Section 2. Une vie invisible dans le paysage
La version « réaliste » oppose au nom
merveilleux un lieu dénué de figures fantastiques, et fait
naître l'idée d'une vie invisible. Beaucoup de paysages de Diaz
sont aussi de parfaits décors de contes de fées, où seules
semblent manquer les intrigues. Cependant, ce n'est pas le fait de Diaz mais
bien le folklore même qui attribue à la lumière
l'évocation des « fées », une lumière
insaisissable dont Diaz sait rendre les effets visibles. L'artiste traque la
vie intime de la forêt, pour suggérer l'invisible, la part de vie
cachée, occultée par une branche d'arbre ou par un éclat
de lumière. Il choisit donc ce lieu en tant que point de repère
de la forêt, qui participe de cette vie intime, et non pas un lieu
où s'est déroulé une bataille. En s'attachant à des
lieux de prédilection, le peintre crée un folklore personnel, et
dit également à travers la nature son propre sentiment
insaisissable. C'est son parcours qu'il retrace comme dans un vaste
témoignage, ce qui peut abonder dans la dimension autobiographique de
son oeuvre.
Au second plan, les branches se rejoignent au-dessus de la
mare et créent une voûte, comme une architecture naturelle ou un
décor de théâtre. Le motif des arbres se rejoignant et
refermant le bois sur lui-même, créant un espace naturel clos, se
retrouve dans différents tableaux de sous-bois de Diaz. Comme si la
nature était organisée d'une façon qui lui suffit à
se mettre en valeur, le papillotement de la couleur rend « vivant »
l'ordre même de la nature. Plus qu'un animisme, il s'agit de la
présence de Dieu, créateur d'une oeuvre dont l'organisation est
harmonieuse. Le papillotement que le peintre obtient par la touche apparente et
les contrastes de simultanées, donne l'impression d'une nature dont
toutes les parties communiquent : les tons se répondent et font circuler
l'oeil de chaque recoin des branches des arbres à chaque brin d'herbe.
La présence d'une vie invisible se fait sentir, de façon d'autant
plus appuyée dans ce tableau que le titre se prête à la
rêverie.
L'idée de représenter le divin par la nature est
développée à la Renaissance, à qui Diaz a pu
emprunter certaines affinités, issues en partie de la mémoire du
lieu77. Léonard de Vinci, appelé par François
Ier à la cour de Fontainebleau, utilise le paysage non pas
seulement comme décorum imaginaire, mais détaille avec un certain
réalisme la façon dont s'est formée la nature, image de la
Création, dans La Vierge aux rochers (v. 1483). La
démarche du peintre renaissant est d'avoir observé la nature puis
de l'avoir restituée dans le but de montrer la Création. Dans une
démarche un peu
77 Le guide de Denecourt, résidant à Barbizon,
contribue à faire connaître la mémoire des lieux.
Denecourt, F., op. cit.
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différente, Corrège peint un Jupiter
atmosphérique, nuage ou brume épaisse, confondu dans les
éléments naturels, dans Jupiter et Io (1531) (ill. 3),
qui marquera peut être Füssli lorsqu'il représente Le
Pêché poursuivi par la Mort (1794-1796) (ill. 4). Diaz
partage avec ceux-ci l'incursion du merveilleux dans le paysage, ou
plutôt un regard porté sur la nature qui en scrute les forces
organisatrices. Plutôt que de mettre en scène des
éléments naturels comme la brume de façon fantastique, le
peintre préfère ici accentuer les effets de la lumière et
le scintillement des couleurs qu'elle produit. La lumière,
phénomène privilégié pour Diaz en tant que peintre,
peut se comprendre comme un élément divin pour notre artiste en
tant que catholique. Avec ce tableau, les fées, dérivées
des Nymphes antiques, sont partie intégrante du vaste Vivant.
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