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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Section 2. La Fée de 1857 et l'aventure commerciale de Diaz

Avant de développer plus avant ce qui dans ce tableau illustre chez Diaz une réflexion sur la sociabilité et la transmission, la première Fée aux bijoux nous incite à creuser plus avant la relation de Diaz à l'argent pour démontrer comment cet aspect de sa carrière peut acquérir la profondeur d'une allégorie dans sa propre oeuvre.

« Quand on est dans la misère, on est rien du tout126 », mots qui renvoient à l'expérience de mort, impasse de la précarité dans une modernité où l'argent conditionne les moyens de survie, sont souvent prêtés à Diaz. En parallèle, celui-ci est connu pour aimer le luxe127, et l'on peut penser qu'il souscrit à l'incitation de Louis-Philippe « enrichissez-vous ». Glissé comme une évidence, Arsène

124 Malaguzzi, Silvia, Bijoux, pierres et objets précieux, trad. Claire Mulkai, Paris, Hazan, 2008, p. 339-341.

125 Voir l'argumentation d'Henri Zerner à propos de l'analyse iconologique des tableaux de Füssli : l'auteur récuse les spéculations sur le signifiant d'un symbole représenté, parce que le peintre romantique ne procède pas d'une telle façon. À contrario, l'oeuvre de Diaz semble justement développer un vocabulaire propre et limité de symboles. Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit., p. 52 s.

126 Parole rapportée par de nombreux commentateurs, voir notamment Silvestre, Théophile, Les artistes français, op. cit., p. 145.

127 Voir notamment Silvestre, Théophile, op. cit., p. 147.

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Houssaye fait dire à son personnage, Mademoiselle de Montducaton : « Je vous en supplie, faites mon portrait! La question d'argent n'est pas une question pour moi; je ne thésaurise pas, Dieu merci. Voulez-vous mille francs? Voulez-vous un louis chaque fois que la pendule sonnera, comme M. Diaz de la Peña128? »

À propos de la vente du 11 avril 1863, Philippe Burty dépeint un Diaz provocateur : « Chaque année à

peu près, M. Diaz, avec une audace que son talent seul rend triomphante, provoque le public blasé de l'hôtel Drouot129. »

Fritz Lugt répertorie douze ventes avant celle de 1877, mais seulement celle de 1861 met en vente des oeuvres de sa collection. Lhinares le compare incidemment à Damien Hirst pour souligner la modernité du procédé. En 1861 il parvient à produire 41 100 francs de trois ventes130.

Véritable bateleur, Diaz est un des premiers avec son ami Rousseau à organiser lui-même des ventes aux enchères : Simon Kelly les tient pour des « pionniers » de la stratégie adoptée plus tard par des Eugène Boudin, les Impressionnistes et Paul Gauguin131. Diaz organise onze ventes entre 1849 et 1868, la vente aux enchères devient pendant ces années sa principale source de revenus132. Pour Kelly, cette fibre commerciale en fait un personnage plus important que Rousseau du point de vue de l'Histoire économique de l'art133. En 1857, il établit un catalogue illustré des oeuvres qu'il met aux enchères, s'illustrant ici comme le premier artiste à copier la technique jusqu'alors usitée par les collectionneurs et les marchands. Diaz s'autoproduit, comme Courbet en un sens, mais là où le défenseur du Réalisme cherche à s'émanciper de tout intermédiaire mercantile pour contrer une logique capitaliste, Diaz pousse plus avant et explore les possibilités du libéralisme naissant. Sa stratégie empirique donne un premier exemple du mécanisme clé qui créera par la suite toutes les avant-gardes : la circulation artiste-marchand-critique134 créant une véritable synergie pour l'augmentation de la valeur des oeuvres. Du côté de la critique, Desplaces improvise des vers au Salon de 1846, que Champfleury commente135 : le phénomène artistique prend de l'ampleur. L'artiste est par ailleurs amicalement encouragé par des connaissances des cénacles auxquels il appartient, comme Théophile Gautier. Diaz, connaissant l'intérêt d'être relayé par un marchand dès sa collaboration avec Desforges, sera toujours bien entouré. Alfred Sensier qui communique avec le comte Nieuwerkerke, surintendant des Beaux-arts, lui tient d'ami et d'appui ; la Galerie Georges Petit

128 Houssaye, Arsène, Mademoiselle Mariani, histoire parisienne, Paris, Michel-Lévy frères, 1859, p. 91.

129 Burty, Philippe, extrait d'une coupure de journal collée sur l'exemplaire du catalogue conservé au Kunsthistorische Rijksbureau voor Documentatie de La Haye, cité par Lhinares Laurens, p. 83.

130 Lettre de Alfred Sensier à Jean-François Millet, 9 avril 1861.

131 Kelly, Simon, op. cit., p. 32.

132 « For nearly twenty years, the auction provided with him the principal means of marketing his work », ibidem. 133Idem., p. 39.

134 Voir White, Cynthia et Harrison, La carrière des peintres au XIXe siècle, préf. Jean-Paul Bouillon, Paris, Flammarion, 2009.

135 Champfleury, " Salon de 1846 ", op. cit., p. 40.

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sera son expert pour les ventes aux enchères ; beaucoup de noms différents de marchands, enfin, comme Tedesco, Martinet, Couteaux et Goupil, jalonnent son parcours. Incontournable tenant explicatif de son succès, le rapport que Diaz entretient avec le marché et son caractère extraordinaire pour l'époque, justifie que l'artiste s'exprime de façon allégorique sur cette découverte. La valeur de l'objet d'art, créée ex-nihilo, fait pleuvoir de la richesse, telle la Fée laissant choir ses bijoux, par un mécanisme de collaboration professionnelle paraissant tout à fait naturel, et par ailleurs pensé comme une circulation naturelle de la richesse par les penseurs libéraux. La fée du tableau de 1854, si elle n'est pas Vénus, peut bien être une force naturelle comme les putti, avatars du désir, qui produit cette valeur, comme par magie.

Comme le rappelle Kelly, sa première vente aux enchères se tient le 3 avril 1849, probablement suite à l'effondrement du marché en 1848136. Cette vente aux enchères est immédiatement commentée comme un acte très audacieux (« Diaz a osé une innovation et tous les artistes lui sauront gré137 »), et un pari mal aisé : alors que le marché s'effondre, Diaz présente quatre-vingt-deux « études et esquisses » réalisées durant les dernières années. Vente soldée par une double réussite, financière et artistique : elle atteint 15 000F et fait parler du peintre comme un maître de l'ébauche, ainsi que le présente un rédacteur de L'Artiste : « La science de l'ébauche ne peut être menée au-delà ... Corrège et Reynolds, Ruysdael et Rousseau étaient venus sourire à toutes ces jolies merveilles138 ». Succès mirifique, qu'une bonne fée a couronné. Cependant la chance ne sourit pas toujours à Diaz, dont les ventes de 1850 et 1851, 1858 et 1860 eurent moins de succès. En 1864, avec une vente atteignant 21 245F, il entame une fin de carrière rayonnante où la commande affluera toujours, se déplaçant en Belgique, en Allemagne, puis en Amérique139 au fur et à mesure que sa peinture s'exporte. Quinze ans se seront tout de même écoulés où les ventes de Diaz n'atteignent pas le même succès. L'artiste peint justement les différentes versions de ses trois Fées sur cette période : peut-être qu'au terme d'une réflexion sur les aléas de son succès, est venue à Diaz l'idée de donner cette forme allégorique aux ressources qu'il utilise dans son art.

Il faut noter que la richesse de Diaz est entièrement tournée vers l'art. En 1834, Narcisse Diaz acquiert deux Delacroix140, et continue de s'approvisionner en gravures et reproductions qui lui permettent d'étudier ses maîtres. Sa collection se constitue donc en même temps qu'il prend l'habitude de fréquenter les salles de ventes, où il s'épanouit aussi bien comme vendeur que comme

136 Kelly, Simon, op. cit., p. 39

137 Lord Pilgrim, « La vente des Diaz », L'Artiste, 5e série, vol. 2, t. 1, 15 mars 1849, p. 217.

138 Ibidem.

139 Claretie date l'exportation et la « vogue commerciale » de Diaz en Amérique après 1870. Claretie, Jules, Peintres et sculpteurs contemporains, Paris, 1882, p. 231.

140 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 18.

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acheteur. Il troque aussi ses toiles contre des objets exotiques ou anciens141. Les catalogues de vente de ses biens donnent une idée de son intérieur (annexe 5 a et b), dont on pourrait dire à l'instar de l'hôtel Rambouillet qui abritait la bohême du Doyenné, qu'il est conçu pour transporter dans le temps. Gerard de Nerval qui chinait une copie de L'Escarpolette de Fragonard, et Gautier un tableau de Boucher au temps du Doyenné vers 1835142, montrent l'exemple à Diaz. Il enrichit ses biens d'objets exotiques et raffinés des siècles précédents qui font l'écho exact de son univers en peinture. En comparant la collection de Diaz et son oeuvre, on peut trouver de quelles sources d'inspirations directes il tient, mais aussi comprendre que le marché lui donne l'opportunité d'opérer une synthèse des époques passées (annexes 5 a et b).

Il n'y a plus de doute à avoir sur le caractère poétique que donnait Diaz à ses scènes de genre autant qu'à ses paysages malgré sa vocation de paysagiste. Sans une réelle affinité avec ces formes héritées du passé, il n'aurait pas élevé dans le jardin de sa propriété à Barbizon deux statues représentant respectivement une nymphe et un berger (annexe 6. a et b). Il fait en effet construire des propriétés suivant sa fantaisie, dont celle de Barbizon est toujours située au n° 28 de la Grand Rue, en face de celle de Millet (annexe 7). Le mur d'enceinte qu'il imagine et fait réaliser est fortifié de petits moellons dans le ciment, évoquant l'architecture des demeures italiennes du XVIe siècle conçues pour prévenir des conspirations (annexe 6.b), tandis que les charpentes des toits pointus donnent à la demeure un air de décor pour un conte d'Hoffmann. C'est le parachèvement d'une vie de conte de fées, de pouvoir habiter des maisons de contes de fées. La presse parle déjà de la décoration à venir de l'hôtel particulier style Louis XIII qui doit s'élever 1, place Pigalle, à l'angle de la rue Frochot, alors que cette maison n'est pas encore construite143.

La fortune de Diaz, son accès à la propriété foncière, met en lumière un aspect justement très « terre à terre » dans sa personnalité artistique. Cependant, en regardant la façon dont l'artiste a disposé de son argent, on s'aperçoit que l'ensemble a été investi et tourné vers la consolidation d'un univers féérique, et la construction d'une réelle vie de conte de fées.

Les rapports étroits que Diaz a lui-même tissé entre sa vie et son oeuvre forment un réel univers dans lequel il évolue et qu'il parachève. Ce n'est pas seulement une tendance prise par les historiens d'art, mais l'art-même de Diaz que d'avoir façonné sa vie comme une oeuvre. Prenant des risques, s'entourant des plus belles choses, la vie de Diaz qui avait commencé dans le dénuement suite à la

141 Idem., p. 98.

142 Guégan, Stéphane, op. cit., p. 88.

143 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 98.

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perte de ses parents et la fièvre de dessiner annonçant une fibre artistique prometteuse144, comme commencent certaines légendes d'artiste racontées par Vasari, colle au conte de fées par la suite comme si Diaz y avait trouvé un accomplissement personnel et esthétique. Réunissant la vie et l'art en vivant sa vie comme un roman, Diaz explore les modalités d'être de l'individualité moderne. La forme particulière que prend cette aspiration bohême pouvant rappeler des pratiques d'avant-garde du XXe siècle145, peut-être interprétée comme la tentative d'un détournement critique du marché de l'art, en même temps qu'une façon d'assumer un besoin de confort.

Si attentif à la construction de sa vie de famille et l'accumulation des biens qui la mettent à l'abri du besoin, il n'est pas étonnant de trouver dans l'oeuvre peint une réflexion sur le don et la transmission, propre à la construction familiale, qui la jalonne exactement comme un conte déploie son image de la construction familiale146.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway