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La question de la souveraineté chez Georg Jellinek

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par Ghislain BENHESSA
Université Robert Schuman - M2 Droit public fondamental 2008
  

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B. La convergence de la « conviction dominante » et des « éléments constants du droit » qui contraignent l'Etat souverain à respecter le droit

1. La « conviction dominante » : un Etat nécessairement lié par le droit

Pour Georg Jellinek, le fondement du droit, se trouve dans la conviction, dans la croyance qu'un état de fait est un état de choses reconnu par le droit. Il s'agit, selon le juriste, de « faire cadrer» la souveraineté «avec notre conception moderne du droit ». Pour justifier son raisonnement, Jellinek affirme que l'auto-limitation de l'Etat «a son principe dans les convictions juridiques dominantes; par suite, étant donné le caractère subjectif de tous les critères du droit, la nature juridique de l'obligation que l'Etat s'impose à lui-même se trouve en même temps démontrée »155.

Selon Jellinek, même si la souveraineté a pu exister sous la forme absolutiste, celle-ci, au début du 20ème siècle, ne peut plus se décliner sous cette forme. Le Maître de Heidelberg part du raisonnement psycho-sociologique selon lequel «le caractère positif du droit lui vient, en dernière analyse, de la conviction que l'on a de sa force obligatoire : c'est sur cet élément purement subjectif que repose tout l'ordre juridique »156 . Or, selon lui, la conviction dominante à son époque n'assimile plus la souveraineté à l'idée de toute -puissance. A l'heure du Rechtsstaat, c'est-à-dire de l'Etat de droit, qui est une réponse au Polizeistaat, c'est-à-dire

154 Olivier Jouanjan, Préface: Georg Jellinek ou le juriste philosophe, dans Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, Panthéon-Assas, 2004, I, 33

155 Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, Panthéon-Assas, 2004, II, 135

156 Ibid., I, 504

l'Etat policier, l'idée d'une souveraine té non limitée par le droit paraît difficilement défendable.

Car, en effet, l'idée d'auto-limitation contient une «assurance donnée aux sujets que les organes de l'Etat se conforment à ces lois ». Or, «toute norme présuppose que tant qu'il n'y aura pas de raison suffisante pour l'abroger, elle sera inviolable. Et c'est cette inviolabilité de l'ordre juridique qui entraîne en grande partie, pour chaque individu, la nécessité de calculer ses actes et de prévoir leurs conséquences; elle est une condition indispensable du développement constant de la civilisation : elle seule crée cette confiance sociale sans laquelle les relations entre hommes s'élèveraient à peine au-dessus du niveau primitif »157.

Si l'auto-limitation pousse l'Etat à respecter le droit, elle crée cette confiance sociale que les hommes doivent avoir. Toute norme contient en elle-même la certitude que, tant qu'elle ne sera pas abrogée, elle reste inviolable. La civilisation toute entière, selon Jellinek, repose sur cette possibilité, pour les individus, d'être en situation de sécurité juridique. Les individus peuvent à chaque instant savoir à quelle norme ils doivent se référer et quels sont les actes qui leur sont permis. Cette sécurité juridique seule permet de créer cette «confiance sociale» et le « développement constant de la civilisation ».

Or, «le fondement de tout droit réside, selon Jellinek, dans «la conviction que l'on a de sa valeur, de sa forme normative [É] Ainsi donc, c'est de la conviction dominante, elle-même conditionnée par le degré de la civilisation générale, qu'il dépend, à un moment donné, qu'une prétendue norme possède réellement le caractère de norme véritable. D'où il résulte que la question finale est celle-ci: l'Etat, d'après les idées d'une époque donnée, est-il ou n'est-il pas obligé par l'expression de sa propre volonté, et s'il est obligé, dans quelle mesure l'est-il ? ». Et

la réponse de Jellinek est la suivante : «L'on ne peut affirmer qu'une chose, c'est que, dans l'Etat moderne, de plus en plus chacun est convaincu du caractère obligatoire du droit pour l'Etat lui-même »158.

Ainsi, en repartant de l'idée que le droit réside dans la conviction populaire d'une époque
donnée, Jellinek conclut au 20 ème

en affirmant que, à actuelle,

l'heure c'est -à-dire début du

siècle, la conviction populaire dominante considère comme acquise l'idée que le droit est

157 Ibid., I, 552

158 Ibid., I, 554

obligatoire et possède un caractère impératif à l'égard de tous, y compris de l'Etat. L'évolution des convictions aboutit ainsi à ce résultat: l'Etat ne peut plus outrepasser le droit qu'il a institué car la conviction dominante ne peut plus considérer la toute-puissance étatique comme un phénomène logique.

Jellinek développe d'ailleurs toute une analyse historique ayant pour fin de montrer que certains actes juridiques, relevant de l'arbitraire étatique, qui passaient pour logiques à une certaine période, ne peuvent désormais plus être tolérés. Le juriste donne l'exemple du bill of

159

attainder et du bill of pain and penalties , appliqués au 17ème siècle. Si l'on ne parvenait pas, dans des « cas d'une haute importance politique, à condamner une personne désagréable, en s'en tenant à l'application du droit commun, le Parlement votait un bill de condamnation qui, souvent, créait le crime à punir. Ce bill, une fois sanctionné par le roi, était exécuté. Souvent l'accusé n'était même pas cité devant le Parlement [É] Il est hors de doute qu'aujourd'hui un bill semblable serait considéré comme une injustice criante, comme un abus des formes juridiques »160 . Les circonstances, les époques, le simple écoulement du temps font évoluer les convictions populaires: ce qui pouvait être considéré comme logique à une période ancienne ne peut plus être ressenti et accepté de la même façon dans des temps plus récents. Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu'au moment où Jellinek publie L 'Etat moderne et son droit, la notion allemande de Rechtsstaat a déjà été développée. Malgré la grande «méfiance à l'égard de l'expression et une distance par rapport aux doctrines qui en ont fait leur bannière »161 , car il «n'a jamais existé et ne pourra jamais exister d'Etat limité à la protection du droit »162 , Jellinek développe une doctrine de l'auto-limitation ainsi qu'une théorie des droits publics subjectifs qui viennent donner du poids au concept de Rechtsstaat. La

ème

conviction dominante, marquée par l'essor de ce nouveau concept développé depuis 1 8

le

siècle en Allemagne, considère que l'Etat est «naturellement» lié au droit.

D'ailleurs, comme le fait remarquer Jellinek, « l'idée que l'Etat peut être lié à son droit a joué
un rôle important en ce qui concerne la formation des idées touchant les constitutions
modernes, considérées en tant qu'actes écrits. Ces constitutions, en effet, cherchent à endiguer

159 Comme Jellinek l'indique dans L 'Etat moderne et son droit, le premier punissait de mort, le second d'une peine moins sévère

160 Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, Panthéon-Assas, 2004, I, 555-556

161 Olivier Jouanjan (dir.), Figures de l'Etat de droit, Presses universitaires de Strasbourg, 2001, 30

162 Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, cité dans Olivier Jouanjan (dir.), Figures de l'Etat de droit, Presses universitaires de Strasbourg, 2001, 31

la toute puissance législative de l'Etat, non seulement en établissant des normes fixes suivant lesquelles doit s'exprimer la volonté de l'Etat, mais encore au moyen de la notion des droits «garantis» de l'individu »163 . Si Les constitutions modernes sont marquées par l'idée force qu'il faut «endiguer la toute puissance» de l'Etat, cela résulte de la conviction que l'Etat, désormais, est lié par les normes juridiques qu'il produit.

Dans l'optique jellinékienne, il ne peut y avoir de «droit, pour reprendre les termes précis d'Olivier Jouanjan, d'ordre juridique que si l'individu peut se sentir obligé, l'obligation étant la puissance d'agir comme motif pour déterminer la volonté. Si, dans l'instant même qu'il doit agir, l'individu ne peut savoir quelle est la règle d'action de l'Etat avec lequel il est en relation parce celui-ci [É] peut l'avoir changée, il n'y a [É] du point de vue de l'individu qu'un néant normatif [É] Sauf à être complètement irrationnel, celui qui commande se limite lui-même au moment où il profère le commandement »164.

La théorie de l'auto-limitation, dans la perspective de Georg Jellinek, est plus qu'un mécanisme dissociant l'Etat des organes qui le composent. Elle est la «condition de pensabilité de l'ordre juridique moderne, de l'ordre juridique dans l'Etat moderne »165.

2. L'Etat souverain lié par les « éléments constants du droit »

Jellinek continue son argumentation en affirmant qu'il existe des éléments plus fondamentaux encore qui «échappent à tout arbitraire des législateurs. C'est le résidu du développement historique total d'un peuple, tel qu'il se manifeste dans les institutions juridiques, comme condition permanente de toute l'existence historique de ce peuple ». Certains éléments sont invariables et ne peuvent ainsi jamais «dépendre du bon plaisir de l'Etat »166.

Pour justifier sa position, Jellinek affirme que «déclarer le meurtre impunissable est hors du domaine des possibilités d'une législation réelle. Et si un législateur s'avisait d'une pareille déclaration, des forces dont il ne serait pas le maître se chargeraient de châtier le meurtre en- dehors de toutes formes et de toutes règles ». C'est pourquoi si le droit est composé

163 Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, Panthéon-Assas, 2004, 557

164 Olivier Jouanjan, Préface: Georg Jellinek ou le juriste philosophe, dans Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, Panthéon-Assas, 2004, 77

165 Ibid., 76

166 Georg Jellinek, L 'Etat moderne et son droit, Panthéon-Assas, 2004, I, 557

d'« éléments variables », il est également, selon jellinek composé d'« éléments constants» qui permettent d'« apprécier les actes volontaires de l'Etat en-dehors de tout vice de forme ». Cela signifie que l'Etat ne peut jamais aller à l'encontre de ces « éléments constants », qui, car ils constituent des caractéristiques fondamentales des peuples civilisés, ne peuvent point subir d'entorse. En conclusion, ces «éléments constants du droit forment le seul fondement possible des devoirs de l'Etat »167.

Du point de vue de Georg Jellinek, il est inconcevable d'admettre une souveraineté absolue: les éléments constants du droit doivent toujours, dans tous les cas, être respectés, et l'Etat ne peut librement s'en affranchir. Ces «éléments constants» du droit constituent donc l'élément ultime permettant de justifier la théorie selon laquelle l'Etat est limité dans la production des normes et dans les actions qu'il entreprend. Quand bien même l'Etat souhaiterait s'extirper du droit, il ne pourrait aller à l'encontre de ces caractères fondamentaux, propres au développement historique d'un peuple, qui «échappent à tout arbitraire des législateurs ». Ainsi, «déclarer le meurtre impunissable est hors du domaine des possibilités d'une législation réelle»; de cette manière, «une loi ou une sentence judiciaire pleinement valable au point de vue juridique et à l'abri de toute voie de recours peuvent être considérées non seulement comme injustes, mais comme contraires au droit ». Ces éléments constants, qui permettent donc de limiter l'action de l'Etat, constituent donc le «seul fondement possible des devoirs de l'Etat »168.

Ainsi, l'Etat n'a pas que des droits mais possède bien des devoirs vis-à-vis des individus. L'Etat ne peut aller à l'encontre de la conviction dominante, des éléments constants du droit, lesquels suivent l'état de civilisation d'un peuple. Ces éléments constants dictent des obligations, à la charge de l'Etat. Ces obligations, à l'époque de Jellinek, imposent à l'Etat de respecter le droit. En conséquence les éléments constants du droit, qui ne peuvent évoluer que de façon très lente, fixent un cadre dans lequel l'action étatique est enserrée.

De ce fait, si l'Etat s'auto-limite dans les règles de droit qu'il produit, il est également limité par ces éléments constants, qui fixent des règles au-delà desquelles il ne peut aller. Le souverain ne dispose pas du droit; il y est soumis.

167 Ibid., I, 558

168 Ibid., I, 558

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery