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Engagement politique et associatif des femmes en Mauritanie. Le « négoféminisme maure »: entre stratégies féminines et pratiques informelles du pouvoir politique

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par Nejwa El Kettab
Université de Picardie Jules Verne - Master 2 recherche sociologie 2012
  

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III. Dimension anthropologique :Entre tradition et modernité : Quelle place pour la femme dans le milieu social et politique ?

Depuis leur indépendance, la plupart des pays africains aux nombreuses potentialités économiques et humaines, vivent une profonde crise marquée par l'effondrement du système politique, économique, social, fortement ressenti en particulier dans les provinces. Le système scolaire est certainement celui qui porte le plus les stigmates de la déstructuration du cadre traditionnel de ces sociétés. Vacillant entre le mode de fonctionnement traditionnel et le modèle imposé par la modernité, ce sont souvent les femmes qui subissent en premier lieu les conséquences de ce tiraillement entre tradition et modernité, une transition marquant profondément le rôle social de l'éducation des filles. L'intérêt de cette partie est d'inscrire la thématique de l'éducation dans une perspective du genre et des rapports sociaux dans le contexte socioculturel et politique maure.

A. La place de l'éducation traditionnelle : Ordre tribal comme mode de transmission

du savoir:

En guise d'introduction à cette partie, il serait judicieux de se pencher sur le milieu traditionnel
maure où l'éducation des filles et une affaire de femme, la transmission du savoir se fait par les

femmes et ne relève pas uniquement des savoir-faire liés à la vie social et domestique. Pour illustrer cette idée, nous allons exposer un entretien effectué auprès d'une femme maure ayant la cinquantaine, ancienne kadiha et présidente du réseau féminin des journalistes en Mauritanie, on a ici la trajectoire sociale et intellectuelle d'une femme ayant bénéficié d'une éducation maternelle savante. Un savoir transmis sur lequel cette femme s'est appuyée pour entamer sa propre formation dans le système scolaire. En effet, les entretiens effectués pour ce mémoire de recherche et les observations illustrent et confirment cet état de fait et mettent en évidence le rôle féminin majeur dans les structures familiales et social.

Salka Mint Snid, Présidente de l'Association du Réseau des Journalistes
Femmes Mauritaniennes (épouse d'un des plus grands poètes mauritaniens)
Le 25/03/2012, à Nouakchott

Quel est votre parcours social et universitaire ?

« Je n'ai jamais eu un cursus classique. Ma mère m'a enseigné le Coran, les Hadith... en brousse. C'est grâce à elle que j'ai acquis mes premières connaissances. Mon père est décédé lorsque j'étais jeune. Puis je suis venue à Nouakchott en 1975. J'ai choisi alors d'aller à l'école mais rares étaient les filles de ma tribu89 qui allaient à l'école alors cela m'avait posé quelques problèmes au début. C'est plus la civilisation arabo-islamique qui était enseignée dans cette école, qui s'appelait Ecole Ben Amer Enehliye. C'était l'époque où les jeunes lisaient beaucoup et se sentaient concernés par la culture. J'étais militante de gauche (du parti Kadihine). Je participais à des clubs de lecture en vogue qui m'ont donnés le goût à l'écriture. J'ai commencé par écrire au sein du parti Kadihine puis j'ai été emprisonnée avec les autres militants. Il y avait

89. Salka mint Snid est issue de la tribu des « idab lahssan », qui sont des « zwaya » :membre de la catégorie lettrée et maraboutique maure.

beaucoup de femmes de ce mouvement. Au début, c'était parce que le pays se construisaient. Les femmes étaient de plus en plus engagées et de plus en plus éduquées. Durant cette période, les années 1970, il y avait la Ligue pour l'Emancipation des Femmes pour le Travail. Il y avait un intérêt pour la femme. Il y avait eu un centre pour femmes. Cette expérience m'a amené à penser qu'il faut pour la femme, non seulement le travail mais aussi l'éducation, la participation politique, et à l'époque, on avait des projets multi-sectoriels pour l'émancipation de la femme. Beaucoup de femmes ont connu un grand succès durant cette période. »

Que pensez-vous donc de la situation actuelle de la femme en Mauritanie ?

« Forcément, ce n'est pas pareil. Avant il y avait une ébullition intellectuelle et un militantisme qui a emporté un certain nombre de personnes qu'ils soient hommes ou femmes, dans cette volonté de changement et d'émancipation. Mais aujourd'hui, ce n'est plus le même contexte. Avant on était plus proche du peuple, on était à son écoute ; des femmes comme Aminetou Mint El Moctar, Nejah Mint Snid (ma soeur décédée), Mariem Mint Lehwej, Fatimetou Mint Abidine, ... La pression et la répression étaient fortes sur ces militantes. J'ai moi-même fait six mois de prison en octobre 1973. Avec moi dans la même cellule il y avait d'autres femmes, certaines d'origine étrangère. Puis il y a eu la paix entre le pays et les militants. Notre mouvement s'est transformé en parti d'opposition. A l'époque, j'étais au siège des femmes. Ensuite, il y a eu la guerre du Sahara, ce qui a tout bouleversé. Je suis allée au lycée pour avoir un diplôme secondaire en lettres. J'ai épousé un homme militant aussi mais à l'époque, j'avais eu un enfant malade. J'ai dû quitter la scène publique pour quelques temps puis j'ai été journaliste pour subvenir aux besoins du petit. J'ai dû alors quitter les études ; plus tard, j'étais candidate libre au baccalauréat alors que mes enfants étaient déjà grands. Je fus donc présentatrice radio. J'ai été la deuxième journaliste femme à la radio car ils leur manquaient des voies féminines. Puis je suis allée à la faculté après l'obtention de mon bac. J'ai fait des études de Lettres mais j'ai dû arrêter à nouveau pour être plus présente dans la vie de mes enfants. Cependant, il n'y a pas longtemps, j'ai fait un M2 en culture poétique90. »

Pouvez-vous me parler de votre association ?

« Mon association fut le fruit du journal que j'avais crée « El Ilham ». Mais j'ai connu des réticences car ils m'ont demandé de supprimer ce journal. Les hommes politiques ne m'appréciaient pas car je partageais mon avis malgré la liberté d'expression limitée. Après le coup d'Etat (août 2005), j'ai voulu reprendre mon poste. Moi et neuf autres journalistes femmes avons été appelées par l'UNESCO pour nous former à faire des spots pour la campagne présidentielle (pour le référendum). C'est de là qu'est partie l'idée de faire une association car nous avions fait du bon travail (2006) avec le soutien du responsable de l'information au niveau du bureau régional de l'UNESCO arabe. Ces femmes m'ont elles-mêmes élue comme présidente car j'étais la plus âgée et celle avec le plus d'expérience dans le secteur du journalisme. On a eu l'officialisation de l'association le 14 juillet 2007. J'ai décidé suite à cela, de m'intéresser à la question du genre dans cette association, il ne faut pas faire comme les autres (associations) qui pullulent le paysage politico-social. On s'est intéressé à la jeunesse surtout, pour leur donner un espoir, un symbole. J'ai voulu que la partie financière soit limpide ! Je ne veux pas de magouilles pour que l'association soit exemplaire et suivre les principes que j'ai toujours défendu. Depuis ce moment, la place de la femme journaliste a connu un bond considérable car on s'est mise à être impliquées dans des causes telles que celles du développement et de la lutte contre le sida. Il est vrai qu'il y a des associations parfois peu honnêtes mais il y a des femmes qui font ce qu'elles peuvent. Il faut aussi savoir que l'Etat n'aide pas et ça favorise la corruption. Nous, on est indépendantes vis-à-vis de l'Etat, on ne lui doit rien. C'est nous-mêmes qui finançons nos efforts personnels. Il nous manque quand même les moyens pour la mise en oeuvre de certains projets comme la formation des femmes journalistes. Mon mari est un grand intellectuel, c'est un poète et un écrivain. C'est un membre de l'Académie des UK. Il est connu dans le monde arabe. Il m'a enseigné aussi. Je le remercie et il m'a fait confiance durant tout mon militantisme. C'est un moderniste qui est pour le progrès. »

Que pensez-vous de la culture maure sur la situation de la femme ?

« La femme a beaucoup oeuvré dans le passé. C'est elle qui a enseigné. Dans la région de laquelle je suis originaire, ce sont les femmes qui transmettaient le savoir. C'étaient elles les éclairées. Même au niveau des griottes, des « zawaya », des « aârab » (tribus « hassan » guerrières), par la division traditionnelle du travail, les femmes avaient chacune leur rôle à jouer au sein de leur tribu. Elles étaient très actives. Elles s'occupaient du foyer quand leurs hommes

partaient en voyage. C'est cette ancienne confiance qu'on accordait aux femmes qui expliquent le maintien de cette confiance aujourd'hui ; elle est éduquée selon son milieu. Mais aujourd'hui, est-ce suffisant ? Non ! Parce que la modernité crée de nouveaux besoins. Que doit-on faire ? Pour cela il faut se rendre compte que l'Etat doit savoir que les choses ont changé. Les femmes doivent être indépendantes, il faut qu'elles soient éduquées ; c'est ça l'égalité ! L'éducation des femmes est centrale pour le changement. Il faut un système de bourses pour permettre à ces femmes d'accéder aux études supérieures. Et il faut noter que les femmes sont de plus en plus brillantes. Le savoir aussi doit être au centre de la question du genre. La révolution tunisienne tient sa source dans la bonne insertion des femmes et leur émancipation. »

A l'issue de cet entretien, on comprend que l'interrogée a conscience de l'insuffisance de l'éducation traditionnelle des filles dans le contexte moderne que connait la Mauritanie aujourd'hui. Son mémoire portant sur les figures féminines savantes de la société maure met la lumière sur le rayonnement intellectuel de ces femmes à une époque certes révolue mais qui témoigne d'un potentiel féminin maure qui n'est plus exploité aujourd'hui par le système scolaire moderne. L'éducation de ces filles avait lieu sous la tente : la « khayma » désignant par là aussi « le foyer » en hassaniya. Une « khayma », un lieu d'éducation qui transmet les codes et les valeurs liés au statut et au comportement des femmes .

a) Impact de l'éducation traditionnelle sur le statut personnel de la femme : Le cas des femmes

« zawyat »et « hassan »:

L'éducation des femmes est régit par la hiérarchie sociale, en effet les filles étaient éduquées dans un milieu social donné dont elle perpétuaient les valeurs en portant en elles les marques de leur origine tribale. Leur éducation devient donc conditionnée par les normes propres à leur « qabila »91. Cette structure traditionnelle avait tendance à maintenir les femmes dans un cadre limitée dont on retrouve les traces encore aujourd'hui dans le comportement féminin de certaines femmes appartenant à un groupe social donné ce qui forme le plus souvent un frein à l'exploitation de toute l'étendue de leur potentiel. Afin de cerner en quoi l'éducation traditionnelle contribue à la transmission et au maintien des croyances et des valeurs ancestrales et en particulier en ce qui concerne les femmes.

91. Terme arabe désignant la tribu

L'ordre tribal maure se traduit par une hiérarchie social avec à sa tête deux groupes dominants, supérieurs : D'une part, les « zawaya » : un groupe tribal détenant le pouvoir religieux qui s'est investi dans l'enseignement (textes religieux, philosophie, Lettres, etc.), ce que Abdel Wedoud ould Cheikh appelle « l'administration du sacré et de l'invisible » et les activités commerciales. Le trait dominant de ce groupe se traduit par une morale fondée sur des règles de bienséance et d'un respect scrupuleux des principes religieux : «[...]l'investissement dans le savoir et le savoir religieux [...] au coeur de la reproduction de l'ordre maraboutique et de sa légitimité, ouvrait plus largement accès à d'autres sources de revenu, car l'éducation constituait le moyen essentiel d'accréditation d'une emprise « islamique » sur le monde de l'invisible et sur les dangers et les promesses dont l'opinion populaire le chargeait. La rente de piété traditionnelle prenait racine dans la conjonction entre autorité théologique et baraka, ilm et walâya, savoir et sainteté, que le quasi-monopole de l'éducation conférait aux ressortissants de l'ordre maraboutique, ou plus exactement à une minorité d'entre eux. »92, ce pouvoir conféré par « la sainteté » de leur savoir religieux constituait une forme de protection pour assurer leur activité économique et commerciale fondamentale à la survie de leur groupe (élevage, agriculture, forages des puits, etc.) face aux guerriers (les hassân) qui comme leur nom l'indique étaient les spécialistes de la guerre et assuraient la protection des autres tribus dont ces « zawaya » en échanges d'une redevance (la « raziaa ») . Les discours traditionnels s'accordent à rattacher les hassân aux tribus Banû Hilal et Banû Sulaym qui ont parcouru, depuis l'Arabie Saoudite, le Maghreb puis la Mauritanie. Ces derniers s'y sont installés dès le XVe siècle et ont consolidé leur pouvoir jusqu'au XVIII e siècle. Ces guerriers détiennent également le pouvoir politique dans le cadre des émirats. Les qualités stéréotypées que l'on attribue aux guerriers sont le courage, la générosité et le sens de l'honneur. Les femmes guerrières (hassâniyyat) ne dérogeaient pas à cette réputation. Les femmes hassân étant considérées comme peu discrètes, peu réservées voir même particulièrement audacieuses. Ces attributs, fortement revendiqués, les caractérisaient en opposition aux femmes issues des tribus maraboutiques réputées pour être quant à elle plus discrètes et réservées.

92. Mohamed Fall Ould Bah et Abdel Wedoud Ould Cheikh « Entrepreneurs moraux et réseaux financiers islamiques en Mauritanie », Afrique contemporaine 3/2009 (n° 231), p. 99-117.

L'antagonisme de ces images attribuées aux femmes issues de ces deux milieux opposés participaient à consolider leur identité les distinguant les unes par rapport aux autres. Ces caractéristiques étant conformes aux fonctions et aux attributs de ces catégories tribales, ils participent au renforcement des places de chacun dans la hiérarchie. Ainsi, la discrétion et la « pudeur » des femmes « zawiyyat » s'oppose très clairement aux comportements des femmes « hassan ». Les conceptions politiques antagonistes de ces groupes (les tribus maraboutiques revendiquant un exercice du pouvoir tourné vers les préceptes religieux islamiques contrairement aux guerriers qui basent leur organisation politique sur les batailles et la conquêtes des biens et des territoires). Cette confrontation tribale s'est donc prolongée dans une opposition des comportements.

En effet, les zawâya qui se disent de grande valeur morale et spirituelle mettent en valeur leur aspect érudit et pacifiste. Une attitude qui explique l'inactivité des femmes maraboutiques qui préfèrent s'adonner à des activités plus intellectuelles et spirituelles (apprentissage et enseignement du coran, de la littérature, etc.). « Elles passent pour maitres dans l'usage de l'euphémisme et de la métaphore » (C.Lesourd 2006, p.45). Il est question donc ici de comportements stéréotypés véhiculés par la compétition entre « zawaya » et « hâssan » dont l'interprétation sociologique aujourd'hui est nécessaire à la compréhension des attitudes et des valeurs que l'on retrouve chez les mauresques.

Des remarques et des propos récurrents que l'on peut entendre dans le milieu maure soulignent ce conformisme féminin à ce type de comportement qu'on appelle « esstezwy » (formé par la racine « zawaya » pour exprimer cet archétype comportemental propre à cette catégorie social). Les exemples sont multiples : « Je ne peux pas me permettre de m'exprimer sur des sujets tabous comme ça, en public sans pudeur [...] je suis une zawya ! » « Que dira-t-on si on me voit dans des endroits peu fréquentables ? ! Une fille de mon rang social ne doit pas faire ce genre de chose... ». Des principes qui accompagnent souvent les consignes parentales (surtout maternelles) dans l'éducation des filles : « Une fille des « zawaya » ne doit pas faire telle ou telle chose [...] Tu es une « mint93 zawaya » tu te dois de respecter les règles de bienséances et rester discrètes ! ». Tous ces impératifs sociaux et bien d'autres caractérisent le mode de socialisation féminin des tribus maraboutiques.

A noter que cette tendance aujourd'hui s'étend même dans les familles issues des tribus hâssan traduisant une homogénéisation de la pudeur et de la discrétion féminine. Une logique que l'on retrouve aussi dans les groupes sociaux issus des tribus au bas de la hiérarchie sociale : « znaga » ou « lahma » d'origine berbère dont le rôle traditionnel des femmes consistaient à travailler dans l'agriculture ou l'élevage. On assiste en effet, à l'heure actuelle, à une généralisation de ce comportement dans tous les milieux, qui s'explique par une volonté collective propre aux sociétés arabo-musulmanes pour entretenir l'honneur du groupe. Raison pour laquelle cet antagonisme comportemental aujourd'hui dans la société maure n'est perceptible que dans la population masculine.

Cette analyse anthropologique nous amène à penser que la discrétion et la pudeur étant de rigueur pour les femmes maures, leur faible insertion dans les hautes sphères décisionnelles du pays aujourd'hui est le résultat d'un lourd héritage socioculturel. Un héritage qui comme nous l'avons développé au préalable amène les femmes à recourir à des stratégies de contournement du patriarcat de manière à bénéficier d'un certain pouvoir. On peut parler d'un « pouvoir discret » respectant ainsi cette qualité réservée aux femmes dans cette société. Que ce soit dans l'intimité des salons mondains, du mesrah, ou à travers leur compétences relationnelles et leur influence sur les hommes, les mauresques parviennent a se frayer un chemin dans les cercles du pouvoir sans pour autant enfreindre les normes sociales de la communauté.

On retrouvait déjà ce négoféminisme dans l'ordre traditionnel de la société maure à travers la renommée de plusieurs femmes savantes de cette région qui ont su marquer l'Histoire de la culture maure.

b) Statut féminin « des femmes savantes » :

Dans la tribu des « zawaya » les femmes avaient un rôle important dans l'enseignement primaire des enfants, elles se chargeaient de leur éducation. Les femmes avaient le savoir-faire de leur tribus, celles-ci étant réputées pour être érudits et savantes, une grande partie des « zawyat » n'acceptaient pas l'analphabétisme. Certaines arrivaient même à dépasser le niveau des hommes, surtout dans le domaine religieux et les sciences de la langue.

Parmi cette mouvance intellectuelle féminine, on peut citer quelques exemples :

· Fatma mint Haj Elbechir malgré son appartenance à une tribu « hâssan » (les « brabich »), cette femme savante était la fille d'un gouverneur, elle est venue s'installer dans la ville de Ouadane située au Nord du pays, une ville réputée pour être le berceau de la civilisation maure et ayant abrité un nombre important de savants. Elle a fait preuve d'une maitrise parfaite de la langue arabe et du coran (si bien qu'elle pouvait le réciter à l'envers). Enseignante et savante, elle était connue aussi pour sa belle écriture, une calligraphe réputée ; elle est décédée vers l'an 1890.

· Ghadije mint Mohamed El Akel : fut une intellectuelle, au 19ème siècle issue d'une tribu « zawaya » : les « Oulad Deymane ». Elle enseignait le coran et les sciences de la religion appliquées surtout au domaine juridique. Elle était réputée pour ses connaissances en matière de logique aristotélicienne, mais aussi l'astronomie et la médecine. Elle avait enseigné trois personnages très importants dans l'Histoire de la région : son frère Ahmed ould Mohamed El Akel (mort vers 1823), Elmami Abdel Kader Kanne ( chef des Almami94, mort en 1805) et Moctar ould Boune ( mort vers 1805) de la tribu « zawaya » des Tajakanet.

· Khnathe mint Bakar, fille d'un émir du Brakna au 18eme siècle, elle a épousé le roi Moulaye Ismail (fondateur de la dynastie Alaouite au Maroc), elle s'installe au Maroc et elle est devenue une femme qui présidait des salons du savoir. Elle était réputée pour engager des discussions très poussées avec les savants de l'époque ( les savants du Moyen Orient) .

Depuis l'avènement de l'islam dans la société maure beaucoup de femmes s'étaient appropriées l'activité intellectuelle. Elles ont joué un rôle important dans l'acquisition des savoirs traditionnellement rattachés aux catégories des érudits de cette société (la logique, la linguistique, la poésie, la philosophie, le savoir religieux, la jurisprudence,...). Le mémoire de recherche de Salka mint Snid « La poésie féminine mauritanienne », un travail de recherche dense et riche met la lumière sur la multiplicité des figures savantes féminines maures. Des poétesses, écrivaines, philosophes et experte en science de la religion, elles ont su mettre à profit la spécialisation de leur groupe sociale d'appartenance afin d'avoir main mise sur ce qui faisait

94. Un mouvement politico-religieux dans la vallée du Sénégal qui revendiquait la création d'un Etat religieux autour de cette communauté .Le premier chef almami était Abdel Kader Kanne.

la spécificité de leur tribu et par la même le pouvoir traditionnel. Là encore, c'est en participant à ce qui fait la renommée et la légitimité (au sens politique, c'est en accentuant leur savoir faire que les groupes tribaux ont su asseoir leur pouvoir) de leur groupe que ces femmes ont su mettre à profit leur compétence pour affirmer leur place malgré l'hégémonie du patriarcat. Donc, c'est en gardant une cohérence dans leur identité culturelle que les mauresques résistent à la domination masculine car pour être acceptées et bénéficier d'une légitimité au sein du groupe, il est nécessaire de respecter la norme, s'opère alors une soumission à la norme qu'elles tournent le plus possible à leur avantage.

Néanmoins, ce contournement du patriarcat est-il toujours efficace en matière d'éducation ? Puisque le savoir traditionnel a été remplacé par l'école coloniale moderne qu'en est-il de la place des femmes dans ce système éducatif nouveau ? Bien entendu, force est de constater que l'enjeu de la scolarisation des filles en Afrique de manière général reste au coeur des stratégies de développement dans la mesure où la part des femmes dans l'enseignement reste assez faible par rapport aux garçons. Il serait judicieux ici dans cette perspective analytique de voir en quoi l'ordre traditionnel qui régissait le rôle de l'éducation en fonction du genre a eu un impact considérable sur la scolarisation des filles.

c) Education traditionnel : une entrave à la scolarisation des filles ?

En ce qui concerne la femme maure, malgré son rôle relativement important dans l'acquisition et la transmission du savoir dans la tradition de cette société, on ne retrouve pas ce même degré d'implication dans le système scolaire moderne aujourd'hui mauritanien. Aujourd'hui comme hier, les filles dans la société maure sont éduquées en vue du mariage et de la maternité ; ce qui compte c'est une éducation féminine réussie à savoir une bonne future « épouse » et « mère » ; une qualité qui lui permettra de jouer sur toutes les stratégies que nous avons déjà évoquées. Mais l'instruction a changé et ces stratégies féminines du contournement sont de moins en moins efficaces avec le contexte montant de la mondialisation et l'impératif de compétences académiques individuelles pour une réussite professionnelle.

On peut parler d'une lente prise de conscience de la femme en Mauritanie car plusieurs femmes
engagées elles même instruites revendiquent et exigent une prise en compte politique des

problèmes liés à la discrimination faite aux femmes au sein du système éducatif. Cet état de fait vient expliquer la reprise des études souvent tardives des femmes activent sur la scène politique pour combler ce retard. Les exemples des femmes interviewées pour ce mémoire de recherche en témoignent, bon nombre d'entre elles ont repris des études dans l'enseignement supérieur et secondaire pour certaine (baccalauréat) pour une remise à niveau qu'elles jugent indispensable à une insertion politique et professionnelle.

Ceci dit, parmi les femmes instruites ayant eu un parcours scolaire et universitaire classique on note une dénonciation du patriarcat politique plus marquée. Nana mint Cheikhne et sa soeur Khady mint Cheikhne, militantes au sein du parti de l'opposition expriment une profonde inquiétude quant à la place des femmes dans le paysage politique mauritanien que Nana mint Cheikhne associe à la défaillance du système éducatif mauritanien.

Nana Mint Cheïkhna, militante dans le parti de l'opposition : RFD

Le 23/03/2012, à Nouakchott

Quel est votre parcours social et universitaire ? :

dans le département juridique. J'ai commencé mon engagement pour la société civile dans les années 1980 (membre de la Ligue Mauritanienne des Droits de l'Homme). Il faut garder à l'esprit qu'à l'époque, on n'avait pas le droit d'avoir un parti politique puisqu'il y avait des militaires au pouvoir jusqu'en 1991. Je suis restée dans cette Ligue jusqu'en 1998. Cette annéelà, j'ai intégré un parti, l'UFD (ancêtre du RFD). J'ai été élue en 2001 comme conseillère municipale de la commune de Tevragh-Zeina, puis Vice-Présidente de la communauté urbaine de Nouakchott. Jusqu'en 2006 où j'ai été élue députée à la circonscription de Nouakchott. Je préside le mouvement des femmes au sein du parti du RFD (Rassemblement des Forces Démocratiques). »

Comment percevez-vous la place des femmes dans la société maure ?

« D'un point de vue culturel, les « Bidhane » sont en grande partie d'origine berbère, l'emprunte berbère est restée assez forte. C'est pour ça que la femme maure jouit d'une certaine indépendance par rapport au monde arabe. Dans le foyer, la femme à une place différente de celle des autres ethnies. Mais malgré tout, il y a une sorte de machisme qui est assez maquillé, qui entre dans les bonnes moeurs. Par exemple, des phrases récurrentes le prouvent ; « la femme est faible, la femme est mineure malgré tout ». Elle est traitée comme un enfant. Il y a une certaine hypocrisie. Certes, elle est importante, on la soigne, mais elle ne représente jamais la tribu par exemple donc au niveau politique, ce sont les hommes qui représentent. Or depuis que nous avons un Etat national, la politique ne s'est pas faite avec les institutions et les partis politiques mais avec les tribus. Par exemple, certaines tribus entrent dans un jeu d'échange avec l'Etat. La femme est certes très présente et active mais elle reste faible. Il y a certaines femmes ministres mais c'est pour faire bonne figure. La plupart d'entre elles ont été choisies pour des raisons d'équilibre régional. Elles ont été choisies par les militaires. Il n'y a pas assez de femmes compétentes à cause du faible taux de filles présentes dans le système scolaire. Il ne faut pas choisir au nom de la parité une femme même si elle est peu instruite, il faut commencer par redresser le système de l'enseignement ici et comprendre que les filles autant que les garçons doivent poursuivre des études »

Avez-vous constaté une évolution de la situation de la femme ces derniers temps ?

« A partir de 2005, les choses ont commencé à évoluer. Au-delà de leur appartenance politique et tribale, les femmes sont devenues de plus en plus présentes sur la scène politique. La création d'un mouvement s'intitulant « le plaidoyer pour la question du genre », pour que la question du genre soit prise en considération dans les représentations politique et législative ; avait aboutit au quota de 20% au niveau des conseils municipaux, ce qui est une excellente chose car elle a obligé le gouvernement à mettre des femmes dans le gouvernement et dans les conseils municipaux, et donc de les familiariser avec le principe de la représentation politique des femmes. Globalement j'ai l'impression que les gens n'étaient pas déçus par cela. Par contre, les forces traditionnelles de certaines tribus n'étaient pas pour ce changement. On a donc vu une régression au niveau du Parlement et de l'Assemblée. Nous étions 95 députés dont 17 femmes en 2006. Aujourd'hui, l'Assemblée a été portée à 140 députés et ils ont prévu une liste à part pour les femmes, de 20 personnes. Donc sur 140, 20 femmes font 13% et non 20%. Il y a un changement de lois qui n'apporte pas davantage à la femme dans le milieu politique. Au niveau municipal, le schéma un homme/une femme n'est plus obligatoire. Et au niveau du Sénat, il y avait trois places réservées aux femmes (au collège électoral) or ceci n'a plus été retenu alors qu'il était obligatoire que dans chaque collège électoral il y ait trois femmes. Il y a donc un recul que nous essayons de freiner. »

Que pensez-vous de la montée de certains mouvements islamistes sur la scène politique ? Qu'en est-il de la situation de la femme à ce niveau ?

« Il y a un mouvement islamique qui se développe dans lequel on n'a pas encore décelé une misogynie car ils ont des femmes dans le monde municipal et le Sénat. Il ne faut pas percevoir les islamistes comme un groupe homogène car il y a les salafistes, les autres islamistes qui eux, comprennent que la femme a sa place. Aujourd'hui, c'est celui-là qui est le plus présent. »

Avez-vous rencontré des problèmes personnels durant votre parcours de militante ?

« Il y a toujours une marginalisation des femmes bien que dans le parti (le RFD) il y a beaucoup de femmes très actives. Il existe toujours des hommes qui tentent de limiter les actions des femmes. Tant que la femme joue son rôle d'animatrice, c'est bon. Mais dès qu'il s'agit d'être leadership, il y a toujours des réticences et des difficultés à travailler. J'essaye de dépasser ces réticences masculines malgré tout. »

Khady mint Cheikhna (soeur de Nana Mint Cheikhna)

Militante au sein du parti de l'opposition RFD Quel est votre parcours social et universitaire ? :

« J'ai eu la chance d'être parmi les premières femmes à aller à l'école car mon père était un haut fonctionnaire. Ce n'était pas évident à l'époque car c'était rare. J'ai fait mes études à l'Ecole Normale Supérieure à Nouakchott puis une licence d'anglais en France (à la Sorbonne). J'ai obtenu mon CAPES. J'ai enseigné dans plusieurs lycées (le français, l'anglais et autres...). J'ai travaillé à la CNIM (société minière mauritanienne) et pendant huit ans, j'ai été secrétaire générale de l'Assemblée Générale. J'ai fait plusieurs ministères (Ministère de l'emploi, Ministère du tourisme et Ministère du commerce). J'ai milité dans un parti d'opposition donc j'ai été virée car il n'y avait pas de liberté de pensée alors que j'ai d'autres vues pour mon pays. Je sais que le pays va de mal en pire et c'est pour ça que je continue à militer au sein du RFD. Cela va faire 10 ans aujourd'hui.

Je suis aussi poétesse à mes heures perdues. Je ne le dis pas pour me vanter (rires) mais je suis très intéressée par la musique ; la poésie a malheureusement perdu sa place dans notre culture. J'ai remarqué que notre culture est menacée. Donc j'ai créé une association il y a deux ans, reconnue officiellement que depuis septembre. Elle s'appelle « Emprunte Culturelle ». Avec des compétences culturelles (des poètes, des artistes etc....), reflétant le vrai visage de la culture maure. Il est vrai que notre folklore a tendance à disparaître. La culture authentique doit être préservée. Et notre patrimoine culturel doit être valorisé. Les femmes ne participent plus à sa sauvegarde comme c'était le cas avant »

En parlant de l'aspect culturel, que pensez-vous de l'impact de la culture maure sur la situation de la femme ?

« Dans le passé, les femmes faisaient tout dans les campements. Elles prenaient en charge la famille lors des longues absences de leur mari. Mais aujourd'hui, il y a eu la modernité ; on peut dire qu'on a calqué le mode de pensée de la culture traditionnelle maure sur la vie moderne. C'est une des raisons pour laquelle des professions comme des femmes pilotes sont admises. La femme maure a su convaincre la société.

Intervention de Nana : « Oui mais le problème c'est la représentation politique et l'éducation des filles »

Reprise avec Khady: « Il est vrai qu'il y a une présence macho militaire dans le milieu politique. Je pense que le vrai moteur du parti dans lequel je milite, ce sont les femmes. Celles-ci en général sont entières. Il y a beaucoup d'hommes qui nous ont quittés pour des raisons X ou Y sauf les femmes, jamais...Il faut donc que la politique, la société et le système éducatif prennent en compte le potentiel des femmes ! »

Que pensez-vous de l'engagement associatif des femmes en Mauritanie ?

« Il est très important. Il faut qu'il y ait une reprise de cette structure-là sur des critères objectifs car il y a beaucoup d'ONG qui se multiplient sans raison valable, il faut donc resserrer les lois relatives à leur création. Il faut un apprentissage des vraies valeurs qui comptent : le patriotisme, la citoyenneté, etc.... Notre système de valeurs est menacé. Il faut sa réhabilitation. »

Les inquiétudes exprimées ici liés au présent et à l'avenir du pays constituent des constantes dans les autres propos recueillis lors des entretiens, mais s'agissant des femmes politiquement engagées comme Nana mint Cheikhne, Khady mint Cheikhne et Seniya mint Sidi Haiba on perçoit une vision de l'éducation féminine comme source d'émancipation et d'acceptation des femmes au sein des sphères décisionnelles du pays. Ces remarques sur le statut de la femme accompagnent les impératifs de la vie moderne et urbaine qu'a connue la Mauritanie ces trente

dernières années. En effet, ce pays ayant acquis son indépendance il y a seulement 52 ans, les structures socio-politiques liées à ces questions du genre constituent des problématiques naissantes dont seule une minorité de la population en a conscience.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore