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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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1.3.2 Techniques culturales et moyens de production

Nous l'avons vu, l'abondante végétation de la Guyane véhicule l'idée, largement partagée par les colons et les administrateurs, que les terres sont très productives, en dépit des relevés effectués par certains naturalistes comme Bajon ou Leblond. Selon C.F. Cardoso, « de leur propre aveu, [Bajon et Leblond] devaient faire face à la résistance coriace des planteurs, qui se cramponnaient à leurs idées traditionnelles. » Les connaissances des planteurs dans ce domaine semblent en effet fort réduites. Ils attribuent volontiers les résultats médiocres des cultures aux mauvaises conditions climatiques et au milieu difficile : les ravages des fourmis, les pluies trop fréquentes qui lessivent les sols, la chaleur de la saison sèche qui les brûle en profondeur. Jamais les méthodes de culture ne sont remises en question501. « La force du préjugé dans lequel on est sur ce point est si considérable, dit Bajon, que lorsqu'on voit quelqu'un s'écarter de cette conduite, & prendre une nouvelle route & plus réfléchie, l'on se fâche contre lui502. »

Les méthodes culturales sont pourtant rudimentaires et témoignent d'un niveau technique peu élevé. Les propos de Bajon à propos de la canne à sucre sont édifiants :

« Il paroît bien étrange que depuis le temps qu'on la cultive dans cette colonie, on ne se soit jamais écarté d'une routine peu méthodique, & qu'on n'ait jamais fait avec réflexion, des essais propres à désabuser de l'erreur dans laquelle on est sur la manière de la planter et de la cultiver. f...] On s'est toujours opiniâtré à planter les cannes dans des terres f...] nouvellement découvertes, sans les labourer, & à les distribuer dans ces terres sans ordre et sans soins503. »

Et les choses n'évoluent guère. En parcourant la colonie, Malouet se rend compte que globalement, le problème des cultures vient du désordre et du manque d'encadrement général. Dans le quartier de l'Oyapock, il constate que « les cultures y sont aussi désordonnées [que dans l'Approuague], et si les habitants ne veulent pas se soumettre à des plans plus sensés, [son] avis est

501 Ibid.

502 Bertrand BAJON, Mémoires pour servir à l'histoire de Cayenne et de la Guiane françoise: dans lesquels on fait connoître la nature du climat de cette contrée, les maladies qui attaquent les Européens nouvellement arrivés, & celles qui régnent sur les blancs & les noirs: des observations sur l'histoire naturelle du pays, & sur la culture des terres, Paris, Grangé, 1778, vol.2, p. 360.

503 Ibid.

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bien de les laisser libres dans leurs fantaisies504. »

Les travaux agricoles commencent invariablement par un abattis (défrichement), culture itinérante sur brûlis dont la réalisation est détaillée par Préfontaine505. La terre, ainsi fécondée par les cendres, donne sur une période de trois à cinq ans avant de s'épuiser. Il convient dès lors pour le planteur d'anticiper, en préparant un nouvel abattis. Celui-ci est exploité dès qu'il est en rapport, quand bien même le précédent n'est pas totalement épuisé, car le planteur ne peut pas entretenir deux parcelles à la fois. L'habitant Boutin explique ce fonctionnement à Malouet :

« Les premières récoltes suffisent pour dépouiller [le sol] de cette couche de terreau qui nous donne d'abord de grands produits, surtout en vivres ; mais les plants chevelus ou racines pivotantes périssent au bout de quelques années. [...] Tout cela vient bien pendant deux ou trois ans, mais aussitôt que la plante rencontre le tuf, elle jaunit et

meurt5°6. »

Sur le long terme, cette itinérance débouche sur un éloignement progressif des bâtiments d'exploitation, si bien que parfois le planteur est forcé de les abandonner et d'en construire des neufs, pour se rapprocher des nouvelles cultures. L'habitant Boutin en est ainsi à son troisième établissement en vingt ans507. Les conséquences de ce modèle extensif sont multiples. D'abord, il entraîne une faible productivité et des rendements agricoles médiocres, car les planteurs ne sont en mesure de cultiver que de petites plantations. Les esclaves, occupés aux travaux de défrichement quasi permanents, ne peuvent se consacrer à la culture et à la fabrication de marchandises. Ensuite, une parcelle peut être à nouveau cultivée, une fois qu'elle est revenue « en grand bois », après une période de quinze à vingt ans de jachère. À savoir que la forêt ne se reconstitue pas sur les plus mauvais sols. Elle est remplacée par la savane, ce qui condamne l'abattis à l'abandon508.

En outre, dans l'ensemble « la colonie de Guyane manque cruellement de tout509. » En particulier, elle souffre d'un manque chronique de capitaux. Si la terre est obtenue gratuitement, la mise de départ pour lancer une habitation reste en revanche très lourde. Le planteur doit construire les bâtiments, acquérir les outils et les bêtes de somme. Il doit aussi acheter des esclaves, et renouveler l'opération régulièrement, du fait d'une mortalité supérieure à la natalité dans la main-

504 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol. 1, op. cit., p. 128.

505 Jean Antoine BRULETOUT DE PREFONTAINE, Maison rustique, op. cit.

506 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol. 1, op. cit., p. 119.

507 Ibid.

508 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit., p. 143.

509 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne, op. cit., p. 441.

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d'oeuvre servile, nous l'avons vu. Les planteurs sont confrontés à une augmentation des prix au cours de la période, d'autant que les négriers français ont tendance à vendre leur cargaison plus chère. En 1714, un esclave s'achète 550 livres tournois en moyenne510. En 1763, Préfontaine écrit que « le prix ordinaire d'un Nègre à Cayenne, en tems de paix, est de mille livres. Une Négresse vaut neuf cens livres, une Nègre de huit à neuf ans, sept à huit cens livres511. »

Un planteur doit aussi tenir compte du temps nécessaire à l'amortissement de son installation. Une sucrerie, en moyenne, nécessite un investissement de 40 000 livres et l'achat de 100 à 200 esclaves. Au bout de cinq ans, la production devient régulière, l'investissement est amorti en sept années. Ainsi, s'il a les moyens d'attendre tout ce temps et si son habitation est bien tenue, un planteur peut espérer une rentabilité allant de 12 à 14 % du capital. C. F. Cardoso évoque le cas du planteur Giraud qui, en 1767, affirme retirer plus de 20 000 livres de revenu annuel de son habitation de 43 esclaves. Cela étant, il ne faut pas perdre de vue que l'immense majorité des planteurs ne peuvent pas afficher de tels résultats. L'une des causes de ce marasme est, bien entendu, le manque de capitaux et le besoin de s'en procurer, régulièrement pointé du doigt512.

Ainsi, l'agriculture guyanaise se situe à mi-chemin entre l'agriculture spéculative telle que pratiquée dans les Antilles, et une agriculture presque artisanale, ce qui constitue un frein pour obtenir des résultats intéressants sur le long terme513.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand