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Jean zay, ministre des beaux arts 1936-1939, étude de cas sur sa politique cinématographique

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par Lisa Saboulard
Université de Toulouse II Le Mirail - Master 1 Histoire Contemporaine 2010
  

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2.2) protéger le cinéma français

Les États-Unis, même si leur présence est essentielle afin de promouvoir le cinéma français via le Festival de Cannes, n'amènent pas que des avantages. Le contrôle des importations américaines -laissant peu de places au cinéma français sur ses propres écrans- est essentiel afin d'améliorer l'économie cinématographique nationale. Ce contrôle peut passer par un outil étatique essentiel : la censure. En effet, celle-ci, avec la création d'un « visa d'exploitation », est amenée à contrer la position du cinéma américain qui était la plus assurée142(*) , comme expliqué dans la partie précédente. Face à cette invasion, les trois États totalitaires que sont l'Allemagne, l'Italie et le Japon ont rapidement restreint l'importation des films « Made In USA ». Le cas de la France est à part, étant plus proche politiquement de son voisin outre-Atlantique et voulant s'implanter aux U.S.A.

2.2.1) Une censure nécessaire

« La censure fleurit sur la pellicule comme le gui parasite sur le pommier, elle est là, on ne sait pas trop pourquoi, on interroge et on vous répond :

- Il faut toujours craindre un abus143(*) »

La censure a toujours été présente sur les écrans français dès l'apparition des premiers films et celle-ci fut renforcée dans les années trente144(*). En 1931, le ministre Maurice Petsche, du temps où il était Sous-secrétaire d'État aux Beaux-arts, créé un « Conseil supérieur du cinéma », de 87 membres, intégrant la Commission de Contrôle dont le pouvoir fut renforcé145(*) (44 membres au lieu de 32). En mars 1933, la Commission, dont le ministre de l'information avait perdu le contrôle au bénéfice du ministère des Beaux Arts, passa officiellement sous la direction de celui-ci. Sur simple décret, la commission instaurée en 1928 interpréta assez souvent de façon très large les critères qui lui étaient fixés, comme en témoignent ces mots d'Edmond Sée, son président en 1933 :

« Pour les films qui peuvent créer des troubles et nuire au maintien de l'ordre, l'avis des représentants des ministres de l'Intérieur et des Affaires étrangères a force de loi. Leur véto est en somme sans appel »146(*).

Quant à la pratique, en 1933, sur 572 films présentés à la commission, 38 sont assortis de coupures, et 11 interdits, pour des raisons allant de l'érotisme à l'antimilitarisme en passant par l'atteinte aux personnalités étrangères ou...au corps enseignant.

La commission qui suit fut (encore) instaurée par un simple décret, datant du 7 mai 1936, aux dispositions nettement plus restrictives, ce qui fait écrire à Paul Leglise que l'on retourne du contrôle à la censure. Ce décret est hérité par le gouvernement Blum, car signé in extremis par Albert Sarraut147(*). Cependant, une note adressée par les Beaux Arts148(*) au secrétaire général de la Présidence du Conseil, datée du 29 mai 36, donc antérieure de quelques jours à la passation de pouvoirs, précise clairement que cette nouvelle règlementation est l'oeuvre du ministère de l'Intérieur et se heurte, ne serait-ce que par le flou de ses définitions, aux réserves expresses des Beaux arts et dudit secrétariat général149(*).

Composée de vingt membres, la nouvelle commission comprend désormais dix représentants des ministères, et dix personnalités choisies par le ministre de l'Education Nationale en dehors de la profession cinématographique. « La commission de la censure se réunit deux fois par jour. Elle examine un nombre films considérable. Elle est composée soit de fonctionnaires, soit d'écrivains, soit de journalistes »150(*). Néanmoins, comme le « jeton de présence était dérisoire et les films à subir bien souvent assommants, lesdites personnalités artistiques venaient rarement. »151(*) Cette même commission accorde un visa. Pour la délivrance de celui-ci, « la commission prend en considération l'ensemble des intérêts nationaux en jeu et spécialement l'intérêt de la défense des bonnes moeurs et du respect des traditions nationales ».152(*) Pour recevoir le visa légal, tout film doit recueillir l'approbation unanime, de sorte que l'opposition du délégué du ministère de la Marine ou de celui de la Sureté nationale suffit pour emporter un véto qui nécessite l'arbitrage du ministre.

« Celui-ci se devait d'être consciencieux et de se procurer une opinion personnelle, car les producteurs du film ne manquaient pas de l'avertir qu'il y allait de leur ruine »153(*).

Bien évidemment, le visa donné par la censure appelle des critiques, certains se plaignant que celle-ci laisse trop peu de films ou bien qu'elle censure de manière trop arbitraire. À partir du moment où un film reçoit au ministère de l'Education le visa, et qu'il prend son essor à travers le pays, il échappe complètement à la compétence du Ministère de l'Education Nationale et ne relève plus que des pouvoirs de police du ministre de l'Intérieur, du Maire ou du Préfet qui peuvent l'interdire ou non s'ils estiment qu'il est susceptible de provoquer certains troubles.

La preuve avec un film censuré sur la délicate question des frontières au Mexique durant le mois de février 1939154(*) où la réalisatrice, Md Titayna, se plaint auprès du ministère du retrait de son film des écrans d'une résidence universitaire. Marcel Abraham, directeur du cabinet Jean Zay, lui rappelle que « si ce visa équivaut à une « autorisation » de présentation, il ne constitue nullement un « droit » à la présentation : un directeur de salle peut être amené à renoncer à la projection d'un film s'il s'aperçoit que ce film ne convient pas à sa clientèle. Quand il s'agit d'une salle telle que celle de la Cité Universitaire, où les règles de la courtoisie internationale doivent être scrupuleusement observées, il est absolument normal que la Direction de la salle évite de provoquer le mécontentement de tel ou tel membre de la Cité. Dans ses conditions, M. Honnorat avait, non seulement le droit, mais encore à mon avis, le devoir de céder à la demande du ministère du Mexique de ne pas diffuser le film ».

2.2.2) Une position partagée.

Jean Zay a un point de vue partagé sur la question de la censure cinématographique. Dans une note des archives du cabinet Abraham155(*) , le ministre de l'Education nationale réagit à une enquête sur le sujet menée par la revue Ciné-Monde.

Il résume parfaitement les deux positions qui n'ont de cesse de s'affronter :

« Non ! Disent les uns. Il n'existe aucune raison valable pour refuser au cinéma la liberté dont jouit le livre, la presse ou le théâtre. Les mesures de police suffiraient pleinement à réprimer les excès ou les causes de troubles. [...] La liberté est la première condition de l'art. Les Français sont majeurs et désirent voir sur leurs écrans tous les films présentés sans entraves dans d'autres pays. A bas la censure ! »

« -Attention ! Répliquent les autres. Nous vivons dans une époque où les gouvernements n'ont pas le droit de se dessaisir d'armes qui, après tout, doivent servir l'ordre public. [...] La censure empêche par sa seule existence la confection de films bassement pornographiques, qui, sans elle, inonderaient certains écrans, en provenance souvent de l'extérieur de nos frontières. Sa suppression, c'est la licence de toutes les propagandes et nous ne pensons pas qu'aux propagandes politiques. Dans un autre temps, soit aujourd'hui, gare ! La censure est un mal nécessaire ».

A priori, le ministre de la rue Grenelle est favorable à une censure. En effet, selon lui :

« À partir du moment où, soit au point de vue social, soit au point de vue politique, le régime de la liberté totale serait substitué à ce contrôle imparfait, mais réel, on peut se demander si les salles de cinématographe ne deviendraient pas rapidement des champs clos dans lequel des publics différents, devant des films d'inspirations totalement diverses, échangeraient des controverses qui pourraient être particulièrement risquées »156(*).

Néanmoins, il admet qu'un certain nombre de modifications et d'améliorations ayant été réclamées de tous les côtés sont à prendre en considération.

« C'est ainsi qu'il parait normal que la censure s'exerce non pas sur le film une fois réalisé, c'est-à-dire à un moment où on peut risquer de ruiner les producteurs de bonne foi, mais préalablement sur le scénario [...]. On peut veiller ensuite à ce que les indications qui ont été données aux producteurs soient respectées. On n'hésiterait pas à l'interdire si à l'aboutissement du travail, on n'avait pas respecté les précisions données »157(*).

Cependant, il n'est pas particulièrement fervent partisan d'une censure à tout prix, se plaignant même des associations de « défense de famille » qui « réclament énergiquement leur place pour représenter la moralité publique, ce qui n'eût pas pu contribuer à aigrir les conflits »158(*) alors qu'en réalité selon les dires d'Edmond Sée159(*), président de la commission de censure, les offenses à la moralité constituent les motifs d'interdiction les moins habituels, le cinéma français étant en réalité un des plus pudiques.

À la question de la mise en place d'un contrôle autre que la censure, comme en Belgique160(*), Jean Zay est très sceptique sur des mesures de cet ordre, car il considère « comme infiniment difficile de dire quels films, quelles salles conviennent aux enfants, et à quel âge il est souhaitable ou non de leur en permettre l'accès.

En vérité, c'est un domaine où la confiance que l'on est obligé de faire aux parents qui sont responsables est particulièrement justifiée »161(*). Toutefois, malgré son scepticisme concernant les modes de fonctionnement des autres pays, le ministre avait demandé à Marcel Abraham d'enquêter sur ce qui se passe, au point de vue de la censure cinématographique, dans les pays étrangers libéraux tels que la Belgique, l'Amérique, l'Angleterre, etc...162(*)

En revanche, les questionnements les plus sérieux constitués par la censure concernent à l'époque majoritairement les films étrangers. Jean Zay avoue lui-même163(*) que les films russes sont ceux qui posent le plus de problèmes, étant toujours « des oeuvres de grande qualité artistique, mais d'où la propagande soviétique est rarement absente ».

Guerre, Marine et Intérieur y opposent leur véto, tandis que les Affaires étrangères, soucieuses d'éviter les incidents, réclament le visa

D'autres films, évoquant le contexte étranger, sont censurés durant le mandat de Jean Zay à l'Education Nationale et aux Beaux arts comme « les marchands de mort », préfacé par le président Roosevelt164(*), ayant fait en effet l'objet de l'avis défavorable de la commission de la censure, par suite de l'opposition formelle manifestée par le Département de la Guerre.

La censure s'effectue également sur les bandes d'actualités que le ministère de l'Intérieur peut aisément modifier165(*). Bref, si le gouvernement n'applique pas la censure à l'exportation, il n'allège nullement le dispositif général. Ainsi, dans une lettre ouverte à Jean Zay, A-P Harlé crie sa déception « « Front populaire, il m'est pénible de constater que les plus gros attentats commis contre la liberté de penser aient été l'oeuvre de tes amis »166(*)

Si le gouvernement ne peut appliquer le visa « d'exportation », c'est pour diverses raisons comme notamment les pressions de l'industrie hollywoodienne, menaçant de quitter la France.

* 142 Les films américains représentent quasiment la moitié des oeuvres projetées sur les écrans français, toute nationalité confondue.

* 143 Tiré de l'article « la censure est une catastrophe » par Maurice M Bessy dans la rubrique Libres propos de la cinématographie française du 4 mars 1938.

* 144 Voir à ce sujet MAAREK P-J., La censure cinématographique, Librairies Techniques, Paris, 1982,

* 145 44 membres au lieu de 22, commission de contrôle qui, à la base, était créé depuis 1928 par Edouard Herriot alors ministre de l'Instruction publique du gouvernement Pointcaré. Leglise P., op cit, p 278.

* 146 Déclaration à Pour vous, n° 234, 11 mai 1933

* 147 Celui-ci fut président du Conseil et ministre de l'Intérieur du 24 janvier au 4 juin 1936.

* 148 Note Carton 312 AP 3

* 149 Cette même note critique ouvertement un arrêté en date du 26 mai sur le contrôle des films d'actualité

* 150 Jean Zay expliquant le fonctionnement de la commission devant le groupe Renaitour, Où va le cinéma français, p 128.

* 151 Zay J., Souvenirs et Solitude, p 205.

* 152 Extrait de l'article premier du décret de la règlementation du contrôle cinématographique, journal officiel du 8 mai 136.

* 153 Zay J., Ibid, p 205.

* 154 Notre trouvé dans carton AN 312 AP 3

* 155 Carton 312 AP 3

* 156 Où va le cinéma français, p 129

* 157 Ibid., p 129

* 158 Zay J. Souvenirs et solitude, p 205.

* 159 Interrogé par Jean Zay lui-même, ibid.

* 160 Dans ce pays, point de censure, mais l'accès des salles de cinématographe est réglementé et certaines salles sont interdites aux enfants au-dessous d'un certain âge.

* 161 Où va le cinéma français, p130

* 162 Note Carton 312 AP 3

* 163 Souvenirs et solitude p 206.

* 164 Une plainte des J.E.U.N.E.S a été déposée à ce titre au secrétariat des Beaux arts, note carton 312 AP 3.

* 165 Voir en annexe, le décret concernant les films documentaires d'actualité datant du 26 mai 1936.

* 166 Cinématographier Française du 12 février 1937.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery