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Engagement politique et associatif des femmes en Mauritanie. Le « négoféminisme maure »: entre stratégies féminines et pratiques informelles du pouvoir politique

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par Nejwa El Kettab
Université de Picardie Jules Verne - Master 2 recherche sociologie 2012
  

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c) Le concept de Harîm comme grille de lecture pour l'analyse de l'organisation tribale et

politique de la société maure (Référence aux travaux de Pierre Bonte) :

Cette forme de sociabilité organisée autour de la femme met en évidence une instrumentalisation de la culture maure des rapports de genre par les femmes : le concept de « Harîm » tel qu'il est analysé par Pierre Bonte (L'émirat de l'Adrar mauritanien. Harîm, compétition et protection dans une société tribale saharienne) ainsi que l'amour courtois étant une spécificité berbérosaharienne. Une instrumentalisation leur permettant de jouir d'un statut social avantageux et leur garantissant une autonomie financière. Ceci dit l'analyse de ce concept nous permettra de relativiser la subordination des hommes à ces femmes de renommées dans la mesure où cette relation d'interdépendance renferme une logique de domination masculine telle qu'on la retrouve dans les analyses de Pierre Bourdieu.

En effet, le concept de Harîm est au coeur des logiques sociales de la société maure : Désignant
la femme en arabe classique mais dont l'étymologie est formée par le mélange des termes
« interdire » et « protéger ». Ceci nous renvoie donc à une idée de protection, le harîm c'est

l'univers que les hommes du groupe doivent protéger et contrôler, faisant penser à toute la problématique de l'honneur. Pour l'élaboration de ce mémoire, j'ai effectué un entretien ayant eu lieu a Paris81 avec le sociologue Abdel Wedoud ould Cheikh82, un sociologue et collègue de Pierre Bonte ayant fait un compte rendu sur l'ouvrage de l'anthropologue en question.

Au cours de l'entretien, Abdel Wedoud ould Cheikh a mis l'accent sur le caractère méditerranéen de la question de l'honneur : « Les anthropologues qui ont travaillé sur les sociétés méditerranéennes (notamment les travaux de Pierre Bourdieu sur la Kabylie) ont révélé que la question de l'honneur est au coeur des rapports de genre. Appelé le « nif» chez les kabyles et « darja », le « charaf » chez les maures, les femmes sont les gardiennes de l'honneur des hommes et réciproquement [...] Il y a une expression de l'anthropologue Pitt Rivers qui résume parfaitement ce phénomène « Chez les méditerranéens l'honneur se perd par les femmes et se gagne par les hommes ». Elles peuvent compromettre le statut des hommes alors pour protéger leur honneur, ils se chargent de protéger celui des femmes. »

C'est dans cet état d'esprit que nous devons considérer les rapports de genre dans la société maure. Dans l'ouvrage de Pierre Bonte « L'émirat de l'Adrar mauritanien. Harîm, compétition et protection dans une société tribale saharienne », à la fois synthèse et élargissement d'une thèse d'État soutenue en 1998, l'auteur nous amène à comprendre comment s'est formé l'émirat de l'Adrar à partir des compositions tribales, généalogiques et statutaires, il nous conduit progressivement dans un ouvrage particulièrement dense à considérer que ce qui est au départ une « affaire de famille » devient une « affaire d'État ». On peut illustrer cette théorie par l'exemple des Uthman : « La succession de Uthmân83 divise, selon des clivages liés à la parenté et à l'alliance, les descendants de Lavdhîl84. Le mariage léviratique, qui conforte, en un premier

81. Juin 2012

82. Professeur et chercheur en anthropologie et sociologie , auteur d'ouvrages portant sur l'organisation tribale dans l'espace saharien, l'islam et le pouvoir politique ainsi que les systèmes confrériques musulmans. Ancien Directeur de l'Institut Mauritanien de Recherche Scientifique.

83. Chef de la tribu guerrière des Awlad Qaylân, dont le règne débuta vers 1740.

84. Autre fraction d'une tribu Hassan (guerrière)

temps, les droits du frère de l'émir défunt, la mobilisation des relations de parenté paternelles et maternelles, les clivages entre frères germains, l'opposition entre l'oncle et le neveu agnatique et les alliances, ou conflits, entre cousins parallèles patrilatéraux, la mise à l'écart des demigermains issus d'une mère esclave... »85 On y cerne le poids du « nasab » ( terme arabe qui désigne le lien de parenté qui définit la généalogie d'une tribu ou d'une famille ) dans l'acquisition des droits par la descendance ainsi que les logiques matrimoniales s'articulant autour d'une hypergamie féminine et le statut de la filiation comme modèle d'analyse de cette société tribale saharienne.

Si nous nous penchons sur la place et le rôle des femmes dans l'organisation de l'ordre tribal, on peut noter en premier lieu la pratique du « mariage arabe » exprimant une préférence pour le mariage entre cousins parallèles patrilatéraux. Cette endogamie lignagère est interprétée différemment selon les anthropologues : d'un point de vu politique, elle peut constituer une prévention à d'éventuelles fissions au sein du groupe : « en donnant sa fille à son neveu agnatique, l'oncle paternel renforce des solidarités lignagères menacées par les feuds et les conflits et il pérennise la lignée dont il est issu [...] D'autres ( Rosenfeld 1957 ; Patai, 1965 ; Peters, 1976) insistent sur les fonctions économiques de ce mariage : dans les sociétés musulmanes qui prévoient qu'une part de l'héritage revienne aux femmes, il prévient la dispersion du patrimoine familial et lignager »86 ; s'ajoute à cela une hypergamie féminine rendant compte des différences de rang entre les tribus et les fractions qui les composent. Une femme ne pouvant épouser qu'un homme à un statut égale ou supérieur à elle, ainsi les alliances matrimoniales s'inscrivent dans une logique de proximité c'est-à-dire que les mariages restent soumis à la règle de l'endogamie privilégiant la parenté proche ou un conjoint issue d'une tribu occupant le même rang dans la hiérarchie sociale. Abdel Wedoud ould Cheikh affirme que « toute l'architecture tribale est fondé sur ce principe [...] d'ailleurs un proverbe maure en témoigne : « ila tmassou jloud tgadou jdoud »87, si une fille épouse un homme elle « égalise »

85. Page 40 - « L'émirat de l'Adrar mauritanien. Harîm, compétition et protection dans une société tribale saharienne » P.Bonte

86. Ibid P.Bonte p .78

87. littéralement traduit : « Quand les peaux se touchent, les grands parents (sous-entendu : paternels, dans cette société patrilinéaire) deviennent égaux .Un dicton en hassâniyya, le dialecte arabe des

leurs parents respectifs dans la hiérarchie sociale des tribus. ». La circulation des femmes est donc organisée non pas sur la base de la réciprocité, mais sur celle de la hiérarchie et de la compétition ; « lorsque la société fonctionne sur « l'illusion de l'échange », cette réciprocité se transforme immanquablement en proximité (solidarité) sociale et , à plus ou moins long terme , en proximité généalogique agnatique... »88.

On comprend ici que l'ordre tribal de la société maure repose en grande partie sur les normes régissant la circulation des femmes ; des « harîm » que les hommes doivent protéger et une base pour les stratégies tribales. Ainsi, le statut féminin dans la société maure devient un « acteur passif », cet oxymore illustre la réalité complexe du rôle de la femme dans la mesure où sa position de subordination aux règles de la patrilinéarité, de l'hypergamie,... accompagne une dynamique féminine relative au choix du conjoint sur laquelle repose l'honneur du groupe, de la tribu. Il s'agit ici aussi d'un phénomène social formant un pont entre la sphère privée et la sphère publique : En effet, l'aspect matrimonial et la parenté (cercle privé, familiale) constituent un tremplin sur lequel le groupe s'appuie pour établir des alliances tribales (en lien étroit avec l'organisation traditionnelle du pouvoir) ce qui relève donc de la sphère publique. Le pouvoir politique mauritanien aujourd'hui étant démocratique et centralisé, les relations et les alliances tribales régissent la vie politique et économique du pays, les femmes usent donc de ces systèmes d'alliances pour bénéficier d'opportunités auprès des pouvoirs publics.

Comme nous le montre Philippe Marchesin dans son ouvrage « Tribus, ethnies et pouvoirs en Mauritanie » (1992) : Le tribalisme demeure « une donnée permanente dans la vie politique mauritanienne[...] La qabilâ orchestrerait toutes nominations politiques, elle organiserait toutes les carrières et construirait toutes les fortunes de ce pays, d'où le surnom sous la présidence de Taya « d'Etat Smasid », en raison de la prédominance de la tribu présidentielle aux postes de responsabilités et de profits»

populations maures qui souligne l'inscription dans la durée généalogico-statutaire de toute (més)alliance matrimoniale, celle en particulier qu'engendrerait le mariage d'une femme avec un homme d'un statut « inférieur » car « le mariage engendre la parité des aïeux ».

88. Ibid P.Bonte p.93

Les femmes influentes du monde urbain nouakchottois se sont donc appropriés cet héritage culturel : tribalisme, calculs stratégiques des alliances matrimoniales, instrumentalisation des rapports de force hommes/femmes pour accéder à une reconnaissance sociale, un chemin les menant a un succès qui élargit leurs champs d'actions.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway