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L'or blanc. le marché occulte et illégal du corps humain à  Libreville

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par Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY
Université Omar Bongo - DEA 2010
  

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Chapitre II : La conversion des africains au christianisme et à l'islam

Plusieurs significations du mot « conversion » existent pour exprimer une réalité qui est a priori ambivalente. Par exemple, pour le dictionnaire Larousse illustré 2008, la conversion se définit comme l' « action de se convertir à une croyance, et particulièrement, abandonner une religion pour une autre : passage de l'incroyance à la foi religieuse ». Mieux, Larousse précise un autre sens de la conversion comme le «passage à une conviction, à une opinion, à une conduite nouvelle. » Toutefois, le sens que nous voulons donner à la « conversion » dont nous faisons allusion ici, se trouve mieux élaborée en psychologie comme « changement complet d'opinion, impliquant l'adhésion à une nouvelle croyance (religieuse et par extension, politique ou idéologique) et de fait une restructuration plus ou moins profonde de la personnalité ».105

Cette conversion traduit et illustre non seulement l'inculturation mais surtout ce que nous appelons la domination politique, physique et symbolique du colonisateur à travers le christianisme106. C'est de cette conversion au sacré judéochrétien que va naître la criminalisation des pratiques reliquaires africaines par l'Église et par les autochtones eux-mêmes, devenus les« nouveaux convertis ».

Section 1 : Pourquoi la conversion ?

Une première remarque s'impose quant à cette notion de « conversion » et surtout son contexte de production. Rappelons que nous sommes en pleine situation coloniale c'est-à-dire que nous faisons face à un contexte régi par des logiques capitalistes et de déstructuration sociale en Afrique. Par ailleurs, n'oublions pas que la conversion se définit comme l'action qui consiste à abandonner une religion pour une autre ; c'est le passage d'une conduite à une autre mais surtout, c'est changer une chose en une autre, donc une profanation des corps.

105 Madeleine GRAWITZ, Lexique des sciences sociales, 7ème édition, Paris, Dalloz, 2000, 424 p.

106 Nous tenons à rappeler ici que le christianisme n'a été qu'un alibi politique et économique dans « la mission civilisatrice 1 pour asseoir l'hégémonie occidentale. En effet, sur cette question, le discours du roi des Belges LEOPOLD II illustre bien l'idée selon laquelle la colonisation n'a pas eu pour but d'apporter Dieu étant donné que les peuples indigènes le connaissaient déjà ; plutôt d'assujettir l'indig~ne et le désintéresser de ses terres et de ses richesses.

D'autant plus que « la conversion, soit à une des formes du christianisme, soit à l'islam ou, à l'intérieur de ces religions, à un nouveau courant de piété, a suscité dans les années 1970 un débat qui trouvera ici de nouveaux exemples. L'effet de contraintes extérieures accompagnant la conquête coloniale, jihad des XVIIIe et XIXe siècles, pénétration de marchands étrangers venus de l'Atlantique ou du Sahel. Mais les faits les plus importants sont ceux qui éclairent les crises internes des sociétés et des religions "autochtones" et les inquiétudes ou les calculs des pouvoirs, des groupes sociaux ou des personnes qui se portent vers une nouvelle foi >>.107 En un mot, << la conversion s'effectue ainsi comme un approvisionnement du secret des Blancs, du moins dans un premier temps (<) >>108

1. Le christianisme et son rôle dans l'hégémonie coloniale 1.1. La conversion comme appareil idéologique d'État au Gabon

Selon Achille MBEMBE, << la conversion de l'indigène a été tout, sauf neutre ou gratuite. En toute hypothèse- et au risque de heurter une certaine théologie romantique- elle n'a pas été, fondamentalement, le fait de l'Esprit-Saint. Que les sociétés indigènes se soient, pour ainsi dire, laissées << appâter >>, puis << capturer>> par certaines régions -et non la totalité- du christianisme signifie précisément que leur << conversion >> fut sélective. Mieux, elle prit constamment en compte les perspectives de gains et de profits symboliques et matériels qu'était de nature à entraîner le troc des idiomes religieux ancestraux contre les idiomes des vainqueurs. Dès l'origine, l'indigène s'avisa, par conséquent, d'instrumentaliser cette modalité neuve >>.109

De toute évidence, il apparaît bien clair que la conversion pour Achille MBEMBE et donc le christianisme, est un appareil idéologique d'État qui fonctionne à l'idéologie, au sens d'ALTHUSSER. La conversion a été et est cet outil qui permet

107 Yves PERSON, << Pour une histoire des religions africaines », p.237, in Jean-Pierre CHRETIEN, L'invention religieuse en Afrique. Histoire et religion en Afrique noire, Paris, Karthala, (coll. << Hommes et sociétés »), 1993, 479 p.

108 Ibid., p.238.

109 Achille MBEMBE, Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale, Paris, Karthala, (coll. << Chrétiens en liberté »), 1988, p.10.

d'asseoir l'hégémonie coloniale et donc, elle n'a jamais été neutre. Bien au contraire, elle a été orientée l'assise de l'hégémonie coloniale car toute religion sert une politique. De même, ce point de vue d'Achille MBEMBE est illustré par nos informateurs, même si ces derniers a priori et inconsciemment ne le sentent pas mais ils le disent, quand nous leur avons posé la question de savoir ce qu'ils entendent par la conversion et à quoi sert-elle.

Les discours de nos interlocuteurs110 attestent qu'il s'agit bien d'un contrôle social dans le but de << produire » un être converti, totalement soumis et docile. Énoncé n°3 :

- << La conversion est quelque chose qui nous permet de changer nos vies. C'est pour devenir un soldat du Christ, c'est-à-dire suivre le Christ en tout et pour tout. L'élément qui m'a emmené à me convertir est d'abord mon age et toutes les difficultés que j'ai rencontrées dans ma vie comme problèmes de santé, la perte de ma grande soeur et la perte d'un ami. Parce que je me suis dis que la vie est éphémère, ce que nous faisons n'a pas de sens, que le paradis se prépare sur Terre avant les cieux (<) La conversion m'a apportée la stabilité dans ma vie, une prise de conscience de mes actes et changement ; en fait toujours dans ma vie, comment il faut voir son prochain ».111

Énoncé n°4 :

- << La conversion c'est quitter d'un état A à un état B. C'est changer de direction, changer de vie, c'est décider de changer sa manière de vivre, sa manière d'être, de penser. On se convertit c'est pour devenir chrétien, pour avoir une nouvelle vision des choses. Je me suis convertie depuis l'dge de 6 ans, mes parents m'ont amené à l'église et j'ai été baptisée, j'ai suivi les soeurs. Je suis restée jusqu'à présent ancrée dans ma religion. Ce sont les parents qui ont décidé ; j'ai fais la volonté des parents ; j'étais inconsciente et au fur et à mesure, j'ai trouvé mon compte. A l'église, on a appris les valeurs de la femme, du corps humain et d'avoir l'amour du prochain, la patience. J'ajoute que j'ai pris un chemin qui est celui que je suis

110 Nous précisons ici que pour mieux faire ressortir les discours de nos interlocuteurs, nous avons décidé de rapporter leurs discours in extenso.

111 Propos de mademoiselle Janny Esther DIVAGOU-IBRAHIM-KUMBA, 25 ans, chrétienne catholique, étudiante au département de Sociologie de l'UOB,en année de Maîtrise, Akélé-Punu.

depuis que j'ai 6 ans. 6 ans, c'est l'âge de l'innocence. La conversion m'a appris à pardonner à pardonner véritablement et à m'ouvrir aux autres. La conversion m'a apportée l'ouverture aux autres, l'amour du prochain parce que je n'étais pas ouverte aux autres ».112

Énoncé n°5 :

- « La conversion c'est l'acceptation des valeurs, des us et coutumes qui sont totalement étrangères à nos croyances. Le but de la conversion c'est de pouvoir rompre avec ce qui n'est pas essentiel à la vie notamment les pratiques qui ne participent pas à la compréhension du monde dans lequel nous vivons ; c'est-à-dire nos coutumes africaines. Certaines pratiques n'ont pas lieu d'être avec le modèle occidental que nous avons accepté. Un exemple précis : le culte des ancêtres ; la vénération des plantes, des totems, le sacrifice aux génies. Ce sont des abominations qui limitent l'homme dans sa réalisation ; c'est le refus du salut de Jésus-Christ. Tout individu selon moi, à un moment de sa vie, se trouve le dos contre le mur, et il m'est arrivé la même chose ; j'ai regardé autour de moi, aucun secours, j'ai puisé dans nos coutumes sans succès. C'est ma conversion en Christ qui m'a permis d'émerger à nouveau<Oui je peux affirmer et soutenir que quiconque qui a de bonnes motivations (réussir dans sa vie) avec Jésus-Christ, on réussit toujours. Le socle est la parole de Dieu et c'est elle qui change. La conversion m'a apportée la stabilité, la paix du coeur ; elle m'apportée ce qu'un parent, un homme, une mre, un père, un individu ne peut apporter : l'amour ; le respect de l'autre et le désir de voir un plus grand nombre s'accrocher au salut de Jésus-Christ car c'est là où il ya la vraie vie ».113

Énoncé n°6 :

- « Le changement de mentalité d'une étape à une autre ; changer ses habitudes, sa manière de voir les choses. On se convertit c'est pour devenir meilleur, mieux que ce que l'on était avant. C'est la recherche de Dieu dans la vie et vu ce qui se passe dans nos traditions c'est-à-dire les méandres, il nous faut quelqu'un qui soit notre assurance. Et étant issue d'une famille catholique, il est normal de poursuivre dans ce chemin. La conversion a changé ma vie,

112 Propos de mademoiselle Floriane Melinda KAYIBA, 27 ans, chrétienne catholique, étudiante au département G- 6RFIRlRTI- G-R'S 2 V,i-Q BQQé- G- BîAUs-, N] pEi-Sango.

113 Propos de monsieur John SATURDAY, 29 ans, chrétien pentecôtiste charismatique, étudiant au département G- 6RFIRlRTI- G-R'S 2 V,i-Q BQQé-1G- BîM-,:g XrXEB-Fang.

elle me permet de mieux voir, d'agir et d'appréhender autrui. Elle m'a apporté la paix, pas totale, la confiance en moi et avoir que je peux tout avec celui qui me fortifie ».114

Énoncé n°7:

- « La conversion c'est un changement de vie positif. Quand on se convertit s'est pour se rapprocher d'avantage du Christ et se détacher de tout ce qui n'honore pas le christ. Je me suis converti parce que j'ai eu l'expérience de la grace en étant avec le Christ et je veux toujours vivre cette grace. Elle m'a apporté des graces, la sagesse, l'humilité et le pardon ».115 Énoncé n°8 :

- « Se convertir c'est accepter ouvertement le Seigneur, c'est naître de nouveau. On se convertit c'est pour devenir une nouvelle créature ; repartir sur de nouvelles bases. Je me suis convertie dès la classe de CM2 comme ma maman a vu que je ne pouvais grandir sans conversion. Ma décision est venue des parents. Ma mere me l'a imposé. Selon les parents c'est un chemin obligatoire et on ne peut pas échapper. Dès le bas age, c'était inconscient ; car jusqu'à 26 ans, je ne mesurais pas la portée de mon acte. A 27 ans, j'ai réessayé et j'ai vu certaines réalités. La conversion c'est le nouvel individu, quand il suit les normes de l'Eglise, il obtient ce qu'il veut. Si tu ne suis pas le cheminement tu échoueras ».116

Énoncé n°9 :

- « La conversion c'est l'acte de s'engager et d'aller mettre en pratique une philosophie spirituelle révélée et non révélée. On se convertit c'est pour devenir adepte d'une philosophie révélée. C'est l'amour du sacerdoce qui m'a conduit à me convertir parce que je suis issu d'une famille de cinq (5) générations de cinq (5) pasteurs : OGOUERA, NDJAVE, OMBAGHO, OGOULA-M'BEYE, etc. Elle m'a apportée beaucoup, j'ai une autre appréhension du monde et que la vie est une vanité des vanités devant la mort. Elle m'a

114 Propos de mademoiselle Carine PENDY BOUANGA, 25 ans, chrétienne catholique, Nzébi, étudiante au département de Géographie de l'UOB, en année de Maîtrise.

115 Propos de mademoiselle Maéva Juliette WAMBONGO YABOZO, chrétienne catholique, 23 ans, Sango, étudiante au département de Lettres Modernes, en Licence 2.

116 Propos de mademoiselle Graziella MENGUE, 29 ans, agent marketing à Multi-chimie/Haut de Gué-Gué, chrétienne catholique, Fang/Odzipe.

amenée à comprendre que la plus grande initiation c'est accepter Jésus car le plus grand temple du monde c'est le coeur de l'homme >>.117

Nous voulons préciser ici que notre objectif n'est pas d'aligner les points de vue de nos interlocuteurs et de faire une quelconque apologie de la conversion ou son contraire. Ces divers points de vue illustrent bien le travail d'acculturation faite par l'Église et qui, finira par déboucher sur une nouvelle façon de vivre et de percevoir les pratiques traditionnelles.

1.2. La production « officielle » des convertis

A travers les discours de nos interlocuteurs, nous nous rendons compte que le travail des missionnaires a été effectif c'est-à-dire que l'évangélisation a bien fonctionné comme l'avait recommandé le roi des Belges LEOPOLD II dans son discours118 aux missionnaires : - « votre rôle essentiel est de faciliter la tâche aux administratifs et aux industriels. C'est dire donc que vous interprétez l'Evangile de façon qui sert à mieux protéger nos intérêts dans cette partie du monde (<) Vous devez les détacher et les faire mépriser tout ce qui leur procure le courage de nous affronter. Je fais allusion ici principalement à leurs fétiches de guerre. Qu'ils ne prétendent point ne pas les abandonner et vous mettre tous à l'oeuvre pour les faire disparaître. Votre action doit se porter essentiellement sur les jeunes afin qu'ils ne se révoltent pas. Si le commandement du Père est conducteur à celui des parents, l'enfant devra apprendre à obéir à ce que lui recommande le missionnaire qui est le père de son âme. Insistez particulièrement sur la soumission et l'obéissance. Eviter de développer l'esprit de critique dans vos écoles. Apprenez aux élèves à croire et non à raisonner >>.119

Comme nous l'avons dit supra, ces illustrations témoignent à suffisance que l'Église a servi l'administration coloniale pour « fabriquer >> des fidèles obéissants, soumis et totalement dévoués au christianisme. Et donc, qui n'opposeraient aucune résistance quant à l'irruption du monde occidental et ses corollaires. Il en va de

117 Propos du Pasteur Raymond AKITA, 42 ans, pasteur à la Mission protestante de Baraka de Libreville, Galoa, protestant. Il est au sacerdoce depuis 2000.

118 Discours prononcé devant les missionnaires se rendant en Afrique en 1883 ; voir en annexes.

119 Discours prononcé par le roi des belges devant les missionnaires se rendant en Afrique en 1883.

même pour André MARY qui entrevoit << la conversion comme choix personnel et sincère, comme réponse ferme à une alternative tranchée, ou comme rupture radicale et irréversible avec la "coutume" >>.120

Toute réflexion faite, André MARY soutient que << l'idéologie de la conversion est fondée sur la guerre déclarée aux puissances des ténèbres et dans cette guerre l'autre maléfique, satanique c'est le "païen".Le premier travail de l'évangélisme colonial c'est la démonisation, la diabolisation de la différence culturelle. Un bon chrétien ne peut pas vivre nu, sale, habiter dans les huttes, etc. Toutes les conditions étaient donc réunies pour que l'entreprise missionnaire des non-conformistes prenne la dimension d'un conflit idéologique et d'une guerre culturelle (une « guerre des esprits >>), sans possibilité de compromis >>.121 Comme il le dit enfin, << la conversion attendue relève moins de l'adhésion à une vérité que d'un "changement de vie", d'un changement d'être qui fait du converti un "nouveau né">>.122

Néanmoins, c'est Achille MBEMBE qui nous donne une réponse assez pertinente comparativement à celle d'André MARY, au sujet de la conversion. Pour MBEMBE, la conversion traduirait plutôt une tactique, une stratégie des colonisés pour mieux percevoir de << l'intérieur >> la logique culturelle des croyances du colonisateur et pour mieux le combattre. Aussi, << en répondant à la question de savoir " pourquoi se sont-ils convertis ", l'on a trop souvent négligé la part de ruse et de calcul qui convainquit les natifs de "fréquenter" les systèmes religieux et symboliques victorieux des confrontations qu'ils ne pouvaient plus différer. On n'a pas jeté suffisamment de soupçon sur ce qu'il eut de simulacre dans la manière dont ils théâtralisèrent ce qui s'apparente bel et bien à la défaite de leurs dieux et de leurs codes de référence >>.123

120 André MARY, « Conversion et conversation ; les paradoxes de l'entreprise missionnaire », p.791 in Cahiers d'Études africaines, 160, XL-4, 2000, pp.779-799.

121 Ibid., pp.779-799.

122 Ibid., p.787.

123 Achille MBEMBE, Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale, Paris, Karthala, (coll. « Chrétiens en liberté »), 1988, p.77.

D'ailleurs à la suite de MBEMBE, nous pensons aussi qu'il s'agit d'une conversion volontaire et qu'« au fond, il n'y a pas eu de "vraie" conversion. Il eut surtout le désir d'épouser le genre de vie missionnaire. Les exigences religieuses imposées par lui n'étaient que le moyen d'obtenir des avantages matériels. Elles étaient plus révérées qu'observées (<) L'Église a réussi sur le point de l'éducation. Pour ce qui est de l'ame, elle a échoué ».124 Finalement, « le christianisme s'est toujours développé dans un type de civilisation de cité-état-empire oil la paysannerie a perdu son autonomie et est devenue tributaire. Il est plus facile à un peuple déjà étatisé ou citadin de devenir chrétien, qu'à des chasseurs-cueilleurs, à des nomades ou à des agriculteurs indépendants. L'histoire montre que le christianisme ne peut vivre que sur la mort de certaines civilisations -genres de vie ».125

En un mot, le colonisateur a démagifié et démystifié l'univers symbolique et religieux des croyances des colonisés. Achille MBEMBE pousse sa réflexion en soulignant que « le refus de prendre institutionnellement en compte les symboliques rattachées aux us et coutumes ancestraux coûte certes cher au christianisme aujourd'hui, compte tenu de l'irruption d'autres concurrents sur le marché religieux ».126 Ce qui conduit Florence BERNAULT127 à parler de la reformulation du sacré en Afrique avec la floraison de sectes transnationales (Rose-Croix, Francmaçonnerie, Ekankar, Fraternité Blanche Universelle, etc.), ou des cultes syncrétiques religieux ; mais surtout, la persistance et la survivance des pratiques fétichistes telles les sacrifices humains, la sorcellerie du Kong128, ou des profanations des tombes à l'orée des élections politiques au Gabon. D'autant plus que cette persistance traduit l'échec de l'évangélisation au Gabon.

124 Guy MUSY, Après 75 ans..., dans Au coeur de l'Afrique, t.15, 1975/4, p.227 in « Conversion », prof. Henry DERROITTE, Faculté de théologie de l'UCL, s.d.n.l, 3p. ; tiré sur www.google.fr

125 H.MAURIER, Religions africaines : Les paysans, dans Vivant Univers, n°342, déc. 1982, p.39 in « Conversion », prof. Henry DERROITTE, Faculté de théologie de l'UCL, s.d.n.l, 3p. ; tiré sur www.google.fr

126 Achille MBEMBE, Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale, ibid., p.76.

127 Florence BERNAULT, « Magie, sorcellerie et politique au Gabon et Congo Brazzaville » in MBEKALE
M.M Démocratie et mutations cultures en Afrique Noire, Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.

128 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong à Bitam : Une manifestation symbolique de l'économie et de l'Etat capitaliste, Rapport de Licence en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, Septembre 2003, 25 p.

Nous ne saurions conclure ce débat consacré au christianisme et son rôle dans l'hégémonie coloniale sans convoquer la contribution de Chinua ACHEBE129. Il a qualifié d'ambiguïté" l'action des missionnaires en Afrique. En effet, dans son ouvrage intitulé << le monde s'effondre >>, le romancier y relate l'histoire du peuple Ibo en pleine situation coloniale occidentale sous l'impulsion des missionnaires qui, déterminés à apporter << la civilisation >> et l'évangélisation, profanent les lieux sacrés Ibo pour imposer le christianisme. Cela a pour conséquences la déstructuration de la vie tribale et la tragédie d'un homme dont toute sa vie a tendu à devenir l'un des personnages les plus influents de son clan et qui finit de façon << misérable ».

Sans omettre la conversion au christianisme de son fils pourtant destiné à continuer la tradition de ses ancêtres : à ce moment, le monde africain, symbolique et lignager s'effondre". Les profanations des lieux sacrés ont été les actes quotidiens que les missionnaires firent subir aux indigènes ; leur montrant la puissance du Dieu chrétien sur les dieux ancestraux africains. Le roman met donc en évidence les rapports sociaux de force.

En témoigne ce bref passage du roman qui met en évidence cette dialectique de la profanation basée sur le défit, l'imposition. C'est donc l'imposition de la violence symbolique et religieuse occidentale en Afrique dont cet extrait en est une des illustrations : << les missionnaires passèrent leurs quatre ou cinq premières nuits sur la place du marché, et le matin se rendirent au village pour prêcher l'évangile. Ils demandèrent qui était le roi du village, mais les villageois leurs dirent qu'il n'y avait pas de roi (<) Ils demandèrent une pièce de terre pour bâtir leur église. Chaque clan et chaque village avait sa "Forêt Maudite".Là étaient enterrés tous ceux qui mourraient de maladie réellement mauvaise, comme la lèpre ou la petite vérole. C'était aussi le dépotoir des puissants fétiches des grands hommes-médecine quand ils mourraient. Une << forêt maudite » était donc tout animée de forces sinistres et de puissances de ténèbres. Ce fut une telle forêt que les dirigeants de Mbanta donnèrent aux missionnaires (<) Le lendemain matin ces hommes fous se mirent bel et bien à

nettoyer une partie de la forêt et à bâtir leur maison. Les habitants de Mbanta s'attendaient à ce qu'ils soient tous morts dans les quatre jours. Le premier jour passa et le second et le troisième et le quatrième, et aucun d'entre eux en mourut. Tout le monde était intrigué. Et alors il devint connu que le fétiche de l'homme blanc avait d'incroyables pouvoirs. On disait qu'il portait des verres sur les yeux de sorte qu'il pouvait voir les esprits du mal et leur parler ».130

Et n'oublions pas qu' « il était bien connu chez les gens de Mbanta que leurs dieux et leurs ancêtres étaient parfois d'une grande patience et laissaient délibérément un homme continuer à les défier. Mais même dans de tels cas ils fixaient la limite à sept semaines de marché ou vingt-huit jours. Au-delà de cette limite on ne laissait personne continuer. C'est pourquoi l'excitation augmentait au village tandis que la septième semaine approchait depuis que ces impudents missionnaires avaient bâti leur église dans la Forêt Maudite. Les villageois étaient si certains du destin fatal qui attendait ces hommes qu'un ou deux convertis jugèrent sage de suspendre temporairement leur fidélité à la foi nouvelle. Enfin le jour vint où tous les missionnaires auraient dû être déjà morts. Mais ils étaient toujours vivants, et construisaient une nouvelle maison de terre rouge et de chaume pour leur instructeur, M.Kiaga. Cette semaine là, ils gagnèrent une poignée de convertis de plus ».131

Nous avons vu dans cet extrait que, bien qu'étant issu d'une histoire imagée, la conversion repose néanmoins sur un fait historique réel qu'est la colonisation en Afrique. Ce que nous voulons montrer, c'est que l'Église, par l'entremise des missionnaires, aura profané les lieux sacrés africains pour imposer le Dieu chrétien tout en diabolisant les rites et les dieux ancestraux africains. Par ailleurs, cet extrait nous renseigne sur la façon dont le christianisme s'est implanté et comporté en Afrique : il a été un mouvement religieux du défit, de déstructuration de l'ordre social ancestral africain, un juge des valeurs morales en présence et une mise en

évidence de l'européocentrisme. Or n'est-il pas écrit dans la sainte Bible que le chrétien ne doit ni juger, ni porter de faux témoignages sur son prochain, encore moins blasphémer ? D'autant plus qu'on assiste à une diabolisation des rites ancestraux africains depuis la colonisation jusqu'à la postcolonie.

2. L'islam

2.1. Le rôle de l'islam dans l'hégémonie coloniale

Nous avons vu finalement que la conversion ou la profanation des corps en Afrique s'est faite par l'Église et surtout, que « les missionnaires rejetaient les pratiques religieuses précoloniales et cherchaient à imposer une morale victorienne qui légitimait la hiérarchie coloniale >>.132 De même, l'Islam s'est comporté de façon identique que le christianisme en Afrique ; c'est-à-dire qu'il a été également un appareil idéologique d'État qui a servi à asseoir la domination coloniale arabomusulmane. Et n'oublions pas que la structuration de la population informe sur l'appartenance religieuse des groupes sociaux : on retrouve les chrétiens, les musulmans, des animistes, sans oublier les adeptes des sectes ésotériques.

Mais cela ne change en rien le rôle de la conversion à l'islam comme une profanation des corps. Comme pour le christianisme, nous avons recueilli les discours de deux (2) de nos interlocuteurs musulmans ; dans l'édification de notre préoccupation. Aussi, il leur a été posé la question de savoir ce qu'est la conversion. Ils répondent à cet effet que :

Énoncé n°10 :

- « Être converti c'est être croyant, c'est aimer sa religion. Se convertir c'est devenir

un vrai musulman et c'est pour avoir l'islam en soi, j'ai grandi dedans. Ça m'a apportél'amélioration des conditions de vie ; je ne fais plus de bêtises comme avant et çà m'a appris à savoir me maîtriser quand je suis dans les problèmes >>.133

132 Helen CALLAWAY, << Purity and Exotica in Legitaming the Empire : cultural constructions of Gender, sexuality and race » cité par André CORTEN et André MARY (éds) in Imaginaires politiques et pentecôtismes Afrique/Amérique Latine, Paris, Karthala, (coll. << Hommes et sociétés »), 2000, p.92.

133 Propos de monsieur Moussa TOGOLA, 35 ans, entretien réalisé le 26 mai 2009 à 20h18 à son domicile. Il est malien, coutume Dogon. C'est un musulman.

Énoncé n°11 :

- « La conversion c'est s'intégrer dans une religion et changer d'habitudes ; suivre les instructions du Coran pour nous, de la Bible pour les chrétiens. L'évenement qui m'a amené à me convertir c'est mon opération chirurgicale. Quand je me suis faite opérée, j'ai pensé que ce n'est pas tout le monde qui peut revenir. Je me suis faite convertir parce que j'avais besoin d'une assise, d'un endroit où je peux adorer mon Dieu ; Allah. Je dois dire qu'elle m'a apportée beaucoup de choses ; le bien-être, l'humour, la joie, mon coeur est libre car avant, je me cherchais vraiment ; tous les jours je pouvais être malade, ce qui n'est plus le cas ».134

Rappelons ici que comme le christianisme, l'islam de Mahomet s'est imposé et s'est diffusé en Afrique dans un contexte colonial de déstructuration sociale de l'ordre social des sociétés symboliques africaines. On se rend compte aussi que « la mise en ordre religieuse par l'érection de monuments procède d'un désir de visibilité et d'affichage public des cultes. Les cultes, musulman comme catholique, s'affirment contre génies et les esprits ancestraux, désormais retranchés dans l'espace privé, les lieux obscurs et de la mémoire »135 des autochtones.

C'est dans cette déstructuration sociale que le temps de la régulation et du contrôle social ont la coloration coloniale. Il s'agit donc d'une conversion qui a la capacité d'inscription du corps social colonisé dans un universel irréductible à l'ethnologie et la (dé)tribalisation coloniale ; voire une négation de son identité africaine sous le prétexte colonial.

Dans ce marché religieux et politique, une bataille à caractère religieux voit le jour mais dont les soubassements, en filigrane, restent politico-administratifs; c'est le fait que face à l'islam, « la préoccupation principale de l'Église est d'imposer des pratiques religieuses orthodoxes pour faire pièce à Mahomet *< et+ sa religion absurde et rétrograde qui a détruit < Je dirais seulement qu'une religion qui s'est établie par la force, et qui promet à ses adeptes des voluptés charnelles pour

134 Propos de mademoiselle Khadidjatou MAROUNDOU, gabonaise, reprographe à l'UOB, 33 ans, coutume Punu, musulmane ; entretien réalisé le 5 aoLt 2009 à 16h à l'UOB.

135 Mamadou DIOUF, « Assimilation coloniale et identités religieuses de la civilité des originaires des Quatre Communes du Sénégal » paru in Le CODESRIA, Dakar, Sénégal, sans date, p.839.

récompenses ne pouvait que s'étendre rapidement : l'État d'ignominie, de stupidité, de servitude, de corruption, dans lequel sont plonges tous les peuples soumis à la loi de Mahomet en est une demonstration evidente ».136

Le discours de ce pretre nous permet de voir les paradoxes de l'entreprise missionnaire (de telle sorte qu'il ne s'agit pas de juger pour ne pas etre juge, seulement de proclamer la Bonne Nouvelle dans le monde). Il va plus loin dans son propos en affirmant qu'au sujet des Africains, « ils etaient donc chretiens par le bapteme *<+ superstitieux comme les mahométans et les fétichistes. Leurs moeurs etaient à peu près les memes *<+ C'étaient des chrétiens sans instruction, dans un pays eminemment mahometan ».137 Nous rajouterons egalement que le processus de diabolisation des us et coutumes africaines ne datent pas d'aujourd'hui, plutôt depuis la colonisation.

C'est d'ailleurs pour quoi « la revendication de l'instauration d'un tribunal musulman doit se lire non comme une lutte pour un regime juridique inscrit dans une tradition religieuse, mais la circonscription d'un espace de production d'une identite indigène, soustraite à la violence de la domination et l'arrogance culturelle coloniale. Lorsqu'on suit à la trace les objets autour desquels se nouent l'opposition entre communaute musulmane et les acteurs metropolitains (juges et fonctionnaires coloniaux), sont en cause la polygamie, qui travaille l'imaginaire des colons- et le fantasme d'une sexualité indigène torride, débridée et fertile-, la gestion, par la communaute, des orphelins- qui engage à la fois les problèmes d'héritage, de succession, mais egalement de conversion (<) »138

Loin d'être un jugement de valeur, plutôt un jugement de fait basé sur un constat, on se rend compte que le pentecôtisme repose sur la capacite de diaboliser et de demoniser les us et coutumes des autochtones en creant des images negatives.

136 L'abbé BOILAT, 1984 :232 cite par Mamadou DIOUF, ibid., p.842.

137 L'abbé BOILAT, 1984 :214-215 cite par Mamadou DIOUF in « Assimilation coloniale et identités religieuses de la civilité des originaires des Quatre Communes du Sénégal », ibid.,p.842.

138 Mamadou DIOUF, op.cit., p.842.

Sans oublier que le pentecôtisme participe à renforcer les stratifications sociales en Afrique.

En résumé, par le pentecôtisme, l'espace public est un espace de guerre où l'autre doit être « démoli », consommé et consumé. On est dans un discours métonymique.

2.2. Les effets de l'islam

Grosso modo, nous proposons aussi un passage, mettant en scène le père de Samba DIALLO, un personnage central et un instituteur, tiré du livre de Cheik HAMIDOU KANE139 titré << L'aventure ambiguë », dans le but de montrer justement les paradoxes de la rencontre entre le << civilisé >>(l'homme blanc) et le « sauvage » (le noir) ; dans une perspective d'une certaine résistance, d'un échec de la gestion du champ religieux et symbolique africain par les européens comme le pense Achille MBEME. << Il est certain que rien n'est aussi bruyamment envahissant que les besoins auxquels leur école permet de satisfaire. Nous n'avons plus rien<grace à eux, et c'est par là qu'ils nous tiennent. Qui veut vivre, qui veut demeurer soi-même, doit se compromettre. Les forgerons et les bûcherons sont partout victorieux dans le monde et leur fer nous maintient sous leur loi. S'il ne s'agissait encore que de nous, que de la conservation de notre substance, le problème eût moins compliqué : ne pouvant les vaincre, nous eussions choisi de disparaître. Plutôt que de leur céder. Mais nous sommes parmi les derniers hommes au monde à posséder Dieu tel qu'Il est véritablement dans Son Unicité<Comment Le Sauver ? Lorsque la main est faible, l'esprit court de grands risques, car c'est elle qui le défend< -Oui, dit l'instituteur, mais aussi l'esprit court de grands risques lorsque la main est trop forte. Le maître, tout à sa pensée, leva lentement la tête et considéra les trois hommes. - Peut-être estce mieux ainsi ? Si Dieu a assuré leur victoire sur nous, c'est qu'apparemment, nous qui sommes Ses zélateurs, nous l'avons offensé. Longtemps, les adorateurs de Dieu

ont gouverné le monde. L'ont-ils fait selon Sa loi ? Je ne sais pas<J'ai appris qu'au pays des blancs, la révolte contre la misère ne se distingue pas de la révolte contre Dieu. L'on dit que le mouvement s'étend, et que, bientôt, dans le monde, le même grand cri contre la misère couvrira partout la voix des muezzins. Quelle n'a pas dii être la faute de ceux qui croient en Dieu si, au terme de leur règne sur le monde, le nom de Dieu suscite le ressentiment des affamés ? »140

En un mot, on s'aperçoit d'abord qu'il ya là comme un discours sur la théodicée prophétique de Max WEBER. Un détour chez Jean-François BAYART141 est intéressant. En effet, dans cette perspective de la conversion des Africains au christianisme et à l'islam et qui s'apparente à un conflit symbolique de profanation des corps, BAYART attire notre attention en nous apprenant que « le travail d'inculturation ne se fera que par les Églises d'Afrique elles-mêmes. Et si le Pape préside, c'est par la charité et non la culture. C'est entre autre pour ne pas avoir compris cette distinction qu'il y a eu, au cours de l'histoire de l'Église, les ruptures des mondes byzantin, slave et germanique (<) Nos Églises ont été fondées par des missionnaires venus du monde latin mais cela ne signifie pas que nous sommes devenus des Latins. Les Occidentaux eux-mêmes ont été évangélisés par des Judéochrétiens et des Grecs ; ils sont restés latins et romains. De même les Églises copte et éthiopienne ont été évangélisées par Byzance. Cependant, elles se sont développées selon leur manière et leur génie propres (<) Les Occidentaux ont vécu jusqu'ici selon une vie culture unifiée et monolithique. Ils ont fait d'une contingence (la manière dont le christianisme s'est développé en Europe) une nécessité et considèrent le mode européen comme indispensable. Ils contestent la diversité culturelle, la seule culture étant la leur (<) Il y a eu de fait confusion entre l'ordre de la charité et l'ordre de la culture. Il faut donc reconnaître qu'aujourd'hui encore, l'admission d'un

140 Cheik HAMIDOU KANE, L'aventure ambiguë. Préface de Vincent MONTEIL, ibid., pp.20-21.

141 Jean-François BAYART, « Les Églises chrétiennes et la politique du ventre : le partage du gâteau ecclésial », CERI-CNRS, 26 p, document en pdf tiré sur le site www.google.fr

pluralisme culturel de la part de l'Occident est purement théorique : il n'y a pas admission effective d'un tel pluralisme ».142

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote