WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La magie de Diaz

( Télécharger le fichier original )
par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Section 3. Le jeu des apparences :

Dans la lignée de Bonnigton, et Constable, dont le peintre collectionne les gravures, Diaz se saisit d'un lieu parce qu'il lui plait subjectivement, et il prend les leçons des maîtres anglais dans un certain sens. La perception du peintre est rendue évidente en même temps que le lieu est décrit avec réalisme et honnêteté. Cette peinture de la perception devant le paysage se suffit à elle-même, elle s'attache déjà à décrire la relation étroite de l'apparence du lieu avec le regard subjectif du peintre. Elle rejoint des préoccupations philosophiques liées aux apparences. Comme ses prédécesseurs, il y a une volonté de participer au renouvellement de la peinture de paysage, et d'approcher la Nature dans ce qu'elle contient elle-même de divin et d'historique : Diaz cherche dans la mare le féérique évoqué par le topos.

La Mare aux Fées est le produit d'un regard porté sur les choses, qui harmonise et unifie la composition dans l'oeil du peintre. Diaz tend à harmoniser les différentes teintes en les juxtaposant « de proche en proche78 », c'est-à-dire que son spectre de couleur est déployé, à la façon d'un « kaléidoscope » comme le remarquait Baudelaire79. Le caractère « hallucinatoire » dont celui-ci parlait volontiers au sujet de ses scènes de genre, s'applique plus largement à une façon d'utiliser la vision, et la lumière, que l'on retrouve assez bien dans La Mare aux Fées sous ses deux formes : la couleur elle-même suffisant à donner un caractère hypnotique au paysage, et l'apparition proprement hallucinatoire des fées en baigneuses antiques. Diaz doit peut-être à Turner, influencé par Cozens, comme Constable80, l'utilisation des propriétés hypnotiques de la couleur dans le paysage, la façon de mêler vision imaginaire et naturelle. Le dessin a disparu sous la touche qui

78 Silvestre, Théophile, « Diaz », op. cit., p. 151.

79 Baudelaire, Charles, « Salon de 1845 », dans Écrits sur l'art, Paris, Le livre de poche, 1999, p. 90. Théophile Gautier reprendra cette expression heureuse en parlant de « petits fouillis plus ou moins compréhensibles mais scintillants comme les fanfreluches du kaléidoscope », Gautier, Salon de 1847, Hetzel, 1847, p. 97-98. Beaucoup d'expressions trouvées par des critiques entre 1844 et 1846 pour qualifier l'art de Diaz, sont reprises systématiquement à l'identique pour vulgariser le travail de l'artiste, comme si la peinture hermétique de Diaz ne s'expliquait pas mieux que par images équivalentes : kaléidoscope, monceaux de pierres précieuses, etc.

80 Rosen, Charles et Zerner, Henri, Romantisme et réalisme, Paris, Albin Michel, 1986, p. 39.

19

recrée l'effet optique broussailleux de la végétation. Celle-ci se déploie en continu, quasiment indistinctement entre l'herbe, les buissons et le feuillage des arbres, comme une masse de couleur dont le spectre englobe toute la composition. Diaz, qui avait beaucoup étudié Corrège81, lui doit sans doute le tonalisme82 de sa propre peinture, qu'il a pu observer dans le paysage vénitien et dans celui du XVIIIe siècle de Fragonard, par exemple. C'est dans l'unicité d'un oeil que la composition s'est fixée. On pourrait voir cet oeil dans la composition où la forme indistincte d'un arbuste fait une tache sombre au centre du tableau et de l'espace ensoleillé qui transparait derrière les arbres, comme une pupille. Cette vision du spectateur achève de démontrer que l'imagination, conditionnée par une volonté de voir, donne un sens aux signes.

Comme souvent dans les paysages de Diaz, la perspective n'est pas évidente dans la version sans figures. On ne peut pas voir plus loin qu'un rideau de nature, que l'on devine épais. La perception est arrêtée par la nature, une matrice qui est aussi en nous : nous ne pouvons voir au-delà de ce que la perception naturelle, organique, nous permet, ni au-delà de ce que la psychologie humaine le permet. Un monde est occulté par ses limites perceptives. Le spectateur est ramené à l'espace plan du tableau par la touche très apparente, qui lui rappelle que ce n'est qu'une image, un morceau de peinture rapporté après observation. Dans la deuxième version (repr. III), le ciel est apparent, la nature est un espace ouvert sur une perspective, mais ce sont les fées qui se découpent de façon assez plate sur les arbres, révélant la part d'intemporel, d' « immémorial », ancré dans l'Inconscient ou le monde des Idées. Nous sommes d'ailleurs peut-être de l'autre côté de la mare, du côté du rideau verdoyant et ensoleillé que l'on aperçoit dans le premier tableau. Le paysage est difficilement reconnaissable d'un tableau à l'autre, c'est peut-être donc un paysage reconstitué d'après souvenir, une fantaisie du peintre qui désire donner corps aux fées évoquées par le nom du lieu. Les personnages sont répartis autour de la mare en suivant les lignes des arbres, comme si leurs silhouettes en émanaient. Elles sont dans les feuillages, comme la lumière. Autour des bustes qui se découpent sur des arbres, Diaz a assombri la palette, à la façon dont Botticelli suggère dans le Printemps (1478-1482) des émanations Idéales (ill. 5), qui proviennent d'un au-delà des perceptions, au creux de la nature, et de l'esprit qui perçoit la nature. Il utilise à plusieurs reprises ce procédé, qui

81 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 24. La critique souligne du vivant de l'artiste très souvent les similitudes entre les sujets de Diaz et ceux du Corrège et Prud'hon, à tel point que pour la postérité l'oeuvre allégorique est souvent réduite à une imitation de ces maîtres. Diaz collectionne effectivement des tableaux d'après Corrège, que l'on trouve au Catalogue de la vente qui aura lieu situe au décès, op. cit..

82 Dans la peinture vénitienne du XVIIe siècle : « Subordination des teintes locales à une tonalité dominante qui renforce l'union des couleurs entre elles par clair-obscur et multiplie les tons-reflets », Duby Georges et Laclotte Michel (dir.), Cornette Joëlle et Mérot Alain, Le XVIIe siècle, Paris, Seuil, 1999, p. 335. Par extension, la notion renvoie à l'effet d'unité des teintes du tableau, et sera utilisée à propos des peintres de Barbizon et du paysagisme américain issu des expériences barbizoniennes.

20

coïncide assez bien avec une affinité récurrente entre les thématiques de son oeuvre et des théories platoniciennes83.

Le paysage n'est cependant pas là pour servir de décor ou de matrice aux personnages, c'est bien un morceau de Nature qui est représenté avec fidélité, où le peintre propose de rendre apparente une rêverie. Diaz imagine les fées comme des nymphes locales, accompagnées d'un chien comme La Nymphe de Fontainebleau (v. 1553) peinte par Rosso Fiorentino (ill. 6 et 7), et installée sur le linteau de bronze du château de Fontainebleau. Diaz prend la tournure de sa vie de bohême, entre le petit cénacle parisien et l'auberge de Ganne, comme une réinterprétation de l'art de cour de l'école de Fontainebleau, qu'il n'oublie pas dans sa collection. La modernité romantique de Diaz se traduit par un effet proche du « collage » surréaliste, qu'il est pertinent d'attribuer à une relecture des thématiques du jeu des apparences à la Renaissance. La part d'imaginaire à l'oeuvre prêchée dans la « New Method » d'Alexander Cozens (1785), provient en effet des lectures que fait ce dernier de Vinci, comme le fera également André Breton84.

La féérie est bien dans la nature pour Diaz, qui peint des scènes de genre sur fond de nature parce qu'elles émanent d'elle, et sont en réalité des représentations de l'invisible à l'oeuvre dans la nature. Sous cet angle, il n'y a pas de dichotomie entre le paysage et la scène de genre, pas nécessairement de différence entre un paysage en sous-bois de Diaz, souvent construit à la façon d'un décor de conte de fées, et une scène mythologique ou orientalisante où le peintre dévoile des idées qui traversent l'air du temps. Le temps s'arrête, l'image se fixe, la peinture dévoile ce que la photographie ne parviendra jamais à imprimer sur la surface photosensible.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault