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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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2.2 Les savoirs en mouvement

L'effort de centralisation entrepris par Colbert à partir des années 1660 intègre un volet scientifique important. Le ministre, en effet, donne aux sciences une place prépondérante qui intègre, via la Machine coloniale, un dispositif institutionnel de stockage, de validation, d'expertise et de diffusion centré sur Paris, voué à soutenir l'effort colonial français.

2.2.1 Paris, ville-monde

Au coeur d'une métropolisation des savoirs, Paris est un lieu où se croisent savants, objets insolites, cartes, plantes, qui permettent la mise en forme des savoirs579. La capitale du royaume s'érige peu à peu en véritable haut lieu scientifique, un site privilégié qui permet l'observation de

579 François REGOURD, « Capitale savante, capitale coloniale: sciences et savoirs coloniaux à Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 20 juin 2008, n° 55-2, no 2, p. 123.

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phénomènes et de savoirs venus d'outre-mer. Cela contribue à former une identité locale des savoirs, produite dans le contexte global d'une capitale qui devient au XVIIIe siècle un lieu d'expertise, de validation des connaissances et des innovations580. Cette « métropolité » se lit à travers le développement des sciences académiques, la transmission des savoirs, les nouvelles formes de sociabilités culturelles, la circulation des imprimés, qui favorisent la constitution d'un espace public des sciences où s'articulent réunions de validation des savoirs et entreprises de vulgarisation581. La multiplication des journaux spécialisés, comme le Journal des savans par exemple, prétend répondre aux besoins des érudits comme des hommes de science, en quête d'informations sur les publications récentes et les nouvelles découvertes. Le journal est également un média qui permet de faire connaître ses propres ouvrages, ses propres travaux, et même de solliciter des informations. Ce qui participe à la constitution européenne d'un espace savant, au sein duquel s'imbriquent des réseaux locaux et des échanges internationaux animés par les lettrés, les savants, soutenu par un réseau de distribution constitué des libraires et des éditeurs582.

2.2.2 Le modèle académique français

C'est au cours du XVIIe siècle que les sciences deviennent un enjeu essentiel pour l'administration de l'État. La nécessité de donner au roi les moyens de sa puissance est à l'origine d'un mouvement d'institutionnalisation académique visant à la captation des savoirs583. De Richelieu à Louis XVI, diverses fondations marquent la volonté de la monarchie française de rationaliser l'activité intellectuelle en lui donnant un cadre académique584. L'action déterminante de Colbert se place dans cette lignée. Il fonde en 1666 l'Académie royale des sciences, qui constitue un tournant majeur dans l'histoire des sciences. Appelée à devenir une des institutions savantes les plus influentes en Europe, conçue pour élaborer une méthodologie scientifique efficace, mener un travail

580 Stéphane VANDAMME, « Measuring the scientific greatness: the recognition of Paris in European Enlightenment », Les Dossiers du Grihl, 2007, no http://dossiersgrihl.revues.org/772, p. 8, 12 ; Stéphane VANDAMME, Paris, capitale philosophique: de la Fronde à la Révolution, Paris, Odile Jacob, coll. « Histoire », 2005, p. 192.

581 Stéphane VANDAMME, Paris, capitale philosophique, op. cit., p. 13-14 ; Jean-Pierre VITTU, « Un système européen d'échanges scientifiques au XVIIIe siècle: les journaux savants », Le Temps des médias, 2013, vol. 1, no 20, p. 53.

582 Jean-Pierre VITTU, « Un système européen d'échanges scientifiques au XVIIIe siècle », op. cit., p. 48-53.

583 Christine LEBEAU, « Circulations internationales et savoir d'État au XVIIIè siècle », in Pierre-Yves BEAUREPAIRE et Pierrick POURCHASSE (dirs.), Les circulations internationales en Europe: années 1680-années 1780, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2010, p. 170 ; Maria Pia DONATO, Antoine LILTI et Stéphane VANDAMME, « La sociabilité culturelle des capitales à l'âge moderne: Paris, Londres, Rome (1650-1820) », in Christophe CHARLE (dir.), Le temps des capitales culturelles XVIIIe - XXe siècles, Champ Vallon., Seyssel, coll. « Époques », 2009, p. 30.

584 Daniel ROCHE, « Académies et académisme: le modèle français au XVIIIe siècle », Mélanges de l'Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée, 1996, vol. 108, no 2, p. 644.

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de recherche pratique et théorique, et oeuvrer à la diffusion des savoirs, elle est entièrement vouée à desservir la gloire et la puissance de la France585. La fondation de l'Académie des sciences ouvre la voie à la mise en place de « la scientifique trinité originelle de la science monarchique, formée du Jardin du Roi, de l'Académie des Sciences, et de l'Observatoire de Paris586. »

L'Académie des sciences

L'Académie des sciences est fondée dans un contexte scientifique dans lequel discussions philosophiques et querelles savantes sont intimement mêlées, comme le montre les correspondances, les récits de voyageurs, les comptes rendus de journaux. La vie savante s'organise en cercles privés, en lieux informels qui suscitent des relations occasionnelles et souvent temporaires587. Selon Robin Briggs, Colbert fonde l'Académie des sciences suite à une réflexion qu'il entretient dès 1663 sur la création d'un modèle français capable de rivaliser avec son homologue anglais. Dans une volonté de servir le prestige du roi, il cherche à placer les figures les plus éminentes de la République des lettres sous l'influence et le contrôle du souverain588.

La mise en place de l'Académie des sciences, dont le modèle peut être observé déjà à Florence ou à Londres, procède par étapes successives. Les contraintes de la vie savante nécessitent de rassembler et de diffuser l'information sur les travaux en cours, ce qui impose une planification des réunions, la publication des résultats589. Ainsi, le 22 décembre 1666 se tient dans la Bibliothèque du roi une séance de travail qui réunit les mathématiciens (astronomes, mathématiciens, mécaniciens) et physiciens (botanistes, zoologistes, anatomistes...), inaugurant les réunions bihebdomadaires de l'Académie et la tenue des procès verbaux590.

Conscient des dangers que peuvent représenter des intellectuels dissidents, Colbert s'inspire de l'exemple de Richelieu en achetant leur soutient591. Placés sous son autorité directe de 1666 à 1683, puis de Louvois (1683-1691), enfin de Pontchartrain (1691-1699), les Académiciens sont pensionnés par la monarchie ce qui, de facto, les met au service du roi et les maintient dans une

585 Robin BRIGGS, « The Académie Royale des Sciences and the Pursuit of Utility », Past & Present, 1991, no 131, p. 39.

586 François REGOURD, Sciences et colonisation sous l'Ancien Régime: le cas de la Guyane et des Antilles françaises, XVIIe-XVIIIe siècles, Thèse de doctorat en histoire moderne, sous la direction de Paul Butel, Université Bordeaux Montaigne, Bordeaux, 2000, p. 258.

587 Daniel ROCHE, « Trois académies parisiennes et leur rôle dans les relations culturelles et sociales au XVIIIe siècle », Mélanges de l'Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée, 1999, vol. 111, no 1, p. 404.

588 Robin BRIGGS, « The Académie Royale des Sciences and the Pursuit of Utility », op. cit., p. 42.

589 Daniel ROCHE, « Trois académies parisiennes », op. cit., p. 404.

590 François REGOURD, Sciences et colonisation sous l'Ancien Régime, op. cit., p. 262.

591 Robin BRIGGS, « The Académie Royale des Sciences and the Pursuit of Utility », op. cit., p. 42.

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position de dépendance vis-à-vis du pouvoir, qui peut influer sur le choix des membres, ou orienter les travaux des savants592. Par ailleurs, le cadre fixé par Colbert permet à certaines pratiques de s'affirmer, à travers des règles de discussion, des principes de démonstration et d'exposition, à mettre en parallèle avec les progrès réalisés dans le domaine de l'expérimentation et du rôle important des procédés de vérification et de validation. Ces pratiques sociales et scientifiques donnent à la science royale française une identité propre, porteuse d'un niveau d'exigence qui détermine les différents équipements et infrastructures à acquérir : l'Académie exige des ouvrages, des livres, des machines, des laboratoires et des découvertes593.

Les premiers Académiciens sont peu nombreux : moins d'une quinzaine, auxquels on adjoint quatre élèves et un secrétaire. La sélection des quinze premiers est le fruit de la concertation entre Chapelain, l'abbé de Bourseis et Pierre Carcavy. L'opposition de la Sorbonne semble avoir conduit Colbert à adopter des critères drastiques afin de rassembler la fine fleur des savants français594. « Les techniciens, hommes de machines et de bricolages, sont exclus au profit des savants reconnus, écrit Daniel Roche. Les cartésiens comme leurs adversaires ne sont pas recrutés, l'académisme français n'impose pas de théorie et veut limiter l'impact des querelles595. »

À la veille du XVIIIe siècle, le règlement pris par Pontchartrain en 1699, consacre l'affirmation de l'autonomie de la science et l'appui que le pouvoir royal donne aux savants. « L'Académie royale des sciences a deux maîtres : le roi et les sciences596. » L'Académie est placée sous l'autorité directe du roi, ce qui assure un financement régulier des académiciens qui, recevant de généreuses pensions, jouissent d'un prestige considérable, en adéquation avec l'exigence de notoriété intellectuelle597.

Le Jardin du roi

Le Jardin du roi est créé en trois étapes. Guy de la Brosse, médecin ordinaire de Louis XIII, est considéré comme son fondateur. Il en obtint la création en trois étapes : d'abord le 6 janvier

592 François REGOURD, Sciences et colonisation sous l'Ancien Régime, op. cit., p. 263.

593 Ibid. ; Daniel ROCHE, « Trois académies parisiennes », op. cit., p. 404-405.

594 Robin BRIGGS, « The Académie Royale des Sciences and the Pursuit of Utility », op. cit., p. 42-43 ; François REGOURD, Sciences et colonisation sous l'Ancien Régime, op. cit., p. 263.

595 Daniel ROCHE, « Trois académies parisiennes », op. cit., p. 404.

596 Robin BRIGGS, « The Académie Royale des Sciences and the Pursuit of Utility », op. cit., p. 43 ; François REGOURD, Sciences et colonisation sous l'Ancien Régime, op. cit., p. 266.

597 Daniel ROCHE, « Trois académies parisiennes », op. cit., p. 404-406.

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1626, un édit du roi décide la création d'un « Jardin royal des plantes médicinales », dont la surintendance est confiée au premier médecin Héroard. Ensuite, en 1633, l'achat d'un terrain au faubourg Saint-Victor. Enfin, en mai 1635, un nouvel édit royal constitue le véritable acte de naissance du Jardin. Dirigé par les premiers médecins du roi qui héritent de la fonction de surintendant, sa fonction principale est alors largement orientée vers la médecine et l'enseignement. On y décrit les plantes et leurs vertus curatives pour un public de futurs médecins et apothicaires mais également pour de nombreux curieux, collectionneurs ou amateurs de plantes, pris dans la mouvance de la passion des jardins botaniques qui s'empare de la France au XVIIe siècle598. À partir de 1718, le Jardin perd progressivement sa vocation uniquement médicale. Son appellation passe de « Jardin royal des plantes médicinales » en « Jardin du roi », dans lequel l'étude des sciences naturelles et physico-chimiques prend une place de plus en plus considérable599.

Sous l'impulsion des surintendants comme Fagon (1793-1718), Du Fay (1732-1739) et surtout Buffon (1739-1788), le Jardin du roi devient une institution remarquable. La majorité du personnel reste des médecins, chirurgiens ou apothicaires, mais Fagon et Buffon recrutent aussi des scientifiques de grande valeur, comme Tournefort, Jussieu, Vaillant, Dantry d'Isnard, Simon Boulduc, Etienne-François Geoffroy, Le Monnier. Fagon favorise la diffusion des idées et des connaissances scientifiques de son temps. Il encourage la culture des plantes coloniales, favorise les voyages d'études dans les pays lointains. Son action personnelle contribue à faire du Jardin un établissement important. À la mort de Louis XIV en 1715, Fagon est nommé surintendant à vie, et le restera jusqu'à sa mort en 1718. Du Fay fait construire deux grandes serres chaudes et transforme le jardin, jusque-là consacré aux végétaux de la pharmacopée, en jardin botanique d'essai, ouvert à toutes les espèces. Buffon double peu à peu la superficie du Jardin600.

Un effort important est entrepris en direction de la diffusion des idées et des connaissances scientifiques. Fagon favorise les voyages d'études dans les pays lointains, tandis que Buffon, reprenant la politique de Du Fay, entretient une correspondance suivie avec les hommes de science européens, les fonctionnaires en poste aux colonies, sollicitant des envois de renseignements, délivrant les brevets de « Correspondant du Jardin » ou « du Cabinet du roi ». Renfermant des collections d'histoire naturelle venant même parfois des

598 Yves LAISSUS, « Le Jardin du Roi », in René TATON (dir.), Enseignement et diffusion des sciences au XVIIe siècle, Paris, Hermann, 1964, p. 287-288 ; François REGOURD, Sciences et colonisation sous l'Ancien Régime, op. cit., p. 258.

599 Yves LAISSUS, « Le Jardin du Roi », op. cit., p. 292.

600 Ibid., p. 290-297.

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cours d'Europe comme la Pologne, le Danemark, la Prusse ou la Russie, le prestige du Jardin sort des frontières du royaume601. Il devient un lieu de rencontre, d'échange et de transmission de savoir entre simples curieux, passionnés, savants, désireux de découvrir des plantes et des curiosités. « Là s'opère [...] le passage insensible de la curiosité individuelle, écrit François Regourd, à la connaissance raisonnée et collective, du plaisir des curieux au savoir des scientifiques602. »

L'Observatoire royal

Enfin, la construction de l'Observatoire royal en 1667, qui coûte plus de 50 000 livres, ajoute un bâtiment qui centralise tout le savoir astronomique du temps603. L'Observatoire parachève l'entreprise colbertienne, porteuse d'une symbolique prestigieuse. « Paris est désormais l'un des plus grands centres du savoir scientifique européen, sinon le plus grand604. » Sous la houlette des Cassini, l'Observatoire centralise les données venues d'Europe, d'Amérique ou d'Asie et conserve également les observations du ciel menées quotidiennement. Ces travaux permettent des avancées considérables pour la cartographie605.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon