WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

( Télécharger le fichier original )
par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2.1.2 Gouverneur, intendant et Conseil supérieur : l'administration locale

Depuis le règlement du 4 novembre 1671, Colbert organise le gouvernement des colonies autour d'une direction bicéphale. Elle est composée du gouverneur, représentant le roi, et de l'intendant de la Marine, représentant l'administration, auxquels vient s'ajouter le Conseil supérieur, chargé de rendre la justice. Les colonies reproduisent ainsi, à distance, les institutions métropolitaines540. Pour en préciser les rôles et le fonctionnement, notre approche repose en partie sur les instructions émanant du roi, remises aux administrateurs sous forme de mémoires, véritable

536 Jean MEYER, « Les « décideurs » », op. cit., p. 88, 90.

537 Jean-Augustin Accaron, premier commis entre 1759 et 1764.

538 Marc PERRICHET, « Malouet et les bureaux de la Marine », in Jean EHRARD et Michel MORINEAU (dirs.), Malouet (1740-1814), Riom, Société des amis des universités de Clermont, 1990, p. 26-27.

539 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 35-36.

540 Pierre PLUCHON, Histoire de la colonisation française, op. cit., p. 604 ; Jean TARRADE, « Les intendants des colonies à la fin de l'Ancien Régime », in La France d'Ancien Régime, Toulouse, Privat, 1984, p. 674 ; Michel VERGE-FRANCESCHI, « Administrateurs coloniaux aux XVIIe et XVIIIe siècles: gouverneurs et intendants », in Paul BUTEL (dir.), L'espace caraïbe: théâtre et enjeu des luttes impériales, XVIe - XIXe. Actes du colloque international de Talence, 30 juin - 2 juillet 1995, Talence, Maison des pays ibériques, 1996, p. 117.

131

feuille de route définissant le cadre d'intervention de chacun541.

Le gouverneur

« Lieutenant général et gouverneur» par son titre officiel, le gouverneur est un militaire issu de l'armée de terre ou de la Marine. Sur dix-sept gouverneurs généraux en poste aux îles du Vent de 1638 à 1763, quinze sont capitaines de vaisseaux du Roi ou chefs d'escadre des armées navales542. Il représente le roi outre-mer : il est à ce titre la première autorité de la colonie. Nommé par lettre de commission, il est le seul responsable politique du territoire543.

Les instructions du roi nous apprennent que « l'autorité particulière du gouverneur s'étend sur tout ce qui a rapport à la défense et à la sûreté du pays ». Il exerce ses pouvoirs sur « les officiers militaires, sur tous les gens de guerre et sur les habitans connus miliciens544. » Il est donc investi du commandement militaire, et contrôle tous les moyens servant à garantir la sécurité de la colonie.

C'est un personnage central, qui peut se faire remettre « chaque fois qu'il le désire, l'état des fonds de la caisse du roy et des aprovisionnemens en tout genre qui sont dans le magasin. » Enfin, il est précisé que le bon ordre exige que le gouverneur « ait connaissance de tout ce qui se passe dans la colonie. Aucun habitant ne peut être embarqué sans sa permission par écrit et après que les formalités prescrites pour la sûreté des créanciers ont été remplies545. »

Le gouverneur bénéficie d'une vaste délégation d'autorité, qui lui ouvre un éventail assez large de compétences. Il doit maintenir l'ordre, protéger les civils, faire appliquer la législation royale et les décisions du Conseil supérieur (au besoin par la force) et veiller aux concessions de terres faites par le roi à des particuliers. « Incontestablement, les lieutenants généraux sont maîtres dans la colonie » souligne Pierre Pluchon. Le contexte international y est pour beaucoup : la prééminence du gouverneur s'impose à une époque où les conflits occupent les devants de la scène546. Toutefois ses compétences en matière de justice et de finances sont limitées d'une part par les fonctions de l'intendant, d'autre part par le Conseil supérieur547.

541 ANOM C14/43 F° 216.

542 Michel VERGE-FRANCESCHI, « Administrateurs coloniaux aux XVIIe et XVIIIe siècles: gouverneurs et intendants », op. cit., p. 115-116.

543 Pierre PLUCHON, Histoire de la colonisation française, op. cit., p. 605.

544 ANOM C14/43 F° 218.

545 ANOM C14, op. cit., p. 43 F°218.

546 Pierre PLUCHON, Histoire de la colonisation française, op. cit., p. 605 ; Michel VERGE-FRANCESCHI, « Administrateurs coloniaux aux XVIIe et XVIIIe siècles: gouverneurs et intendants », op. cit., p. 117.

547 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 35-36.

132

L'intendant

Ce personnage, généralement issu du corps des officiers de plume de la Marine, est un agent du secrétaire d'État de la Marine. Entre 1635 et 1791, sur les quarante-huit intendants, vingt et un sont écrivains, commissaires ou commissaires généraux de la Marine. Le restant vient du monde de la robe, surtout après le règne de Louis XIV548. L'intendant ne représente pas la personne du roi mais l'administration. De ce fait, ce n'est pas un chef politique mais un administrateur civil549. Comme le lieutenant général, l'intendant est nommé par commission. Il porte le titre d'intendant de justice, police et finances, et à partir du XVIIIe siècle s'ajoutent les postes de la guerre et de la marine. Il est ainsi chef de la justice, des finances (civiles et militaires) et de la fiscalité. « En temps de guerre, écrit Pierre Pluchon, l'intendant vit dans l'ombre, pressé de satisfaire aux exigences de la situation. En temps de paix, s'il n'a pas le goût de la subordination, il peut faire sentir l'étendue de sa puissance », ce qui signifie que l'intendant jouit d'une grande autorité qui, toutefois, est modérée par le fait que bon nombre des « décisions doivent obligatoirement être prises de concert par l'officier de plume et l'officier d'épée, tout comme la présentation du budget prévisionnel550. »

L'intendant trouve sa place dans les colonies les plus importantes. Pour les autres, il s'agit d'un commissaire ordonnateur placé sous l'autorité du gouverneur, ce qui est le cas de la Guyane551. C'est un commissaire, chargé par le roi d'une mission temporaire et révocable. Il est nommé par lettres patentes, comportant l'énumération précise de ses pouvoirs. En outre, il n'est pas tenu de se faire recevoir dans une juridiction, ni d'y faire enregistrer ses lettres de commission. Il peut donc user de ses pouvoirs, même à distance, dès le jour où ses lettres lui ont été délivrées par la grande chancellerie. Un commissaire peut subdéléguer ses pouvoirs, dans la mesure toutefois où il y est explicitement habilité par ses lettres de commission552.

Ses prérogatives sont décrites ainsi dans les instructions du roi :

« L'ordonnateur est seul chargé de tout ce qui concerne la finance, la régie des magasins, les approvisionnemens, la perception des droits et impositions, entretien et réparations des bâtiments appartenants au roy, il réunit en cette partie ainsy que sur la marine militaire et marchande toute l'autorité attribuée aux intendants des ports du

548 Michel VERGÉ-FRANCESCHI, « Administrateurs coloniaux aux XVIIe et XVIIIe siècles: gouverneurs et intendants », op. cit., p. 115.

549 Jean TARRADE, « Les intendants des colonies », op. cit., p. 674.

550 Pierre PLUCHON, Histoire de la colonisation française, op. cit., p. 605.

551 Jean TARRADE, « Les intendants des colonies », op. cit., p. 674.

552 Lucien BÉLY, « Intendants de la Marine », in Dictionnaire de l'Ancien Régime, 2005e éd., Paris, Presses Universitaires de France, 1996, p. 1383.

133

royaume par les ordonnances de 1689 et 1765553. »

Cet administrateur bénéficie d'une grande autonomie d'action et de décision. Il évalue lui-même les situations et décide de son propre chef des mesures à adopter. « Quelles que soient les décisions royales et ministérielles et la centralisation, rappelle Céline Ronsseray, l'ordonnateur jouit d'une réelle liberté dans l'exécution des ordres du roi touchant la justice, la police et les finances », si bien qu'il possède la majeure partie des pouvoirs décisionnels de la colonie554, comme nous le précisent les instructions :

« C'est sous son autorité que tout passe, tous les marchés pour les ouvrages et fournitures et que sont faites toutes les adjudications ; il fait poursuivre et contraindre les débiteurs des droits du roy, et les comptables en retard, il a enfin en ce qui concerne les troupes les mêmes pouvoirs et le même exercice que les intendans des armées555. »

Ainsi, les instructions remises à Malouet illustrent l'étendue des pouvoirs qui lui sont confiés, et la multitude des tâches administratives qui en découle. À titre d'exemple, citons cette ordonnance du 5 décembre 1776, qu'il fait enregistrer par le Conseil supérieur, dans laquelle il prend des mesures contre les débiteurs à la caisse du roi. Il constate que « les secours que [la] bienfaisance [de sa Majesté] voudroit rendre utiles à tous, sont arrêtés entre les mains de plusieurs, par un oubli indiscret des conditions auxquels ils les ont reçus. » Il établit alors un texte en dix points afin de recouvrer les créances et de prévenir les éventuels abus556. Dans une lettre datée du 5 février 1777, il demande au ministre Sartine de bien vouloir lui accorder un crédit de 200 000 francs afin de reconstruire la prison, qu'il a dû faire détruire à cause de son état délabré, et de rénover les remparts de Cayenne « qui interceptent l'air [et] ne sont bons à rien si on ne les répare557. »

Le Conseil supérieur

Créé le 14 août 1703, le Conseil supérieur apporte la justice du roi aux habitants :

« Les tribunaux éstablis pour rendre la justice à Cayenne et dépendances consistent dans

553 ANOM C14/43 F° 219.

554 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 41.

555 ANOM C14/43 F° 210.

556 ANOM C14/43 F° 16.

557 ANOM C14/44 F° 225.

134

un Conseil supérieur, une juridiction et un siège d'amirauté. Le Conseil supérieur tient ses séances tous les deux mois dans la ville de Cayenne, son autorité est renfermée dans la distribution de sa justice, le droit de faire des représentations lui est également réservé après l'enregistrement des règlements qui lui seront présentés, il est essentiel qu'il soit étroitement contenu dans ces bornes, par l'influence que ses démarches peuvent avoir sur les esprits558. »

Le Conseil est composé du gouverneur général et du lieutenant général des Îles d'Amérique, du gouverneur particulier et de l'intendant de la place, d'un lieutenant du roi, d'un major, de huit conseillers, d'un procureur et d'un greffier. Il réunit également les habitants les plus influents de la colonie. Pour Cayenne, ce sont, entre autres, MM. Mitifeu, Kerckove, Gras, Poulin, Benoist, Patris, Blouin, Lombard, Boudé, Macaye, Artur et Mallescot quand Malouet arrive en Guyane559. Son fonctionnement est à l'image des parlements métropolitains, c'est-à-dire des cours souveraines, jugeant en dernier ressort au nom du roi et enregistrant les lois. Il est également habilité, jusqu'à l'ordonnance de 1766, à prendre des règlements de police générale que réclame la colonie560. C'est aussi lui qui enregistre les lettres de commission et les instructions des administrateurs. Les attributions principales demeurent le pouvoir d'enregistrer et celui de faire des représentations sur les textes soumis à l'enregistrement. Céline Ronsseray estime que dans la pratique, cette possibilité permet au Conseil de jouer un rôle de contre-pouvoir, en atténuant l'influence du gouverneur et de l'ordonnateur561. Pour ce faire, le Conseil supérieur, comme les Parlements métropolitains, a recours aux querelles de préséances et au refus d'enregistrement. Surtout, cette institution peut servir de tribune aux colons défendant leurs intérêts face aux représentants de la monarchie que sont le gouverneur-général et l'intendant562.

En théorie, les magistrats agissent en toute indépendance des administrateurs qui doivent, le cas échéant, appliquer les décisions rendues par le Conseil. Ceci constitue une limite à l'autorité respective du gouverneur et de l'intendant, dont l'action envers le Conseil se limite à un rôle d'inspection. Les administrateurs doivent veiller à ce que les magistrats « se conduisent avec l'honnêteté, la décense et la dignité de leur état563. » Dont acte : dans le rapport de l'administration pour l'année 1777 adressé au ministre Sartine, Malouet fait part de la santé déclinante de M. de

558 ANOM C14/43 F° 221.

559 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 418.

560 Pierre PLUCHON, Histoire de la colonisation française, op. cit., p. 611.

561 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 480.

562 François REGOURD, « Hommes de pouvoir et d'influence dans une capitale coloniale. Intendants et gouverneurs-généraux à Port-au-Prince dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle », in Josette PONTET (dir.), Des hommes et des pouvoirs dans la ville XIVe-XXe siècles: France, Allemagne, Angleterre, Italie, Talence, Presse Universitaire de Bordeaux, 1999, p. 210-211.

563 ANOM C14/43 F° 221.

135

Macaye564 et de ses « mauvais effets, par l'influence qu'ont sur ses opinions celles des gens qui l'environnent. » Il n'hésite pas à rappeler à l'ordre des conseillers pour leur comportement ou leurs excès de langage, comme en témoigne une lettre adressée au ministre datée du 26 avril 1777. Malouet explique au ministre son intervention contre les conseillers Patris et Pierre Berthier, qui font courir des bruits sur Monsieur et sur Mme Adélaïde, dont Malouet est un proche, et calomnient. « [...] les vues droites et bienfaisantes du Gouvernement, qui [convertit] le bien en mal, qui se [fait] un jeu d'alarmer les esprits par des conjectures sinistres, qui [répand son] souffle empoisonné sur les objets les plus respectables565. »

Les instructions insistent sur le fait que la justice du Conseil soit rendue au nom du roi. Elles précisent qu'après la religion, la justice est « l'objet le plus digne de l'attention des souverains. Ils règnent principalement pour maintenir la propriété et la sûreté des peuples et s'ils ne peuvent remplir ce devoir par eux-mêmes, leur première obligation est d'établir pour les supléer des juges intègres et éclairés566. » En vertu de quoi, « les sieurs de Fiedmond567 et Malouët doivent donc honorer les magistrats et leur conseillers par leur exemple et le respect dû à leur caractère568. »

Mais en pratique, même si les instructions exhortent les administrateurs à travailler en bonne intelligence avec les membres du Conseil, les tensions restent fortes. Céline Ronsseray précise que « si la création du Conseil supérieur [est] motivée par la volonté de contrebalancer les pouvoirs des administrateurs, les usages [...] en sont éloignés du fait de leur simple présence au sein de cette assemblée. » En effet, ces derniers y sont présents d'office, eu égard à leurs fonctions, ainsi que les habitants les plus influents. De ce fait, la pression autour des places de conseillers est forte, compte tenu du rôle que le Conseil fait jouer dans la colonie : être conseiller signifie intégrer ce que Céline Ronsseray désigne comme « l'aristocratie » de la colonie569.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King