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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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2.3 Repenser le modèle colonial. La Guyane comme champ d'expérimentation

Suite à la signature du traité de Paris, le ministère de la Marine repositionne ses objectifs en imaginant faire de la Guyane le centre névralgique du dispositif colonial français dans l'aire caraïbe. Cette réflexion est d'abord menée par Choiseul qui imagine l'expédition de Kourou en 1763, qui est un véritable désastre humain et financier. Les prolongements de cette débâcle influencent de façon décisive le modèle sur lequel s'appuie la réflexion et les objectifs que l'on donne aux différents plans qui vont voir le jour dans les années 1770 pour le Guyane. En effet, comme le montre l'impulsion donnée par Sartine qui souhaite appliquer des « méthodes nouvelles644 », cette terre

640 Ibid., p. 95-96.

641 ANOM C14/42 F°163.

642 Ibid.

643 Ibid.

644 Michèle DUCHET, « Malouet et le problème de l'esclavage », in Jean EHRARD et Michel MORINEAU (dirs.), Malouet (1740-1814), Riom, Société des amis des universités de Clermont, 1990, p. 65.

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lointaine de Guyane devient un champ d'expérimentation à la fois économique, agronomique et technique, avec en toile de fond le débat autour de l'esclavage qui devient de plus en plus sensible à cette époque.

2.3.1 L'expédition de Kourou

Dès 1759 et l'arrivée de Choiseul au secrétariat d'État aux Affaires étrangères, celui-ci développe une réflexion globale visant à faire pièce à la puissance anglaise, en prenant appuis sur les colonies françaises d'Amérique. Devenu ministre de la Marine en 1761, il est confronté au fait que les îles à sucre des Antilles tombent les unes après les autres aux mains des Anglais. La situation militaire provoque un changement stratégique à Versailles, qui se traduit par un glissement d'une réflexion globale sur la façade atlantique vers une approche plus attentive aux enjeux locaux. C'est à l'initiative de Choiseul que naît en 1762 le projet d'implanter une colonie en Guyane645. Pourquoi la Guyane ? La réflexion menée au ministère mobilise les ressources de la Machine coloniale. L'Académie des sciences missionne les botanistes Adanson et Fusée-Aublet (qui se rend sur place en 1762), qui adressent au ministre des mémoires sur les potentialités de cette colonie646. L'objectif pour Choiseul est double. D'une part, il s'agit d'y créer un point d'appui défensif afin d'assurer la défense des possessions françaises d'Amérique. D'autre part, il envisage de la transformer en une sorte de plate-forme de ravitaillement, d'où l'on prévoit d'expédier bois précieux et vivres pour les Antilles. Par ailleurs, et contrairement à ces dernières, la Guyane est vide de monde (environ 7500 colons en 1763) ce qui permettrait d'implanter un peuplement massif647. S'inscrivant à rebours du cadre colonial ayant cours alors, Choiseul conçoit donc de créer une colonie de peuplement à vocation militaire. Un second point, qui constitue aussi une rupture majeure, est que la colonie sera sans esclaves. En effet, ceux-ci ont tendance à s'enfuir en cas de guerre, tandis qu'un colon libre, propriétaire de la terre qu'il cultive, est plus enclin à la défendre. Du moins le pense-t-on648. On tâche également par ce moyen d'enrayer le problème du marronnage, qui est endémique au Surinam voisin, en proie à des révoltes d'esclaves649.

Le ministre prévoit donc d'expédier environ 15 000 Européens avec pour objectif de les

645 Marion F. GODFROY, Kourou, 1763 : le dernier rêve de l'Amérique française, Paris, Vendémiaire, coll. « Chroniques », 2011, p. 16-17.

646 Ibid. ; François REGOURD, « Kourou 1763. Succès d'une enquête, échec d'un projet colonial », in Charlotte de CASTELNAU-L'ESTOILE et François REGOURD (dirs.), Connaissances et pouvoirs, les espaces impériaux (XVIe - XVIIIe). France, Espagne, Portugal, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2005, p. 234.

647 Michel DEVEZE, Les Guyanes, op. cit., p. 63.

648 Marion F. GODFROY, Kourou, 1763, op. cit., p. 71.

649 Michel DEVEZE, Les Guyanes, op. cit., p. 63.

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implanter entre le Kourou et le Maroni650. Une importante campagne de promotion est lancée en France et en Allemagne. Des imprimés sont diffusés, expliquant comment rejoindre les ports de départ, ventant les innombrables richesses du pays, rassurant sur les conditions sanitaires et sur les dangers éventuels. Les frais de voyage et d'installation sont pris en charge par l'État. Cette propagande draine un nombre important de gens, de toute condition, les uns désirant faire fortune par un placement rémunérateur ; les autres fuyant la misère et aspirant à des jours meilleurs651. Le ministre fait appel à une majorité de colons étrangers, car il ne souhaite pas puiser dans les réserves démographiques du royaume, que l'on imagine alors en état de dépeuplement. Ainsi, ce sont en majorité des populations issues des pays rhénans, de Belgique, de Hollande, de Prusse, d'Autriche ou de Suisse qui se massent sur les routes en direction de Rochefort, du Havre et de Marseille. S'ajoute un contingent de Français ainsi que quelques Canadiens, chassés par la conquête anglaise652.

Le premier convoi fait voile vers Cayenne en mai 1763 et mouille dans la rade en juillet. Mais Choiseul est pressé et souhaite concrétiser le projet rapidement pour prendre par surprise les Anglais. Il précipite le départ des convois suivants, alors que les préparatifs en Guyane tardent à se mettre en place. En effet, Brûletout de Préfontaine, en charge de construire les abris, arrive à Cayenne après le premier convoi. L'intendant Jean Baptiste Thibault de Chanvalon n'appareille qu'en novembre 1763. Ainsi 37 convois se succèdent et déversent entre juillet 1763 et mai 1765 un flot de plus de 10 000 migrants dans la basse vallée du Kourou653. Leur traversée s'effectue souvent dans des conditions déplorables. Entassés avec le bétail dans les navires, mal nourris et éprouvés par les intempéries, ce sont des individus déjà affaiblis moralement et physiquement qui débarquent à Cayenne et à Kourou654. De plus, le sort sort semble s'acharner car les vivres transportées dans les cales des navires arrivent à Cayenne dans un piteux état et se détériorent rapidement sous l'effet du climat. Sur place, Préfontaine ignore l'emplacement de la future colonie. Il est également confronté au manque de soutien des autorités coloniales, si bien qu'il peine à mettre en place la logistique dont il a la charge655. L'opération tourne rapidement au drame. La colonie, qui ressemble davantage à un campement de fortune, n'est pas en mesure d'accueillir dans de bonnes conditions les migrants qui, pour la plupart d'entre eux, sont contraints de dormir à la belle étoile, à même le sol, dans une atmosphère humide, parmi les insectes dangereux dont regorge la région656. Thibault de Chanvalon

650 Ibid.

651 Marion F. GODFROY, Kourou, 1763, op. cit., p. 115.

652 Ibid.

653 Ibid., p. 150, 156.

654 Emma ROTSCHILD, « A Horrible Tragedy in the French Atlantic », Past & Present, 2006, no 192, p. 87-90.

655 Ibid., p. 158.

656 Michel DEVEZE, Les Guyanes, op. cit., p. 64.

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informe rapidement Choiseul de la débâcle qui se profile. Mais malgré ses alertes répétées, Kourou se transforme très vite et très tôt en un mouroir à ciel ouvert, dévasté par les maladies souvent propagées par les nouveaux arrivants qui ont côtoyé le bétail pendant les 6 à 8 semaines de traversée657. L'intendant lui-même tombe malade, son neveu succombe. La dysenterie, le typhus, le paludisme, la fièvre jaune et la typhoïde font un véritable carnage. Le seul médecin, secondé par 7 chirurgiens et une poignée de sages-femmes, complètement débordé, est impuissant à endiguer l'épidémie qui fauche 6 colons sur 10. Au total, on estime que sur les 10 446 personnes implantées, environ 1 700 seulement choisissent de rester.658.

À Versailles, l'opprobre est jetée sur Thibault de Chanvalon, qui est emprisonné au Mont-Saint-Michel. Turgot s'en sort grâce au crédit de son frère659. L'affaire a un retentissement énorme dans les milieux coloniaux, bien plus que dans les allés du ministère. Ça n'est pas tant le coût humain qui entraîne l'indignation, mais l'importance des moyens financiers engagés en vain, que l'on hésitera désormais à mobiliser en faveur du développement de la Guyane. Raynal estime le total des pertes à 30 millions de livres, pour un apport de 450 à 500 personnes qui s'installent finalement à Cayenne ou à Sinnamary660.

Cet échec entraîne des conséquences sensibles sur la réflexion des différentes parties intéressées à la mise en valeur de la Guyane. Le destin tragique de cette tentative française inspire différentes conclusions quant aux causes de son échec. Bien entendu, l'épidémie qui a ravagée la colonie est invoquée, mais cette explication est rapidement écartée. Bajon constate que le climat n'est pas aussi mortifère qu'on veut bien le dire. À l'origine la situation sanitaire à Kourou est peu ou prou analogue à celle de Cayenne, d'ailleurs les esclaves et les Blancs sont atteints des mêmes maladies.

La première conclusion, qui s'impose à Choiseul et au sein de la plantocratie, est qu'une colonisation blanche est impossible dans les régions torrides. Cette idée est reprise par Raynal en 1770 dans son Histoire des deux Indes, pour qui la mise en valeur des colonies, particulièrement celle de Guyane, ne peut s'effectuer sans le recours aux esclaves africains661. La deuxième conclusion est d'ordre politique et concerne les limites d'un tel projet quand il est aussi mal organisé, mal préparé, mal pensé, où trop d'intérêts divergents entrent en opposition. Surtout, l'affaire de Kourou révèle ce que l'ignorance, ou tout du moins la représentation que l'on se fait des conditions locales, engendre. Il y a une distorsion flagrante entre ce qui est imaginé à Paris dans les ministères, où des projets biens huilés voient le jour à plusieurs milliers de kilomètres des territoires

657 Emma ROTSCHILD, « A Horrible Tragedy in the French Atlantic », op. cit., p. 87.

658 Marion F. GODFROY, Kourou, 1763, op. cit., p. 177-180.

659 Michel DEVEZE, Les Guyanes, op. cit., p. 64.

660 Ibid. ; Marion F. GODFROY, Kourou, 1763, op. cit., p. 91.

661 Emma ROTSCHILD, « A Horrible Tragedy in the French Atlantic », op. cit., p. 87-90.

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concernés, et les contraintes locales, tant naturelles qu'humaines, qui sont mal prises en compte662.

En dépit de ce désastre, qui aurait pu marquer l'abandon des projets coloniaux pour la Guyane, le ministère continue de penser que cette partie de son empire peut jouer un rôle défensif crucial. L'idée d'en faire une colonie de laboureurs libres, capable de ravitailler et d'apporter un soutien militaire aux possessions antillaises fait long feu et perdure jusqu'à la Révolution663. Ainsi, divers projets sont entrepris sous l'impulsion d'un personnage dont le rôle est déterminant dans l'intervention de Malouet : le baron de Besner.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld