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L'analyse des pratiques professionnelles: un moyen de "faire équipe"?

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par Emilie Stella-Lyonnet
Institue de Formation des Cadres de Santé Marseille - Cadre de Santé 2007
  

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2.2.3. La question de la division du travail

Attachons nous désormais à la division du travail (Comme nous avons pu le voir, celle-ci est le deuxième élément clé pour atteindre la maturité nécessaire au fonctionnement en équipe). Dans une équipe de soins, les rôles et places de chacun sont-ils correctement définis ? Chacun connait-il ses prérogatives et responsabilités ? N'existent-ils pas des << luttes de territoire »? C'est à ces différents points que nous allons désormais nous attacher.

P Définition des rôles et responsabilités

Commençons par la définition des rôles ainsi que la connaissance des responsabilités. Au sein d'une organisation, c'est la <<structure formelle », qui fixe officiellement la manière dont le travail est censé s'organiser ; dans sa version extrême, elle détermine les rôles et responsabilités. Pour éclairer notre propos, il convient donc de s'intéresser à cette structure au sein des services de soins ; sa représentation la plus simple est l'organigramme.

Au sein des établissements hospitaliers, il existe une hiérarchie médicale et une hiérarchie soignante ; celles-ci se traduisent au sein des services. D'une part, le chef de service a autorité sur l'ensemble du personnel médical, d'autre part, le cadre de santé est responsable de l'équipe soignante : ainsi plusieurs hiérarchies se croisent de manière interdépendante. Selon une étude menée en 2006 (Jounin, et al., Octobre 2006)30, la décomposition des tâches (prescription et exécution d'un acte par exemple) dans le milieu hospitalier obéit à différentes injonctions hiérarchiques ; à la question : « La hiérarchie, c'est aussi les médecins ? », voici ce que nous pouvons relever dans des entretiens réalisés pour la même étude (Jounin, et al., Octobre 2006)31 :

? Un infirmier : << Pour moi oui, ma hiérarchie...Même si, je veux dire, ils ont pas un rôle de sanction par rapport à moi. Enfin je pense pas, je sais pas si... Enfin moi je pense pas qu'ils peuvent me sanctionner. Ils pourraient faire un rapport à Mme X [surveillante générale] qui elle pourrait plus me sanctionner. Mais

30 Jounin, Nicolas and Wolff, Loup. Octobre 2006. Entre fonctions et statuts, les relations hiérarchiques dans les établissements de santé. Ministère de l'Emploi, de la Cihésion sociale et du Logement et Ministère de la Santé et des Solidarités. s.l.: Centre d'Etudes de l'Emploi (CEE), Octobre 2006. p. 129, Post-enquête. n°64. p.65.

31 Op. Cité. p. 105.

pour moi oui, hiérarchiquement, oui... Même si je sais que ma courbe hiérarchique, c'est pas celle-là. Mais pour moi, je reconnais aussi bien que les médecins sont, oui, hiérarchiquement supérieurs à moi et s'ils ont des choses à me dire, je suis capable de les entendre et... Même si dans l'organigramme on est séparé. Enfin moi je fais pas de distinction. Un interne viendrait me voir, je reconnaîtrais si j'ai fait des erreurs ou quoi que ce soit. Pour moi c'est sûr que hiérarchiquement il est supérieur à moi. Parce qu'il a un rôle de prescription, on a notre rôle propre, mais l'essentiel... enfin c'est pas l'essentiel. En partie on a un rôle aussi d'application de prescription. Il faut bien qu'on applique les prescriptions médicales. »

? Un interne : « Les infirmières, quelque part, si, quelque part, je sais pas si c'est hiérarchique, mais c'est moi qui fais les prescriptions, et c'est elles qui les appliquent.»

? Un médecin : « Vis-à-vis du personnel soignant, là c'est plus difficile bien sûr [qu'avec les internes et externes]. Ils sont pas sous ma responsabilité directe, je pense. J'en suis pas sûr, d'ailleurs. Ils sont pas sous ma responsabilité directe, ils sont sous celle du chef de service. Par contre effectivement, c'est le rapport... Même dès le niveau d'interne, les internes demandent des choses, font des prescriptions médicales que les infirmières doivent exécuter. Après, là aussi les infirmières ne sont pas juste là pour exécuter des ordres sans poser de question. On est très intéressé d'avoir des infirmières qui ont une opinion, et on discute. Après, bon, il faut qu'elles fassent ce qu'on leur demande. (...)Donc avec les infirmières, on a effectivement un rapport quand même de supériorité, parce que toutes les décisions sont médicales, c'est elles qui les exécutent. »

? Un cadre de santé : « C'est notre quotidien, d'être gérés par les médecins. Mais ce qu'il faut c'est garder notre autonomie, nous soignantes, et ne pas avoir de lien hiérarchique avec les médecins ».

Ces quatre extraits nous permettent de montrer à quel point la structure formelle est difficile à appréhender pour l'ensemble des corps professionnels exerçant au sein d'un service. Malgré une réglementation détaillée, personne ne sait vraiment de qui il est le responsable et de qui il dépend.

P Les glissements de tâches

Concernant la division du travail, nous pouvons également ajouter qu'il n'est pas rare d'assister à des « glissements de tâches »32 en service de soins. Dans l'étude citée précédemment, certains entretiens viennent confirmer ces « dépassements de responsabilités » :

? Un infirmier et un aide soignant : « - [Aide-soignant] L'infirmier a des fonctions bien définies par la loi. L'aide-soignant aussi. Mais du fait de la charge de travail et qu'on travaille en binôme, souvent l'aide-soignant est amené en fait à aller au-delà de ses fonctions.

- [Infirmier] Il y a des petits glissements (...) »

? Un membre de la CGT : « Ça s'appelle des glissements de tâches. Et ça il y en a tous les jours. (...). »

? Une directrice des soins et un cadre de santé : « - [Directrice des soins] Nous avons un gros souci sur les prescriptions médicales et d'examen. À partir de maintenant, si une prescription d'examen n'est pas validée par un médecin, il n'y aura pas d'examen. Il y a eu un souci, là, qui ne doit plus arriver, ça aurait pu être grave. On l'a arrêté juste avant, on peut le dire, le patient était tout prêt à passer à l'examen. Ce n'est pas à l'aide-soignante, à l'infirmière, ou au cadre... Ils peuvent remplir un bon, mais il doit être impérativement validé, sauf urgence vitale.

- [Cadre infirmier] Mais c'est nous qui le faisons depuis des lustres pour les bons de labo, et c'est la même chose pour la radio. (...) »

32 Selon l'auteur de l'étude, cette expression désigne le fait que des catégories de personnel non habilitées exécutent des tâches théoriquement réservées aux professions désignées par la réglementation.

L'ensemble de ces témoignages, nous permet également de penser que les rôles et responsabilités de chacun ne sont appréhendés et respectés que de manière partielle au sein des services de soins.

P Les luttes de territoire

Le dernier point que nous devons aborder pour appréhender le degré de maturité d'une équipe soignante concerne la connaissance et le respect des territoires de chacun. En établissement de santé, des luttes de territoire (et de pouvoir), qu'elles soient conscientes ou inconscientes, peuvent aller à l'encontre d'une coopération et d'une communication efficace.

É Le pouvoir médical

La profession médicale a toujours bénéficié d'une forte reconnaissance ; elle doit son pouvoir charismatique au fait que le médecin a souvent entre ses mains la vie d'un patient. En effet, le médecin a toujours été indépendant du jugement et du contrôle des profanes ; ce statut a permis à la profession d'évoluer de manière totalement autonome et de contrôler l'hôpital malgré la double hiérarchie (administrative et médicale). Aujourd'hui, ce pouvoir est remis en cause par plusieurs points :

? Des usagers des soins de plus en plus procéduriers qui remettent en cause la « toute puissance » des médecins.

? L'apparition d'une ligne hiérarchique paramédicale : la Direction des soins. ? La nouvelle gouvernance avec la mise en place des pôles.

? La haute technicité des hôpitaux modernes qui, comme le souligne C. Hugues pose la question des « frontières entre les différentes catégories de personnel : « comme le nombre de tâches à accomplir augmente de jour en jour dans les hôpitaux modernes, il y a davantage de frontières entre postes qu'il n'y en avait précédemment. Toutes sont le lieu d'une nécessaire coopération, et donc d'un conflit potentiel » (Carricaburu, et al., 2004)33. En effet, chaque nouvelle technologie pose la question de

33 Carricaburu, Danièle and Ménoret, Marie. 2004. Sociologie de la santé. Institutions, professions et maladies. Paris : Aramand Colin, 2004. p. 235. Collection U. ISBN 2-200-26229-9. p.62.

savoir qui de l'infirmier ou du médecin assurera les nouvelles tâches (chaque soin du

rôle propre infirmier pose la même question entre l'infirmier et l'aide-soignant).

Ce constat nous interpelle sur les « zones d'autonomie »34 de chacun des acteurs hospitaliers et il parait nécessaire de nous attarder sur l'évolution des professions paramédicales.

É L'évolution des professions paramédicales

D'après E. Freidson, « le terme « paramédical » s'applique aux métiers relatifs à l'administration des soins qui tombent finalement sous le contrôle du médecin » (Carricaburu, et al., 2004)35. Cette citation, qui date des années 1970 est-elle toujours valable dans le contexte actuel ? Certes, la capacité de prescription accorde aux médecins une autorité fonctionnelle sur l'ensemble des soignants, cependant, chacune des catégories professionnelles tend de plus en plus à s'organiser:

? L'institution d'un Diplôme d'Etat, d'un rôle propre et la création d'un ordre infirmier accorde à la profession une certaine autonomie. Les revendications concernant la formation par un cursus universitaire sont de plus en plus importantes : la profession évolue vers la reconnaissance d'un savoir qui lui soit propre et non issu des savoirs médicaux.

? Face à la technicisation de la fonction infirmière, les aides-soignantes revendiquent leur place auprès du patient dans l'accompagnement et l'écoute. Cette profession voit son statut modifié par la création d'un Diplôme d'Etat en 2007.

? Le métier de cadre de santé est créé par le décret n° 95-926 du 18 aout 1995 : ils sont formés à un travail de proximité, de gestion des ressources humaines et ne se limitent plus à uns simple fonction de contrôle comme les anciens surveillants.

? Enfin, comme dit précédemment, les professions paramédicales s'organisent autour de leur propre ligne hiérarchique. La Direction des soins dispose de l'autorité hiérarchique sur l'ensemble des cadres de santé : la création de cette nouvelle

34 Expression empruntée à M. Crozier, auteur de « L'acteur et le système ».

35 Op. Cité. p. 64.

hiérarchie pose la question de la subordination des personnels paramédicaux aux personnels médicaux.

La reconnaissance acquise par les professions de soins, détachées sur le plan administratif des professions médicales, n'est pas sans incidence sur les rapports entre les différents corps professionnels, sur les stratégies de carrière des membres des professions concernées et implicitement, sur les relations de coopération au sein des équipes. Ces jeux de pouvoir, très certainement inconscients, sont en opposition avec une division du travail reconnue de tous.

Nous venons de montrer qu'une équipe de soins ne remplit pas les critères fondamentaux de la maturité.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams