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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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1.2 La population

Les instructions remises à Malouet donnent une description de la population guyanaise. « [Elle] est de trois espèces : celle des Blancs, celle des Indiens, ou naturels du pays, et celle des gens de couleur427. » Relativement peu peuplée en 1776, la colonie compte au total 9 676 personnes : 977 colons blancs, 200 libres de couleurs, et 8 499 esclaves noirs.

423 Yannick LE ROUX, Les communications intérieures en Guyane Française sous l'ancien régime (1664-1794), op. cit.

424 Michel DEVEZE, Les Guyanes, op. cit., p. 13 ; Jean-Claude GIOCOTTINO, « Un monde tropical », op. cit., p. 30.

425 Michel DEVEZE, Les Guyanes, op. cit., p. 14.

426 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol. 1, op. cit., p. 112.

427 ANOM C14/43 F°223.

 

Blancs

Libres de couleur Esclaves

103

Tableau 4: Répartition de la population en Guyane (1776)

Cette population est principalement concentrée sur Cayenne et quelques points côtiers. Le graphique ci-après428 montre que la population de Cayenne est quasiment multipliée par 6 sur huit décennies, passant d'environ 2 000 individus en 1710 à quasiment 12 000 en 1788. Toutefois, nous voyons que cet accroissement est à mettre principalement à l'actif de la population servile, qui constitue l'immense majorité de la population, alors que le contingent des Blancs connaît une progression très faible, tendant vers une relative stagnation sur la période considérée.

428 Catherine LOSTER, Approvisionner Cayenne au cours de l'Ancien Régime: étude archéologique et historique de l'économie et du réseau économique d'une colonie marginale, la Guyane (XVIIe et XVIIIe siècles), Thèse présentée à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en archéologie pour l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.d), Laval, Québec, 2012, p. 116.

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14000 12000 10000 8000 6000 4000 2000

0

 

1710 1712 1717 1720 1723 1733 1737 1749 1763 1765 1770 1772 1776 1777 1781 1786 1787 1788

Libres (Blancs et libres de couleur) Esclaves africains Esclaves amérindiens Population totale

Tableau 5: Evolution de la population de Cayenne (1710-1788)

Enfin, s'ajoute à cette population un nombre indéterminé d'Amérindiens (les estimations oscillent entre 15 000 et 20 000 individus) principalement dispersés dans la forêt429.

1.2.1 Les Blancs

« Les Blancs, précisent les instructions, sont des Européens que l'attrait de la fortune a appelé dans ce climat ou qui sont nés dans la colonie des Européens anciennement établis430. » Mis à part le personnel de gérance et quelques « gens de conditions » à la tête des rares habitations rentables, la population blanche est constituée d'anciens forçats, d'engagés, de soldats devenus cultivateurs, de vagabonds ou de rescapés des dramatiques expéditions colonisatrices des XVIIe et XVIIIe siècles.

429 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 329.

430 ANOM C14/43 F°223.

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Tableau 6: Evolution de la population blanche en Guyane (1704-1788)

Comme le montre le graphique ci-dessus431, les Blancs sont relativement peu nombreux en Guyane. On peut distinguer deux périodes dans le peuplement de cette colonie. La première période court des années 1680 jusqu'au traité de Paris en 1763. Celle-ci est caractérisée par une colonisation peu suivie par la métropole, qui ne s'investit que de très loin dans le peuplement de cette terre lointaine. Une propagande se met en place pour obtenir des engagés sur trois ans, mais prend fin au tout début du XVIIIe siècle432. Il faut véritablement attendre l'expédition de Kourou en 1763 pour que s'ouvre une nouvelle période de peuplement massif de la Guyane, qui connaît alors un afflux de populations européennes inédit à l'époque, qui se solde par la débâcle que l'on sait433.

Le groupe des Blancs ne constitue pas cependant une entité socio-économique homogène. Bien qu'il monopolise pouvoir et propriété, il est organisé en couches superposées, dans le strict respect de critères sociaux et économiques434. Et de ce point de vue, les réussites sont souvent très disparates. « C'est toujours l'impression d'un manque de perspectives et d'espoirs, écrit C.F.

431 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 329 ; Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 279.

432 Michel DEVEZE, Les Guyanes, op. cit., p. 60.

433 Voir p 142 sur l'expédition de Kourou.

434 Pierre PLUCHON, « Les populations libres », in Pierre PLUCHON (dir.), Histoire des Antilles et de la Guyane, Toulouse, Privat, coll. « Univers de la France et des pays francophones », 1982, p. 163.

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Cardoso, de gens vivant au jour le jour et en proie à la léthargie, qui se dégage de la lecture des documents concernant les planteurs guyanais435. » La situation économique des Blancs en Guyane n'est pas reluisante et confine à l'indigence pour la majorité d'entre eux. Les quelques planteurs pouvant témoigner d'une certaine aisance sont rares et appartiennent quasiment tous à « l'aristocratie » locale ayant un siège au Conseil supérieur, comme Boutin, Kerkhove, Macaye, ayant sans doute des liens importants avec le marché international436. Dans son étude portant sur plusieurs habitations en Guyane, Catherine Losier montre bien les liens qui unissent les habitants les plus importants avec les marchés extérieurs, témoignant pour certains d'une véritable aisance matérielle, par exemple l'habitation Macaye437. Il est cependant rapide de parler de richesse. Pour reprendre le cas de Claude Macaye, procureur du Conseil supérieur de 1742 à 1781, il est une figure incontournable du milieu guyanais. Située au fond de Rémire, l'habitation Macaye est un patrimoine qui se transmet dans la famille depuis 1689. En 1737, l'habitation produit du cacao et du café, puis du café sur un polder de 20 hectares aménagé par Claude Macaye en 1764. Le recensement de 1772 fait état d'une cinquantaine d'esclaves438. En 1775, le roi le distingue pour services rendus en lui accordant des lettres de noblesses. Dans une lettre du 30 janvier 1777, Macaye s'excuse auprès du ministre de ne pas avoir présenté sa gratitude plus tôt, car les dépêches ministérielles du 25 août 1775 ne lui sont parvenues qu'en janvier 1777. Il déplore également le fait qu'il ne puisse profiter de cette distinction car il n'a « point les moyens de faire passer en France à un secrétaire du roy les sommes nécessaires pour payer le sceau439. » Finalement, un courrier du ministère daté du 11 juillet 1777 rend compte du dénouement de l'affaire :

« Monseigneur a décidé le 11 juillet 1777 que les frais de sceau et de marc d'or des lettres de noblesses accordées au sieur Macaye, procureur au Conseil supérieur de Cayenne, seroient payés par la caisse des colonies440 »

L'unité permettant d'étalonner la richesse d'une habitation est le nombre d'esclaves, qui sont accaparés par une poignée de grandes exploitations. La réalité des habitants confine à l'indigence et la misère noire. Un habitant sur six met en valeur sa concession sans esclave ni matériel. La moitié

435 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 354.

436 Ibid.

437 Catherine LOSIER, Approvisionner Cayenne au cours de l'Ancien Régime, op. cit., p. 318-326.

438 Ibid., p. 319-320.

439 ANOM E295 F° 291.

440 Ibid.

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des habitations comptent moins de 10 esclaves. 11 % disposent de plus de 50 esclaves, dont 2,5 % plus de 100441. Ce qui permet de relativiser l'opulence qui, a priori, serait le lot commun des Blancs et des notables de la colonie. Bien au contraire, Malouet fait état au ministre, dans une lettre du 26 mars 1777, de la pauvreté quasi générale. Parmi tous les habitants à qui il rend visite, il n'en rencontre qu'une douzaine qui vivent convenablement, à l'image d'un certain Gervais, un ancien soldat « qui cultive seul sept arpens de terre plantés en vivres et en cotons » qui lui donnent « l'existence d'un très riche paysan ». Mais pour la plupart des autres, la misère noire est le lot quotidien. Malouet décrit un habitant à Oyapock mourant de faim. D'autres, à Aprouague, « ne vivant que de racines, n'ayant ni pain ni vin, obstrués, languissans sur leurs grabats442. » Il relate sa rencontre avec « le sieur Rochelle », dont le parcours semble l'avoir marqué :

« Cet homme a gagné cent mille écus à Saint-Domingue, et il est venu les fondre ici sur une détestable terre. Je l'au trouvé nu, travaillant avec ses nègres, et n'ayant dans sa maison ni meubles ni provision443. »

Ainsi, pour Jean Meyer, ces « petits Blancs » vivotent dans un quotidien misérable, en butte avec les activités des libres de couleur, dans une société qui suscite amertume et jalousie. Il « se forme ainsi un esprit local, de médiocre envergure, fait de rancoeurs longtemps remâchées le long des années de demi-misère444. »

Enfin, il est à signaler à partir des années 1760, en lien avec l'expédition de Kourou, un petit nombre d'Acadiens. Il s'agit d'une quarantaine de familles regroupées dans les savanes du littoral de la Guyane à partir de 1765, soit un total d'environ 250 personnes installées entre Kourou et Iracoubo. Pour 254 habitants recensés en mai 1767 au poste de Sinnamary, on en retrouve plus de 220 en 1772 dans les quartiers de Sinnamary et de Kourou, dont les deux tiers sont des habitants acadiens ou des habitants alliés à des familles acadiennes par l'intermédiaire des nombreux mariages qui ont pu être célébrés sur la période445.

Bernard Cherubini évoque le désintérêt que l'historiographie consacre à ce groupe, à l'image

441 Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 352.

442 ANOM C14/50 F°65.

443 Ibid.

444 Jean MEYER, Jean TARRADE et Annie REY-GOLDZEIGUER, Histoire de la France coloniale. I, La Conquête, Paris, Pocket, 1996, p. 171.

445 Bernard CHERUBINI, « Les Acadiens en Guyane (1765-1848) : une « société d'habitation» à la marge ou la résistance d'un modèle d'organisation sociale », Port Acadie: revue interdisciplinaire en études acadiennes, 2009, no 13-14-15, p. 149-151.

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du peu d'attention des administrateurs consacrée à ces populations. Elles constituent une petite paysannerie locale, à la marge du système d'exploitation dominant, celui de la grosse habitation esclavagiste. Les Acadiens, en effet, vivent en vase clôt, à l'écart de la société de plantation et de Cayenne. Cette petite société s'organise autour de petites unités économiques et domestiques constituées d'une famille d'habitants blancs, en majorité d'origine acadienne ou s'étant préalablement trouvés en Acadie avant 1764, et de deux ou trois esclaves noirs. En moyenne, une famille possède deux boeufs, une vache, quatre brebis, un mouton, trois cochons et six poules. Ce qui engendre ainsi des formes d'autonomisations économiques, sociales et politiques qui se traduisent par des stratégies matrimoniales et par des choix de développement économique qui doivent parfois s'adapter aux incertitudes des événements politiques et sociaux. L'activité économique des Acadiens est diversifiée. En plus de la pêche et de l'agriculture, ils exercent leurs talents de bûcherons, de navigateurs et de bâtisseurs de bateaux446.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway