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L'or blanc. le marché occulte et illégal du corps humain à  Libreville

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par Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY
Université Omar Bongo - DEA 2010
  

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Section 2 : Criminalisation des pratiques ancestrales par l'Église

« Ne portez de jugement contre personne, afin que Dieu ne vous juge pas non plus. Car Dieu vous jugera comme vous jugez les autres ; il vous mesurera avec la mesure que vous employez pour eux. Pourquoi regardes-tu le brin de paille qui est dans l'oeil de ton frere, alors que tu ne remarques pas la poutre qui est dans ton oeil ? Comment peux-tu dire à ton frère : " laisse-moi enlever cette paille de ton oeil", alors que tu as une poutre dans le tien ? »143

Cette maxime biblique est intéressante en ce sens qu'elle nous permet de relever un des nombreux commandements auxquels les chrétiens du monde entier doivent s'astreindre pour etre en phase avec Dieu. Cependant, entre ce qui est recommandé et ce qui se fait sur le terrain, nous nous rendons compte qu'il y a un écart. Autrement dit, l'observation des faits empiriques de la réalité sociale et historique montre que le christianisme (qu'il soit pentecôtiste charismatique, catholique, etc.) est allé à l'encontre de cette prescription divine, en jugeant, en diabolisant par exemple les us et les coutumes autochtones, tout en créant des images négatives. C'est du moins ce que plusieurs chercheurs (notamment Florence BERNAULT pour ne citer qu'elle) ont appelé la criminalisation des pratiques ancestrales.

142 Jean-Francois BAYART, « Les Églises chrétiennes et la politique du ventre : le partage du gâteau ecclésial », CERI-CNRS, ibid., p.7.

143 3EIRleMliTNEDWIRIIIl4 NOOJIle dER1 IttICIENFICaSBIBI versets 1-4.

1. Criminalisation et persistance des pratiques ancestrales

1.1. La criminalisation des pratiques ancestrales par l'administration coloniale

La criminalisation découle d'un jugement de valeur européocentriste imposé par l'administration coloniale et partant, de l'Église, qui considérait que toute pratique n'honorant pas le sacré judéo-chrétien et universel, c'est-à-dire Yahvé, était qualifiée de "pratique sorcellaire", de paganisme. D'ailleurs, Florence BERNAULT nous apprend que << le terme "sorcellerie" en français renvoyait systématiquement à toute croyance religieuse qui tentait de résister au christianisme, et qui servit de référent intellectuel à la criminalisation des pratiques anciennes qui composaient l'essence de l'ordre moral et social des sociétés équatoriales >>.144

Puisque nous travaillons sur la mort, cela inclut nécessairement les croyances qui y gravitent. Nous voulons montrer dans cette partie relative à la criminalisation des pratiques reliquaires que le cas de la mort et de tout rituel (exposition du corps, condamnation du coupable, réconciliation jusqu'à l'enterrement du défunt), nous permet d'évaluer l'ampleur des bouleversements imposés par la colonisation, voire les missionnaires. Sans parler du fait que << la législation française en effet interdit immédiatement après la conquête la pratique des autopsies et l'exposition des défunts. Elle décréta l'obligation simultanément de l'enterrement dans les cimetières publics, la condamnation des reliques sous la rubrique << profanation des tombes >>, et conduisit avec l'aide des missionnaires chrétiens la destruction des autels mobiles et des reliquaires considérés comme << fétiches >> et fatras sorcier indésirables >>.145

Par ailleurs, cette criminalisation des pratiques ancestrales s'accompagnait également d'autres éléments importants que nous ne pouvons omettre pour notre démonstration. Dans un tel contexte, il n'y a pas de doute que « la fabrication rituelle

144 Florence BERNAULT, « Magie, sorcellerie et politique au Gabon et Congo-Brazzaville », p.9, in MBEKALE M.N, Démocratie et mutations cultures en Afrique Noire, Paris, l'Harmattan, 2005, pp.21-39.

145 Florence BERNAULT, « Économie de la mort et reproduction sociale au Gabon », p.10, in Mama Africa : Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.

des reliques des morts familiaux, par exemple, pouvait s'avérer paradoxalement plus risquée. Sous l'oeil de la force coloniale, que l'utilisation d'organes et ossements prélevés sur des cadavres "discrets", mais extérieurs au lignage. Le vol ou l'accaparement de reliques et d'organes hors des limites mais il est probable que ces transgressions devirent plus fréquentes face aux assauts de la législation coloniale ».146

Pour beaucoup d'auteurs, cette criminalisation des pratiques ancestrales par l'Église expliquerait les différents changements sociaux vis-à-vis du sacré des autochtones.

En effet, s'agissant du christianisme, « on ne saurait sous-estimer le traumatisme qui a été la conséquence de l'abandon des dieux et des religions traditionnelles. Il serait maladroit d'affirmer que leurs institutions sociales religieuses étaient "mauvaises". Plus simplement, elles ont pris un coup sérieux pour la pseudo-raison qu'elles ne cadraient pas avec le contenu de la dignité humaine telle que l'entendait la théologie chrétienne occidentale, tributaire vraisemblable de la culture et de la civilisation qui l'ont construite >>.147

Nous pensons même que ces pratiques ancestrales sont des marqueurs identitaires pour les autochtones ; les seuls moments qui leur permettent d'unir et de renforcer l'ordre social, le lien social entre eux. Or, « que ce soit l'église catholique ou protestante, toutes deux ont conduit à la destruction des anciens systèmes de croyances. Aujourd'hui, le chrétien qui ose encore parler du culte des ancêtres est interdit de sacrements ou considéré comme un paria. C'est la preuve que toutes les croyances et coutumes traditionnelles sont jugées mauvaises par la religion chrétienne, contraire à ce que dit la Bible ».148

146 Florence BERNAULT, « Magie, sorcellerie et politique au Gabon et Congo-Brazzaville », ibid., p.10.

147 Bernardin MINKO-MVE, Gabon entre tradition et postmodernité. Dynamique des structures d'accueil Fang. Préface de Jean POIRIER, Paris, l'Harmattan, (coll. « Études africaines »), 2003, p.183.

148 Ibid., p.206.

D'ailleurs pour l'Église, cela voudrait dire que « vous annulez ainsi la parole de Dieu au profit de votre tradition ».149 Ce décryptage des pratiques coloniales dans la criminalisation des us et coutumes autochtones nous poussent à dire que puisqu'ils (les missionnaires et administrateurs coloniaux) interdirent les cultes des ancêtres, cette prohibition conduisit les autochtones à profaner. Notons ici que les cimetières publics naissent avec la colonisation ; en tant qu'archive nécrologique et qui renforce le contrôle social occidental. Pour rester dans cette pratique de criminalisation, il faut noter que « dans son empressement à interdire ce qu'elle assimilait à un (des) ordre rétrograde criminel, voire à des pratiques cannibales, la colonisation française attaqua ces cultes anciens, et ce faisant, commença de démanteler la logique de la reproduction familiale et collective ».150

Florence BERNAULT nous permet de voire que le christianisme est une religion de la guerre ; qui use de la violence physique et symbolique pour imposer son sacré universel et donc ; pour se faire voir ; connaître. Cette situation montre que « le premier travail de l'évangélisme colonial c'est la démonisation, la diabolisation de la différence culturelle »151 dans laquelle le plus faible ou celui qui refuse la conversion est automatiquement diabolisé.

Cette criminalisation « désagrège les rapports familiaux en créant deux "camps" distincts: ceux qui sont supposés être les adeptes de Satan: les inconvertis en un enfer qui n'est pas censé avoir d'autres solutions que la conversion de tous dans le "cercle" du sang de Jésus ».152

1.2. La persistance ou survivance des pratiques reliquaires

À ce stade, la persistance des pratiques ancestrales au Gabon apparaît ici comme une réponse à une interdiction par l'administration coloniale de l'époque des

149 Lire à ce sujet le livre de Matthieu chapitre 15 verset 6.

150 Florence BERNAULT, « Économie de la mort et reproduction sociale au Gabon », p.7, in Mama Africa ; Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, CI-F LIP aAAWTIELI, ILIS.

151 André MARY, « Conversion et conversation: les paradoxes de l'entreprise missionnaire », p.787 in Cahiers d'Études africaines, 160 XL-4, 2000, pp.779-799.

152André MARY, « Actualité du paganisme contemporanéité des prophétismes », p.384 in L'Homme, l'anthropologue et le contemporain: autour de Marc-Auge, 185-186/2008, pp.365-386.

pratiques culturelles autochtones dites"païennes" et de rendre hommage aux ancêtres ; ces médiateurs probables entre eux et << Nzame >>, << Nzèmbi >>, << Anyambyè >> ; en un mot, Dieu. Pour Florence BERNAULT, << la loi coloniale provoqua donc une extrême fragilisation de la reproduction sociale basée sur le deuil et la collecte des reliques. Certaines pratiques ne purent survivre qu'en devenant illégales et clandestines. La fabrication rituelle des reliques familiales, par exemple, pouvait s'avérer paradoxalement plus risquée, sous surveillance coloniale, que l'utilisation d'organes et d'ossements prélevés sur des cadavres "discrets", mais extérieurs aux lignages. S'il est établi que le vol ou l'accaparement de reliques et d'organes hors des limites lignagères existait devant la conquête coloniale, il est probable que ces transgressions devirent plus fréquentes face aux assauts de la législation coloniale >>.153

Pour clore ce premier point, nous devons compter aussi sur les différents points de vue de nos interlocuteurs sur la criminalisation des pratiques ancestrales. En effet, en leur posant trois questions fondamentales pour notre travail à savoir : << pour vous, le culte des ancêtres signifie quoi et quelle est sa place dans la société gabonaise aujourd'hui ? A qui profite la criminalisation des reliques et enfin pourquoi cette criminalisation ? >> Nos interlocuteurs ont des points de vue que nous vous exposons ici.

Énoncé n°12 :

- << Pour moi, le culte des ancêtres signifie qu'on est attaché à la coutume à laquelle on appartient car pour obtenir quelque chose de bien il faut invoquer les ancêtres. Sa place dans la société gabonaise aujourd'hui ; il n'a plus d'importance comme dans le passé car on a recourt au fétichisme ; aux différentes sectes et à l'Église. Et la criminalisation, ça profite aux prêtres qui exercent dans les Églises, d'avoir un dessus sur les fideles. Parce que ces prêtes;

153 Florence BERNAULT, « Économie de la mort et reproduction sociale au Gabon » , p.8, in Mama Africa ; Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.

par exemple lorsqu'ils se retrouvent dans une situation qu'ils ne contrôlent plus, ils font recours à ces reliques qui sont une deuxième puissance pour eux ».154

Le discours de notre interlocutrice suppose que la criminalisation des reliques et pratiques ancestrales par l'Église, sert cette même Église. Pour elle, un « homme de Dieu » qui crie aux profanations des tombes, qui crie aux reliques humaines ou « pièces détachées » humaines, tire certainement profit de cette façon de faire et de ce comportement. Cela lui permet dans un premier temps de remplir sa paroisse de fidèles pour la plupart du temps incrédules pour s'assurer un profit financier important. Dans un second temps, est-ce que ces reliques, qu'on leur apporte pour soit disant les détruire à l'Église, ne sont-elles pas utilisées par ces mêmes pasteurs pour consolider leurs pouvoirs de domination et de contrôle de la vie des fidèles?

Énoncé n°13 :

- « Le culte des ancêtres c'est vénérer les ancêtres, c'est faire appel aux morts c'est-àdire les invoquer, car les morts ne sont pas morts, puisque nous savons qu'ils nous protégent et qu'ils nous apportent la guérison, le bonheur, ils viennent nous aider. Je sais que ce culte des ancêtres, malgré l'évolution de la société, occupe une grande place. Même les gens convertis ont toujours recours aux ancêtres, ils n'ont pas fait une rupture totale. Aprés tout, on est d'abord africain. Au sujet de la criminalisation, je dirai que ça profite aux chrétiens car pour ceux qui sont ancrés dans la tradition c'est une bonne chose et ceux qui sont à l'église c'est une mauvaise chose. Car on ne doit pas travailler avec le crâne des grands-parents. Cela apporte le pouvoir à ceux qui sont dans la tradition. Cette criminalisation est là peut être parce que les chrétiens veulent convertir ceux qui pratiquent ces actes. C'est tout ce que je peux dire ».155 Ces propos nous révèlent aussi que ce sont les chrétiens qui profitent de cette criminalisation pour certainement drainer de nouveaux adeptes à la conversion, donc à leur propre réification, leur propre profanation.

154 Propos de mademoiselle Janny Esther DIVAGOU-IBRAHIM-KUMBA, 25 ans, chrétienne catholique, étudiante au département de Sociologie de l'UOB,en année de Maîtrise, Akélé-Punu.

155 Propos de mademoiselle Floriane Melinda KAYIBA, 27 ans, chrétienne catholique, étudiante au département de Sociologie de l'UOB, en année de Maîtrise, Nzébi-Sango.

Énoncé n°14 :

- « Le culte des ancêtres signifie pour moi la vénération des morts. C'est vrai que les morts ne sont pas morts et pour nous qui avons adopté la culture occidentale de la Bible ; nous ne pouvons accepter le culte des ancêtres qui désigne l'invocation des morts. On parle de retraits de deuil, sacrifices, l'invocation des totems et donc en contradiction avec la parole de Dieu. Celui qui participe à ces choses est un Nganga, un sorcier, un enchanteur en langage chrétien. Et la Bible dit " dehors les enchanteurs" (Apocalypse 22). J'ajouterai qu'en milieu citadin, sa place n'est pas omniprésente toutefois pendant les vacances il est prédominant dans l'arrière pays et c'est un moyen de se ressourcer dans les ancêtres. Il occupe une place importante et comme la religion, il permet de s'affirmer dans la société. En Afrique, la croyance autour des pouvoirs, privilèges et prestiges s'articulent autour de la capacité d'un individu d'acquérir les pouvoirs mystiques. "Être un grand"dans le sens africain du terme c'est posséder les pouvoirs qu'avaient les ancêtres. C'est un trafic d'influence à travers la capacité de pouvoir dominer son semblable. Non seulement par le discours soit par la capacité de mettre en pratique ce discours. Ce sont les politiciens qui ont un pouvoir développé grâce à ces reliques ; et aussi aux Ngangas car pouvoir guérir il faut qu'ils s'accaparent les forces des génies qui ne parlent qu'à travers les reliques. Cette criminalisation est là parce que le monde est ce qu'il est là parce que le monde est ce qu'il est, un homme ambitionne de pouvoir être grand au milieu de ses semblables ; qui est dépourvu de certaines qualités spirituelles. Il a besoin d'autres choses ; les reliques, les profanations de tombes sont un moyen d'arriver aux reliques. Les hommes d'Église remplissent leurs Églises des gens en dénonçant ces pratiques pour informer les populations face aux dangers des pièces détachées. Les fidèles, par la foi, affluent dans les églises pour être protégés ».156

Les propos de notre interlocuteur témoignent d'un certain engouement constaté pour la criminalisation des reliques et autres pratiques ancestrales par l'Église. Par ailleurs, l'informateur stipule que même les hommes politiques et les

Ngangas y ont recours mais il nous rappelle que la bible est formelle dessus, on ne peut pas être chrétien et attaché encore aux reliques.

Énoncé n°15 :

- << Le culte des ancêtres n'existe pas pour nous, mais pour les profanes il s'agit de tenter de rentrer en contact avec des entités surnaturelles." Laissez les morts enterrer les morts." Tout culte d'ancêtre n'a pas d'apport positif pour notre société c'est la vanité des vanités. D'ailleurs, la criminalité des reliques profite à Satan, pas à aucun homme normal, aux hommes politiques. Je peux te citer des grands noms du Moyen-Ogooué où les familles connaissent la malédiction à cause de ces reliques. Il ya criminalisation parce qu'il ya des hommes qui pactisent avec le diable ; pour le paraître. Il faut accepter Jésus pour le salut de son âme >>.157 Le point de vue du pasteur AKITA vient confirmer l'idée d'une criminalisation des pratiques ancestrales autochtones par l'Église. Or la Bible, en tant que Livre Saint contenant la Parole divine, nous rappelle qu'il ne faut pas << porter de jugement contre untel afin que Dieu ne nous juge pas non plus >>. Ce passage biblique tiré de l'Évangile de << Matthieu >> montre les paradoxes de la mission évangélisatrice de l'Église.

Dans cette criminalisation, il faut dire que << tout geste (ou toute parole) culturel à l'attention des défunts est désormais considéré au mieux comme sans objet, au pire comme satanique. Il n'est donc plus question de participer aux cérémonies familiales dédiées aux ancêtres, voie par lequel le non-converti marque périodiquement son inscription dans la lignée croyante du culte familial. De même, les pentecôtistes sont les seuls à considérer que les défunts qui leur apparaissent en rêve sont de mauvais esprits, éventuellement envoyés par un sorcier pour les amener à se compromettre, et non les esprits des défunts eux-mêmes (qui ne peuvent plus se

manifester), ce qui les pousse à prier pour chasser ces esprits "au nom de Jésus" >>.158 C'est une sorte de diabolisation des défunts.

Pour finir, << le pentecôtisme (<) sape non seulement un fondement de l'institution familiale comme le culte des ancêtres lignagers, mais encore le principe même de l'échange symbolique avec les morts. C'est en effet autour de leurs morts que les familles et, plus largement, les lignages se retrouvent annuellement. Même les milieux qui tendent aujourd'hui à refuser les cultes ancestraux (comme les chrétiens célestes ou les catholiques engagés) organisent régulièrement des cultes ou des messes pour les morts qui rassemblent une part non négligeable des familles >>.159

2. Le respect de la mort

> Le culte des ancêtres

Le culte des ancêtres est une illustration du respect de la mort. A ce sujet, on ne peut exclure que toutes les représentations sociales africaines en général, gabonaises singulièrement gravitent autour d'une vie après la mort. Autre fait, « la science et la médecine sont en mesure de nous protéger contre maintes maladies et dans une certaine mesure de prolonger notre existence, elles ne proposent toutefois aucune solution au problème de la mort. Nous devons nous tourner vers la philosophie et la religion pour trouver des réponses ultimes >>.160

C'est dire donc que la place des morts demeure une des préoccupations pour les vivants, mieux pour l'institution familiale qui est « un des lieux par excellence de l'accumulation du capital sous ses différentes espèces et de sa transmission entre les générations >>.161 Ce qui voudrait dire que dans la place des morts et la construction des sujets, << le refus des cérémonies familiales (et en particulier des cultes aux ancêtres) qui caractérise notamment les convertis born again se présente comme un

158 Joël NORET, « De la conversion au basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les milieux pentecôtistes du Sud-Bénin », p.150, in Politique Africaine « Globalisation et illicite en Afrique », n°93, mars 2004, Paris, Karthala, 193 p.

159Ibid., p.151.

160 Daisâku IKELA, La vie à la lumiqre du Bouddhisme. Traduit de l'anglais par Paul COUTURIAU, Monaco, Editions du Rocher, 1985, p.237.

161 Joël NORET, op.cit., p.149.

rejet des rites d'institution familiaux et comme un refus de s'inscrire dans la lignée croyante du culte familial, situation qui débouche sur une forme de " sécularisation" de la famille >>.162

Énoncé n°16 :

- « Les années 1940 et 1950 au Gabon ont été caractérisées par le fait d'un fort respect de la mort. En effet, il fut quasiment difficile de voir les corps exposés sur les rues de Libreville ou dans les villes de l'intérieur du pays parce que tout le monde a été élevé et préparé à respecter la mort. Les morts ont toujours occupé le temps des vivants et on devait leur préparer les meilleures funérailles pour qu'ils ne viennent pas en songes demander. Chez nous les Myènè, on a ce qu'on appelle Agombé Nèrô ou culte des ancêtres ; qu'on faisait quelques temps après le décès. Ce n'est pas une mauvaise chose mais ce qui est mauvais ce sont plutôt les motivations des individus malveillants dans nos familles qui pensent bénéficier de certaines faveurs de ce culte. Même quand nos aînés nous racontent que quand ils allaient à l'Église, les prêtres insistaient sur la solidarité et notre respect des morts. Je te rassure même que les femmes n'allaient pas au cimetière car il se passait souvent des choses bizarres. Il pouvait arriver que le mort revienne à la vie. Retiens aussi que quand on demandait aux gens de rentrer au cimetière avec le cercueil on rentre toujours par la tête. Tout simplement parce que quand un enfant naît, il sort des entrailles de sa mère par la tête. Et quand tu retournes c'est-à-dire quand tu meurs tu retournes avec tes deux pieds tu vas assumer ton arrivée au monde de ta mère. Aujourd'hui on a tout oublié, on profane les tombes et les corps, on coupe la langue, les mains, les testicules, le clitoris quand on tue quelqu'un >>.163

D'autre part, « la croyance fondamentale sous-jacente au culte des ancêtres est que les morts ne sont pas morts, mais continuent à être liés au destin des humains visibles >>.164 Les reliques des ancêtres ; sous la forme d'ossements et en particulier sous la forme des crânes, « sont la réplique exacte du culte des saints dans la religion catholique. Ces cultes sont d'autant plus parlants, si l'on peut dire, qu'ils établissent

162 Joël NORET, « De la conversion au basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les milieux pentecôtistes du Sud-Bénin », p.152.

163 Propos du pasteur Raymond AKITA de la Mission protestante de Baraka.

164 Raymond MAYER, Histoire de la famille gabonaise, 2ème éd. revue et augmentée, Libreville, Editions du LUTO, 2002, p.48.

réellement, par l'intermédiaire de phénomènes médiatisés par les transes, le contact avec les défunts. Cette communication avec les défunts est souvent établie dans un cadre thérapeutique, soit pour faire la guérison, soit pour réparer les jeteurs de mauvais sorts et conjurer ainsi, dans son sens littéral, le mauvais sort >>.165

Somme toute, « les messes catholiques pour les défunts, assimilées à des cultes aux morts, sont interprétées à partir de la même grille : la position des prêtres (qui demandent de l'argent pour dire les messes) est associée à celle des chefs de famille, les uns comme les autres jouant le même rôle de spécialistes religieux ou rituels à l'intérêt politique évident. Et l'on souligne que la basilique Saint-Pierre a été construite sur le tombeau de Pierre pour sceller le caractère déviant de l'Eglise catholique >>.166

Nous voulons juste montrer que le respect des morts, illustré par le culte des ancêtres représente la mémoire collective des familles. Et dans l'imaginaire gabonais, la croyance aux pouvoirs et l'influence des morts sur les vivants est bien manifeste. Le culte des ancêtres a été une donnée fondamentale dans la construction des identités des sujets. On se rend compte que selon les propos du pasteur Raymond AKITA, il n'était pas facile de faire des découvertes macabres à Libreville. Or l'observation de la réalité sociale actuelle démontre qu'aujourd'hui, la mort est banalisée voire désacralisée. Ainsi, le corps du gabonais est, comme l'affirme Maurice GODELIER167 , « conçu, supplicié, possédé et cannibalisé >>.

165 Raymond MAYER, Histoire de la famille gabonaise, 2ème éd. revue et augmentée, Libreville, Éditions du LUTO, 2002, p.49.

166 Joël NORET, « De la conversion au basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les milieux pentecôtistes du Sud-Bénin », p.151.

167 Maurice GODELIER et Michel PANOFF, Le corps humain. Conçu, supplicié, possédé, cannibalisé, Paris, CNRS Editions, 2009, 572p.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera