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Jean zay, ministre des beaux arts 1936-1939, étude de cas sur sa politique cinématographique

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par Lisa Saboulard
Université de Toulouse II Le Mirail - Master 1 Histoire Contemporaine 2010
  

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1.3) Les inspirateurs de Jean Zay : Maurice Petsche et Guy de Carmoy

« Il est à mon sens indispensable de centraliser les attributions cinématographiques [...] qui se trouvent disséminées entre une quantité de Ministères. » manifeste Jean Zay face au groupe Renaitour.105(*)

Il est vrai que sous la IIIème République, le cinéma dépend concomitamment de quatre ministères (la direction générale des Beaux Arts du ministère de l'Education nationale pour les questions administratives, le ministère des affaires étrangères pour les productions françaises à l'étranger, le ministère du commerce pour l'exportation et la présidence du conseil pour chapeauter le tout) dont les nombreuses interactions paralysent lentement mais surement toute initiative d'actions voire même d'étude sur le domaine cinématographique ! Ceci n'empêche pas toutefois l'État de s'intéresser au 7ème art en plein essor et dépourvu de toute règlementation sérieuse, intérêt représenté par deux rapports importants réalisés -non sans mal- en 1935 et 1936.

1.3.1) Le rapport Petsche ou les solutions étatistes

Le 28 juin 1935, le député Maurice Petsche106(*) présente son rapport, le premier consacré au cinéma, à la commission des Finances du cinéma : l'état de santé de l'industrie cinématographique et les causes de la crise qu'elle traverse sont analysés. Il importe de préciser son plan, car il a considérablement influé sur l'orientation de la vie corporative et sur les projets gouvernementaux -donc ceux de Jean Zay- jusqu'à la guerre de 1939. On retrouvera ces mêmes principes dans les institutions de soutien de l'industrie cinématographique créées en 1959.

Après un bilan détaillé des ressources du cinéma et de ses principaux dysfonctionnements, des solutions énergiques sont avancées. Le mal étant, le seul remède curatif proposé est une réorganisation profonde et complète des structures du cinéma français, car il faut :

« Protéger la production française contre la production étrangère, c'est non seulement la défendre, mais encore et surtout la replacer dans une position qui lui permette d'affronter, à égalité de chances, la compétition internationale, d'abord sur son propre marché ensuite sur les marchés extérieurs ; c'est l'alléger de toutes les charges parasitaires, dues à une mauvaise organisation économique : taux usuraire des intérêts, prix excessifs de la matière première et des instruments de production, frais abusifs de courtage. C'est compenser l'inégal amortissement des films présentés sur le marché national, c'est étendre des débouchés de cette industrie tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. C'est, enfin, rehausser la valeur culturelle de nos créations cinématographiques. »107(*).

Le projet essentiel108(*) est la création d'un fonds national du cinéma, organisme de financement et de crédit qui, sous l'alibi d'une règlementation financière, s'avère être une mise sous contrôle étatique du marché et apparait comme une nationalisation pour les professionnels du milieu.

Ce fonds109(*) aurait consisté en un organisme de financement et de crédit ayant pour objet de procurer, à un taux normal du crédit à la production et à l'exploitation. Le financement aurait été assuré par l'octroi d'un privilège d'importation et de distributions des films étrangers en France par une taxe de 10% sur les royalties, par une taxe sur les licences d'exploitation des salles. Ce fonds accorderait des crédits à l'exploitation, en vue d'équiper en sonore de nombreuses salles et à la production sous trois formes pour cette dernière : sur un film terminé110(*), sur un projet de film111(*) et enfin sur un film à exporter112(*) afin de garantir la bonne santé des films français destinés à d'autres marchés.

L'institution de ce fonds national aurait pu permettre, selon Maurice Petsche, d'exercer sur ceux qui en bénéficieraient un contrôle, voire une pression, en vue de régulariser et rendre saine leur gestion.

D'autres mesures de réorganisation sont préconisées dans le rapport, telles que la révision du barème servant de base à l'évaluation des films étrangers importés ou encore la définition précise du film français avec précision afin de mieux le protéger. Pour un minimum de protection de l'exploitation, la solution préconisée est de mettre fin à la concurrence désordonnée des salles par discipline professionnelle ou par création d'une licence d'exploitation.

Enfin Maurice Petsche termine son étude en demandant au Gouvernement de décider une politique forte, cohérente et générale à l'égard du cinéma tout en centralisant lui-même dans un service unique les attributions cinématographiques réparties entre plusieurs ministères.

Ce rapport est la clé de voûte des institutions contemporaines du cinéma, encore plus que le rapport Carmoy. Mais il contient bien trop de dispositions explosives pour l'époque et les esprits ne sont pas encore prêts pour ses mesures étatiques dans un domaine bien libéral. En octobre 35, les syndicats patronaux déclenchent de véhémentes protestations113(*) contre ce projet, soutenu par les sociétés d'auteurs et la C.G.T.

Le rapport est bel et bien été enterré à ce moment là mais Jean Zay le reprendra deux ans plus tard, sous une forme atténuée dans son projet.

1.3.2) Le rapport Carmoy ou les solutions corporatistes

Depuis 1931, le Conseil National Economique avait entrepris une vaste enquête sur la situation des principales branches de l'économie nationale. La direction de l'enquête en ce qui concerne celle du cinéma fut confiée à un inspecteur des Finances, Guy de Carmoy, dont le rapport aujourd'hui est toujours cité et mis en avant. Ce rapport contrairement à celui de Petsche offre à un organisme corporatif unique des pouvoirs normalement dévolus à la puissance publique. Ce n'est pas un hasard si les tumultes et les remous des syndicats patronaux afin de former un organisme majoritaire tel que le Comité du film est concomitant de l'élaboration des travaux du Conseil national économique. Ceci est révélateur à merveille de l'adroite négociation menée par les nouveaux dirigeants de l'industrie cinématographique pour prendre eux-mêmes en mains les destinées de leurs industries et y établir leurs propres règles, même à l'égard des professionnels indépendants ne désirant pas adhérer à la nouvelle organisation syndicale. Mais cette idée ne fait pas unanimité loin de là, à commencer par le gouvernement et Jean Zay, à la tête du ministère des Beaux arts à l'aube de l'adoption à l'unanimité du rapport Carmoy.

Le Conseil économique approuva ce rapport et mit en garde la profession114(*) :

« La situation alarmante d'une industrie qui tient aujourd'hui une place importante dans l'activité économique, et dont l'influence sur les moeurs et la culture a conduit le Conseil National Economique à préconiser des mesures de redressement exceptionnelles comportant l'intervention marquée de l'État dans le cas où la profession ne se révèlerait pas capable d'accomplir les réformes nécessaires ».

Ce deuxième rapport115(*), présenté au Conseil national économique, est plus pessimiste que le premier. Il en reprend la mauvaise organisation du cinéma français (production et surtout distribution) et l'abondance des films étrangers :

« L'industrie cinématographique française est, depuis plusieurs années, nettement déficitaire [...] cette situation ne tient pas seulement à la diminution des ressources, à l'exagération du coût de production des films, à l'absence de capitaux et aux procédés onéreux du financement qui en sont la conséquence. Elle résulte de l'état du marché français : le trop grand nombre de films étrangers est un obstacle à l'amortissement normal de la production nationale et à la rentabilité d'une industrie dont l'organisation est au demeurant défectueuse ».

L'idée de Guy de Carmoy peut se résumer parfaitement dans l'exposition qu'en fait Jean Zay devant le groupe Renaitour :

« Le Conseil National Economique suggère de créer un organisme patronal unique et un organisme syndical unique, et la formation de ce qu'il appelle le comité central du cinéma. [...] Il serait alors envisagé de donner à cet organisme des pouvoirs assez grands qui pourraient aller jusqu'à l'entente industrielle [...] c'est-à-dire la possibilité pour les industriels intéressés, de prendre, sur la production des dispositions d'ensemble. »116(*)

En effet, le noeud de la réforme préconisée par Carmoy consiste en la création d'un groupement unique des chambres syndicales patronale jouissant d'attributions d'ordre régalien sous le contrôle de la puissance publique (limitation de la mise en distribution des films d'exploitation générale, limitation de l'ouverture de nouvelles salles etc.)

D'autres parts, le Conseil National préconisait de compléter l'organisme professionnel par une série d'interventions législatives portant sur : la définition des termes d'auteurs de films, producteurs de film, films français, étrangers, La création d'un visa pour l'exportation, des mesures pour aider l'assainissement moral de l'exercice de producteur et de distributeur, et l'extension à l'industrie du cinéma de certaines dispositions du code de travail relatives à l'hygiène et à la sécurité des travailleurs. En termes de protection douanière, un aménagement des contingences et des droits de douane, complété par l'institution d'une taxe sur le doublage serait effectué. Sur le plan fiscal, l'allègement des taxes d'État est également adopté. Guy de Carmoy oublia tout système de crédit en faveur de l'exploitation, réduisant à des cas particuliers les encouragements de la qualité. Selon certains, le seul mérite du Conseil National Economique fut de supprimer la notion d'intervention directe de la puissance :

l'État n'intervient plus que pour sanctionner les décisions adoptées par l'organisme professionnel. Mais les intérêts généraux de l'État cèderaient-ils le pas devant des intérêts purement professionnels face à un domaine cinématographique en piteux état ?

1.3.3) Un cinéma sous tutelle de l'État ?

Face à la situation accablante de l'industrie cinématographique, de nombreuses voix s'élèvent et s'inquiètent. « Un ministre de l'avant-dernier ministère a répondu un jour : le Cinéma ne m'intéresse pas. En sera-t-il de même aujourd'hui ? Le gouvernement français comprendra t il enfin que son devoir est de quitter la tour d'ivoire chère à ses prédécesseurs ou laissera t il périr cet élément indispensable de notre prospérité. » S'exclame un journaliste de la Cinématographie française117(*) . Une lettre ouverte est même adressée à Jean Zay avec une récapitulation des revendications du milieu118(*) où l'espoir est là :

« Les précédents gouvernements ne se sont pas occupés sérieusement de notre industrie. Ils ne se sont pas souciés de ses aspirations, de ses besoins économiques, de la grande valeur de cet instrument de propagande nationale.

L'arrivée au pouvoir d'un gouvernement réformiste, qui veut modifier l'ordre établi en ne séparant pas, dans sa sollicitude, l'évolution économique du mouvement social, peut apporter au Cinéma Français des avantages très importants. »

Mais tout en demandant l'aide de l'assistance publique et en ayant des espoirs sur un gouvernement différents des précédents, la peur d'une étatisation est bel et bien présente :

«  Si le ministre qui se penchera sur nos problèmes de travail sait mesurer la vanité des interventions étatistes dans une profession artisanale et pour laquelle les initiatives individuelles sont indispensables, l'occasion est bonne pour créer dans le pays une belle et utile organisation du cinéma français.  » Explique un journaliste de la cinématographie française119(*).

Le problème de la « nationalisation » est évoqué, Léon Blum le prononçant souvent. Si le programme de Rassemblement populaire ne l'évoque que pour l'armement, Paul Faure, second leader du parti S.F.I.O120(*) le proclame haut et fort.

Il est vrai que beaucoup souhaitent la création d'un ministère de l'Art et de la Propagande comme en U.R.S.S, en Italie, ou en Allemagne. Ce ministère permettra ainsi à tous les modes d'expression de servir à « l'exaltation du sentiment national et à la diffusion à l'étranger du film français » (grandeur et exportation font bon ménage). « Jamais sans doute le besoin de communier dans une même foi n'aura été plus vif qu'au lendemain de la poussée populaire qui a hissé au pouvoir les forces de gauche ».121(*) En mai 36, au printemps du Front populaire, la « propagande » et les « modèles » totalitaires n'ont pas encore une grande force de repoussoir.

Les chambres forment un Groupe de Défense du Cinéma présidé par le sénateur Lancien et le député maire d'Auxerre Jean Michel Renaitour qui rassemblera le compte rendu des travaux. Ils élaborent une charte de revendication122(*). En décembre 1936 encore, le député Gaston Gérard demande au gouvernement de na pas oublier théâtre, radio et cinéma lors de la discussion budgétaire123(*). Mais tous ces projets ne font pas long feu. De l'idée d'un Office cinématographique comparable à l'Office du blé, à celle d'un sous secrétariat d'État au Cinéma124(*), on en reste à la tutelle du ministre de l'éducation nationale. Jean Zay d'ailleurs s'intéresse vraiment au cinéma125(*) mais son projet de statut n'aboutira pas.

Cependant, face aux nombreuses inquiétudes d'une étatisation du cinéma, voici sa réponse se voulant rassurante :

« Je crois que dans ces conditions il n'est personne qui ne reconnaisse que les principes du libéralisme pur et simple, total, et le désintéressement absolu de l'État en face d'un problème aussi capital, puissent se poursuivre et qu'il ne soit nécessaire pour lui de prendre des responsabilités. Je pense pourtant que l'État doit laisser à l'industrie cinématographique, notamment pour des raisons d'ordre artistique, l'indépendance et la liberté nécessaires, et que des formules de tutelle, que personne ne demande d'ailleurs, pourraient être redoutables »126(*).

Ainsi, à l'aube de ces 3 ans de gouvernance à la tête de l'industrie cinématographique, Jean Zay a tous les matériaux -rapports, avis de chacune des branches de l'industrie etc-, afin d'élaborer une véritable politique permettant de construire les premiers plans d'une organisation du cinéma pour sortir le 7ème art du sinistre qui le touche...

* 105 Où va le cinéma français ? p 119

* 106 Qui fut de 1929 à 1932 sous secrétaire d'État aux Beaux arts sous divers gouvernement, avant de devenir ministre des finances et affaires économiques de 1949 à 1951.

* 107 Montagne A., Histoire juridique des interdits cinématographiques en France (1909-2001), éditions l'Harmattan, Paris, 2007 p 39

* 108 Les détails de celui-ci sont décrits et analysé dans Leglise P., op. cit. p 129 et le numéro du 30 aout 1935 de la Cinématographie Française.

* 109 Constitué en société privilégiée d'économie mixte placée sous le contrôle de l'État et assisté d'un comité technique de 25 membres dans lequel toutes les branches du domaine cinématographique auraient été représentées.

* 110 En accordant au producteur sa garantie de bonne fin à une partie des crédits consentis par son banquier et gagés sur les recettes à provenir de ce film

* 111 Sous la condition que le producteur ait déjà réuni de 30 à 40% de fonds nécessaires pour la réalisation du devis, les crédits nécessaires à la production d'un film

* 112 Garantie de crédit d'ordre financier et d'ordre technique et culturel

* 113 Cinématographie Française du 14 octobre 1935.

* 114 Cinématographie Française du 17 juillet 1936 qui publie les grands lignes du rapport qui a su toutefois profité des enseignements du rapport Petsche et a su présenté en termes mesurés et nuancés des propositions de réforme apparaissant alors comme les seules voies de salut.

* 115  Journal officiel,   18 aout 1936, p 635 et suivantes

* 116 Où va le cinéma français p121.

* 117 Cinématographie Française numéro du 15 juin 1936.

* 118 Cinématographie Française 7 juillet 1936 : sont demandés : une réduction sérieuse des Taxes, une ouverture de crédit à la production, un appui réel sur le marché d'exportation, un équilibre corporatif sur le marché national.

* 119 Cinématographie Française 7 juin 36.

* 120 Celui-ci a déclaré à Cinémonde peu avant les élections « Qu'un jour notre parti détienne la totalité du pouvoir politique, il fera du cinéma une institution d'État. Car il est impossible qu'un Gouvernement qui veut instaurer un ordre nouveau laisse un moyen de propagande aussi puissant que le cinéma aux mains de groupements qui peuvent avoir des intérêts opposés aux siens ». Déclaration qui fera grincer des dents dans le milieu cinématographique.

* 121 Comoedia du 16 mai 36, Jean de Rovéra

* 122 Publié sous le titre Où va le cinéma français ?

* 123 Cinématographie Française 19 décembre 36

* 124 Cinématographie Française 16 mai 38

* 125 Cinématographie Française 27 juin 37

* 126 Jean Zay, ibid. p 117-118.

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