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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Section 3. Une impression sans « isme », vers d'autres courants picturaux

Diaz, qui ouvre son compte personnel à Renoir et défendra la cause des Impressionnistes, en est considéré comme un des précurseurs pour ces conseils : « mélangez très peu les tons pour ne pas les affaiblir, subdivisez à l'infini, posez les touches de proche en proche338. » Cependant, s'il est sûr que Diaz

336 Seigel, Jerrold, op. cit., p. 15-20. L'auteur résume sa thèse en ces termes : « La bohême [doit] prendre sa place en tant qu'élément de l'histoire du développement d'une conscience et d'une expérience bourgeoises (...) », dans une acceptation du mot « bourgeois » qui doit se détacher de la définition marxiste et être réévalué à l'aune de son utilisation historique avant Marx, p. 378.

337 Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit., p. 144.

338 Silvestre, Théophile, « Diaz », op. cit., p. 151. Voir aussi la citation dans Parinaud, André, Barbizon, Les origines de l'Impressionnisme, Bonfini, Adam Biro, 1994, p. 44.

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impressionne la jeune génération d'artistes venant après lui, c'est justement un art de l'impression qui lui est propre qu'il convient d'abord de comprendre.

Le maniement des couleurs, tant dans les scènes de genre comme Le Maléfice, que dans les paysages, crée une atmosphère féérique, qui laisse des impressions aux commentateurs comme par associations d'idées, sans jamais que le sujet soit analysé ou seulement mis en relief. Néanmoins l'impression qu'à Gautier de voir sur les tableaux « le secret de ce tremblement lumineux de l'atmosphère, de cette fraîcheur des sources invisibles339 », ou Claretie de « la loi de la lumière, la magie, et pour ainsi dire la folie du soleil dans les feuilles et les sous-bois340 », les critiques relèvent la façon dont l'artiste s'intéresse à la suggestion de l'invisible, alors que les Impressionnistes creuseront de nouvelles façons de rendre compte du visible. Les développements donnés aux recherches scientifiques de Chevreul sont diamétralement opposés à la présence du mystère chez Diaz.

L'esthétique du peintre, niant le dessin, rend compte d'idées comme l'atteste la profusion d'allégories, mais seulement en tant qu'impressions subjectives par opposition aux certitudes. Chez lui tout est empirique. Le rapport de Diaz à son oeuvre et à l'esthétique est très distinct d'un courant émergeant comme groupe artistique, dont le programme est établi et se place stratégiquement sur un marché de l'art arrivé à maturation.

La sérialité dans l'oeuvre du peintre fait une jurisprudence dont les Impressionnistes retiendront les leçons. Diaz envoie au Salon les mêmes sujets, dont la couleur fait des variations et modifie l'effet. Sur le marché, la production d'une série devient aussi un avantage économique, qui est la raison d'être de cette sérialité pour Diaz. Là où Monet par exemple, dans sa série de La Meule, développe une argumentation esthétique, défendant que l'intérêt du tableau tient dans la description atmosphérique et la mise en évidence d'une subtile impermanence plus que dans le sujet-même, Diaz a au contraire, un intérêt à la fois personnel et stratégique pour son sujet. Le Maléfice nous montre aussi que les variations d'effets de lumière dans une série peuvent se faire chez Diaz dans une scène de genre, alors que les Meules évacuent toute histoire.

De façon stratégique, Diaz lance le Maléfice plusieurs fois, sur le marché, lorsqu'il veut être assuré du succès. En 1846, avant l'effondrement du marché du aux évènements de 1848, Le Maléfice est exposé à une vente organisée par Paul Périer, et remporte 1 225 francs. Sans aucun doute cette somme conséquente est due à l'originalité et les critiques favorables du Maléfice exposé deux ans plus tôt au Salon, en même temps que les Bohémiens signaient sa marque de fabrique, son

339 Gautier, Théophile, Salon de 1847, Paris, J. Hetzel, 1847, p. 99-100.

340 Claretie, Jules cité par Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 74.

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personnage artistique voyageant entre trivialité et merveilleux. La fortune du thème peut expliquer qu'il relance également des sujets connexes comme la Sorcière exposée pour une vente qu'il organise lui-même en 1849 (vendue 115 F), Les Sorcières en 1852 (325 F), et enfin la Reine des Sorcières en 1855 (221 F)341. Pour la vente du 11 avril 1863, il récidive et retrouve le même succès des premiers envois, avec une toile reprenant exactement le même sujet contrairement aux sorcières, Les mauvais conseils (n°19, vendu 1 140 F). Lors de la même vente, le n°21 était une anecdote qui nous donnerait un titre tout trouvé pour parler de l'ensemble de l'oeuvre de Diaz : Le conte de Revenants (300 F). Enfin, une vente du 20 mai 1868 chez Durand Ruel expose au n° 7 La Sorcière, la cote des sorcières des années 1850 ont fait grimper les enchères pour celle-ci à 1 700 F.

Une grande partie de la raison d'être des variations sur le thème sont donc mues par un motif financier. C'est à l'occasion de l'idée de profiter d'un engouement pour un de ses sujets que Diaz repense une variation sur le thème, en fouillant dans son intérêt propre pour le sujet. Le Maléfice devient d'abord Maléfice nocturne : c'est à la fois une occasion pour le peintre de manier du clair-obscur et approfondir certains aspects symboliques de la scène, et un argument de vente imparable pour l'amateur.

Dans une dernière version de 1875, on peut tout de même se demander si l'artiste ne produit pas une dernière fois un thème qui l'a accompagné et lui a rendu grâce le long de sa carrière, par affection personnelle. Dans tous les cas, il est certain que si la sérialité chez un peintre reconnu de l'école de paysage, dont la touche s'est efforcée de rendre une perception atmosphérique, a pu intéresser de premier chef les Impressionnistes, cette sérialité n'est pas la même « mort du sujet » que les historiens de l'art attribuent à l'Impressionnisme.

L'impression dont Diaz fait usage relève plus de la suggestion et de l'influence sur un spectateur, il fait impression. L'usage de la tâche avec ses propriétés papillotantes, projectives, captivantes en somme pour l'oeil, permet de placer Diaz dans le mouvement bohème de l'exploration du psychique. Il est, avant l'époque qui verra naitre en même temps le surréalisme et le test de Rorschach, un artiste qui expérimente le hasard, l'informe et la continuation de la forme dans l'imaginaire. C'est ce qui plait à Gautier en 1847 quand il parle de « ce Diaz, incomplet, et ravissant peut-être à cause de cela, car il fait chercher et rêver342 », anticipant sur ce que Focillon dira de toute forme comme « suggestion d'autres formes. Elle se continue, se propage dans l'imaginaire343 ».

341 Les ventes décrites dans ce paragraphe sont énumérées par Théophile Silvestre, « Diaz », Histoire des artistes vivants, Paris, Blanchard, 1856, p. 232-240.

342 Gautier, Théophile, Salon de 1847, op. cit., p. 97.

343 Focillon, Henri, La Vie des formes, Paris, PUF, (1943) 1970, p. 4.

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« ... l'idée informe l'informe de la tache. Met de l'ordre dans l'accident - ou découvre l'ordre caché dans l'accident »344

L'étude en plein air comme originalité n'est pas tenable, puisqu'en 1780 les peintres « rétrogrades » théorisent la relation directe des sens avec la nature, comme le fait remarquer Vincent Pomarède. Ainsi lorsque l'historien pris dans une lecture darwiniste énonce « Diaz est l'inventeur du « Tachisme345 », il ne rend pas compte de la spécificité de son art qui correspond mieux à une exploration psychologique que l'on gagnerait mieux à mettre en lien avec des avant-gardes aussi diverses que le Surréalisme ou l'Action Painting, et qui comptait déjà des prédécesseurs.

L'art de la suggestion mis en abîme dans Le Maléfice est une « magie » des interactions humaines, un principe actif qui les rend possible même dans le silence, qui échappe à la Raison. Cette description hermétique isole Diaz dans son temps, car il abolit de son oeuvre toute narration. Il préfigure de ce côté plutôt certaines sensibilités fin de siècle.

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