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Le concept husserlien de "monde vécu intersubjectif " dans la théorie des systèmes de Niklas Luhmann et dans la théorie de l'agir communicationnel de Jà¼rgen Habermas

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par Danny Boisvert
Université Laval - Maitrise en sociologie 2000
  

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3.2 Luhmann versus Habermas

Cette presentation des trois modeles etant realisee, je vais en comparer les elements, en insistant sur les divergences entre le modele luhmannien et le modele habermassien, principalement en ce qui concerne la reappropriation et la depassement du transcendantalisme de Husserl. Cette courte presentation des divergences entre les modeles sera l'occasion d'introduire la polemique entre Luhmann et Habermas dans leurs derniers ouvrages. J'aimerais avant cela rappeler les grandes divergences entre Luhmann et Habermas en ce qui concerne leurs positions theoriques sur l'intersubjectivite du monde vecu, signalees a la fin de la section sur Husserl. J'y mentionnais que Luhmann adopte une position theorique perspectiviste, technique et descriptive (phenomenologique), alors que Habermas concoit le monde vecu intersubjectif d'un point de vue dialectique, critique, normatif, humaniste et pratique. Ces qualificatifs seront explicites dans le cadre de cette comparaison des trois modeles et de la presentation de la polernique entre les deux sociologues.

D'un premier coup d'oeil sur les trois modeles, on remarque les aspects arborescent et differencie que revet le modele du monde vecu selon le systemisme de Luhmann, alors que les modeles sur le monde vecu chez Husserl et chez Habermas sont beaucoup plus integres. Alors que, dans le modele sur le monde vecu selon Luhmann, chaque type de systeme, incluant le systeme psychique, ainsi que chaque dimension du sens, sont differencies et autoreferentiels dans un environnement contingent (dont le monde vecu comme environnement le plus englobant), chaque systeme etant une perspective particuliere sur ce dernier, chez Husserl l'intersubjectivite du monde vecu est integree aux syntheses effectuees dans des vecus de conscience et a l'experience que fait ego d'autrui, et elle est actualisee et intetude dans les trois mondes des situations de coordination d'action par le langage et I'agir communicationnel dans le modele habennassien. De plus, chez Luhmann, les vecus de conscience du systeme psychique ne font pas partie de ce que Husserl nomme les unites

intersubjectives, les systemes de communication des trois types selon Luhmann. Chez Habermas, ces vecus de conscience sont integres a la situation d'action par le biais du monde subjectif des experiences vecues, et sont integres au monde vecu dans les structures de la personnalite.

On constate donc que Luhmann insiste sur la formation de systemes de communication autonomes et differencies qui peuvent subsister a l'absence ou aux alters et venues des systemes psychiques (meme si les systemes interactionnels necessitent la presence d'interlocuteurs, its existent toujours comme interactions passees reactualisables lorsque ceux-ci quittent l'echange corrununicatify En fait, chaque systeme est une chose qui existe comme etant exterieure aux individus, meme si ceux-ci y participent. Selon Luhmann, le transcendantalisme de Husserl, comme celui de Kant, absolutise le pouvoir de synthese du sujet et ignore l'auto-reference et l'autonomie des systemes de communication (leur fonction particuliere, auto-referentielle et auto-reproductrice dans et par la communication). Egalement, selon Luhmann, les theories dialectiques de Hegel et de Habermas, le premier insistant sur l'identite comme negation de la negation et le second sur l'application langagiere de ce principe dialectique et mediateur dans le monde vecu des sujets en action, nient et depassent sans precaution le pouvoir autopoietique de la difference :

« A serious discussion of the relationship of functionalistic systems theory to the tradition of transcendantal theory and dialectics could begin here. The point of departure for all these theoritical variants lies in the theorem of accompanying self-reference (...) Thus the issue revolves around different accounts of simultaneous reference to self and to something else One ends up with transcendentalism when this problem is interpreted as the distinctiveness of consciousness and therefore (!) consciousness is declared to be the « subject » One ends up with dialectics when, given the synchronization of referring to self and to something other. one focuses on the underlying unity (thus, finally, on the identity of the identity and difference and not on the difference between them) (...). We consider transcendental theory to be a false absolutizing of merely one system reference (but at the same time a Rood model for theories of self-reference) and dialectics too risky in assuming an identity (...). Theses distancings from the most important theories that are available in this domain of problems lead to functionalistic systems theory. It maintains that self-referential systems acquire information with the help of the difference between referring to self and to something other (in short, with the help of accompanying self-reference), and that this information makes possible their self-production ». 27

27 Op. cit., LLTHMANN, 1995, p.447-448.

Habermas aussi veut &passer le transcendantalisme husserlien. Par contre, au lieu d'insister sur l'auto-reference et la difference de systemes fonctionnels, it fait prendre aux renvois de la conscience perceptive vers son monde vecu donne d'avance un tournant langagier, pragmatique et culturel, langage et monde vecu sont indissociables:

« Si nous abandonnons maintenant les principes de Ia philosophic de Ia conscience, avec lesquels Husserl traite la problematique du monde vecu, nous pouvons penser le monde vecu comme represents a travers un ensemble de modeles d'interpritation. transmis par Ia culture et organises dans le langage. II n'est plus besoin des tors d'expliciter le propos d'un contexte de renvois, reliant entre eux les elements d'une situation et reliant la situation au monde vecu, dans le cadre d'une phenomenoIogie et_4'une psycholo_gie de Ia perception. On pent, bien au contraire, voir dans les contextes de renvois les connexions de signification qui existent entre une enonciation communicationnelle donne, le contexte immediat et l'horizon de signification qu'elle connote. Les contextes de renvois remontent aux relations. soumises a des regles 2rammaticales, entre elements d'une reserve de savoir orgcmisee par le langage »

28.

Les grandes lignes des depassements du transcendantalisme, de la philosophic de la conscience de Husserl etant presentees, parsons a la comparaison des divergences concernant les theorisations du monde vecu intersubjectif par Luhmann et par Habermas. Nous disions que Luhmann adopte une approche perspectiviste du monde vecu intersubjectif et que Habermas inscrit ce dernier au rein d'un processus dialectique et langagier orients vers la totalite. Selon Luhmann, cotrune nous rayons déjà mentions, chaque systeme social assure sa differenciation d'un environnement social contingent dans lequel it est inscrit, un environnement social immediat, c'est-i-dire les systemes a sa peripherie et les systemes plus larges qui l'incluent, et un environnement global, considers conune etant le monde vecu, le world-society. Le monde vecu petit etre saisi dans sa totalite, mais d'une perspective particuliere auto-referentielle et irreductible a une autre, scion un code ou un schematisme differencie, decentre et auto-reproducteur :

« The relationship between meaning and world can also be described with the concept of decentering. As meaning- the world is accessible everywhere : in every situation, in any detail, at each point on the scale from concrete to abstract. From any starting point one can prKeed to all other possibilities in the world; this is what it means to say that the world is indicated in all meaning. To that state of affairs corresponds an a-centric world concept.

At the same time, the world is more than the mere sum comprehending all possibilities, all meaningful references. It is not just the sum, but the unity of these possibilities. Above all, this means that themigtm_oto
· t,1 for e4__.r_____dif_e__.nEg__g!f difference AKuisgft____its

28 Op. cit., HABERMAS, 1987, 1T, p.137.

own unity as difference. It sublates the differences in all perspectives from individual systems, in that for every system the world is the unity of its own difference between system and environment. Thus in each specific performance the world functions as the `lifeworld' It is simultaneously the momentary absence of doubt, the existence of preconception, the unproblematic background of assumption, and the supporting meta-certainty that the world somehow permits every dissolution and every introduction of distinctions to converge »."

« ...schematisms (le code binaire) (...) 9roduce their materials themselves. They postulates that from their specific angle of vision everything takes on one or the other value. Therefore they require function systems that are closed specifically with respect to them. function systems that scan the entire world for information accordin&to their own schematism and that can afford indifference to all other schematisms ».

Cornme chaque systeme possede un schematisme (un code semantique) particulier differencie des schematismes des autres systemes de communication presents dans son environnement, le sens (meaning), qui constitue les elements de l'environnement incluant les systemes psychiques et les systemes sociaux, se divise en trois dimensions en relations, mais pouvant aussi, comme les schematismes des systemes, manifester une indifference rune envers l'autre. Nous l'avons vu lors de la presentation du modele de l'intersubjectivite du monde vecu dans la theorie systemique de Luhmann, les trois dimensions du sens sont relativement autonomes, comme le montraient les lignes pointillees les separant. Cette caracteristique de la semantique des systemes de communication dans les societes contemporaines complexes a des consequences majeures et constitutives pour l'intersubjectivite du monde vecu, du moms tette qu'envisagee par Luhmann. De son cote, Habermas distingue, au niveau theorique, ce qu'il nomme le monde objectif des etats de chases existants dans la situation d'action, le monde social des normes correspondant a la composante societe du monde vecu qui assure ('integration (la dimension de I'espace social), et le monde subjectif des experiences vecues subjectives correspondant a la composante personnalite du monde vecu qui assure la socialisation (la dimension du temps historique)3`. II les distingue au niveau theorique, mais dans la situation concrete d'action et d'interaction, les trois mondes (le monde objectif, le monde social correspondant a la dimension de l'espace social du monde vecu et le monde subjectif correspondant a la dimension du temps historique du monde vecu) sont toujours vises en bloc par l'agir communicationnel, toujours en vue

:19 Op. cit., LUHMANN, 1995, p.70.

Ibid., p.441.

31 La dimension temporelle chez Luhmann et la dimension du temps historique chez Habermas chez Lubmann, le temps est envisage a partir du present (present's past, present's present et present's future; past present, present

d'une critique langagiere des pretentions a la validite d'un locuteur. Voila une divergence centrale entre les theories de Luhmann et de Habermas : l'autonomie de chaque dimension du sens dans la theorie des systemes et la fusion des trois mondes de la situation d'action chez Habermas. En fait, c'est Ia differenciation et la relative independance de la dimension sociale du sens par rapport aux dimensions factuelle et temporelle, dans Ia theorie de Luhmann, qui distinguent celle-ci de l'importance accord& par Habermas a la rationalite communicationnelle du consensus sur les elements des trois mondes de la situation d'action. Selon Habermas, le consensus dolt s'etablir sur les trois mondes a la fois, c'est-i-dire stir le monde objectif, sur le monde social et is dimension de l'espace social qui y correspond dans le monde vecu, et sur le monde subjectif et la dimension historique et socialisatrice correspondante dans le monde vecu. Scion Luhmann, la difference entre le consensus et le desaccord n'est relative qu'a la dimension sociale du sens, et le fait que cette derniere est constituee d'un double horizon, celui d'dgo et celui d'alter, cornrne la dimension factuelle est constituee d'un horizon interne et d'un horizon externe et la dimension temporelle d'un horizon passe et d'un horizon futur, ce fait interdit d'orienter idealement la theorisation du monde vecu intersubjectif vers le consensus et la raison communicationnelle (ici, Luhmann diverge de Habermas) et empeche de faire reposer l'intersubjectivite du monde vecu sur les prestations synthetisantes d'une conscience egologique transcendantale, donc unique et universelle, cette intersubjectivite etant plutot en realite fragrnentee, interieurement differenciee (cette fois, Luhmann diverge de Husserl) :

« Both the self-referential constitution of society as the social system par excellence and the self-referential constitution of meaning verify that meaning dimensions separate and become relatively independent via an empirical historical process. In particular, increased differentiation means that negations in one dimension do not necessarily imply negations in the others. This increasingly blocks consensual obligations vis-à-vis matters of facts (...).

Then meaning dimensions mediate one another with greater difficulty, and it becomes necessary to think complexity only in the context of being either factual. temporal. or social complexity, with the consequences that strategies for reduction are correspondingly diversified.

(...) In the place of compact assumptions that bind in all dimensions at once. a combinatory consciousrkos, which perhaps can best be characterized as an option-load. seems to be recquired : if someone establishes Something in a factual respect (e.g., invests), then this has not just any consequences in temporal and social r s.

( ..) in view of the option-loads (...), there no longer exists a general formula for what

is good and right, because their starting points vary_ from dimension to dimension and

present et future present); chez Habermas, le temps est envisage dans sa continuite historique (la socialisation, l'histoire effective de l'action chez Gadamer).

consequences for the societal system's structural decisions spill over into the meaningfulness of experience and action in different ways. The system lacks reason ».32

« The consensus/dissent difference thereby become at once more and less important --more important, because it alone articulates the social dimension in an informationally signifiant way, and less important, because it merely articulates the social dimension ».'

La difference consensus I desaccord articule seulement la dimension sociale du sens, et cette derriere, parce qu'elle est un double horizon, un horizon aux perspectives doubles, peut tout aussi bien empecher le consensus et la fusion totale des perspectives qu'elle peut permettre l'interpenetration des systemes, l'accompagnement de la perspective d'eao par la perspective d'alter. L'intersubjectivite du sens n'est jamais garantie au-dela du systeme. Le transcendantalisme du sujet monadique, chez Husserl, est remplace par des perspectives empiriques particulieres :

« ...the social dimension is (...) constituted by a twofold horizon ; it is relevant to the extent that in experience and action it becomes apparent that the interpretive perspectives a system relates to itself are not shared by others. Here as well, the horizonality of ego and alter means that further exploration will have no end. Because a twofold horizon is constitutive of the independence of a meaning dimension. what is social cannot be traced back to the conscious performances of a monadic subject. This has been the downfall of all attempts to establish a theory of the subjective constitution of « intersubjectivity » (...). If what is social in meaning themes is experienced as reference to (possibly distinct) interpretive perspectives then this experience can no longer be attributed to a subject. .(...) the difference is constitutive as a twofold horizon for what, as meaning, is left open ».14

Chez Habermas, par contre, Pechange argumentatif et le consensus sur la validite des intentions et opinions d'un locuteur envers le monde objectif, des maximes et devoirs de ce dernier envers le monde social et normatif, et sur la veracite et l'authenticite de ses souhaits et sentiments comme elements de son monde subjectif, sont des taches a accomplir simultanement:

« Seul le modele conmiunicationnel d'action presuppose le langage connate medium d'intercomprehension non tronque, ou locuteur et auditeur, partant de l'horizon de leur monde vecu interprets, se rapportent a quelgue chose a la fois dans le monde objectif. social et subjectif, afire de negocier des definitions communes de situations ».35

32 Ibid., p.91-92.

33 Ibid., p.89.

34 Ibid., p.81.

Op. cit., HABER1VAS, 1987,1, p.111.

Nous disions que Luhmann refuse d'asseoir sa theorie systemiste sur la constitution monadique du monde vecu intersubjectif. Selon lui, la dimension sociale du sens, qui s'etend evidemment dans chaque systeme de communication, est un double horizon, celui d'ego et celui d'alter, it faut donc l'etudier et la comprendre selon une approche theorique qui permettra de saisir la multiplicite des perspectives sur le monde vecu, irreconciliables au sein d'une subjectivite transcendantale constitutive. Luhmann refuse egalement de parler d'intersubjectivite du monde vecu puisque celle-ci presuppose les performances synthetisantes d'un sujet absolu unique present en chaque sujet ou perspective empirique et rendant alors possible une intersubjectivite universelle. 11 prefere concevoir les interrelations entre perspectives (entre les systemes psychiques, entre les systemes sociaux) coronae etant des interpenetrations doublement contingentes par lesquelles les systemes communiquent entre eux (les systemes psychiques ou sociaux), se rendent disponibles reciproquement leurs schematisnaes binaires respectifs (leurs perspectives particulieres sur le monde) tout en les preservant et les reproduisant comme differences face a l'environnement, et pouvant aussi permettre la formation, la structuration d'un nouveau systeme (Ia fusion des horizons), sans que cet evenement soit necessaire :

« The concept of interpenetration answers the question of how double contingency can be possible. It avoids reference to the nature of human beings, recourse to the (supposedly foundational) subjectivity of consciousness, or formulating the problem as « intersubjectivity » (which presupposes subjects). The question is rather What must be given in reality so that an experience of double contingency and with it a construction of social systems can emerge with sufficient frequency and density? The answer is interpenetration D. 36

Si, dans cette derriere citation, Luhmann rejette l'intersubjectivite du monde vecu rendue possible par les prestations d'une conscience transcendantale presente en chaque conscience empirique, et s'en remet plutot a l'interpenetration contingente entre deux perspectives, entre deux systemes, Habermas ne semble pas comprendre la theorie des systemes sociaux comme la coneoit son auteur et accuse tout de meme le systemisme de Luhmann de rester prisonnier de Ia philosophie de la conscience, celle partant de Descartes, Kant, Fichte et Schelling, passant par Hegel jusqu'a Husserl. Selon Habermas, Luhmann remplace la relation de la conscience au monde des choses par celle entre chaque systeme et l'environnement, des relations systeme / environnement aussi nombreuses que le nornbre de

36 Op. cit.. LUHMA.NN, 1995, p. 216.

systeme existant a un certain moment. La reproduction de la philosophic orientee vers la conscience monologique faisant ['experience du monde et agissant teleologiquement dans celui-ci, la reproduction de cette philosophie non dialogique en une theorie du systeme autoreferentiel ne permet pas, selon Habermas, d'expliquer et de permettre la constitution langagiere valid& d'un monde vecu intersubjectif partage par des sujets agissants certes differents, mais dont les horizons doivent en venir a fusionner suite a un processus dialectique concretise clans l'echange langagier, dans la discussion critique orient& vers l'objectif d'une entente la plus large possible, idealement universelle. Le concept d' interpenetration, qui selon Luhmann explique comment deux systemes s'offrent mutuellement leurs schematismes du monde vecu et de l'environnement pour une interpretation dans le schematisme de l'autre, ne permet seulement, selon Habermas, qu'une relation externe et contingente entre deux systemes (psychiques ou sociaux) se considerant comme environnement run pour l'autre et qui n'en viennent pas a partager veritablement tin monde vecu commun et identique dont la reproduction culturelle, ['integration sociale et la socialisation de ses membres seraient rendues possibies, validees et reguldes par leur soumission a une critique argumentative assurant l'emancipation face a toute forme de domination ideologique. Selon Habermas, Luhmann reduit le langage a une simple manifestation exterieure d'un schematisme assurant l'identite ferrnee sur soi d'un systeme, un langage ayant perdu sa principale fonction, celle d'etablir des consensus et des identites de perspectives entre des sujets en action dans le monde, et ne servant plus qu'a l'auto-reproduction du systeme :

« Sans nul doute, les modeles, utilises en psychologie et en sociologie, de l'acteur solitaire, stimuli par excitation ou agissant conformement a un plan clans une situation donne, gagne en profondeur a etre rattaches aux analyses phenomenologiques du monde vecu et de la situation d'action. C'est la le point de depart, a son tour, pour une theorie des systemes informee par la phinomenologie. Du reste, on peut voir la avec quelle agilite la theorie des systemes reprend ['heritage de Ia philosophic de la conscience. Si l'on interprete Ia situation du sujet agissant comme l'environnement du systeme de la personnalite, on peut integrer sans rupture les resultats de ['analyse phenomenologique du monde veal dans une theorie des systemes. du type de celle de Luhmann. Cela offi-e mime l'avantage qu'on peut laisser de cote le probleme sur level Husserl avait ochoue clans ses Medications cartesiemtes: je pane de la generation monadologique de l'intersubjectivite du monde vecu. Ce probleme n'emerge plus du tout des lors que les relations sujet-objet sont remplacees par les relations entre le systeme et l'environnement. Dans cette representation, les systemes de la personnalite torment I'un pour l'autre un environnentent, exactement comme a un autre niveau les systemes de Ia personnalite et de la societe. Le probleme de l'intersubjectivite disparait alors. comme donc la question de savoir comment des sujets diffirents peuvent partager le mime monde vecu; elle disparait au

profit du probleme de l'interpenetration, et notanunent de la question : comment des genres determines de systemes peuvent-ils former des environnements accordes les uns aux autres et a certaines conditions contingents les uns pour les autres ».37

Habennas reproche a Luhmann d'orienter unilateralement sa theorie perspectiviste de l'intersubjectivite du monde vecu vers la contingence des interpenetrations entre systemes qui ne sont que des convergences partielles ou des raises en parallele de perspectives sans connexions internes validees par les sujets capables de parter et d'argumenter. Les structures de monde vecu intersubjectif, soit la culture, la societe et la personnalite, se fractionnent et isolent les individus et les groupes identitaires. L'agir instrumental devient le modele pour des systemes psychiques et sociaux s'influencant l'un et l'autre, creant des interrelations purement exterieures :

« An intersubjectivity of mutual understanding among agents that is achieved via expressions with identical meanings and criticizable validity claims would be too strong, a tie between psychic and social systems as well as between different psychic systems. Systems can only contingently influence one another from outside; their interaction lacks any internal regulation. This is why Luhmann has first of all to cut language and communicative action down to so small a size that the internal intermeshing of cultural reproduction. social integration, and socialization disappear from view ».33

« Niklas Luhmann simply presupposes that the structures of intersubjectivitv

have collapsed and that individuals have become disengaged from their lifeworlds --

that personal and social systems form environments for each other ».39

Cet eclatement des structures du monde vecu, considers par Luhmann comme n'etant que la consequence contemporaine d'un lone processus de complexification et de differenciation de la sooiete en plusieurs systemes et sous-systemes fonctionnels, est envisage par Habermas comme etant la colonisation du monde vecu des sujets par les imperatifs du systeme, une colonisation rendue possible paradoxalement par un processus de rationalisation et de mise en langage du monde vecu qui fut d'abord la manifestation structurelle de l'emancipation par les Lumieres, mais qui permit progressivement (comme un effet secondaire) l'autonomisation de systemes et de mediums auto-regulateurs (des mediums comme l'argent et le pouvoir) repoussant a leurs marges un monde vecu traverse par leurs

37 Op. cit., HABERMAS, 1987, II, p.142-143.

38 Op. cit., HABERMAS, 1987, p.379.

39 Ibid., p.353.

imperatifs et leers mecanisrnes. Les dimensions de l'espace social et du temps historique se fractionnent, l'histoire effective de l'action, dirait Gadamer, se laisse traverser par des discontinuites. Habermas reproche a Luhmann d'ignorer les consequences pathologiques de cette disjonction excessive, rnais a l'origine necessaire, entre systeme et monde vecu, de cette objectivation de la societe en realite organisationnelle qui, aux yeux de Luhmann, se presente comme la differenciation fonctionnelle de la societe devenue un monde vecu complexe, contingent et a-centrique schematise par des systemes auto-referentiels accordant autant d' importance, sinon plus, a leur environnement Munediat qu'au monde vecu, qu'a la societe. Comme le modele sur l'intersubjectivite du monde vecu telle que percue par Luhmann le rappelait, les systemes interactionnels, organisationnels et societal se sont differencies l'un de l'autre, au point de faire du world-society, du lifeworld, un environnement societal complexe et contingent schematise ou codifie par des systemes (un environnement societal etant moins que la somme de ses parties). Selon Habermas, telle que comprise par le fonctionnalisme systemique, la societe ne devient qu'une trame de fond pour les perspectives organisationnelles, devenues quasiment les seules mediatrices entre les sujets en interaction et le monde vecu de plus en plus &late. Pour Luhmann, critique Habermas, it n'y a pas de disjonction excessive et colonisatrice entre systeme et monde vecu, puisque pour lui le systeme et le monde vecu sont la meme chose, le monde vecu est un environnement complexe et global de systemes :

« N. Luhmann distingue trois niveaux d'integration ou plans de differenciation : le plan des interactions simples entre acteurs presents; celui des organisations qui se constituent grace aux affiliations disponibles; et, ftnalement, celui de la societe en general, qui comprend mutes les interactions qu'il est possible d'atteindre dans les espaces sociaux et les temps historiques, c'est-i-dire les interactions potentiellement accessibles. Des interactions simples, une organisation devenue autonome, cormectee grace a des mediums, et la societe constituent une hierarchie de systemes d'actions enchevetres, qui se deploie progressivement au cours de l'histoire -- hierarchie qui Arend la place du « systeme d'action general o de Parsons. Il est interessant que Luhmann reagisse ainsi an phinomene de disjonction entre s_ysteme et monde vecu en prenant le point de vue du monde vecu lui-meme; les connexions du systeme, condensees, dans les societes moderns, en realize organisationnelle, apparaissem comme un decoupage objective de la societe, assimilde a la nature exterieure, et qui s'insinue entre chaque situation d'action et l'horizon de leur monde vecu. Luhmann hvpostasie ainsi en « societe o le monde vecu relegue derriere des sous-systemes regules par des mediums: ce monde vecu ne se rattache plus immediatement a des situations d'actions, it ne forme plus que l'arriere-plan _pour des systemes d'actions organises ».

40 Op. cit., HABERMAS, 1987, II, p.169.

« ...for Luhmann the lifeworid now has already lost all signiflance in the functionally differentiated societies of the modern world. What disappears from both perspectives is the mutual interpenetration and opposition of system and lifeworid imperatives. which explains the double-front character of societal modernization ».'

Pour contrer cet a-centrisme du monde vecu, que Habermas se dolt bien de constater lui aussi, ce dernier propose la projection d'un centre (un « point zero 0) autour duquel les horizons des differentes perspectives sur le monde vecu pourraient fusionner, disons la projection d'un centre autour duquel des sujets avec leur propre monde vecu culture!, social et personnel pourraient s'entendre dans des discussions sans violence et sans domination ideologique sur des definitions de situations et sur la coordination de plans d'actions, ceci par la critique des pretentions a la validite elevees par chaque locuteur et sous !Instance d'une ethique communicationnelle, celle de l'agir communicationnel. Contre le multiperspectivisme des systemes et sous-systemes sociaux et des systemes psychiques sur lequel Luhmann assoit son fonctionnalisme, Habermas dresse son modele critique de l'agir communicationnel a l'oeuvre a l'interieur de spheres publiques ouvertes a la discussion et orientees vers l'ideal du plus large consensus possible. L'idee de « fusion des horizons » travers le langage est empruntee a Gadamer. Par contre, comme je l'ai déjà mentionne, Habermas est conscient du sporadisme et de la froglike de cette projection poly-centrique de la totalite du monde vecu par des acteurs sociaux aux interets et aux vecus socio-culturels differents :

« The unity of modern societies always presents itself differently from the perspectives of their different subsystems. (...) there can no longer be any central perspective of a self-consciousness proper to a social system as a whole. But if modern societies have no possibility whatsoever of shaping a rational identity, then we are without any point of reference for a critique of modernity ».42

« The legacy of Husserlian apriorism may mean a burden for various versions of social phenomenology; but the communications-theoretic concept of the lifeworld has been freed from the mortgages of transcendental philosophy. If one is to take the basic fact of linguistic socialization into account, one will be hard put to do without this notion. Participants in interaction cannot carry out speech acts that are effective for coordination unless they impute to everyone involved an intersubjectively shared lifeworid that is angled toward the situation of discourse and anchored in bodily centers. For those acting in the first person singular or plural with an orientation to mutual understanding, each lifeworid constitutes a totality of meaning relations and referential connections with a zero point in the coordinate system shaped by historical time, social space, and semantic field. Moreover, the different lifeworlds that collide

41 Op. cit., HABERMAS, 1987, p.355.

42 Ibid., p374.

with one another do not stand nest to each other without any mutual understanding As totalities, they follow the pull of their claims to universality and work out their differences until their horizons of understanding « fuse » with one another, asGadamer puts it Consequently, even modern, largely decentered societies maintain in their everyday communicative action a virtual center of self-understanding, from which even functionally specified systems of action remain within intuitive reach (...). This center is, of course, a projection, but it is an effective one. The polycemric projections of the totality -- which anticipate. outdo, and incorporate one another -- generate competing centers. Even collective identities dance back and forth in the flux of interpretations, and are actually more suited to the image of a fragile network than to that of a stable center of self-reflection ».43

Nous disions que la theorie des systemes adopte tine approche perspectiviste du monde vecu, et qu'on peut qualifier l'approche de Habermas comme etant dialectique et critique, c'est-i-dire orientee vers le depassement de la finitude des horizons socio-culturels et historiques propres a chaque sujet, propres a chaque acteur social, vers !Ideal d'un horizon universe! dont l'intercomprehension et 11 integration sociale de ses membres et la continuite historique ne seraient pas biaisees ideologiquement, et dont les connexions systemiques aux domaines d'actions autonomes economiques et politiques ne creeraient pas de pathologies sociales, assurant ainsi requilibre entre !Integration systemique et !'integration sociale de la societe. Le perspectivisme du systemisme de Luhmann va de pair avec ce qu'on pourrait appeler son caractere technique et descriptif, et ce perspectivisme techniciste peut aussi s'inscrire dans une opposition theorique avec l'humanisme et l'orientation normative et pratique de la pensee de Habermas. La comprehension des societes moderns dans leur totalite et par le biais des possibilites de consensus qu'offre le centrisme des spheres publiques et de l'ethique communicationnelle, c'est la comprehension des societes moderns partagees par une humanite unique capable de prendre distance face a la multiplicite et a la finitude de ses perspectives sur un monde vecu unique, une humanite capable de se dormer des normes d'actions universelles. On retrouve ici des idees proches de celles de Husserl et de l'universalite de son transcendantalisme. Par contre, selon Habermas, en rejetant les systemes psychiques hors des systemes sociaux, faisant d'eux ainsi des environnements Pun pour l'autre, et en orientant sa theorie sur l'auto-reference des systemes, Luhmann neutralise les structures du monde vecu et le deshumanise, it fait eclater les connexions internes entre personnalite, societe et culture au profit d'une technicisation du monde vecu permettant !'observation et la description des actions et des experiences des systemes dans leur

environnement, independanunent de la validation langagiere et critique de ces dernieres par l'agir communicationnel_ Cette technicisation du monde vecu, qui abstrait les systemes de ce dernier, s'oppose a une auto-comprehension de soi elargie a l'interieur mime de la pratique communicationnelle dans le monde vecu. La techne et la phronesis aristoteliciennes, stir lesquelles Gadamer insiste dans son hermeneutique philosophique, sont reproduites dans cette opposition entre Luhmann et Habermas. Habermas nous (lit:

« ...a « concern for humanity » that also cannot manage without this concretism of the whole and his parts; I am talking about the « concern » to conceptualize modem society in such a way that possibility of distantiating itself from itself as a whole and of working out its perceptions of crisis within the higher-level communication process of the public sphere is not already negatively prejudiced by the choice of basic concepts. Naturally, the construct of a public sphere that could fulfill this function has no place once communicative action and the intersubjectively shared lifeworkd slip between system types that, as in the case of the psychic and the social sytems, constitutes environments for one another and have only external relationships to one another )).44

0 Avec les nouvelles organisations, des points de vue systemiques prennent forme : partir d'eux, le monde vecu est percu a distance, comme element d'un monde ambiant quelconque du systeme. Les organisations acquierent une autonomic en operant une delimitation contre les structures du monde vecu. delimitation qui neutralise ces dernieres, les organisations deviennent ainsi indifferences par definition envers la culture la societe et la personnalite. Luhmann decrit ces effets comme une « dishumanisation de la societe ». La realite sociale semble globalement se reduire a une realite organisationnelle objectivies debarrassee d'obligations normatives. En fait, « deshumanisation » signifie seulement la dissociation_ rendue vossible grace aux mediums regulateurs, entre domains de l'action formeliement organises et monde vecu, elle ne signifie pas seulement une depersonalisation, au seas d'une separation entre systernes d'actions organises et structures de la persormalite; bien au contraire, on peut montrer une neutralisation analogue dans les deux autres composantes du monde vecu ».45

« Luhmann panic (...) d'une technicisation du monde vecu : it veut signifier par-la « qu'on evacue les processus d'experience et d'action producteurs de sens, hors de la reprise, de la formulation et de ('explication communicationnelle de tous les traits de sens impliques dans le contexte du monde vecu de Faction orientee vers l'intercomprehension... >> >>.46

L'anti-humanisme de Luhmann s'objecte contre cette tendance constante de la tradition humaniste a faire de l'individu un element constitutif et dependant de la societe. Selon Luhmann, le degre eleve de differenciation des societes modems ne permet plus de subsumer le sujet dans l'ordre social normatif :

44 Ibid., p.378.

45 Op. cit., HABERMAS, 1987, II., p.338-339.

46 Ibid., p.289.

« The theme of human beings and their relationship to social order has a long tradition (...). This tradition continues to live on in « humanistic » concepts of norms and values. Because we want to dissociate ourselves from this, we must determine exactly where we break away from it. If a tradition incapable of continuing -- and we believe this happens wherever there is a radical change in social structure -- one must clarify difference to find possibilities of translation.

The point of difference is that for the humanistic tradition human beings stand within the social order and not outside it. The human being counts as a _permanent part of the social order, as an element of society itself Human beings were called « individuals » because they were the ultimate, indivisible elements of society. It was impossible to conceive the soul and the body separate and then to dismantle them further. Such a dissolution would have destroyed what the human being was in and for society. Accordingly, the human being not only was view as dependent on social order (which no one will dispute), but was also interpreted as bound to a conduct of life within society. The form of human existence could be realized only within society. (...) Human perfection was thus designed for social realization... ».47

Considerer le sujet comme etant exterieur a la societe, comme etant un systeme psychique dans l'environnement des systemes sociaux, c'est ne reconnoitre de commun aux deux types de systemes que leur caractere auto-referentiel, c'est egalement faire de la communication une option, une selection d'information et d'expression (un acte locutoire et un acte illocutoire dirait Habermas) darts un horizon de significations (dans un environnement) toujours en vue d'une auto-reproduction. La possibilite d'une entente langagiere entre sujets, constitutive d'un « vivre ensemble », est remplacee par Luhmann par un environnement contingent de systemes psychiques et sociaux auto-referentiels, un monde vecu dans lequel regne ['auto-reference de systemes de sens interpretant le monde selon un schematisme propre a chaque systeme. Selon Luhmann, porter d'une subjectivite transcendantale constituant le sens d'un monde vecu intersubjectif n'est pas approprie. Mettle que Luhmann propose de rejeter la « terminologie du sujet » et de parler plutOt de systemes de sens auto-referentiels. Selon lui, designer un systeme psychique ou un systeme social par ['expression « sujet » ou « intersubjectivite », puler d'une « subjectivite transcendantale » constituant le monde vecu et ses objets, ce n'est en fait que porter chaque fois des selections d'informations et des interpenetrations (dans la communication) realisees par des systemes psychiques ou sociaux au tours d'une duree de vie et sur le base de schematisations autoreferentielles (d'interpretations) de l'environnement, des interpenetrations se succedant dans le temps, s'accumulant et finissant par se sedimenter en structures relativement stables qu'on nomme « sujet » (ou « intersubjectivite », « unite intersubjective »). Selon Husserl, la

47 Op. cit., LUHMANN, 1995, p.210-211.

conscience phenomenologique est le sujet du monde vecu, mais chez Luhmann, cette conscience egologique et synthetisante perd sa substantialite et sa primordialite fondationnelle et les systemes de communication, tout autant que les systemes psychiques, sont considdres comme schematisations auto-referentielles d'im monde lui aussi auto-referentiel (l'isomorphie entre le langage et le monde, chez le premier Wittgenstein):

« ...the insight that psychic systems are also self-referential systems is maintained (...). If one accepts this, then one has already rejected the premises that consciousness is the subject of the world. The duplication of empirical / transcendental facts of consciousness becomes superfluous. If one wishes to retain a « subjg_ct » terminology, one can still say - a consciousness is the subject of the world. alongside which there are other kinds of subjects, above all social systems. Or that psychic and social systems are the subjects of the world. Or that meaningful self-reference is the subject of the world. Or that the world is a correlate of meaning. In every case, such assertions burst open the clear Cartesian difference between subject and object. It is superfluous to try to understand the concept of the subject from the viewpoint of this difference (...). The self-referential-subject and the self-referential-object are conceived isomorphically (...). And isn't the concept of self-reference, then. all that is needed? »48-

« ...the subject is « subject » (...) only for the biographically unique constellation of designations and realizations that binary schematisms have held open. It owes its possibility to this feature, not to itself. If one accepts this, one can see that subjectivity is nothing more than the formulation for a result of interpenetration. Uniqueness and fundamentality are not figures for grounding a history, but rather its end products, emissions and cristallizations of interpenetration that are then to be reintroduced into interpenetration ».49

Bien stir, Habermas s'insurge contre cette insistance de Luhmann stir l'auto-reference et l'auto-reproduction de systemes de sens et y voit une reappropriation de la philosophie du sujet monologique ne tenant pas compte du caractere langagier, oriente vers l'entente, d'un monde vecu intersubjectif partage en totalite par des sujets parlant et agissant. Meme si Luhmann dit rejeter la o terminologie du sujet », Habermas identifie chez lui uric emphase sur la relation du sujet au monde, du systeme a l'environnement, qui isole le sujet de l'intersubjectivite langagiore et communicationnelle, c'est-i-dire consensuelle, orientee idealement vers l'entente universelle, cette demiere etant l'aiguillon de la raison immanente chaque acte de discours. Nous en avons doja parle longuement. II y voit egalement, et c'est la-dessus que j'aimerais maintenant insister, l'accompagnement d'une philosophie du sujet par un perspectivisme radical se basant sur la critique nietzcheenne de la Raison. Tout au long du memoire, nous avons insiste sur le perspectivisme de la theorie des systemes de

Luhmann, et selon Habermas, ce perspectivisme est emprunte a la philosophie de la vie de Nietzsche. A la rationalite communicationnelle inscrite au coeur des actes de discours de sujets souhaitant s'entendre sur la coordination de plans d'actions dans un monde vecu commun, Luhmann substitue la schematisation auto-referentielle et auto-reproductrice du monde par des systemes fonctionnels et reprend ainsi a son compte les idees de Nietzsche sur le perspectivisme radical et fictionnelle d'une conscience qu'on nomme ainsi qu'en tant que volonte de puissance devant communiquer pour s'auto-reproduire :

« On the one hand, Luhmann's version of systems functionalism takes up the heritage of the philosophy of the subject: it replaces the self-relating subject with a self-relating system_ On the other band, it radicalizes Nietzsche's critique of reason by withdrawing any kind of claim to reason along with the relationship to the totality of the lifeworld

« The fiction-creating productivity of a life-enhancing self-maintenance by subjects, for which the difference between truth and illusion has lost his meaning, is reconceptualized as the self-maintenance of a system that makes use of a meaning, a self-maintenance that masters the complexity of the environment and increase its own complexity ».51

The difference from the environment maintained by the system itself is treated as ultimate. Reason as specified in relation to being, thought, or proposition is replaced by the self-enhancing self-maintenance of the system ».52

Lorsque Luhmann nous dit que les systemes sociaux s'auto-reproduisent dans la communication, ce sont aussi les systemes psychiques qui s'y reproduisent inevitablement. La schematisation du monde vecu (et de ses systemes) par la conscience presentee par Luhmann comme systeme psychique, et la necessite de communiquer, manifestee par la formation de systemes sociaux autopoietiques sans rationalite communicationnelle interne necessaire, ceci pour assurer la continuite du systeme psychique (et, par consequent, des systemes de communication auxquels it participe), voila ce qui chez Nietzsche est interprets comme etant la production de fictions regulatrices du monde des phenomenes par une conscience qui ne se cristallise en conscience que par l'accumulation des communications necessaires a la survie et auxquelles elle participe, par une conscience qui est en fait, a sa

Op. cit., HABERMAS, 1987, p.353-354.

51 Ibid., p421.

52 Ibid., p.372.

source, une force vitale infiniment personnelle et unilateralement perspectiviste, precedant ce qu'on nomme la conscience, qui est sans rationalite interne, qui interprete authentiquement la multiplicite des phinomenes du monde, ce maelstrom de sensations dans lequel un ordre fictionnel est cree. Voici, pour terminer, quelques extraits des ouvrages de Nietzsche imitates Le gai savoir et La volonte de puissance, des extraits dans lesquels des convergences entre les pensees de Nietzsche et de Luhmann peuvent etre identifides:

« Le probkme de la conscience (ou plus exactement : du fait de devenir conscient) ne se presente a nous que lorsque nous commencons a comprendre en quelle mesure nous pourrions nous passer de la conscience (...). A quoi bon la conscience si, pour tout ce qui est tssentiel, elle est superflue? Si Fen veut been ecouter ma reponse A cent question et les hypotheses, peut-etre vccessives_ sur lesquelles elle repose, je dials que Is finesse et la force de la conscience me peraissent toetours Firs en rapport avec la factthe de communication d'un homme (...), et cette faculte elle-memo fonction de Ia nicessue de communiquer (...). Si cette observation est juste. je pant eller plus loin et supposer que /a conscience ne s 'est developpee que sous la pression du besoin de communiquer, que, de prime abord, elle ne fit necessaire et utile quo dans les rapports d'homme a homme (...) et qu'elle ne s'est developoee au'en fonction de son degre d'utilito. La conscience n'est en somme qu'un reseau de communication d'homme a homme, ce n'est que comme telle qu'elle a ete forcee de se ciavetopper C..). (...) l'homme. comme tout etre vivant, pense sans cesse mais ne to sait pas: la pensee qui devient consciente n'en est que la plus petite panic (...) c'est cettepenste consciente seulement aui s'effeaue en paroles, c'est-a-dire en signs de communication, par quoi l'origine memo de la conscience Se revile_ En un mot- le developpement du langage et to developpement de la conscience (non de la raison, mais seulement de la raison qui devient consciente d'elle-mime) se dormers' Ia main. (...) Mon idde est, on le volt, que la conscience ne fait pas proprement panic de l'existence individuelle de l'homme, mais plutat de ce qui appartient chez lui a la nature de la conunimauto gm, par consequent. la conscience n'est developpee d'une facon subtile que par rapport a son uolite pour la communaute (...). Tons nos actes sont au fond incomparablement personnels, uniques,_ immensement personnels. it n'v a a cola aucun doute: mais des que nous les transcrivons dans la conscience, ils ne le paraisseni plus... Voila le veritable phonomenalisme, le veritable perspectivisme tel Quo je l'entends (...) 0.53

« 11 n'y a ni « esprit ), ni raison_ ni pease& ni conscience. ni ame, ni volonte. ni verite : ce ne sont la que des fictions inutilisables. 11 ne s'agit pas de « sujet et d'objet », mais Tune certaine espece animate qui ne prospere que sous I'empire d'une juslesse relative de ses perceptions, et avant tout avec la rerdarion de celles-ci (en sone qu'elle est a mime de capitaliser des experiences)... ».54

« Non point connaitre, mais schematiser, imposer au chaos assez de regularite et de formes pour satisfaire notre besoin pratique ».55

« Le monde imagincnre du sujet. de la substance. de la « raison », etc.. est necessaire

y a en nous une puissance ordonnatrice, simplificatrice qui falsifie et separe artificiellement. « Verite » c'est la volonte de se rendre maitre de la multiplicite des sensations -- senor les phenomenes sur des categories determinees ».56

« La communication est necessaire : pour que la communication soit possible. it faut que quelque chose soit fixe, simplifie, precisable (.4 ».57

« Parmenide a dit : « L'esprit ne peut pas concevoir le neant - Nous nous trouvons l'autre extremite et nous disons : Cequi pout etre coniu est necessaimment tine fiction. » ».5B

53 NIETZSCHE, Friedrich, Le gai savoir, Paris, Librairie Generale Francaise, 1993, p. 364-365-366-367.

54 NIETZSCHE, Friedrich, La volonte de puissance Paris, Trident, 1989, p.214.

55 Ibid., p.216.

56 Ibid., p.217. 5, Ibid., p218. 58 Ibid., p.219.

(...) la necessiti d'appriter, a notre usage, un monde ou notre existence serait rendue possible : nous creons ainsi un monde qui est determinable, simplifii, comprehensible pour nous n.59

0 (...) on a compris que le « sujet » n'est pas quelque chose qui agit, mais seulement une fiction (...) »6°

« Fiction d'un monde qui corresponde a nos disks (...). « Volonte du vrai », sur ce degre c'est essentiellement Part de !'interpretation (...). La mime espice d'hommes, d'un degri plus pauvre encore, n'itant plus en possession de la force d' interpreter. de c 'reer des fictions, constitue le nihiliste ».61

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams