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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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1.3 Économie et production

L'économie en Guyane est au XVIIIe siècle un microcosme semblable au modèle antillais, à ceci près que la production Guyanaise n'est pas centrée sur la monoculture sucrière et se rapproche de l'agriculture pratiquée dans les Antilles vers la fin du XVIIe siècle. Marie Polderman et C.F. Cardoso mettent en avant le fait que cette variété des cultures (rocou, coton, sucre, cacao, café, parfois indigo) témoigne d'une faiblesse générale du modèle, tant du point de vue des connaissances techniques, de la disponibilité de la main-d'oeuvre que du point de vue de la disponibilité en capitaux.

480 Gérard COLLOMB, « Missionnaires ou chamanes ? », op. cit., p. 440-442 ; Sanjay SUBRAHMANYAM, « Par-delà l'incommensurabilité : pour une histoire connectée des empires aux temps modernes », op. cit., p. 54.

481 Neil SAFIER, « Global Knowledge on the Move: Itineraries, Amerindian Narratives, and Deep Histories of Science », Isis, 2010, vol. 101, no 1, p. 135.

482 François REGOURD, « Maîtriser la nature: un enjeu colonial. Botanique et agronomie en Guyane et aux Antilles (XVIIe-XVIIIe siècles) », Revue française d'histoire d'outre-mer, 1999, vol. 86, no 322, p. 42.

483 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 343.

484 Julien TOUCHET, Botanique et colonisation en Guyane française, op. cit., p. 68-69.

485 ANOM C14/50 F° 102.

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1.3.1 Habitants et habitations

L'habitation est en Guyane, comme dans les Antilles, la structure de base sur laquelle repose l'exploitation agricole. Si l'on se réfère à la Maison Rustique de Préfontaine, on y découvre que « c'est une certaine étendue de terrein sur une longueur & une largeur déterminées, qu'on a en propriété, à titre de concession du roi486. » La terre est vendue entre particuliers ou concédée gratuitement au planteur par l'administration coloniale, au nom du roi, proportionnellement à l'étendue de ses « forces », c'est-à-dire en fonction du nombre d'esclaves ou des capitaux détenus. En moyenne, une concession s'étend sur une surface de 1 300 à 1 400 pas, soit environ 180 hectares. Le règlement du 9 août 1722 précise que le planteur est pleinement propriétaire des terres concédées, à condition qu'il les mette en valeur, sans quoi elles sont rétrocédées au roi, ce qui dans les faits se produit rarement487. À l'image de la condition des habitants, les habitations renvoient une image contrastée de leur situation. En général, elles pourvoient aux besoins de survie élémentaires, guère plus. Un certain nombre d'entre elles apparaissent et disparaissent en quelques années lorsque le concessionnaire meurt et que personne ne peut reprendre l'affaire, à l'image de l'habitation Picard, une sucrerie créée en 1664 et qui n'est plus occupée à partir des années 1720-1730, ou l'habitation Saint-Régis qui se trouve en cessation d'activité vers les années 1750488.

Malouet nous donne une description assez détaillée de l'habitation Boutin, qui constitue dans une certaine mesure le modèle de réussite en Guyane :

« Là, sur une éminence, j'aperçois un hameau au milieu duquel s'élèvent la maison du maître et sa manufacture. Plus loin des plantations de cannés, de cafiers, de cacaotiers, une allée de canneliers entremêlés de grands ananas, des touffes de bananiers, une haie de citroniers, forment l'entourage de la savane, et les grands arbres de la forêt terminent ce beau paysage. Nous sommes chez M. Boutin, conseiller au conseil supérieur de Cayenne. Sans autre secours que celui de son atelier composé de cinquante à soixante nègres ou négresses, il a creusé le canal que j'ai parcouru, il a construit ses bâtiments et un moulin à eau. Il faut se

486 Jean Antoine BRULETOUT DE PREFONTAINE, Maison rustique à l'usage des habitans de la partie de la France équinoxiale, connue sous le nom de Cayenne, Paris, Chez Cl. J. B. Bauche, Libraire, à Sainte-Geneviève, 1763, p. 2.

487 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 160 ; Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 73.

488 Catherine LOSIER, Approvisionner Cayenne au cours de l'Ancien Régime, op. cit., p. 244, 275.

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placer sur ma pirogue indienne, au milieu des singes, des perroquets, pour concevoir combien je fus ravi du premier aspect de cette habitation. Je voyais, pour la première fois, dans ce vaste désert, l'industrie et le luxe européens, car M. Boutin réunissait chez lui toutes les commodités d'un propriétaire aisé. Sa maison de bois revêtue en plâtre était ornée d'une galerie, et posée sur une terrasse couverte de briques et encadrée dans un mur de quatre ou cinq pieds d'élévation . l'intérieur bien distribué était décemment meublé. Un jardin garni de fruits et de légumes, une basse-cour bien pourvue, une abondance de poisson, de gibier, annonçaient la bonne chère qu'on nous destinait; et la sérénité, l'air robuste et satisfait des nègres me prouvaient aussi que chacun dans ce séjour participait à l'aisance du maître489. »

Cette description nous permet de voir que la mise en valeur s'effectue par des moyens variés, mais dans l'ensemble, les conditions de mise en culture restent centrées sur les terres cultivées, c'est-à-dire un jardin, qui désigne l'abattis sur lequel on cultive les produits voulus (cacao, rocou, café, etc.) selon la technique de la culture sur brûlis, culture extensive bien adaptée à un vaste territoire à condition de laisser reposer la terre pendant de longues années ; l'abattis des nègres, sur lequel chaque esclave dispose d'une parcelle pour y planter des vivres ; enfin des parcelles d'arbres fruitiers490. Pour fonctionner, une habitation a besoin d'entretenir du bétail qui fournit de la viande et des bêtes de somme pour travailler la terre et faire tourner le moulin. Toutes les habitations sont loin d'en posséder et la présence de bétail est le marqueur d'une certaine réussite491. Ainsi, le recensement de 1709 mentionne pour l'habitation Picard un cheptel de 21 chevaux et 45 bêtes à cornes492 qui nécessitent des pâturages et des réserves de bois. Enfin, une habitation doit être pourvue de débarcadères, de chemins et des moyens de transports493 comme dans l'habitation Boutin décrite par Malouet, qui n'est accessible que par voie d'eau au moyen d'un canal.

Cadre de l'exploitation agricole, c'est aussi un lieu de vie. Dans l'idéal, Préfontaine préconise une reconnaissance minutieuse des terres (nature des sols, vents dominants, disponibilités en eau, etc.) afin de déterminer le lieu d'implantation des différents bâtiments : la maison du maître (l'habitation particulière), les cases des esclaves, les magasins, la cuisine, et les bâtiments

489 Pierre Victor MALOUET, Voyage dans les forêts de la Guyane française, Paris, Gustave Sandré, libraire, 1853, p. 24-25.

490 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 161 ; Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 70-71.

491 Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 90.

492 Catherine LOSIER, Approvisionner Cayenne au cours de l'Ancien Régime, op. cit., p. 244.

493 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 161.

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nécessaires à l'exploitation des cultures produites, qui diffèrent selon la nature de celles-ci. Dans les faits, cependant, l'habitation est une structure dédiée avant tout à la production, si bien que les bâtiments en dur sont rares. Dans la majorité des cas, ils sont construits « dans des matériaux simples, explique Nathalie Croteau, qui traduisent une volonté de s'installer rapidement et temporairement494. »

Ce mode d'occupation est aussi le symptôme des difficultés rencontrées par les planteurs. À titre d'exemple, la réussite de l'habitation de Loyola, tenue pas les Jésuites à partir des années 1665 jusqu'en 1763, représente un cas tout à fait exceptionnel pour la Guyane. Les fouilles entreprises entre 1994 et 2000 par Yannick Le Roux sur ce site témoignent de l'importance de cette habitation, à travers la nature des bâtiments (une forge, une chapelle, un cimetière, un moulin, un séchoir) et la valeur des matériaux de construction. En 1720, Loyola s'étend sur 1500 hectares, fait travailler 400 esclaves, produit la moitié du café guyanais en 1736, domine la production de sucre (25 carrés de canne à sucre en 1737) et d'indigo en 1740495. La réalité est bien moins idyllique pour la majorité des planteurs. « Les sources, dit C.F. Cardoso, sont presque unanimes à attester le manque de soin des propriétaires, le caractère délabré et languissant des propriétés496. » Dans la majorité des cas, les habitants s'acharnent à cultiver les sols anémiques et fragiles des terres hautes, de nature cristalline et acide, malgré la fertilité des terres basses attestée par la réussite du Surinam voisin, mais dont l'exploitation nécessite des techniques d'asséchement lourdes et coûteuses497. Leurs faibles rendements ne permettent généralement pas de tirer des revenus suffisants, si bien que la majorité des habitants se retrouve en butte à des difficultés financières, endettés auprès du roi et des négriers498. En remontant le cours de l'Approuague, Malouet observe une trentaine d'habitations en grande difficulté, plus démunies les unes que les autres499.

Ainsi les disparités entre les habitations sont importantes. La Guyane compte environ 230 habitations au XVIIIe siècle, ne dépassant généralement pas 30 hectares. C.F. Cardoso explique que la main d'oeuvre servile est regroupée dans un très petit nombre de grandes habitations. Or, la valeur d'une exploitation s'apprécie plus par le nombre d'esclaves que par sa superficie ou sa production. En outre, les recensements ne prennent pas en compte les habitations comprenant moins de dix esclaves. Autrement dit, les petits propriétaires, ayant très peu d'esclaves, ne sont pas considérés comme des « habitants à part entière », les terres de ces petits Blancs ou gens de couleur libres n'étant même pas portées sur le recensement des habitations500.

494 Nathalie CROTEAU, « L'habitation de Loyola: un rare exemple de prospérité en Guyane française », Journal of Caribbean Archaeology, 2004, Special publication, no 1, p. 71.

495 Ibid., p. 75 ; Yannick LE ROUX, « Loyola, l'habitation des jésuites de Rémire en Guyane française », In Situ. Revue des patrimoines [Revue en ligne]: < http://insitu.revues.org/10170>, 2013, no 20.

496 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 163.

497 Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 71.

498 Nathalie CROTEAU, « L'habitation de Loyola: un rare exemple de prospérité en Guyane française », op. cit., p. 69.

499 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol. 1, op. cit., p. 123-124.

500 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 165.

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