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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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1.3 Un homme de réseau

De prime abord, Pierre Victor Malouet, fils d'un petit officier auvergnat, ne semble pas destiné à faire carrière dans la Marine. En effet, le recrutement se régionalise autour des grands ports militaires tels que Brest, Rochefort et Toulon, si bien que la majorité des administrateurs est originaire de provinces maritimes185. Ainsi, une certaine hérédité s'installe : la qualité d' « enfant du

180 ANOM E200 F°18 et 21.

181 Daniel ROCHE, Humeurs vagabondes, op. cit., p. 298-299.

182 Ibid.

183 Gilles BERTRAND, « Voyager dans l'Europe des années 1680-1780 », op. cit., p. 237.

184 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol. 1, op. cit., p. 43-44.

185 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 146.

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corps » offre la garantie d'une éducation adaptée aux tâches administratives, sous le regard des parents et des soutiens déjà en service186, ce qui contribue parfois à l'apparition, nous l'avons vu, de véritables dynasties d'administrateurs. En dépit de cela, Malouet bénéficie de relations et de protections efficaces qui, jalonnant sa carrière, lui offrent de solides appuis qui opèrent sur trois niveaux différents. Nous pouvons distinguer un cercle familial et régional, un cercle colonial et un cercle ministériel, que Malouet complète avec un réseau de relations mondaines, qu'il sollicite en fonction des impératifs du moment.

1.3.1 Le réseau familial et auvergnat

Si l'on adopte une vue d'ensemble, nous remarquons que le réseau de Pierre Victor Malouet repose d'abord sur des relations issues de son milieu familial et du milieu auvergnat. Le premier maillon de cette chaîne est constitué par son oncle Oratorien, qui lui permet d'intégrer le collège de Juilly. C'est ce même oncle qui l'introduit auprès de Moras187, ami de la famille188, lequel le place auprès du comte de Merle. C'est ce premier cercle de fréquentation qui permet à Malouet de lancer sa carrière et l'amène à pousser les portes de la Marine. En effet, l'entrée dans cette administration n'est sanctionnée par aucun concours ou recrutement sur titre. Il faut donc y entrer par un autre moyen. Le patronage et les liens d'amitié jouent donc un rôle déterminant pour « accéder à une place, ou obtenir brevets et pensions, » explique Céline Ronsseray. Celle-ci décrit une hiérarchisation des soutiens, qui sont à l'image du réseau dont on peut se prévaloir : les ministres et les grands commis campent en haut de l'échelle, suivis des grandes familles de la noblesse et des officiers supérieurs de la Marine et des Colonies, et enfin des administrateurs subalternes. Dès lors, à moins d'une ascendance exceptionnelle, un carnet d'adresse garni de noms prestigieux est un sésame pour un avancement rapide189.

En la matière, la carrière de Malouet témoigne d'un particulier bonheur190. Il bénéficie, nous l'avons vu, de l'appui de son oncle Oratorien et de la protection de l'ancien ministre Moras qui, en 1759, le confie à son beau-frère le comte de Merle. En 1763, il se fait remarquer par plusieurs personnes influentes, dont Jarente, évêque d'Orléans, qui le présente au ministre Choiseul. « Jarente,

186 Marc PERRICHET, « Malouet et les bureaux de la Marine », op. cit., p. 25.

187 François Marie Peyrenc de Moras, intendant de Riom (1750-1752), contrôleur général des Finances (1756-1757) et ministre de la Marine (1757 à 1758).

188 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol. 1, op. cit., p. 6.

189 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 413.

190 Marc PERRICHET, « Malouet et les bureaux de la Marine », op. cit., p. 25.

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titulaire de la feuille des bénéfices, saisissant l'opportunité d'une folle entreprise de colonisation en Guyane191, proposa Malouet à Choiseul [...] et lui obtint une des deux places d'inspecteur des magasins des colonies192. » Cette recherche permanente d'un appui, empreinte d'un certain opportunisme, révèle un personnage qui sait manoeuvrer dans un univers parcouru par des tensions et des rivalités, entre officiers d'épée et de plume. D'une manière habile, Malouet fréquente les bonnes personnes, il a l'art et la manière de s'attirer leur soutien, tout comme il « flaire les endroits où il faut être193. » Ses protections lui offrent une aide précieuse quand il se retrouve confronté à des difficultés. L'arrivée à Rochefort d' « un jeune homme inconnu [suscite] une réclamation générale de tous les ports194 » et plonge Malouet dans une situation délicate face aux officiers de plume. Mais il sait d'emblée assurer ses arrières :

« J'allais tout de suite chez l'intendant, M. de Ruis-Embito, homme d'esprit très-original. Je débutai vis-à-vis de lui avec la modestie qui convenait à mon inexpérience et à l'embarras où je me trouvais. Je lui remis mes instructions, me subordonnant entièrement aux siennes. Mon début me concilia l'intendant195. »

De retour de Saint-Domingue, Malouet fréquente les coulisses de Versailles. Sans fonctions vraiment bien définies, il joue le rôle de conseiller officieux pour les colonies, mais ses rapports avec le ministre de Boynes sont orageux, les deux hommes ne s'entendent pas. D'une part, parce que les ministres se succédant à la Marine, surtout Choiseul, Praslin et de Boynes, voient la question des colonies d'assez haut, ce domaine n'étant qu'un service secondaire de leur ministère196. D'autre part, si l'on n'en croit Malouet, le ministre de Boynes serait peu scrupuleux. Il aurait tendance à reprendre à son compte les conclusions des travaux qu'il lui commande, voir à les lui confisquer pour s'en attribuer la paternité197. De plus, les problèmes que celui-ci a rencontrés avec le Conseil supérieur et l"avocat Gautrot à Saint-Domingue jouent vraisemblablement en sa défaveur.

En effet, Malouet commet là-bas ce qu'il appelle pudiquement des « étourderies », qu'il impute à son manque d'expérience. En réalité, en y exerçant son autorité de façon tatillonne, le

191 Voir la partie consacrée à l'expédition de Kourou p 152.

192 Marc PERRICHET, « Malouet et les bureaux de la Marine », op. cit., p. 26.

193 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 418.

194 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol. 1, op. cit., p. 31.

195 Ibid., p. 31-32.

196 Jean TARRADE, Le commerce colonial de la France à la fin de l'Ancien Régime, op. cit., p. 67-69.

197 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol. 1, op. cit., p. 45.

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retour de bâton ne se fait pas attendre : « J'écrivais donc sans cesse des remontrances au général, à l'intendant, dit Malouet, je luttais contre les commandants de quartier qui abusaient de leur autorité, et, par une inconséquence trop ordinaire, ce que je reprochais aux autres me fut justement reproché198. » Très rapidement il se retrouve mêlé à des affaires qui déstabilisent sa position, comme le suggère la procédure engagée contre lui par Me Gautrot, avocat au Conseil supérieur du Cap-Français199.

Cette affaire nous révèle un Malouet qui, en réalité, chercherait à s'imposer avec la complicité de ses soutiens qui, selon toute vraisemblance, semblent profiter de son ambition mal maîtrisée et le manipuleraient quelque peu. Toujours est-il que les archives rendent compte des pressions exercées sur Gautrot. Malouet veut confisquer la jouissance d'un bail de maison que l'avocat venait de conclure, dans le but de l'attribuer à M. de Renaud, vice-commandant et colonel du régiment du Cap. Sans doute fait-il ici un pas vers le milieu militaire, qu'il cherche à intégrer. En lisant l'arrêt du Conseil supérieur, intervenu sur la requête de Me Gautrot du 9 mars 1773, nous voyons qu'il abuse très clairement de son autorité en accusant l'avocat publiquement, et en ne lui permettant pas de se justifier :

« Tout étoit concerté, convenu, prémédité avant même que le sieur Malouët eut proféré une parole, Me Gautrot avoit déjà reçu l'ordre absolu de se taire. [...] [Après avoir proféré] des accusations calomnieuses et outrageantes, le sieur Malouët avoit ajouté les épitètes les plus dures et les plus humiliantes, tant pour le suppliant que pour le corps auquel il avoit l'honneur d'appartenir. [...] Enfin il avoit terminé la lecture de son libelle par annoncer à Me Gautrot qu'il retenoit la maison pour compte du roy, qu'elle appartenoit désormais à M. de Renaud, et qu'elle eut à être remise sous deux jours200. »

Gautrot obtient difficilement gain de cause, mais le mémoire envoyé au ministre de Boynes pointe ces irrégularités et s'insurge contre le comportement de Malouet, qui se retrouve en délicatesse avec le Conseil supérieur, pointé comme fauteur de trouble :

« Vous dénoncer, Monseigneur, l'auteur de pareils excès, c'est s'en promettre la

198 Ibid., p. 38.

199 Voir le dossier sur l'affaire Gautrot ANOM E 200.

200 ANOM E 200 F°6.

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punition et le règne de l'harmonie la plus désirable201. »

Si l'on en croit Malouet, son retour en métropole en 1773 est causé par une grande fatigue. Le climat, qu'il supporte mal, lui occasionne des fièvres202. De retour à Paris, pourtant, ses relations avec de Boynes sont très délicates. Gaston Raphanaud conclut, de façon angélique semble-t-il, à une incompatibilité d'humeur entre les deux personnages et au caractère colérique de M. de Boynes :

« [Les] habitudes pacifiques et réfléchies [de Malouet] se heurtent au caractère violent et arbitraire du ministre de la marine, M. de Boynes203. »

Cette interprétation complaisante ne nous satisfait pas. À l'évidence, l'étude des archives nous engage à envisager le retour de Malouet comme une conséquence des affaires dans lesquelles il était mêlé, bien plus que la seule influence néfaste du climat tropical. Vraisemblablement, ses démêlés avec le Conseil supérieur, ainsi que les frasques de son frère cadet Pierre Antoine, alors écrivain de la marine à Fort-Dauphin (Saint-Domingue)204, rendent sa position intenable, malgré le soutien de Bongars et de Legras.

Ainsi, sans pour autant écarter une éventuelle incompatibilité de caractère entre les deux hommes, les démêlées de Malouet avec le Conseil de Saint-Domingue et Gautrot ne facilitent pas les choses avec de Boynes, qui en est informé. Après lui avoir promis puis refusé le poste de commissaire à plusieurs reprises, le ministre lui propose brusquement ce même poste pour l'Inde. Malouet refuse poliment, prétextant une santé fragile. En réalité, il flaire un piège tendu par de Boynes qui, si l'on se réfère à ses Mémoires, manoeuvre pour se débarrasser de lui :

« Je pensais que, s'il était décidé à m'éloigner sous prétexte d'avancement, il me perdrait si je m'y refusais. Je voulus m'assurer d'une protection qui pût me

201 ANOM E 200 F°21.

202 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol. 1, op. cit., p. 48-49.

203 Gaston RAPITANAUD, Le baron Malouet, op. cit., p. 42-43.

204 Voir le dossier ANOM E 298 sur ses démêlés judiciaires contre Jean-Noël Poirrier, assesseur du Conseil supérieur du Cap, et les interventions de Pierre Victor en faveur de son frère cadet.

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défendre contre la malveillance et m'autoriser à rester en France205. »

Sa situation est délicate, mais Malouet parvient malgré tout à rebondir en entrant au service de Mme Adélaïde, qui lui offre une protection efficace et le remet en selle à l'arrivée de Sartine à la tête de la Marine :

« Cette princesse, [...] n'ayant pas de secrétaire dans l'état de sa maison, eut la bonté d'en demander le brevet pour moi au roi son père206. »

Nous voyons ici à l'oeuvre le réseau des protections auvergnates, qui se révèle déterminant207 . La duchesse de Narbonne-Lara208, née à Saint-Germain-Lembron (Puy-de-Dôme), l'introduit à la cour et le présente à Madame Adelaïde209, qui le prend à son service.

À ce premier cercle de protection rapprochée, de proximité, s'adjoint celui constitué par le réseau issu de Saint-Domingue, dont le champ d'action est plus étendu.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand