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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Section 2. La magie, constante anthropologique

Le personnage de la sorcière des scènes de Maléfice, illustre bien l'idée universalisante et transcendantale qui parcourt toute l'oeuvre. Il illustre comment Diaz recherche les constantes anthropologiques qui déterminent toute organisation humaine, ce qui explique aussi pourquoi le sujet est amplement développé tout en restant une évocation isolée du registre fantastique. La magie apparait chez Diaz en tant que constante humaine, expression de son fonctionnement psychique et social, à côté du don par exemple, que Diaz met aussi en scène comme l'expression nécessaire du fonctionnement social. Personnage intemporel et transculturel, la sorcière est une image de ce qui lie tous les peuples et toutes les époques.

Il est en effet propre à l'artiste de déployer une iconographie de la sorcière où celle-ci tient un rôle social important, et valorisé, se fait apprécier des jeunes filles qui viennent apprendre auprès d'elle, comme dans La Bonne Aventure, pendant ovale d'un Repos oriental (repr. XXI). Les deux scènes illustrent le jeu harmonieux d'interactions sociales transportées dans une Arcadie intemporelle. La sorcière des Maléfices tire donc son emprise sur la jeune fille de la confiance que celle-ci pourrait avoir en son ainée, et la scène représente de façon poétique une intrigue sociale avant tout. Le fantastique est revisité par le peintre comme pour rappeler à ses contemporains l'incursion inévitable de la pensée irrationnelle dans la vie de tous les jours, et la réalité du rôle des sorcières dans la société préindustrielle. À mi-chemin entre la peinture pittoresque de Robert qui cherche à fixer les types menacés par l'avènement de la société industrielle, et Goya dans l'inquiétante persécution sociale que mènent les sorcières des Caprices353, Diaz réhabilite la part d'irrationnel à l'oeuvre dans la réalité. L'image réaliste de Rembrandt put le frapper par la véracité anodine de l'existence de croyances dans la société occidentale du XVIIe siècle.

En faisant du contact le centre du Maléfice de la galerie Martinet (repr. XIV), la main posée sur le bras de la jeune fille évacue tout le répertoire fantastique de l'iconographie de la sorcière et renoue avec une description réaliste de l'attaque de sorcellerie pratiquée dans les campagnes, qui consiste à asseoir une emprise par le contact avec la victime. Le « toucher » usité dans la sorcellerie, sert à maudire ou guérir. Dans le tableau, ce contact est aussi une intrusion dans l'espace du personnage de droite, dont l'impression est renforcée par la composition du décorum. L'arbre délimite un espace où se découpe la silhouette de la jeune fille et qui englobe la tête penchée de la sorcière.

353 Goya, The Conjurors or The Spell, 1797-98, h/t 43,5 x 30,5 cm. Museo Lazaro Galdiano, Madrid. Scala/Art Resource, NY . Il collectionne les Désastres de la guerre et les Caprices353.

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En cherchant à renouer avec le rapport primordial à la nature, Diaz se penche sur « la pensée sauvage » décrite par Michelet. Tout comme les hommes rêvent, toutes les sociétés connaissent des individus qui se réclament d'une pratique magique. La question occupe assez tôt l'histoire de l'art et l'anthropologie, qui y voient la première expression de l'art. Tout comme l'art, le rituel se trouve aussi loin que porte le regard sur l'Histoire, dès l'émergence de signes et de formes. La magie parait comme l'art, un élément consécutif à l'activité humaine du moins en société. La sorcière est donc à l'image de l'artiste, dépositaire d'une science de l'imaginaire. L'homme rêve, et l'homme use des rêves : Diaz en tant que peintre de son temps, le sait puisque sa peinture se juge à l'aune de son impression sur les esprits.

Dans l'étude de la « magie » de Diaz, se pose incidemment la question du sens dans lequel il faut lire le mot, compte tenu de sa polysémie. Si l'on souscrit à la notion première de magie, où s'accordent tour à tour l'anthropologue et l'occultiste pour attribuer au mot la science de l'imaginaire, il faut paradoxalement écarter l'idée que cette magie soit synonyme de superstition. La magie de Diaz au sens anthropologique caractérise la préscience d'une psychologie du public dont il faut tirer parti, tel que le font les sorcières de ses tableaux. En tant que sujet pictural, la magie représentée dans des sujets fantastiques n'est que la déclinaison polysémique de la magie sociale, au sens de Bourdieu, décrite dans les scènes de conversations notamment. En tant que sujet celles-ci renvoient en miroir à la science empirique que tire Diaz d'un parcours extraordinaire pour son temps, et qui lui vaut son titre.

Cependant, la notion totalisante de magie sociale peut être le sujet de toute anecdote, par n'importe quel peintre. Elle ne nous aide à définir l'art de Diaz que dans la mesure où l'on pourrait lui attribuer sa science empirique de ce qui lie l'humanité, et une réflexion sur la portée de l'imaginaire avec laquelle il démêle lui-même les relations de cause à effet entre son histoire et sa carrière de peintre, créant un conte de fées.

Le faire de Diaz, dominé par son principe de plaisir, le jeu sérieux appris de la Renaissance, comporte en lui-même une mise en scène rhétorique de ce qui compose la partie irrationnelle irréductible à l'humanité. Ce qui est superflu, comme l'art, la parure, la décoration, réductible chez les bohémiennes du tableau à la simple coquetterie du décolleté de la jeune fille, sont autant de constantes anthropologiques que Diaz décrit dans ses anecdotes en déclinant les costumes, et en les faisant primer sur l'individualité. En jouant avec ses enfants et en conscientisant un certain usage de la parure, Diaz se défait d'une codification stricte propre à son temps, et ouvre son mode de vie et son être au monde à d'autres possibles. Celui qu'il cherche est propre à la quête bohême, un rapport

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« authentique » au monde, qu'il pense trouver dans la valeur de l'imaginaire et du symbole véhiculés par le superflu, comme l'aurait dit Voltaire, et les gestes anodins, comme le geste de la sorcière.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein