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La Coopération Multilatérale et la Question de l'Eau au Bassin du Nil

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par Christine A. ISKANDAR BOCTOR
Institut d'Etudes Politiques de Paris (IEP) - DEA (Master) en Relations internationales 2002
  

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B. Les défis externes

Si nous disons que l'idée de la guerre de l'eau était la conséquence normale des défis internes, voire l'instabilité politique et la croissance démographique. Nous pouvons dire que les défis externes ont poussé les pays riverains vers un aspect plus paisible, celui de la coopération. C'est-à-dire les diplomaties des riverains demeuraient balancer entre les deux extrêmes, guerre et paix, mais selon leurs intérêts communs ils ont suivi la diplomatie coopérative.

a) L'Afrique comme cible, après la fin de la Guerre froide, entre les Etats-Unis et la France

Chacun connaît les paradoxes des relations franco-américaines. Il y a un peu de moins de trente ans, le Général De GAULLE se heurtait aux Etats-unis sur beaucoup de fronts : mise en cause de la « double hégémonie154(*) », formule par laquelle il paraissait presque établir une symétrie entre l'Union soviétique et les Etats-Unis, critique de la politique américaine au Vietnam, et prises de positions fermes sur le conflit israélo-arabe. Les buts de la France, en Afrique sont le soutien à la construction de l'Etat de droit et à la poursuite de la démocratisation. Au terme d'un survol des différentes facettes de la politique africaine de la France, l'impression dominante est celle de l'absence de marques et de références précises. Certes, le maintien d'une présence française en Afrique est réaffirmé avec force mais le ton et les attendus sont différents suivant les responsables politiques.

Aujourd'hui dans la politique africaine de la France, la raison en tient moins à sa complexité qu'à la confusion des buts et à l'absence de projet qui la sous-tendent. La sobriété et la vacuité de la formule ministérielle, citée par Jacques GODFRAIN, Ministre français de la Coopération, " soyons prudents et modestes155(*)" résume bien la vision et la situation. La coopération française en Afrique n'a jamais été définie pour l'essentiel par les termes de la Guerre froide mais par ses intérêts nationaux : son but a toujours été d'empêcher Américains et Soviétiques de prendre pied dans sa zone d'influence « l'Afrique de l'Ouest ». La présidence de Valery Giscard D'ESTAING avait été celle d'une ouverture vers les anciennes colonies belges, notamment Zaïre et Rwanda, la France de François MITTERRAND a, quant à elle, pris pied sur l'ensemble du continent en étendant le champ d'intervention du Ministère de la Coopération à des pays lusophones et anglophones156(*).

Depuis que, en 1989, l'Union soviétique de Gorbatchev a commencé un mouvement significatif de désengagement militaire du continent africain, la France, se trouve être, dans cette région du monde, la puissance extérieure qui exerce la plus grande influence militaire. Aujourd'hui, l'Afrique est moins vulnérable aux effets de la rivalité Est-Ouest, et se trouve ainsi plus libre de faire évoluer ses systèmes politiques. A l'occasion de la 16ème Conférence des chefs d'Etat de France et d'Afrique qui s'est tenue à la Baule du 19 au 21 juin 1990, François MITTERRAND a précisé les grandes lignes de la doctrine française : « Chaque fois qu'une menace extérieure poindra qui pourrait attenter à votre indépendance, la France sera présente à vos côtés. Elle l'a déjà démontré plusieurs fois et parfois dans des circonstances très difficiles. Mais notre rôle à nous, pays étranger, fut-il ami, n'est pas d'intervenir dans des conflits intérieurs157(*) ». Dans ce cas-là, la France en accord avec les dirigeants, veillera à protéger ses concitoyens, ses ressortissants ; mais elle n'entend pas arbitrer les conflits.

Jusqu'à la chute du mur de Berlin, la France, en y jouant le rôle de « gendarme », a maintenu son influence tutélaire en Afrique francophone. Dès l'après-Guerre froide, cette sous-traitance géopolitique a pris fin. Des tueries génocidaires en Afrique centrale ayant heurté la conscience universelle, la communauté internationale a collectivement assumé, après une brève rivalité franco-américaine, la responsabilité de mettre à niveau le continent du sous-développement. La « guerre de succession » dans l'ex-Zaïre, l'emprise sur les matières premières du continent, les concurrences commerciales dans le domaine des télécommunications, les stratégies pétrolières conflictuelles, les positons politiques des « anciens » et des « modernes » élites, leurs « agendas cachés », voilà le terrain africain de la rivalité franco-américaine.

Les nouveaux leaders158(*) d'Afrique australe et orientale, bien qu'attachés à prendre leur destin en main, se tournent naturellement vers les Etats-Unis, poussés autant par leur appartenance à un espace anglophone que par les erreurs de la diplomatie française. La politique africaine de la France évolue, c'est bien parce que les temps ont changé. L'environnement international a connu en quelques années d'importantes mutations. La fin de la Guerre froide a balayé l'argument d'une présence française ayant pour objet de contrer l'influence soviétique, remettant par-là même en question sa fonction de « sous-traitance géopolitique159(*) » et son corollaire, la notion de « classe gardée ». Autre évolution majeure, l'accélération de la mondialisation et la recherche de nouveaux marchés sur d'autres continents tendent de plus en plus à détourner la France de l'Afrique, la construction européenne conduit à un renforcement de la coopération Europe-Afrique au détriment, à terme, du maintien de relations étroites sur le plan bilatéral.

Il est vrai qu'après des décennies de complémentarité au temps de la confrontation Est-Ouest, lorsque Washington reconnaissait à Paris la faculté d'être le « gendarme de l'Afrique », la France et les Etats-Unis se trouvent maintenant plutôt en situation de concurrence. A la Guerre froide a succédé la « paix froide ». Non seulement les divergences franco-américaines se manifestent quant à leurs politiques régionales, mais chaque part de marché fait désormais l'objet d'une sévère compétition. Les propos de l'ancien Secrétaire d'Etat, Warren CHRISTOPHER, lors de sa tournée en Afrique en octobre 1996, ont le mérite de la clarté : « Le temps est révolu où l'Afrique pouvait être découpée en zones d'influence, où des puissances extérieures considéraient des groupes de pays comme leur domaine réservé160(*) ». Il convient toutefois de noter la « passion subit » pour l'Afrique subsaharienne concomitante au voyage africain du président Clinton au printemps 1996. En raison de ses opportunités commerciales, l'Afrique pourrait devenir une région-cible de la « diplomatie du négoce », nouvel axe majeur de la politique étrangère américaine. Et les meilleures armes idéologiques dont dispose cette "diplomatie du négoce" pour promouvoir les exportations sont les programmes audiovisuels (cinéma et télévision).

Ce projet, intitulé African Crisis Response Force (ACRF), a été formellement exposé en octobre 1996 lors de la tournée en Afrique du Secrétaire d'État américain Warren CHRISTOPHER. Sa formulation, à laquelle l'administration américaine réfléchissait sous la pression de l'aggravation de la crise burundaise, marquait le point d'aboutissement d'un long travail diplomatique et se substituait au projet français débattu depuis 2-3 ans avec plusieurs pays africains et au sein de l'OUA [ les deux projets incarnent la concurrence franco-américaine ]. L'ACRF reposait à la fois sur un engagement américain ferme et précis (calendrier et budget) et une adhésion de plusieurs pays anglophones de la sous-région (la Tanzanie, l'Ouganda et l'Éthiopie principalement) mais aussi de certains alliés traditionnels de Paris (comme le Mali et le Sénégal).

Au sortir de la Guerre froide, l'Afrique vit une rupture décisive, un changement d'époque sur fond de rivalité franco-américaine. Après la disparition de l'Union soviétique, Washington n'a plus besoin du « gendarme de l'Afrique161(*) ». En acceptant des concessions de pure forme ou de simple circonstance, les fameuses « mesures d'accompagnement », les Etats-Unis et, plus globalement, les institutions internationales (Banque mondiale, Fonds Monétaire International, Nations Unies) ont obtenu gain de cause sur le principe de la « connexion de l'Afrique à l'économie monde ». Les Etats-Unis ne déclenchent pas non plus une « agression », politique ou commerciale, mais tirent simplement profit d'une ambiguïté inhérente à toutes les victoires du « monde libre ».

Nous devons également signaler la rivalité américano-française et le rôle de l'Erythrée dans cette région en plus des conflits prolongés, à l'exemple du problème du Sud du Soudan, du conflit entre les Hutu et les Tutsi à Rwanda162(*). L'administration Clinton a déterminé des pays où la réalité a peu changé par rapport au passé, des gouvernements dotés d'une certaine légitimité, celle par exemple de la lutte à un moment donné comme en Erythrée, en Ouganda et au Rwanda. Entre la France et les Etats-Unis, il s'agit plus d'une bataille pour le positionnement et les concessions, donc la libre concurrence. « Aider les Africains à se débrouiller par eux-mêmes163(*) ».

Face à cette montée en puissance de l'Ouganda, parallèle à la déstabilisation zaïroise et qui laissait découvrir des ouvertures ou des bouleversements décisifs des équilibres régionaux, nous relèverons qu'à la différence des Américains qui surent en tirer profit sans qu'ils puissent dégager a priori une stratégie à long terme, les Français demeuraient crispés sur leurs bases et positions traditionnelles : Rwanda, Burundi et le Zaïre de Mobutu. La France peut trouver auprès du Kenya un pays à la fois plutôt favorable à ses thèses quant à la résolution des conflits dans la région des Grands lacs et largement hostile à la volonté d'hégémonie économique supposée de l'Afrique du Sud164(*).

La nouvelle politique américaine165(*) vise à réaliser deux objectifs : reconstruire la situation régionale au centre de l'Afrique, lutter contre le courant islamique au Soudan. Pour les réaliser, elle a eu recours à deux outils : soutenir les nouvelles élites africaines « Nouveaux Leaders166(*) », présenter le projet pour une grande Corne de l'Afrique qui vise à créer une infrastructure pour l'intérêt des entreprises américaines. Le projet de Clinton de créer la « grande Corne de l'Afrique », avait le but de construire un bloc politico-économique englobant l'Ethiopie, l'Erythrée, la Somalie, le Djibouti, la Tanzanie, le Kenya, l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi, le Sud du Soudan et la RDC. Sa principale force étant d'apparaître comme un gagnant et de ne provoquer que les moyens additifs qui encouragent une politique qui va dans le sens de la modernité politique (Good Governance) selon l'optique américaine.

Bref, la Guerre froide et la polarisation des pays nilotiques entre pro-soviétque et pro-américain étaient l'obstacle principal devant n'importe quelle politique coopérative. Mais, avec la dislocation de l'Union soviétique et l'émergence de la concurrence franco-américaine, le seul chemin était la coopération de tous les riverains au lieu de tomber sous une nouvelle polarisation. L'accord de 1959 incarnait une coopération technique entre deux partenaires et pas une volonté politique de la part des autres riverains. Ce manque était une conclusion normale de la polarisation Est-Ouest qui a partagé les pays nilotiques. Et la disparition de cette polarisation considérait une variable essentielle derrière l'application d'une politique coopérative.

* 154
Jacques ANDREANI, Les relations franco-américaines, Politique étrangère, 60ème année, hiver 1995 / 1996, n° 4, p. 891



* 155
Le Figaro 6 mai 1997



* 156
Roland MARCHA, La France en quête d'une politique africaine ?, Politique étrangère, 60ème année, hiver 1995 / 1996, n° 4, p. 904-906



* 157
Hugo SADA, La France et la sécurité africaine, Afrique 2000, novembre 1990, n° 3, p. 19



* 158
Les Nouveaux Leaders sont les dirigeants des quatre pays : l'Ethiopie, l'Erythrée, l'Ouganda et le Rwanda. Selon Dr Abd El Malek OUDA, il existe un axe américain avec ces pays pour battre le rôle français dans les deux plateaux éthiopien et équatorial des sources du Nil. Dans Abd El Malek OUDA, op. cit., p. 53 (en arabe)



* 159
Philippe MARCHESIN, La politique africaine de la France en transition, Politique africaine, octobre 1998, n° 71, p. 91-106



* 160
André GUICHAOUA, Les " nouvelles " politiques africaines de la France et des États-Unis vis-à-vis de l'Afrique centrale et orientale (" Afrique des Grands Lacs " et République démocratique du Congo - Zaïre), http://www.cean.u-bordeaux.fr/polis/vol4n2/arti2.html (19 novembre 2001)



* 161
Stephen SMITH, Afrique noire : le duel Washington-Paris, Politique internationale, printemps 1994, n° 63, p. 355-367



* 162
" Il y a ici trois grandes catégories d'ambassades : les cyniques, les naïves et celles que l'on pourrait appeler " éthiques ". Parmi les cyniques se trouvent bien entendu la France, la Belgique et les États-Unis. Mais avec ces derniers c'est plus compliqué, car ils sont aussi naïfs et font de la morale " selon Boniface Ngulinzira, ancien ministre rwandais des Affaires Étrangères et de la Coopération, principal négociateur des Accords d'Arusha au nom de l'"opposition démocratique" d'août 1993, assassiné en avril 1994 par la Garde présidentielle.



* 163
Entretien avec Chester A. Crocker, ancien sous-secrétaire aux Affaires africaines dans l'Administration Reagan, Limes : revue française de géopolitique, 1997, n° 3, p. 47-50



* 164
Stephen SMITH, Paris versus Washington, Limes : revue française de géopolitique, 1997, n° 3, p. 53-65



* 165
Hamdy Abd El Rahman HASSAN, L'équilibre régionale aux Grands Lacs et la sécurité hydraulique égyptienne, El Siyassa El Dawlya « la Politique internationale », janvier 1999, n° 135, pp. 22-37 (en arabe)



* 166
Abd El Malek OUDA, op. cit, p. 88-90 (en arabe)



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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway