficile- s'étalent dans la majorité des enseignes de tous types. Cette diversité s'éprouve également au sein du média télévisuel, roi de la consommation de masse au milieu des loisirs des Français. Si la réglementation imposée par le CSA en matière d'horaires, de quotas et de signalétique restreint les possibilités des chaînes généralistes en clair à diffuser des films d'horreur (bien qu'elles n'en expriment pas nécessairement le souhait), il semble que les chaînes dédiées au cinéma y soient plus disposées. Des programmations spéciales et des chaînes fortement positionnées (partiellement ou exclusivement) sur ce créneau ont même vu le jour ces dernières années, grâce au succès des câbloopérateurs et à la diversité de l'offre thématique.

La diffusion des films d'horreur s'effectue principalement à travers des entreprises et des médias de grande consommation, qui ne sont pas nécessairement disposées à défendre l'esthétique du genre mais recherchent plutôt un moyen de se positionner sur le plus grand éventail de styles. Mais la visibilité de ces films ne dépend pas que des moyens mis en oeuvre ; de petites structures sociétaires ou associatives contribuent également, à leur échelle, à la promotion d'un cinéma qu'ils défendent avec acharnement.

Au-delà des évolutions esthétiques qui alimentent en renouvellent régulièrement le genre, le cinéma horrifique a su s'imposer dans le paysage audiovisuel international, même s'il demeure marginal au sein de la production et de la distribution française. L'horreur serait de croire qu'en vertu de sa dimension subversive, le cinéma de genre ne s'intègre pas aux circuits traditionnels. Culturellement marché de niche, économiquement marché de masse, les films d'horreur transitent par différents types de réseaux au sein de la filière cinématographique, en décrivant le modèle de l'oligopole à frange, souvent appliqué aux biens culturels. Diverses pratiques coexistent à l'intérieur du secteur, allant de la spécialisation, souvent entretenue par des passionnés bénévoles, à la généralisation, où les objectifs économiques dictent les engagements artistiques, en passant par des niveaux intermédiaires s'intercalant entre ces deux extrêmes. Le modèle français de diffusion de ce cinéma est maîtrisé par une variété d'acteurs et touche les masses par l'offre de ses réseaux tout en restant présenté comme une chapelle, sur l'autel de laquelle des aficionados n'ont de cesse de sacrifier leur vertu à une cause bien sanglante, pour un plaisir sans perversité totalement assumé.

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