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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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1.2.2 Les gens de couleur

Les gens de couleur sont libres ou esclaves. En 1776, on dénombre 200 libres en Guyane, ce qui est très peu par rapport à la population servile qui avoisine les 8 500 individus447.

Les affranchis

Ce sont des affranchis ou leurs descendants, qui restent marqués par leur ancienne condition servile. « Ils sont déclarés incapables de toutes fonctions publiques. Les gentilshommes même qui descendent à quelque degré que ce soit d'une femme de couleur ne peuvent jouir des prérogatives de la noblesse. Cette loi est dure mais nécessaire, dans un pays où il y a quinze esclaves contre un Blanc448. » En dépit de leur condition, ils se sont néanmoins constitués en groupe social actif, nous l'avons vu, dont la réussite, parfois spectaculaire engendre ressentiment et haine, qui dégénèrent en racisme pur et simple449. Toutefois, si leur nombre devient significatif dans les Antilles dès les années 1750, ils ne seront jamais très nombreux en Guyane450.

446 Ibid., p. 152, 163.

447 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 329.

448 ANOM C14/43 F°224.

449 Jean MEYER, Jean TARRADE et Annie REY-GOLDZEIGUER, Histoire de la France coloniale, op. cit., p. 173.

450 Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 350.

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Les esclaves

 

1710/1719

1720/1729

1730/1739

1740/1749

1750/1759

1760/1764

Bateaux

10

12

3

6

5

3

Esclaves vendus

624

1231

201

989

305

420

Années de guerre

4

0

6

8

3

4

Tableau 7 : La traite négrière vers la Guyane (1710-1764)

La deuxième catégorie de gens de couleur est constituée par les esclaves, de loin le groupe le plus nombreux de la colonie, puisqu'il représente environ 85 % de la population après 1710. Arrivés en Guyane via la traite, ils sont généralement originaires du Congo, du Sénégal, parfois de l'Angola et du Mozambique. On recense environ 80 expéditions négrières entre 1713 et 1789, soit environ 2 % de l'ensemble, ce qui est très peu et témoigne de l'intérêt très faible que suscite la colonie dans le commerce de traite au XVIIIe siècle. Eu égard à la pauvreté de la colonie, celle-ci n'est ravitaillée par les négriers davantage par nécessité que par choix. Accostant à Cayenne après les Antilles, les ceux-ci vendent malgré tout de façon réticente en raison des difficultés à se faire payer451.

Comme l'illustre le tableau ci-dessus452, la traite connaît une évolution fluctuante en relation avec la guerre. Sur la période 1710-1764, on compte vingt-cinq années de conflit, durant lesquelles la fréquentation des négriers est plus aléatoire que durant les années de paix où elle devient plus régulière. Toutefois, même lors de période de paix, il est aisé de constater que la fréquentation des négriers reste très faible. En 1729, quatre bateaux font escale à Cayenne, trois en 1740 et 1764, deux pour les années 1713, 1714, 1718, 1726, et 1755, années pourtant calmes453.

Pour la période 1770-1790, les chiffres recueillis sur la base de données Slave Voyages454 nous permettent d'établir le graphique suivant :

451 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 329 ; Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 386.

452 Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 387.

453 Ibid.

454 http://www.slavevoyages.o rg Slave Voyage est une base de données qui se constitue dans les années 1990 et donne lieu à l'élaboration d'un CD-ROM qui circule entre les chercheurs. En 2006, elle est mise en ligne, rendue accessible à tous et gratuite. C'est une base de données importante, complétée au fur et à mesure de la découverte des données archivistiques et de leur traitement.

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Tableau 8: Évolution du nombre d'esclaves introduits en Guyane (1771-1790)

Hormis un pic qui correspond à l'année 1778, que nous pouvons mettre en relation avec les mesures prises par Malouet pour accroître la main-d'oeuvre dans la colonie, nous constatons que le nombre moyen d'esclaves introduits reste globalement faible et ne dépasse jamais les 400 captifs annuellement.

Les esclaves débarquant à Cayenne sont généralement en piteux état. Nous l'avons vu, la mortalité à bord des navires est importante et touche de façon indifférenciée esclaves et marins. Les conditions d'entassement, de promiscuité, d'hygiène déplorable, de durée du voyage, de nourriture insuffisante et déséquilibrée entraîne d'importantes pathologies intestinales, scorbut, fièvres, etc. Pour la Guyane, la mortalité moyenne est de 18 % des déportés. Certains navires connaissent des mortalités supérieure à 50 %. Il n'est pas rare que l'on se débarrasse des rescapés. En 1726, le Phénix abandonne à Cayenne 14 esclaves trop malades. Il convient également de prendre en considération le traumatisme lié à l'arrachement aux siens, l'angoisse de la traversée océanique pour des peuples n'ayant jamais quitté le sol africain455.

L'exemple de L'Aimable Victoire donne une idée des conditions dans lesquelles se déroule une transaction d'esclaves en Guyane. Le 10 juin 1778, peu avant son départ définitif de Guyane, Malouet achète pour la colonie 228 esclaves au capitaine Jean Laurent de Gallinée, capitaine de L'Aimable Victoire, navire en provenance du Mozambique. Les esclaves sont « reconnus en bon état d'après l'examen qui en a été fait par les médecins et chirurgiens du roy. » Le prix est fixé selon le cours en vigueur au Cap français durant les six derniers mois de l'année en cours, selon une

455 Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 390.

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certification par écrit des négociants Foäche, Meunier et Plombart456. Le 15 septembre 1778, l'ordonnateur Préville averti le ministre de la tromperie de Gallinée :

« Vous verrez par le certificat cijoint, Monseigneur, des médecins et chirurgiens que les administrateurs [Fiedmont et Malouet] ont été surpris par ce capitaine dans leurs achats, que presque tous ces esclaves avoient une galle répercutée qui s'est déclarée peu de jours après leur livraison, par les informations qui ont été prises par ceux des dits Nègres qui commencent à parler créole ,
· ont dit avoir prit à bord des remèdes qui vraisemblablement leurs étoient donnés à cet effet ,
· ce qu'il y a de constant c'est qu'ils en sont encore tous couverts et qu'il a été presque impossible d'en tirer parti jusqu'à présent pour les travaux engagés457. »

Préville dénonce une tromperie de plus grande ampleur. En effet, les esclaves ne sont pas originaires du Mozambique comme le prévoient les termes du marché passé entre Malouet et Gallinée, et bon nombre d'entre eux ont pris la fuite dès leur arrivée :

« Tous ces Nègres sont un ramassis de toutes espèces, en partie pris dans des établissements d'Européens, de Portugais, et les plus mauvais sujets possibles. Doués de la paresse de leurs anciens maîtres, ils y ajoutent le marronnage le plus décidé, suite de leur désir à rien faire. Plusieurs des habitants de Sinnamari ont en achetés qui leur ont décampés presque à leur arrivée dans cette partie et qui n'ont encore pu être rattrapés malgré les détachements fréquents qui sont à leur suite458. »

Ces deux extraits de la correspondance de Préville témoignent également de la pénurie de main-d'oeuvre qui règne en Guyane, à mettre en relation avec les possibilités d'acquisition et de paiement des habitants. La question de la solvabilité des acquéreurs est récurrente et les

456 ANOM E299 F°37.

457 ANOM E299 F°50-51.

458 ANOM E299 F°247.

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administrateurs tentent parfois d'y remédier459, comme le fait Malouet en achetant la cargaison de L'Aimable Victoire.

Propriété du maître (un Blanc ou un affranchi), la main-d'oeuvre servile évolue dans un monde très hiérarchisé et différencié. Les esclaves domestiques, généralement des femmes, disposent d'une liberté et d'une abondance de ravitaillement, dont sont loin de jouir les esclaves destinés aux travaux physiques. « On vieillit plus facilement dans la grande case que dans les huttes de l'atelier », écrit Jean Meyer460.

En outre, le statut servile est envisagé comme une stricte altérité vis-à-vis des Blancs, dans un rapport de soumission jugé nécessaire, et décrit de façon explicite dans les instructions pour Malouet :

« On ne saurait mettre trop de distance entre les deux espèces, on ne saurait imprimer aux nègres trop de respect pour ceux auxquels ils sont asservis. Cette distinction rigoureusement observée même après la liberté est le principal lien de la subordination de l'esclave, par l'opinion qui en résulte que sa couleur est vouée à la servitude et que rien ne peut le rendre égal à son maître461. »

Il est néanmoins déploré, dans ce document, que la plupart des maîtres se conduisent en tyran avec leurs esclaves. On estime qu'en faisant perdre, autant que faire se peut, le désir de liberté des esclaves par un bon traitement, les maîtres obtiendraient de meilleurs résultats. Aussi, le roi souhaite que l'administration coloniale veille à ce que les propriétaires d'esclaves ne se rendent pas coupables de mauvais traitements. Ne nous méprenons pas : ces déclarations, se voulant empreintes d'humanité, n'en restent pas moins dirigées vers l'intérêt bien compris du colon :

« Ce molen est dicté par la nature et sollicité en même temps par les vrais intérêts de l'habitant. Le nègre bien traité, bien nourri, travaillerait mieux, vivrait plus longtemps, et la fécondité des femmes suffiraient à remplacer ceux qui mourraient ou deviendraient infirmes. Il est d'autant plus intéressant d'éclairer les propriétaires à cet égard que le commerce porte peu d'esclaves à Cayenne, que l'espèce s'épuise et viendra insensiblement à manquer, tandis qu'elle pourrait se soutenir, se multiplier même par sa propre reproduction462. »

459 Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 396.

460 Jean MEYER, Jean TARRADE et Annie REY-GOLDZEIGUER, Histoire de la France coloniale, op. cit., p. 166.

461 ANOM C14/43 F° 224.

462 ANOM C14/43 F° 224-225.

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L'esclave reste une marchandise, il représente un investissement, un capital, qu'il convient de bien entretenir afin qu'il ne se dévalorise pas trop rapidement, et pour se prémunir des risques de marronnage. En tout état de cause, la survie des Noirs est médiocre dans l'ensemble. La population servile enregistre un taux de mortalité très important. « Il est peu de Noirs vieillards. [...] D'évidence, tout indique que la mortalité des premières années est épouvantable463. »

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault