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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Section 2. L'effet sans l'expression : une originalité remarquée

Si jusqu'ici nous avons pu relier Diaz à une vaste tradition, le Maléfice nous donne l'occasion d'approfondir un point de rupture de Diaz vis-à-vis de la tradition ainsi que de la quête romantique du caractère. Un des détracteurs de Diaz dans le Siècle du 15 février 1860 :

« L'invention, chez M. Diaz, est à peu près nulle. Ses tableaux, en général, ne présentent qu'une ou deux figures sans expression, et parfois d'un dessin très négligé330. »

L' « invention » que ne perçoit pas le critique réside justement dans l'inexpressivité qui lui déplait, et qui pour lui traduit un manque d'imagination. En effet c'est une tendance de l'art de rivaliser dans la description du faciès, pour traduire un sentiment, depuis Le Brun jusqu'à Delacroix et les recherches physionomiques dans l'Orientalisme. Diaz au contraire s'écarte de la science pour préserver l'opacité du mystère de la Création. Dans L'Horoscope, il oppose précisément la chiromancie, qui repose sur des présupposés comparables à la science physiognomique, au mystère de la matière que pointe du doigt la cliente. Cependant l'hermétisme de Diaz rend ses admirateurs incapables de dire où est la pensée qui guide Diaz dans une oeuvre sans lisibilité que les détracteurs appellent un « mensonge331 ». Silvestre, lui, explique que « l'expression forte et vraie des caractères et des passions » ne pouvaient aux yeux du spectateur être rendue en un travail si rapide et fécond332.

Les quelques personnages de notre corpus ne diffèrent pas de ceux qui peuplent l'oeuvre entier du peintre. Si le teint de la peau varie du blanc nacré au hâle doré, si les parures et vêtements font basculer les scènes d'un harem à un jardin anglais, les personnages de Diaz sont invariablement des silhouettes dont le visage n'est que la continuation du mouvement du corps. C'est par une attitude générale et le maniement de la couleur, de la lumière, par la composition, que Diaz suggère un sentiment. Dans le Maléfice de la galerie Martinet (repr. XIV), la sorcière hâlée, dans la pénombre, se courbe sur l'épaule de la jeune fille dont la peau nacrée reflète le clair de lune. De cet usage de la disposition des couleurs, Diaz suggère que la vieille femme sait mieux tirer parti de l'ombre, s'y fondre et voiler même ses intentions lorsqu'elle susurre les mots qui troublent sa proie. Plusieurs variations (notamment repr. XVI) et une esquisse (repr. XIX) montrent comment Diaz recherche l'effet de cette position de la sorcière dans l'ombre. Ce n'est pas sur son visage que l'on pourrait lire sa malveillance. En laissant ses traits équivoques, Diaz colle mieux à la réalité que s'il avait donné un air malin ou grotesque à la figure de son personnage malveillant. Il souligne le caractère trompeur et

330 Astruc, Zacharie, « Extrait du feuilleton du Siècle du 15 février 1860 », op. cit., p. 15.

331 L'expression se trouve chez Du Pays, « Visite aux ateliers : Diaz », L'Illustration, mars, n°19, 1853, p. 185 ; chez un chroniqueur anonyme, Revue de Paris, 1842, p. 212 ; et encore dans l'épitaphe de Mantz, Paul, « Diaz », Le Musée Universel, 1877, p. 151.

332 Silvestre, Théophile, « Diaz »", Les artistes français. 1. Romantiques (1852), Paris, Crès, 1926, p. 146.

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équivoque des apparences, en s'éloignant résolument d'une recherche physionomique. De même la jeune femme dont le visage éclairé est impassible, est perçue par contraste avec l'attitude de son ainée dans une attitude candide, et dangereusement exposée. Tournant la tête du côté opposé, refusant de regarder, elle entend d'autant mieux que son oreille se trouve alors tout près du visage de la sorcière. De la même façon, si sa main est libre, la vieille gitane a posé la sienne sur son bras, l'invitant à devoir se retourner vers elle si elle voulait fuir. Le malaise qu'on ne lit pas sur le visage est ainsi suggéré par un ensemble de détails que parachève la main portée au coeur, en signe de perte de contrôle.

Là où ses contemporains investissent sporadiquement le thème de la sorcière et de la bohémienne (ses sorcières étant souvent accoutrées à la façon dont Diaz peint ses bohémiens), Diaz multiplie leurs incursions dans ses scènes de genre. Cela vaut surtout pour la bohémienne, qui lui permet de revisiter d'une façon inédite, romantique, la fête galante de Watteau333, et qu'il est le seul à représenter régulièrement dans sa peinture. Ses contemporains, entre 1830 et 1850, sont peu à s'essayer au thème, et versent pour la plupart soit dans la scène de bonne aventure soit dans la description ethnographique334 et ne les multiplient pas comme le fait Diaz. Lui, innove avec la Scène d'Incantation et les Maléfices, en en renouvelant la teneur fantastique : non pas seulement fines psychologues, elles ont pour elles un charme dangereux. C'est seulement après Diaz que Gustave Doré fera toutes ses gitanes lascives, que Corot, Bougereau, et d'autres, reprendront le thème presque attitré de Diaz. Radicalement éloigné de ses congénères orientalisants, Narcisse Diaz refuse de chercher le type physionomique de la bohémienne, comme a pu le faire son camarade de l'atelier de porcelaine, Auguste Raffet, pour l'album de voyage du prince Demidoff dont Diaz se procure un exemplaire335. Il est donc original devant tous ses contemporains, parce qu'il est isolé à la fois dans le choix des thèmes et dans le traitement pictural.

La tangente que prend Diaz par rapport à la tendance physiologiste peut être lue comme un refus de l'idéalisation de la science et de la Raison, quand celle-ci aboutit à établir des typologies physionomiques et en tirer déraisonnablement des conclusions morales, et également comme une intuition pragmatique. Lorsque Diaz élabore des visions où le caractère, les traits typés des visages sont totalement évacués, et qu'il en tire le succès que l'on connait, l'intuition de l'artiste parait annoncer l'émergence de l'individu lambda du panneau publicitaire. Un tel rapprochement sous-entend que l'on se demande si le marché de l'art, répondant à la loi de la séduction et de la consommation, produit par nécessité stratégique l'image d'un type d'individu lambda. En effet, la

333 Thoré, Théophile, Promenade au Salon de 1844, op. cit.

334 D'après une recherche de Master 1 effectuée sur La figure de la bohémienne, op. cit.

335 Un exemplaire figure au Catalogue de la vente des livres, op. cit.

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production de Diaz peut signaler en elle-même l'émergence d'un type-lambda au sein de l'imagerie qui se vend. Deleuze et Guattari, dans leur analyse de l'ordre libéral, parlent d'un « devenir-jeune » visible dans l'imagerie produite par la société. Si l'on appliquait rétrospectivement ce filtre philosophique pour analyser les images de Diaz et leur succès, celles-ci semblent alors emblématiques d'un idéal bourgeois et bohème (aucun des termes ne s'excluant selon les derniers travaux de Jerrold Seigel336), présentant une humanité stéréotypée, à jamais jeune et mignonne. L'imaginaire de Diaz deviendrait sous cet éclairage le fruit d'un imaginaire collectif où la jeunesse et la séduction des corps sont imposées par des facteurs culturels et socio-économiques. Autrement dit, la culture romantique dans la suite des Lumières, couplée avec le contexte de production industrielle, donne au sein du marché de l'art, de la circulation des images, l'essor immédiat de figures de poupées à mettre à portée du porte-monnaie du client.

Pour autant que ces éléments nous paraissent éclairer la singularité de Diaz et les raisons de son succès, il ne faut pas perdre de vue une analyse de la volonté artistique du peintre. Ce n'est ni une dénonciation de l'art ethnographique, ni nécessairement la volonté d'aplanir stratégiquement toutes les différences culturelles, qui devrait primer dans l'interprétation de l'oeuvre. La portée morale de la scène de genre peut prendre un tour philosophique, traduisant la barrière perceptive inhérente à la condition humaine. Diaz qui privilégie le sfumato en général pour accentuer l'idée d'une perception naturelle, renforce le sentiment de ne pouvoir prétendre à une compréhension parfaite, par ces visages impassibles.

Si la narration est hermétique et s'oppose à l'idéal romantique d'une forme d'expression immédiatement intelligible337, Diaz propose une autre possibilité à l'intelligibilité d'une scène qui contourne l'expression.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand