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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Chapitre 1. La mare aux Fées, reflets de l'insaisissable

Un chemin bordé de quelques hautes herbes forment un premier plan dominé par des tons ocre qui agit légèrement comme repoussoir. Le spectateur tenu à distance du centre du tableau est incité à prendre le chemin de la mare aux fées. Au second plan, des arbres robustes et sombres se dressent de part et d'autre de la mare. La lumière qui ne pénétrait pas sous les arbres, éclaire l'étendue d'eau, et la végétation de la rive opposée. La composition rend une perception féérique de l'intérieur du bois, intimiste et propice à la rêverie. Petite huile sur bois, datée d'entre 1845 et 1850, conservée au musée des Beaux-Arts de Dijon, La Mare aux Fées (repr. I) nous permet d'illustrer ici la production de paysages sylvestres qui composent la plus grande part de l'oeuvre du peintre, partagée si on suit l'analyse de Pierre Miquel, entre paysages du Bas Bréaut, d'Apremont et abords de mares60. Il n'appartient pas à cette étude de parler des paysages de Diaz, cependant La Mare aux Fées permet d'aborder la « magie » dont parlent ses commentateurs, dans son oeuvre de paysagiste, et d'esquisser une continuité entre le paysage et la scène de genre chez l'artiste. La Mare aux Fées est traitée quatre fois par le peintre, dans trois paysages sans figures61 (repr. I, II) et une scène où trois fées, rendues visibles, apparaissent sous la forme de baigneuses drapées à l'antique, accompagnées

59 C'est une distinction proposée par Catherine Rager, op. cit., qui établit deux origines distinctes dans la mythologie Romaine correspondant à deux fonctions distinctes des Fées desquelles elles dériveraient.

60 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., vol. II : Catalogue raisonné de l'oeuvre peint.

61 La Mare aux Fées, s. d., 27 x 40,5 cm., Huile sur toile, Cat. 622, n'a pu être reproduite.

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d'un chien (repr. III). Diaz affectionne particulièrement cette mare, qu'il peint à plusieurs reprises, et dont le nom évoque un monde invisible, un terreau de culture populaire.

Ce sujet double permet d'appuyer dès à présent l'argument proposé, selon lequel l'oeuvre s'articule entre paysage et scènes figuratives d'une façon plus subtile qu'une division entre production par vocation (paysages) et production mercantile (tous les autres genres auxquels s'est essayé l'artiste). L'imaginaire peuple littéralement le réel, et le peintre le met en lumière, montrant ainsi que la nature englobe une action invisible, comme au travers des légendes.

Section 1. Les légendes bohêmes

Diaz, un des premiers à aller à Barbizon, est au moment où il peint cette toile un habitué des lieux, tant de l'auberge que de la forêt. Le peintre livre son rapport intime à la « magie d'un lieu62 », pour reprendre les mots de Vincent Pomarède, et rapporte incidemment son propre parcours. C'est l'apogée de sa carrière, après sa révélation au Salon de 1844, au moment où le public et les critiques lui sourient. La féérie de ses scènes de genre louées par le milieu de l'art parisien semble déborder sur le paysage, comme si Diaz tentait de faire valoir le même charme merveilleux dans ce genre encore considéré comme mineur.

Sa vocation personnelle va en effet à l'art du paysage, comme il tient à le faire savoir lors de la remise de sa Légion d'Honneur de peintre de genre, en portant un toast à Rousseau et au paysage63. La singularité de Diaz parmi les peintres de Barbizon, peut tenir à l'évocation féérique, quoiqu'il doive à Rousseau, qui lui-même a été salué pour l'atmosphère magique de ses forêts64 (ill. 2), les secrets de sa palette65. Présentant à la vente du 11 avril 1863 Allée conduisant à la Reine-Blanche, Diaz laisse encore une ambiguïté dans le titre, glissant de l'étude topographique au merveilleux. C'est un thème que Diaz affectionne (repr. 1)66 ; la présence du tableau de Rousseau, Les rochers de la Reine-Blanche (1861), dans sa collection personnelle67 en atteste. Cette Reine-Blanche peut n'être au demeurant que le nom d'un lieu68 qu'aucune tradition n'explique, la forêt de Fontainebleau étant

62 Pomarède, Vincent, « Portraits d'arbres », cat. exp. Lyon, op. cit., p. 9.

63 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., vol. I, p. 62.

64 Thoré, Théophile, « Salon de 1846 », op. cit., p. 98. Thoré était voisin de palier de Théodore Rousseau, voir Miquel, Pierre et Rolande, Théodore Rousseau, Paris, Somogy, 2010, p. 54. Le même ouvrage mentionne également le « mystère » de la peinture de Rousseau salué par Jean de La Rochenoire, p. 91.

65 Silvestre, Théophile, Histoire des artistes vivants, Paris, Blanchard, 1856, p. 229.

66 Dans plusieurs ventes il des séries de vues des alentours de la « Reine-Blanche » : le 4 avril 1863 (annexe 2.c. et 2.d.), il vend quatre études : Étude de hêtre à la Reine-Blanche (n°28), Étude de terrain à la Reine-Blanche (n°35), et deux Études de grès à la Reine-Blanche (n°38 et 43) ; puis le 11 avril 1863, il présente un Grès à la Reine-Blanche (n°25), La Sablière à la Reine-Blanche (n°26), Une allée à la Reine-Blanche (n°29), une Étude de hêtre à la Reine-Blanche (n°34).

67 Catalogue de la vente qui aura lieu par suite du décès de N. Diaz de la Peña, Hôtel Drouot commissaire-priseur Charles Pillet, experts Francis Petit et Ch. Mannheim, 22-27 janvier 1877, Paris, chez Labitte, 1877, p. 52.

68 Le « chêne de la Reine-Blanche » est mentionné parmi les points de repère de la forêt dans Denecourt F., Guide du voyageur dans le Palais et la Forêt de Fontainebleau, Fontainebleau, chez l'auteur, F. Lhuillier, Paris, ed. des guides Richard, 1840, p. 102.

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l'une des moins pourvues de légendes69. Le nom du lieu évoque à la bohême de 1830 un charme mystérieux. Le fruit défendu, ouvrage écrit en 1858 par la comtesse Dash et signé également par Édouard Ourliac, Roger de Beauvoir, Alphonse Esquiros et Théophile Gautier, dont l'action se déroule dans la forêt de Fontainebleau, entre en résonnance avec les lieux dits de la mare aux Fées et la Reine-Blanche. Dans ce conte, une certaine Blanche de Montmédy découvre avec stupeur une assemblée de fées s'occupant d'un nourrisson. C'est peut-être ce conte qui est représenté dans Le Rêve (1847), scène hermétique, où une jeune femme en costume du XVIe siècle veille sur un nourrisson et l'entoure d'un lange transparent (repr. 2).

Dans La Mare aux Fées, sans figures, la féérie est en effet déjà présente : à travers le nom et les chatoiements de la couleur, ainsi que le folklore de la localité, remplis d'histoires légendaires et anecdotiques de la forêt de Fontainebleau que le peintre préfère à l'Histoire officielle. Le paysage n'a en effet aucun prétexte historique à sa représentation, mais seulement folklorique et subjectif. En cela il applique les leçons de Bonington70. Mais chez Diaz la « magie » du paysage évoque au public une forêt de conte de fées, empli de la mémoire des « sacrifices des druides71 », prolongeant ses aspirations à l'illustration des contes de Charles Perrault72. Des croquis conservés au Musée des Beaux-Arts du Canada attestent de son intérêt pour le dessin d'illustration, en particulier pour l'univers des contes (repr. 3). La mare aux fées, appelée aussi Grande Mare, ou Mare du Rocher-des-Fées comme dans le guide de Denecourt, résidant à Barbizon à côté de l'auberge de Ganne73, tient son nom des couleurs féériques que fait la lumière sur l'eau. Une « roche aux Fées, dont le grès est encore stigmatisé par les ongles de sorcières qui ne dansent plus sous le chêne vert », est aussi mentionnée dans Le Fruit défendu. Ce rocher marqué de traits que les archéologues interrogent comme une écriture mésolithique74, est suffisamment insolite pour devenir un griffoir pour les dragons75. Décrite par Henri Murger76, elle attire la bohême romantique vers ses jeux de lumière. Le phrasé du nom évoque le mystère d'un lieu, ressort fantastique que Sand utilise avec La mare au Diable (1846). Il est possible d'attester que Diaz était un lecteur de Sand, car le lieu qu'il décrit en peinture, La Mare au Diable, est autrement absent des plans de la forêt ; puis, reprenant le

69 Plusieurs chercheurs ont assemblé le peu de légendes Bellifontaines ; voir Paul Domet, Henri Froment, Louis Ferrand.

70 Diaz détient un album de lithographies de Bonington, qui figure au n°422 du Catalogue de la vente qui aura lieu par suite du décès, op. cit., p. 76 ; ainsi qu'un album de gravures de Constable, n° 417, idem., p. 74.

71 Silvestre, Théophile, « Diaz », Histoire des artistes français, op. cit., p. 151.

72 Voir Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 44.

73 Denecourt, F., Guide du voyageur dans le Palais et la Forêt de Fontainebleau, Fontainebleau, chez l'auteur, F. Lhuillier, Paris, ed. des guides Richard, 1840, p. 62.

74 Plusieurs inscriptions, aspects des minéraux de la forêt laissent les archéologues songeurs, ne sachant pas quelle part attribuer à l'érosion naturelle et si l'on peut déduire une activité humaine cultuelle ou artistique d'importance qui ferait de Fontainebleau le « Stonehenge » d'Île de France.

75 Les dragons « avaient coutume de venir à cet endroit pour affuter leurs griffes sur cette roche », Fanica, Pierre-Olivier, Bestiaire Bellifontain, Etrépilly, Presses du Village, 2002, p. 60-64.

76 Murger, Henri, « La mare aux fées », Asselineau, Charles, Luchet, Auguste, et al., Fontainebleau, paysages, légendes, souvenirs, fantaisies, Paris, Hachette, 1855, p. 97-102.

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phrasé seulement, il peint La mare aux Vipères, La mare aux grenouilles. Diaz ne s'attèle pas à la narration des légendes attachées au lieu. Pour le peintre, la mare aux fées réputée pour les jeux de lumière et les couleurs resplendissantes qui en font la féérie, peut bien être un défi en plus de le fasciner. En tant que coloriste, il trouve un exercice parfaitement adapté à son propre talent.

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