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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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2.3.3 La Guyane, une colonie de travailleurs libres ?

Les projets pour la Guyane semblaient devoir en rester là mais « en 1776, écrit Malouet, Cayenne redevint pour la troisième fois dans l'espace de douze ans un nouveau Pérou. Un baron de Besner qui visoit à en être gouverneur [...] avoit électrisé toutes les têtes678. »

Un troisième projet pour la Guyane

Le baron de Besner, dès le début des années 1770, inonde littéralement le bureau du ministre de mémoires visant à développer la Guyane. Sa réflexion est même assez versatile et il semble ne rien vouloir laisser au hasard, s'intéressant aux taxes, au mode d'attribution des concessions, à l'introduction d'esclaves, à l'exploitation forestière, au développement de l'élevage bovin, et à intégrer dans ce processus des Indiens « civilisés » et les esclaves marrons du Surinam venus trouver asile dans la forêt guyanaise. À terme, il souhaite proposer une alternative à l'esclavage679.

Que vise Besner ? Au moins deux choses. La première, comme le fait remarquer Malouet, est d'être nommé au poste de gouverneur en Guyane680. La seconde est de faire fortune en soutenant la création d'un nouvelle compagnie681. Il s'agit de la société du commerce d'Afrique, formée en 1772, qui devient en 1773 la Compagnie de Guyane, dirigée par trois fermiers généraux, Charles de Mazières, Jean-Baptiste de Harenc Borda, et Jacques Paulze, auxquels s'associe le comte de Jumilhac, gouverneur de la Bastille. La compagnie de Guyane bénéficie des patronages successifs des ministres de Boynes et Sartine. D'abord vouée à la traite négrière, cette compagnie s'oriente peu à peu vers le développement des cultures en Guyane, sous l'influence de Besner et de l'ancien gouverneur du Sénégal Pierre Félix Barthélemy David. Le 6 janvier 1776, le Conseil d'État autorise la formation d'une « Compagnie de la Guiane française » qui reçoit d'importantes concessions entre

677 Michèle DUCHET, Anthropologie et histoire au siècle des lumières, op. cit., p. 154-155.

678 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 1, op. cit., p. 6.

679 Barbara TRAVER, « A « New Kourou »: projects to Settle the Maroons of Suriname in French Guiana », op. cit., p. 112.

680 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 1, op. cit., p. 6.

681 Barbara TRAVER, « A « New Kourou »: projects to Settle the Maroons of Suriname in French Guiana », op. cit., p. 112.

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l'Oyapoc et l'Approuague, ainsi que de nombreux avantages matériels et des primes pour l'introduction des Noirs682.

À en croire Malouet, Besner parvient à persuader l'entourage de Monsieur ( compte de Provence, le futur Louis XVIII ), dont le surintendant Cromot, d'investir dans cette compagnie :

« f...] Des mémoires très-bien écrits, firent une telle impression, que le conseil de Monsieur se persuada que la plus riche portion de son appanage devoit être désormais dans la Guiane683. »

Les actionnaires de la compagnie ont déjà tout prévu et planifié, nommé un directeur-général, des secrétaires, un garde magasin, affrété des navires. Malouet précise que la compagnie prévoit de créer de grandes exploitations de café, de tabac, de cacao, faire des essais de culture de la vigne, introduire du bétail684.

Il ajoute que le « dernier article [du] prospectus étoit une manufacture de petits fromages, dont [la compagnie] espéroit un grand bénéfice. » Il se défend de tout sarcasme à l'endroit de ces « extravagances », qui naissent pourtant « chez des esprits éclairés ». « David, écrit Malouet, l'ancien gouverneur du Sénégal [...] avoit donné sur le commerce intérieur de l'Afrique des mémoires estimés. Belleisle et Paultz passoient pour les plus fortes têtes de la finance. » À l'en croire, Malouet cherche seulement à dénoncer le danger des « rêves de la cupidité685. »

En effet, pour promouvoir son idée, Besner s'appuie sur un réseau de personnages influents, « des savans, précise Malouet, des financiers, des gens de la cour, il leur distribuoit ses mémoires, et les intéressoit tous au succès de ses plans686. » Besner est un personnage qui évolue dans l'orbite de Jussieu et qui fréquente le cercle anti-esclavagiste, en particulier l'abbé Raynal, qui est aussi un proche de Malouet. Bien évidemment, la réussite d'une colonie mise en valeur par des Noirs libres et propriétaires de leur terre constituerait un argument de poids pour la cause anti-esclavagiste, et une preuve par les faits que les Noirs sont capables de travailler pour leur propre compte, sans la contrainte du fouet. De fait, Raynal reprend cette partie du plan de Besner dans son Histoire des deux Indes687.

682 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol. 1, op. cit., p. 89 ; Jean TARRADE, Le commerce colonial de la France à la fin de l'Ancien Régime, op. cit., p. 432-434.

683 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 1, op. cit., p. 7-8.

684 Ibid., p. 10.

685 Ibid.

686 Ibid., p. 6.

687 Barbara TRAVER, « A « New Kourou »: projects to Settle the Maroons of Suriname in French Guiana », op. cit., p. 113.

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Les vues anti-esclavagistes de Besner s'avèrent toutefois davantage fondées sur des considérations pragmatiques, et son argumentation se situe dans la droite ligne de celle que soutiendront les Amis des Noirs à la fin des années 1780. La plantocratie justifie la discipline qu'elle impose à sa main-d'oeuvre parce que cette dernière serait lâche, traîtresse, indolente, prompte à se soulever contre les Blancs à la moindre occasion. Besner, pour sa part, ne souscrit pas à cette position et lui oppose que cette attitude est davantage la conséquence de l'esclavage, qui place les esclaves en position de faiblesse, qui les infantilise, qui les maltraite et les surexploite, plutôt qu'une disposition naturelle des Noirs à l'indolence et à la sauvagerie688. Mais cette aspiration antiesclavagiste chez Besner, en tout cas dans ce qu'il énonce dans son plan, semble davantage motivée par des raisons stratégiques que par pure philanthropie. Il ne perd pas de vue la valeur militaire et stratégique que revêt la Guyane pour le gouvernement, qui tient à conserver son seul point d'appuis sur le continent américain. Besner dresse le constat que les esclaves en fuite venant du Surinam sont si déterminés à défendre leur liberté qu'ils sont parvenus à mettre en échec les forces hollandaises. Et ils sont nombreux : il avance le chiffre de 30 000 individus, ce qui laisse augurer une force considérable. Sans aucun doute exagère-t-il. Même s'il bénéficie de l'appui de Maurepas689, il doit persuader du bien-fondé de son projet et joue de la corde sécuritaire. Il convient d'accueillir ces fugitifs en Guyane, puis de les affranchir et de leur donner des terres dont ils seraient les propriétaires. Ainsi ils seraient naturellement disposés à se défendre et, reconnaissant envers une puissance qui les couvre de ses bienfaits, ils seraient des alliés indéfectibles du royaume. Et puis, pour des raisons de police intérieure, Besner invoque le fait que les révoltes serviles sont la hantise de toutes les sociétés esclavagistes. Développer une colonie de cultivateurs libres réglerait définitivement le problème690. Même si cette proposition est novatrice et s'inscrit à contre-courant des idées véhiculées par la plantocratie, Besner sacrifie malgré tout à l'idée profondément ancrée que seuls les Noirs peuvent travailler sous les tropiques. Michèle Duchet précise qu'« aucun texte ne montre plus nettement que l'anti-esclavagiste n'est pas dicté par des considérations philanthropiques seulement, mais que la philanthropie n'est conçue que comme un moyen permettant de résoudre le problème de la main-d'oeuvre coloniale691. »

688 ANOM C14/57 F°185.

689 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 1, op. cit., p. 15.

690 Barbara TRAVER, « A « New Kourou »: projects to Settle the Maroons of Suriname in French Guiana », op. cit., p. 112-113.

691 Michèle DUCHET, Anthropologie et histoire au siècle des lumières, op. cit., p. 154.

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L'intervention de Malouet : un procès a posteriori du projet de Besner ?

Malouet, commissaire général de la marine fraîchement nommé, se trouve chargé par le ministre Sartine de l'examen de ce dossier. Il est conscient que le travail demandé par le ministre peut s'avérer délicat :

« [...] Le travail dont j'avois été chargé avoit une importance réelle et une importance relative, [parce qu'il] s'agissoit d'appuyer ou de contrarier les demandes de Monsieur et de son conseil, de lutter contre une compagnie de finances qui avoit du crédit, et contre l'engouement de plusieurs hommes puissans, du nombre desquels étoit M. de Maurepas692. »

De plus, les récents événements ayant opposés Sartine à Malouet semblent ajouter à l'importance que revêt cette mission pour le nouveau commissaire. Il est évident que Malouet, en quête de légitimité suite à sa récente promotion, tente de marquer des points. Les relations entre les deux hommes semblent être au beau fixe et Malouet ne tarit pas d'éloges envers Sartine ; faut-il y voir pour autant un coup de pouce du ministre en faveur de son commissaire ? Difficile à dire car nous ne connaissons pas les intentions réelles du ministre, dont on pourrait aussi bien penser qu'il confie un dossier épineux à un commissaire ambitieux, avec qui il a eu maille à partir quelques mois auparavant, pour mieux l'écarter en cas d'échec.

Quoi qu'il en soit, Malouet travaille le dossier méticuleusement. Il fait rassembler toute la documentation disponible sur la Guyane, entreposée au Dépôt des colonies à Versailles et l'étudie en profondeur. Il croise les informations remises par le ministre sur le projet de Besner avec son expérience de planteur à Saint-Domingue. Pour lui, le verdict est sans appel :

« [...] J'avois donc des notions exactes sur le commerce et la culture des colonies, sur les frais d'un nouvel établissement, sur les profits probables qu'un capitaliste intelligent pouvoit attendre d'un placement d'argent dans les terres d'Amérique , et je ne trouvois dans les mémoires qui m'avoient été remis aucune base fixe d'après laquelle on pût calculer, diriger ou conseiller une grande entreprise693. »

692 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 1, op. cit., p. 8-9.

693 Ibid., p. 8.

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Il rend son rapport au ministre et intervient directement auprès du surintendant Cromot pour détourner Monsieur « de la perspective illusoire qu'on lui avoit présentée. » Il participe à plusieurs conférences avec les financiers de la compagnie. Non pour les convaincre de renoncer à leur projet, mais en tant que représentant du gouvernement. Il considère que l'État, « protecteur des fortunes particulières qui composent la fortune publique » ne peut cautionner cette troisième entreprise de mise en valeur de la Guyane, qu'il estime vouée à l'échec694.

Dès lors, l'opposition de Malouet se comprend mieux. Si le plan de Besner semble pêcher par optimisme, précipitation et opportunisme, on ne peut nier qu'il se fonde sur une réelle approche idéologique vis-à-vis de l'esclavage qui lui donne une certaine cohérence. En réalité, en 1776, Malouet souscrit pleinement aux vues de Besner, dont il reprend à son compte les grands principes, particulièrement à l'affranchissement progressif des esclaves sur vingt ans695.

De fait, il a beau jeu de railler des faits qu'il décrit un quart de siècle plus tard, à la lumière des problématiques telles qu'elles surviennent en ce début de XIXe siècle. De même qu'il lui est facile de peindre le portrait d'un baron de Besner, campé dans la posture d'un personnage aux idées farfelues, doublé d'un intrigant sans scrupule, dont il aurait été le seul à percevoir les manoeuvres et les dangers de son plan. À l'évidence, Malouet se donne le beau rôle. Ses remarques parfois mordantes, livrées a posteriori, servent surtout à disqualifier les idées abolitionnistes et anticolonialistes, au moment où Bonaparte est en passe de rétablir l'esclavage et où Malouet refait son apparition sur la scène politique au début du XIXe siècle. De fait, en étudiant la feuille de route que propose Malouet au ministre, on s'aperçoit facilement qu'il est surtout méfiant à l'endroit du volet purement économique du plan de Besner, et non pas sur l'affranchissement progressif des esclaves, terrain pourtant sur lequel on aurait pu s'attendre à le voir réagir énergiquement. Ce qui invite à nuancer la position de Malouet à l'endroit de l'esclavage et donne plutôt à voir un homme dont la réflexion s'élabore au fur et à mesure du temps et de l'évolution de la conjoncture. C'est donc le Malouet du XIXe siècle qui livre un procès au baron de Besner, non pas celui des années 1770 qui partage un certain nombre d'idées avec le militaire alsacien.

694 Ibid., p. 9.

695 Michèle DUCHET, « Malouet et le problème de l'esclavage », op. cit., p. 67.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry