WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'or blanc. le marché occulte et illégal du corps humain à  Libreville

( Télécharger le fichier original )
par Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY
Université Omar Bongo - DEA 2010
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Section 2 : Construction du modèle d'analyse

La construction du modèle d'analyse est le cheminement scientifique sur la base duquel nous bâtirons notre problématique ou encore notre démonstration. Car << tout travail de recherche s'inscrit dans un continuum et peut être situé dans ou par rapport à des courants de pensées qui le précèdent et l'influencent >>.17 Mieux, << la problématique est l'approche théorique ou perspective théorique qu'on décide d'adopter pour traiter le problème posé par la question de départ. Elle est une manière d'interroger les phénomènes étudiés >>.18

Ainsi commencerons-nous dans un premier temps par << exploiter les lectures et les entretiens et faire le point sur les différents aspects du problème qui y sont mis en évidence >>19, pour arriver dans un deuxième temps à << choisir et construire sa propre problématique>>.20 Pour notre étude, nous entamerons l'exploration des acquis scientifiques qui portent sur les imaginaires (religieux) en Afrique, le fétichisme et le l'importance du corps.

1. Les imaginaires fétichistes et le corps dans la littérature occidentale

Pour DURKHEIM, le chercheur doit au préalable << définir les choses dont il traite, afin que l'on sache et qu'il sache bien de quoi il est question >>.21 Cela dit, nous devons préciser ce que nous entendons par la notion d' << imaginaire >>. Pour cela, nous avons retenu deux approches qui nous semblent appropriées pour notre travail: celles de CASTORIADIS22 et de GODELIER23.

17 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, Manuel de recherche en sciences sociales, 2ème éd, Paris, Dunod, 1995, p.43.

18 Ibid., p.85.

19 Ibid., p.85.

20 Ibid., p.86.

21 Émile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, 11ème éd., Paris, PUF (coll. « Quadrige »), 2002, p.34.

22 Cornélius CASTORIADIS, L'institution de l'imaginaire de la société, (3ème édition revue et corrigée), Paris, Editions du Seuil, 1975, 497 p.

23 Maurice GODELIER, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l'Anthropologie, Paris, Editions Albin Michel, (coll. « Bibliothèque Albin Michel Idées »), 2007, 287 p.

Pour Cornélius CASTORIADIS, << l'imaginaire » dont il parle dans ses recherches est une << création incessante et essentiellement indéterminée (socialhistorique et psychique) de figures/formes/images, à partir desquelles seulement il peut être question de "quelque chose"».24 Cette définition est intéressante parce qu'elle nous permet de retenir finalement que l'imaginaire, c'est cette faculté de création des images; ces mêmes images qui sont des symboles et l'imaginaire utilise les symboles pour se faire voir.

Il en est de même pour Maurice GODELIER pour qui << l'imaginaire, c'est de la pensée. C'est l'ensemble des représentations que les humains se sont faites et se font de la nature et de l'origine de l'univers qui les entoure, des êtres qui le peuplent ou sont supposés le peupler, et des humains eux-mêmes pensés dans leurs différences et/ou leurs représentations (<), l'Imaginaire c'est l'ensemble des interprétations (religieuses, scientifiques, littéraires) que l'Humanité a inventées pour s'expliquer l'ordre ou le désordre qui règne dans l'univers ou dans la société, et pour en tirer des leçons quant à la manière dont les humains doivent se comporter entre eux et vis-à-vis du monde qui les entoure ».25 Retenons que l'imaginaire s'incarne dans les réalités matérielles et dans les pratiques.

Après avoir tenté une explicitation du concept de << l'imaginaire » sur la base de deux approches qui sont, nous le pensons, complémentaires, venons-en à présent à la question relative aux imaginaires religieux et l'importance du corps en Afrique dans la littérature occidentale.

Maurice GODELIER26 montre comment l'imaginaire religieux gravite autour du corps humain et la place que ce dernier peut occuper dans le système des croyances, des représentations et des symboles. Pour le comprendre, il part d'une

24 Cornélius CASTORIADIS, L'institution de l'imaginaire de la société, ibid.p.7.

25 Maurice GODELIER, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l'Anthropologie, ibid., p.38.

26 Maurice GODELIER, Le corps humain. Conçu, possédé, supplicié, cannibalisé, Paris, CNRS Editions, 2009, 546 p.

question dont la science n'a pas encore trouvé une réponse qui se veut rassurante pour l'humanité ; à savoir : pourquoi mourir ? Comment survivre ? De plus, de la naissance à la mort, c'est par le corps c'est-à-dire cet habitacle que l'homme se situe dans l'univers et fait l'expérience de ses congénères.

Toujours et partout on a imaginé une ou plusieurs entités qui assurent la continuité de la personne à travers le temps et en illuminent les traits : âme, ombre, double, esprit, etc. Comment de telles entités accompagnent-elles le corps, le fortifient, s'en détachent ou se dressent contre lui, c'est ce que chaque culture a codifié à sa manière par des pratiques que l'on nomme par exemple << épreuves initiatiques >>, << actes sorcellaires >>, << possession >> ou << cannibalisme. >> L'auteur nous présente ici les traitements et les considérations réservées au corps humain et ce, quelque soit la culture.

Jeanne FAVRET-SAADA27 se focalise sur l'ethnologie religieuse classique. Dans cette démarche, elle s'intéresse aux effets de la croyance à la sorcellerie et des pratiques magiques et religieuses dans le Bocage. Elle insiste sur le fait que la sorcellerie et les combats magiques sont réels et affectent la vie des populations du Bocage : en témoigne le cas de la famille BABIN. Jeanne FAVRET-SAADA retient notre attention parce qu'elle montre que les mots, la mort et les sorts sont liés puisqu'ils désacralisent le corps humain pour le resacraliser. Pour tout dire, être ensorcelé, c'est être sous l'emprise du « diable >>28. Il faut à cet effet se désensorceler en convoquant << les prêtres et plus spécialement les exorcistes diocésains >>29. Nous retiendrons que pour l'auteur, la sorcellerie et les pratiques magiques sont réelles. Aussi le combat mené par les prêtres sur le diable relève du quotidien.

27Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le Bocage, Paris, Gallimard, (coll. « Bibliothèque des Sciences humaines »), 1977, 332 p.

28 Ibid, p.167.

29 Ibid., p.167.

AGAMBEN a proposé le concept de "la profanation". << Il s'agit d'un terme qui provient de la sphère du droit et de la religion romaine (droit et religion sont étroitement liés, et pas seulement à Rome) ».30

Aussi précise t-il que << selon le droit romain, les choses qui, d'une manière ou d'une autre, appartiennent aux dieux étaient sacrées ou religieuses. Comme telles, elles se voyaient soustraites au libre usage et au commerce des hommes et on ne pouvait ni les vendre, ni les prêter sur gage, ni les céder en usufruit ou les mettre en servitude. Il était sacrilège de violer ou de transgresser cette indisponibilité spéciale qui les réservait aux dieux du ciel (on les appelait<< sacrées ») ou à ceux des enfers (on les disait alors simplement << religieuse »). Tandis que consacrer (sacrare) désignait la sortie des choses de la sphère du droit humain, profaner signifiait au contraire leur restitution au libre usage des hommes. Ainsi le grand juriste Trebatius peut-il écrire : "au sens propre est profane ce qui, de sacré ou religieux qu'il était, se trouve restitué à l'usage et à la propriété des hommes">.31

Retenons que "profaner" c'est surtout restituer à l'usage et à la propriété des hommes, quelque chose qui fut certainement d'abord de la sphère du droit humain et qui fut par la suite consacré au religieux. C'est donc là une définition qui justifie les profanations des tombes à Libreville en périodes électorales. Grosso modo, << la profanation est le contre-dispositif qui restitue à l'usage commun ce que le sacrifice avait séparé et divisé ».32

MARX a élaboré le concept de << fétichisme de la marchandise »33 qui désigne le phénomène par lequel, dans la production capitaliste, la marchandise sert de support aux rapports de production entre les hommes , donnant ainsi l'apparence que les rapports de production sont des rapports entre les choses. En fait, les rapports sociaux sont remplacés par le marché d'échange des marchandises, qui semble décider de lui-même qui fait quoi, et pour qui. Ces rapports sociaux deviennent ainsi

30 Giorgio AGAMBEN, Qu'est-ce qu'un dispositif ? Traduit de l'italien par Martin RUEFF, Paris, Editions Payot & Rivages, p.38.

31 Ibid., pp.38-39.

32 Ibid., p.40.

33 Karl MARX, Le Capital, Livre I, Paris, Garnier-Flammarion, 1969, 699 p.

confondus avec la marchandise qui semble alors empreinte des pouvoirs humains et qui devient le fétiche de ces pouvoirs. Par ailleurs, les rapports de production sont essentiellement sociaux, mais cet aspect social n'apparaît qu'être une relation entre les objets, entre les marchandises. D'où, la marchandise devient le support de ce rapport de production marchande.

La marchandise est alors l'objet fétiche ayant pour rôle d'assurer la coordination de la production de toute la société, et elle le fait en occultant le caractère social de la production. En outre, les liens sociaux entre les unités de production se font uniquement par l'intermédiaire de la marchandise, lorsque celle-ci est mise sur le marché. Ce n'est qu'une fois qu'ils ont mis leurs marchandises sur le marché que les producteurs privés peuvent savoir si leur produit correspond aux exigences sociales, et si leur mode de production particulier correspond au mode de production social. Le marché opère donc une régulation de la production sociale, mais exclusivement par l'échange des marchandises. Pour tout dire, le fétichisme de la marchandise se traduit par un double mouvement : la réification des rapports sociaux et la personnification des choses. Et c'est ce qui arrive dans le marché occulte et illégal des restes humains où il y a transposition du fétichisme de la marchandise dans les rapports sociaux entre les hommes assujettis à leurs propres productions.

Markus GRILL et Martina KELLER34 à travers leur article « Un trafic légal de tissus humains. 42 € le fémur, 14 € la trachée >>, posent le problème de la production des « pièces détachées >> ou de la « matière première >> pour le marché économique, pharmaceutique et médical ; dans le contexte régi par le capitalisme occidental et à l'ère de la mondialisation. A cet effet, les auteurs de l'article parlent de la « fabrication des pièces détachées humaines à partir des cadavres >> ou tout simplement le recyclage des morts. C'est un recyclage destiné aux grandes firmes médicales internationales américaines surtout. L'objectif de cette production est donc l'approvisionnement à bas coüt des chirurgiens américains.

En rapport avec notre mémoire, l'article fait un parallélisme entre la sorcellerie des pièces détachées chez nous au Gabon en périodes électorales et celle du capitalisme qui parle aussi des << pièces détachées >>. Tout se passe comme si la sorcellerie africaine était le reflet de la sorcellerie capitaliste ; à tel point qu'on se demande si la notion de système n'est pas plus englobante et ne correspond pas à l'ordre capitaliste mondial.

Cet article est donc en résonnance avec l'article des COMAROFF35 où ils montrent les effets du capitalisme néolibéral en Afrique du Sud post apartheid. Celui-ci procède, dans un contexte marqué par une crise économique et un chômage accru des sud-africains et la xénophobie, à la production des << zombies >>. Pour tout dire, nous nous rendons compte que le capitalisme et la sorcellerie ont en commun d'être des producteurs de « matières premières >> ou << pièces détachées >>. L'un et l'autre ayant de fait des affinités électives qui rendent ineptes les accusations de sauvagerie portées contre la sorcellerie.

2. Les africanistes et universitaires gabonais face au fétichisme et l'importance du corps

André MARY36 décrit le Gabon comme un vrai carrefour des religions et où le fétichisme, les Églises pentecôtistes, l'Islam, les sectes, l'argent, les cultes syncrétiques et le paganisme africain se rencontrent et se côtoient. Ce point de vue est partagé par Joseph TONDA avec le concept du << Souverain moderne >>. Dans cet imaginaire << diabolique >>, selon André MARY, certains personnages créés parfois par les Églises que sont << les sorciers et les féticheurs, le diable et les démons, sont des personnages omniprésents dans le Gabon d'aujourd'hui, dans les médias comme dans la vie quotidienne. L'indifférenciation des schèmes d'interprétation qui relèvent du registre

35 Jean et John COMAROFF, << Nations étrangères, zombies, immigrants et capitalisme millénaire », pp.19-32 in Bulletin du CODESRIA 3 et 4, 1999.

36 André MARY, << La violence symbolique de la pentecôte gabonaise » pp.143-163, in André CORTEN et André MARY (éds), Imaginaires politiques et pentecôtismes. Afrique /Amérique latine, Paris, Karthala, (coll. << Hommes et sociétés »), 2000, 365 p.

de la sorcellerie et de la possession, du fétichisme et de la magie, de l'anthropologie ou des sacrifices humains, mais aussi de la démonologie est désormais chose commune. Les journaux locaux, les médias, aussi bien que les rumeurs véhiculées par radio trottoir ou les conversations privées, se font complaisamment, jour après jour, le relais d'affaires de sorcellerie, de meurtres rituels, de pactes diaboliques qui touchent tous les domaines de l'existence >>.37

De même, c'est cet imaginaire diabolique qui prend forme dans cette violence symbolique de l'Église pentecôtiste gabonaise et constitue le lot quotidien de ces Églises à Libreville et qui fait dire à Joseph TONDA que << la violence de l'imaginaire, violence du fétichisme, s'exerce au moyen des images, des gestes corporels, des mots, c'est-à-dire des fétiches, supports d'idéologies. Cette violence a pour contexte privilégié celui des camps, espaces de déshérence, espaces déshérités, instables, mouvants, incertains ; autrement dit, espaces de dérégulation des ordres symboliques coutumiers >>.38

On se rend compte que l'Église pentecôtiste gabonaise, pour mieux s'asseoir, amplifie l'enchantement de la réalité sociale gabonaise. Cet enchantement introduit une sorte de confusion où celui qui n'est pas converti est de facto responsable des malheurs dans sa famille. C'est dans ce genre de contexte social d'enchantement et de magification du monde social que << s'exerce la violence de l'imaginaire violence du fétichisme, les gens croient massivement à la réalité matérielle des entités imaginaires mais cette croyance est travestie par l'idéologie ~.39

Joël NORET40 nous propose une réflexion axée sur l'imaginaire religieux et la place des morts au Sud Bénin dans son article intitulé << De la conversion au basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les milieux

37 André MARY, « La violence symbolique de la pentecôte gabonaise », ibid., p.152.

38 Joseph TONDA, le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, (coll. « Hommes et sociétés »), 2005, p.39.

39 Ibid., p.44.

40 Joël NORET, « De la conversion au basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les milieux pentecôtistes du Sud-Bénin », pp.143-155, in Politique Africaine « Globalisation et illicite en Afrique », n°93, mars 2004, Paris, Karthala, 193 p.

pentecôtistes du Sud Bénin. » En effet, cet article examine la problematique de la place reservee aux morts dans les milieux pentecôtistes du Sud-Benin. Il s'appesantit à clarifier les enjeux et les implications de ce qui s'apparente fortement à « une evacuation des defunts ». Les morts, à travers le culte des ancêtres, sont fortement vénérés parce qu'étant les protecteurs des vivants ; les vivants leur doivent un total dévouement. D'où, le culte des ancetres apparaît comme un moment important dans la vie sociale des communautes du Sud-Benin, pour la simple raison que la croyance au pouvoir des morts est fondamentale.

Florence BERNAULT41 utilise l'histoire coloniale pour comprendre la naissance de ces representations modernes du lien entre la religion et le politique, ou plus exactement les angoisses produites par l'imaginaire historique de ce lien. Elle affirme que l'impuissance de l'Afrique s'expliquerait par son encrage dans le fetichisme ; comme concept omnipresent dans les imaginations religieuses et politiques. Pour cela, elle constate que pendant la periode coloniale, le fetichisme africain fut une erreur religieuse et politique. Et que si dans la metropole le concept de fetichisme est abandonne par les chercheurs à ce qui semble, il demeure toujours d'actualité en colonies ; comme modèle explicatif en vigueur.

En fait, BERNAULT pense que le fétichisme serait jusqu'alors « une constellation de superstitions primitives ou degenerees, responsables de la dissolution et de l'impuissance de l'Afrique »42. Enfin, elle souligne l'idée suivante : pendant que le christianisme occidental est perçu comme une instance principale du declin des croyances, superstitions dans la societe, les analyses sur les nouveaux christianismes africains insistent au contraire sur leur essor « quasi-incontrôlables » « sous forme hautement dramatisee et emotionnelle (lire irrationnelle) du pentecôtisme et des Eglises universelles dont le succès sans cesse grandissant ne

41 Florence BERNAULT, « De la modernité comme impuissance. Fétichisme et crise du politique en Afrique équatoriale et ailleurs », pp.747-774 in Cahiers d'Études africaine, XLIX, 195, 2009.

42 Ibid., p. 750.

peut, dans cette perspective, que confirmer le statut du continent comme terreau inépuisable de tous les revivals mystico-spirituels >>43.

Nous insistons également sur le lien qui unit les représentations symboliques et le capitalisme classique en convoquant les analyses des COMAROFF.44

À travers leur article que nous avons cité supra, les COMAROFF parlent des effets du capitalisme classique néolibéral dans les campagnes sud-africaines postcoloniales ; envahies par des << zombies >>. Ils partent de la question << quel peut bien être le rapport entre les zombies et l'implosion du capitalisme néolibéral à la fin du vingtième siècle ? >> En fait, les COMAROFF disent que ces << zombies >> ne sont autres que des travailleurs immigrés, la plupart du temps clandestins qui, se savant en situation irrégulière et par peur d'être expulsés, démoniser voire assassinés par les autochtones, préfèrent vivre dans la discrétion et ne sortent travailler que la nuit. De plus, ils représentent une main-d'oeuvre bon marché pour les entrepreneurs, contrairement aux autochtones qui revendiquent de meilleures conditions de travail et de vie.

Les COMAROFF ajoutent aussi que les Sud-africains, en post-apartheid, sont frappés de pleins fouets pas le chômage. Ainsi, étant victimes du chômage, ce sont plutôt les étrangers, les immigrés qui trouvent du travail, créant la xénophobie illustrée par la << zombification de l'étranger >>. Cette situation, découlant d'une crise économique, cause également une crise identitaire chez les Sud-africains. Pour les auteurs, dans de telles conditions, les étrangers, craignant pour leur sécurité, n'ont d'autres choix que d'organiser leurs vies sociales que la nuit. Ainsi, les étrangers, assimilés aux zombies qui viennent remplacer les autochtones dans les usines, << sont des citoyens qui donnent le cauchemar, le fait qu'ils soient sans racine risquant de

43 Florence BERNAULT, << De la modernité comme impuissance. Fétichisme et crise du politique en Afrique équatoriale et ailleurs », ibid., p. 753.

44 Jean et John COMAROFF, << Nations étrangères, zombies, immigrants et capitalisme millénaires » pp.19-32, in Bulletin du CODESRIA 3 & 4,1999.

détourner ce qui reste de la prospérité de la population locale, prospérité qui diminue rapidement >>45.

Florence BERNAULT46 met en relief les symboles qui gravitent autour du corps humain, aussi bien vivant que mort de la période coloniale à la période postcoloniale africaine. En effet, << il y a quelque chose de pourri dans le post-empire >> signale que le pouvoir se construit sur la puissance extraordinaire du corps humain resacralisé. Pour tout dire, l'existence et l'importance du trafic des corps est une des clés du pouvoir politique au Congo et au Gabon. Par ailleurs, il est évident que << le rapport entre pouvoir moderne et corps des hommes >>47 est basé sur l'exploitation et l'assujettissement du premier sur le second et dans cette perspective de négation de la sacralité du corps humain. BERNAULT en conclut que si on parle de la biopolitique ou primauté de la vie en Europe, en Afrique postcoloniale, c'est plutôt la primauté de la mort. Enfin, le corps humain est donc supplicié et transformé en objet marchand, en matière première, mieux, en fétiche politique.

Ceci est d'autant plus vrai que « le rapatriement des cendres de BRAZZA au Congo rappelle ce que la pensée de la modernité occulte quotidiennement : le trafic des corps humains est une technique centrale de la politique moderne. La circulation des corps vivants (la traite et les migrants), des corps morts (les spécimens raflés par la science impériale, les os des Blancs recyclés dans les charmes indigènes, les dépouilles des héros statufiés, les transactions opérées sur les organes et le sang (transplants, médicaments magiques), a été, et reste, un enjeu central du pouvoir domestique, lignager et finalement national dans le monde pré- et post-impérial >>48.

Pour nous, Florence BERNAULT nous aide à comprendre que le trafic du corps humain est une des clés du pouvoir politique puisqu'il rend compte d'une réification des personnes et des corps humains, présentés comme sacrés, << mais aussi l'existence de processus intenses et profonds de resacralisation de ces derniers à des

45 Jean et John COMAROFF, << Nations étrangères, zombies, immigrants et capitalisme millénaires », p.25.

46 Florence BERNAULT, << Il y a quelque chose de pourri dans le post-empire » pp.1-11; à paraître dans Cahiers d'études africaines en 2010.

47 Ibid., p.1.

48 Ibid., p.1.

fins politiques, que ce soit en Afrique ou dans l'Occident impérial. Sacré ici signifiant que le corps humain est perçu comme dépositaire d'un pouvoir et d'une valeur dépassant sa nature physique, mesurable et dégradable. Ainsi la politique du trafic des corps, si essentielle aux hiérarchies de pouvoir des gouvernements modernes, ne peut être réduite à un échange de marchandises organiques et quantifiables, ou de ressources politico-économiques »49.

Enfin, dans le même ordre d'idée, Florence BERNAULT50 montre bien qu'en Afrique centrale, le besoin d'insertion et surtout d'acquisition du pouvoir politique au sein de la société motivent les individus à s'adonner au commerce de l'or blanc, dans l'optique d'aborder la mondialisation avec sérénité. Elle nous rappelle ici que le corps humain est un fétiche51, dépositaire d'une « matière-sorcière >>, l'inyèmba, expliquant << le commerce des organes humains par des spécialistes des rituels, la circulation internationale de charmes et l'utilisation des morts en tant que travailleurs forcés pour le point de puissants appuis à des équations intrigantes entre le corps humain, l'argent et le pouvoir>>52. Au demeurant, l'auteur s'est penchée sur les représentations sociales du corps humain en Afrique centrale en rapport étroit au pouvoir, pour dire que << le corps n'a pas été considéré comme une réalité physique dont l'existence dérive de l'intégrité biologique, mais comme un multiple fragment de l'entité qui a conservé le pouvoir au-delà de la mort et de la mutilation »53.

Après avoir convoqué les diverses contributions de ces africanistes, venons-en à présent à la contribution des universitaires et chercheurs gabonais face au fétichisme et l'importance du corps.

49 Florence BERNAULT, << Il y a quelque chose de pourri dans le post-empire » pp.1-2; à paraître dans Cahiers d'études africaines en 2010.

50 Florence BERNAULT, << Corps, pouvoir et sacrifice en Afrique équatoriale », pp.207-239 in Journal de l'histoire africaine, juin 2006.

51 Ibid., p.210.

52 Ibid., p.209.

53 Ibid., p. 212.

Joseph TONDA54 se propose de rendre compte de l'imaginaire politique et religieux au Gabon en conceptualisant les rapports sociaux existant sous toutes ses formes par l'emploi d'une notion chargée de sens : le Souverain moderne (il faut dire que cette notion de souverain s'est retrouvée employée par Michel FOUCAULT). C'est ce souverain moderne qui, selon Joseph TONDA, est mieux adapté pour décrire les rapports sociaux existant au Gabon. Car il aurait pour fondement la violence de l'imaginaire, qui s'exprime par la transgression de l'ordre coutumier des traditions.

Celle-ci sera redoublée par la violence du fétichisme, qui trouve pour sa part son soubassement dans la reconnaissance de la réalité d'entités imaginaires tels que les génies ou les ancêtres et dont l'action concrète s'exerce à travers notamment des morts ou des images dans les espaces de dérégulations. Partant du fait que l'imposition et la conversion au christianisme constituent une resacralisation des corps, notons à ce sujet que pour les missionnaires, « les Africains seraient, dans cette perspective, des sujets sociaux du dieu du mal, ami du corps et de la matière. C'est dans cette perspective que Charles De BROSSES a défini "le fétichisme" c'est-à-dire la religion de l'humanité primitive surtout africaine (mais, pour De BROSSES, on peut douter de l'humanité des africains), caractérisée comme non intellectuelle, résultant d'un "procès purement aveugle, impulsif, affectif, " n'expriment que "des passions, des besoins, des craintes, mais jamais aucun discernement"».55 En définitive, Joseph TONDA évoque une disposition sociale singulière des rapports sociaux basée sur« l'organisation et à l'administration de la violence comme forme particulière des rapports aux corps, aux choses et au pouvoir».56

Pour tout dire, la revue de la littérature a consisté à présenter les travaux des chercheurs (occidentaux, africanistes et gabonais) au sujet des imaginaires liés au fétichisme et à l'usage du corps humain en Afrique, au Gabon particulièrement. Cependant, nous voulons montrer que l'idée de la profanation des tombes et des

54 Joseph TONDA, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, (coll. « Hommes et sociétés »), 2005, 297 p.

55 Ibid., p.21.

56 Ibid., p.23.

corps soit au coeur même de la production des rapports sociaux et du pouvoir politique au Gabon, surtout en periodes electorales.

Autrement dit, nous considerons que le corps humain, sinon les organes humains qui le composent sont dotes de pouvoirs surnaturels, extraordinaires (tels le « mana », « le charisme », « l'évus », « l'inyèmba ») pour permettre à son utilisateur d'être « puissant », « un grand quelqu'un »57.

3. Notre perspective sur la question du marché occulte et illégal des restes humains à Libreville

En annee de Maîtrise, nous avons montre qu'il existe un marché des restes humains mis en evidence par les profanations des tombes58 en periodes electorales au Gabon. Ce qui atteste effectivement que « de jour comme de nuit, les cimetières sont visites. Les ossements humains foisonnent. Et il semble que dans cette affaire là, les parties genitales sont recherchees et que les « clitos » sont devenus des barres d'or >>.59 En effet, pour Joseph TONDA, la collecte des organes humains ou «pièces detachees »60 que sont la langue, les oreilles, le nez, le crâne, les mains, les doigts, le fémur, coeur, les organes génitaux, est l'objectif des acteurs politiques ou mandataires61 pour assurer leurs divers succès electoraux. Neanmoins, il faut souligner qu'il existe plusieurs sortes de profanation : la profanation des tombes ou des sépultures, profanation de la mémoire d'un défunt, blasphème en l'encontre

57 Expression gabonaise utilisée pour qualifier ceux-là, c'est-à-dire, les grands barons qui bénéficient des privil4ges, des avantages et des faveurs du pouvoir politique mis en place depuis plus de 42 ans sous l're d'Omar BONGO ONDIMBA.

58 Au sujet de ces profanations des tombes, nous pouvons citer par exemple que le cimetière de Mindoubé en a fait les frais; nous avions recensés plus de quatre-vingt dix tombes profanées sur la période électorale de 2006 à 2008. Pour être plus précis, il s'agit de 87 tombes, qui présentaient une caractéristique commune : ces tombes n'étaient pas carrelées.

59 Joseph TONDA, « Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale) » in Voter en Afrique : différenciations et comparaisons ; colloque organisé par l'AFSP, Centre d'Étude d'Afrique Noire-Institut d'Études politiques de Bordeaux, 7-8 mars 2002, p.4.

60 L'expression est de Joseph TONDA in « Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale) » in Voter en Afrique : différenciations et comparaisons, p.3.

61 L'expression est de Pierre BOURDIEU in Choses dites, Paris, Editions de Minuit, (coll. « Le sens Commun »), 1987, 228 p.

d'une divinité ou encore, profanation des tombes illustrées par le marché occulte et illégal des restes humains en tant qu'objet de ce mémoire.

Avec la profanation des tombes, il est question de violer un lieu considéré comme sacré (ici le cimetière), pour aller prélever les organes humains qui servent à renforcer voire consolider le pouvoir de son utilisateur. Toutefois il n'y a pas que les mandataires politiques qui profanent. C'est fort des contributions de nos prédécesseurs, que notre démarche est adossée à l'idée que pour nous, le marché occulte et illégal des restes humains est une pratique sociale réelle et traduit la nature véritable des rapports sociaux au Gabon; dans un contexte régi par le capitalisme.

Dans un tel contexte de commerce, tout est objet de marchandise ; le corps humain n'en est pas en reste puisqu'il est devenu une marchandise pour le marché fétichiste et aux politiques. À la limite, la profanation conduit à une économie de la réification des personnes et des corps. Pour cela, notre objet d'étude s'inscrit donc dans le cadre théorique du fétichisme de la marchandise d'intuition marxiste et inspirée par les travaux des COMAROFF. Car ce sont ceux qui ont une position sociale importante qui commanditent et achètent ces produits. Et c'est le vécu des populations qui exprime un rapport social conflictuel, d'exploitation, de domination et d'assujettissement entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent rien.

4- Énonciation de notre hypothèse de recherche

« L'hypothèse est une proposition de réponse à une question posée. Elle tend à formuler une relation entre les faits significatifs >>.62 Elle est à la base du modèle d'analyse parce qu'elle se définie comme une supposition (du grec « hypothesis »), « une explication provisoire de la nature des relations entre deux ou plusieurs phénomènes. L'hypothèse scientifique doit être confirmée ou infirmée par les faits >>.63 Avant d'émettre notre hypothèse, nous nous sommes posé la question de savoir : quel lien existe-t-il entre d'une part les économies occultes de la vente des restes humains et d'autre part le pouvoir politique ?

A cela, nous proposons la réponse suivante : il s'agit d'un lien de dépendance entre les économies occultes et le pouvoir politique, car le pouvoir politique est un pouvoir mortifère, alimenté par la mort. Par économies occultes, j'entends la collecte ou la production des << pièces détachées humaines >> dans les cimetières de Libreville (Mindoubé par exemple) et leur mise vente en période électorale au politique, dans l'optique d'assurer le succès électoral. C'est ce que nous avons appelé le « fétichisme politique >>. Enfin, << par "pouvoirs"-au pluriel- il faut entendre les vertus efficaces attribuées, dans les représentations<, aux différentes instances psychiques de la personne, qui sont aussi fonction des positions respectives<de l'individu qui est censé les exercer et de celui qui est censé en subir les effets bénéfiques ou maléfiques. Les "pouvoirs", en ce sens, correspondent à ce que Leach a appelé dans Critique de l'anthropologie "influence mystique" ou "agression surnaturelle". Les "pouvoirs" sont également ceux des morts, des génies, des nains de la forêt, de ceux qui savent voir clair et ceux qui peuvent guérir >>64.

La question des économies occultes dans la société gabonaise c'est l'énigme du rapport à la mort. Elle fonctionne sur la vente des restes humains, sur l'exploitation de la mort. La mort qui permet d'alimenter tous les domaines de la vie sociale (politique, familiale, économique, etc.). C'est donc un rapport de la mort au pouvoir.

Une préoccupation est celle de voir aussi comment le christianisme se situe par rapport à la relation entre le capitalisme et la sorcellerie. Pour résumer, le véritable enjeu que nous posons dans ce mémoire est que la profanation des corps et leur << consommation >> est commune au capitalisme et à la sorcellerie. N'oublions pas que << ceci est mon corps qui est donné pour vous >>65 dans l'Eucharistie où les chrétiens << consomment >> le corps du Christ<Non pas pour le profaner, mais pour s'approprier ses qualités purificatrices. Et que le pentecôtisme nous rappelle que le

64 Marc-Eric GRUENAIS, Florent MOUANDA MBAMBI, Joseph TONDA, « Messies, fétiches et lutte de pouvoirs entre "les grands hommes" du Congo démocratique », p.164, citant Marc AUGE in Théories des pouvoirs et idéologies. Etude de cas en Côte-d'Ivoire, Paris, Hermann, 1975,439 p.

65 Cf. les textes bibliques de Luc 22 v 19, Matthieu 26 v 26 ou 1 Corinthiens 11 v 24.

corps humain << est le temple du Saint Esprit >>66, donc un objet sacré. Les photos des pages 26 à 30 montrent bien que l'Église chrétienne protège les corps; elle les protège de leur mise en vente sur le marché et du coup, elle se range ainsi du côté de la loi, c'est-à-dire de l'État. Aussi, ceux qui consomment les pièces détachées dans la sorcellerie et dans la médecine capitaliste, le font dans quel but ?

5- Définition et construction du concept central

<< Le concept en tant qu'outil, fournit non seulement un point de départ, mais également un moyen de désigner par abstraction, d'imaginer ce qui n'est pas directement perceptible >>.67 Plus important encore, pour le chercheur, c'est qu'il doit << définir les choses dont il traite, afin que l'on sache et qu'il sache bien de quoi il est question >>.68 La définition du concept, bien qu'étant qu'une simple « convention terminologique >>, opère un tri des faits que cherche à rendre intelligible le chercheur. Après être prêtés à cette exigence méthodologique, nous avons retenu le concept fondamental suivant de notre travail: l'or blanc.

5.1. Définition du concept de « l'or blanc» comme concept fondamental de notre étude

Nous entendons par le concept de << l'or blanc », la collecte et la production des << pièces détachées >> humaines dans les cimetières de Libreville à travers la profanation des tombes et leur mise en vente en période électorale au politique, sur le marché du fétiche, dans le but de fabriquer les amulettes et autres artifices cultuels pour assurer les succès électoraux.

Pour tout dire, << l'or blanc » que nous proposons dans le contexte gabonais, se décline sous deux dimensions : le marché illégal du corps humain et l'occulte.

66 Cf. I Corinthiens 6 verset 19.

67 Madeleine GRAWITZ, Méthode des sciences sociales, op.cit., p.385.

68 Émile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, 11ème éd., Paris, PUF (coll. « Quadrige »), 2002, p.34.

5.2. Tableau n°1: Construction du concept de «l'or blanc »

Concept

Dimensions

Indicateurs

L'or blanc

Le marché illégal du
corps humain

> La production et mise en vente des << pièces détachées >>

> Problème juridique/ l'illégalité

> Désacralisation des cimetières

> Profanation des tombes/corps

Occulte

> Vénérer Satan

> Croyances aux pouvoirs des morts : la nécromancie

> << Ceux qui pratiquent >>

> Fabrication des fétiches

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote