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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Chapitre 3. La Fée aux bijoux

Il existe deux versions de la Fée aux bijoux, la première de 1857 (repr. VI) similaire aux sujets dérivés du motif corrégien L'Amour désarmé (ill. 7), et conservée en dépôt au Sénat dans les collections du Louvre113, et la seconde peinte en 1860 (repr. VII), très similaire à la Fée aux joujoux de 1858 qui fut imaginée entre temps (repr. VIII).

La Fée du Louvre, accoudée à une fontaine baroque sur une terrasse pavée dans un style qui évoque le palais peint par Tintoret dans Mars et Vénus surpris par Vulcain (v. 1550) (ill. 8), rappelle beaucoup plus Vénus qu'une nymphe, par la majesté de son drapé et de son geste. Ce n'est pourtant pas une scène des relations conflictuelles entre Vénus et son fils Cupidon, qui chez Diaz sont habituellement données pour telles et se jouent dans les bois. Pour cet envoi au Salon de 1857, il renouvelle son répertoire avec une scène où plusieurs putti ramassent avec avidité les bijoux que la déesse laisse choir. La miraculeuse fée qui produit 4000 F à sa vente la même année, titille un petit amour en lui présentant une bague hors de sa portée, dans une attitude que Diaz prête souvent à Cupidon voulant récupérer ses flèches confisquées par la déesse de la beauté.

112 Deschanel, Émile, Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle, Paris, Hachette, 1864, p. 256.

113 Inv. RF 2316, dépôt Sénat.

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La version de 1860, non documentée, reprend une idée que Diaz a eu entre temps avec la Fée aux joujoux. Le personnage se tient sur la scène d'un théâtre, où des fleurs ont été jetées comme pour féliciter la troupe. Mais sur scène, les acteurs ne saluent pas le public. Au milieu de la scène, une dame en bleu offre un bracelet de perles à une petite fille accompagnée de deux autres curieuses et admiratives, qui sont montées avec elle. À droite de la fée aux bijoux, une femme dénudée en drapé antique, de profil, tourne la tête vers le spectateur.

Section 1. Les joyaux du Narcisse

Dès que Diaz couvre de bijoux des figures d'enfants en forêt, ceux-ci sont propulsés dans un ailleurs hédoniste. Nous pouvons établir avec certitude que le bijou a une dimension merveilleuse et fantastique pour l'artiste : il propose en tête de liste L'anneau enchanté lors de sa vente de 1861 (annexe 2.a). Cela veut dire qu'une féérie attachée au bijou, permettant de voyager dans le temps, qui rejoint en grande partie la même féérie de l'Orient, d'un « âge d'or » préindustriel, ne laisse pour lui pas de doute sur le succès que doit avoir la vente, et doit être mise au premier plan de son intention artistique. Parmi les scènes de genre qui font partie à la fois du fonds de commerce et de la « magie » ou la « féérie » dont parle les commentateurs à propos de l'univers du peintre, les scènes orientalisantes sont chez Diaz des plus révélatrices. L'ailleurs hédoniste, le monde enchanté est aussi pays de cocagne, où les femmes abondent, croulant sous des parures mirifiques. On peut donc commenter incidemment un pan de la production de Diaz, où les scènes Orientales comme Le coffret de bijoux sont toujours très traitées avec faste (repr. 8). Le tableau féérique renvoie donc à une forte présence des bijoux dans l'oeuvre.

Les bijoux pour Diaz, renvoient aussi à sa propre peinture, qui laisse à la bouche de tous les commentateurs le souvenir d'un travail d'orfèvre : « Rien de plus scintillant, de plus diamanté que ce bouquet de couleurs114», disait Véron, élève de l'artiste. Thoré aura aussi un mot resté célèbre et repris très souvent pour résumer l'intérêt des peintures de Diaz : « Ses tableaux ressemblent à un monceau de pierreries115 ». Charles Blanc reprendra ce lexique à propos des Bohémiens pour son Histoire des peintres au XIXe siècle : « c'est un mélange admirable des plus vagues indications, avec des morceaux perlés, achevés avec amour, précieux comme l'or, étincelants comme des rubis116 ». L'Histoire de l'art retenait au départ plus volontiers de Diaz une singularité faisant de lui un peintre-orfèvre. D'une part, l'historien retrace avec fidélité ce que l'oeil contemporain de Diaz perçoit, et d'autre part il peut encore admirer

114 Véron, cité par Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 178.

115 Thoré, Théophile, Promenade au Salon de 1844, précédé d'une lettre à Théodore Rousseau, Paris, Alliance des arts, 1844, p. 31.

116 Charles, Blanc, Histoire des peintres au XIXe siècle, t.1, Paris, Cauville frères, 1845, p. 47.

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ce que le temps enlèvera à la peinture de Diaz. Claretie à propos de miséreux trouvant refuge dans le Louvre déplore :

« Je crois bien que les hôtes attitrés de l'asile de jour qu'est devenu le Louvre ne se rendent pas un compte très exact de tout ce que contient de poésie une toile de Corot, de couleur un tableau de Delacroix, de charme et de richesse une joaillerie de Diaz117 ».

Reprenant au moins ce que pense la critique, s'il ne le conçoit pas lui-même, Diaz peut attacher aux bijoux jonchant le sol dans La Fée de 1857, un symbole renvoyant à son propre travail d'artiste. L'artiste conçoit ses tableaux comme des objets d'appropriation, puisque même les personnages qui y figurent ont une valeur intrinsèque, comme des objets de valeur en eux-mêmes : il fixe en effet le prix de vente en fonction du nombre de personnages représentés118.

Pour Narcisse Diaz, il semble qu'il n'en va pas de sa peinture comme de la poésie, mais comme de la joaillerie. Signe extérieur de richesse pour l'acheteur, façon de s'enrichir pour l'artisan. Comme un développement de produits en toc, une multitude de copieurs vendent de faux Diaz déjà de son vivant. Il saurait lui-même où se trouve « une fabrique Diaz119 », et est appelé lors d'expertises judiciaires à certifier l'authenticité de tableaux vendus sous son nom120.

Dans le titre de nombreuses scènes à l'effeuillage des catalogues de vente, comme Les présents de l'Amour, le don est une avance. Dans les tableaux de Diaz, le travail orfévré peut agir symboliquement comme une façon d'induire une valeur soutenue de ses tableaux, en jouant de la fiction picturale. Ce ne sont pas des joyaux, mais ils valent autant que des joyaux.

La Fée aux bijoux semble donc illustrer, comme La Fée aux Fleurs, une dimension de la carrière du peintre, ou du moins une réflexion qu'a pu lui inspirer sa propre expérience de la richesse. Sur le tableau du Louvre, plusieurs putti ramassent avec avidité des bijoux que laisse mollement tomber la fée, tandis qu'un autre sautille en espérant attraper l'objet qui stimule son envie. Le bijou attise la convoitise, stimule et démultiplie le désir, comme les putti, avatars d'Eros, se multiplient. L'art de stimuler l'envie tient aussi pour beaucoup dans le geste de la fée, qui tient l'objet du désir hors de portée. La bague tenue hors de portée devient d'autant plus un enjeu, car une part narcissique est investie. Autrement dit, la valeur d'un objet est démultipliée symboliquement par son inaccessibilité.

117 Claretie, Jules, « Tableaux de Paris. Asiles de Jour », Le Figaro, 9e année, 3e série, n°30, vendredi 30 janvier 1903, p. 1.

118 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 72.

119 Idem., p. 196.

120 Un exemple est relayé par la presse, où en l'occurrence Diaz certifie qu'il n'a pas peint le tableau vendu. Deschamps Th., « Jurisprudence dramatique. Tableaux de Diaz - Fausse signature - Nullité de la vente », Le monde dramatique, 6 juillet 1859, p. 4.

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Peut-être est-ce une leçon que Diaz a retenue de son approche empirique du marché : un tableau que l'on met aux enchères reste hors de portée des acheteurs, qui doivent entrer en compétition pour l'obtenir. Tout se passe comme si l'objet paraissait d'autant plus beau à l'acquéreur en suggérant sa valeur élevée. En parallèle, le narcisse de l'acheteur est lui aussi soigné par la valeur monétaire de son bien.

La féérie séduit sur le marché, ainsi que l'atteste la diffusion d'images de contes de fées et de petits théâtres de contes que fait le Bon Marché pour sa publicité auprès des enfants de ses clientes, vers 1870121 (ill. 9). Bien que cette technique atteste d'un développement du marché propre au troisième tiers du XIXe siècle, elle nous montre l'affinité qu'auront la féérie et le conte de fées avec les objets de consommation. Les tableaux de Diaz sont eux-mêmes des objets féériques, des « joailleries ». La féérie contenue dans l'impression du faste est la même qui s'attache au bien de consommation : celui-ci est conçu pour satisfaire l'envie de luxe. En plus de cela, l'objet de consommation, inévitable, devient le mode de construction de l'individu : le choix de l'objet devient habitus social122, qui construit une identité123 sociale et contribue à l'insertion de l'individu dans la société. C'est bien son narcissisme que chacun consolide à travers l'acquisition d'un bien de consommation. En cela il partage avec le féérique une dimension psychologique de construction individuelle. C'est le propos qui s'esquisse dans le tableau de 1860 : le bijou participe à la construction individuelle de l'enfant, et la féérie réside dans cet acte à portée psychologique qui va jalonner sa vie.

L'artiste revisite le thème de L'amour désarmé, emprunté à Corrège comme l'avait fait Prud'hon, en exportant le motif de l'objet d'un désir que l'on garde hors de portée du désirant. L'action se déroule autour de ce geste immobile, mettant en exergue son sens symbolique et intemporel. Le geste appartenant à Vénus, qui retire à Cupidon ses flèches, invite à méditer sur l'envie réelle d'Eros : aime-t-il plus ses flèches, son pouvoir, ou Vénus, la beauté ? La déesse le désarme-t-il par sa beauté, qui le dépossède de ses moyens, comme cela arrive dans des situations d'emprise ? Ou s'agit-il d'illustrer une prérogative féminine, de pouvoir arrêter un jeu du désir lorsque celui-ci devient fatiguant, comme une mère excédée confisquerait un jouet à son enfant ? Le thème est traité par l'artiste comme pour répondre à l'ensemble de ces questions, dans des tableaux différents, dont une partie est tournée vers la question de l'objet du désir. Dans La Bague, anneau d'améthyste, et encore, La bague d'améthyste (repr. 9), le geste est repris à l'identique, et donne un bon exemple de

121 Piffault, Olivier (dir.), Les contes de fées : « Il était une fois », cat. exp., Paris, Bnf, Richelieu, 20 mars-17 juin 2001, Paris, Bnf, 2001, p. 63.

122 Au sens de Bourdieu, « un ensemble de dispositions qui portent les agents à agir et à réagir d'une certaine manière », selon Thompson, John B., préfacier de Langage et pouvoir symbolique (textes de Ce que parler veut dire (1982) revus et augmentés par l'auteur), Paris, Seuil, 2001, cit. p. 24.

123 Sur la fonction de l'objet de valeur ou l'objet sacré dans la formation de l'identité, voir Godelier, Maurice, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l'anthropologie, Paris, Flammarion, 2007, p. 93.

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l'hermétisme de Diaz. Si il est évident pour le public qui suit la production de Diaz années après années que le peintre développe un vocabulaire symbolique propre, et qu'il mène ainsi une bataille contre la lisibilité et la hiérarchisation des genres chère au néo-classicisme, le sens de cette symbolique reste équivoque. Suivant l'analyse qui vient d'être faite de la Fée aux bijoux du Louvre, l'améthyste, pierre semi-précieuse en vogue auprès de l'aristocratie désargentée de retour en France à partir de la Restauration124, pourrait symboliser l'art de Diaz en ce qu'il fait miroiter aux acheteurs des airs d'art de cour.

Dans sa version de 1860, l'artiste semble creuser la question du narcissisme plus que celle de l'avidité en abandonnant la forme tirée de L'Amour désarmé. Les trois fillettes répondent en symétrie aux trois jeunes femmes, illustrant un moment de construction narcissique de l'enfant. Mais dans cette scène, les enfants reçoivent d'adultes ce qui les satisfait, et confère au moment une dimension d'autant plus féérique, en redonnant à la fée son onirisme des contes : une marraine veillant au bon développement de l'enfant, à son passage à l'âge adulte en société, sur la « scène » de la sociabilité.

Dans les scènes de genre, son usage du symbole autant que ses thèmes et motifs les plus fréquents, comme le bijou, annoncent l'onirisme symboliste, particulièrement présent dans le motif des trois femmes, blonde, rousse et brune, disposées en miroir avec les fillettes. Cet aspect symbolique, impropre au romantisme125, apparait peut être dans cette version parce qu'il est précisément question d'une réflexion sur le pouvoir de bijoux en tant que symboles.

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