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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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1.1.1 Informer la métropole, éclairer la colonie

L'une des caractéristiques de l'action de l'ordonnateur est constituée par la dimension informative de sa mission. Tout au long des deux années qu'il passe en Guyane, Malouet informe la métropole par une correspondance soutenue avec le ministère, à qui il fait parvenir des lettres, des comptes-rendus et des mémoires. Son action comporte également un fort aspect didactique à l'attention de la colonie, qu'il s'agit d'informer et, d'une façon plus générale, d'instruire.

Une correspondance normalisée

En qualité de représentant de l'administration royale dans les colonies, l'ordonnateur correspond avec le ministre de la Marine à qui il rend compte de son action, de la situation, demande des instructions sur des sujets précis. En la matière, les échanges épistolaires entre Malouet et Sartine sont abondants. « [...] J'y ai plus écrit peut-être sur l'administration de Cayenne que tous les administrateurs qui m'ont précédé », déclare-t-il au moment de son départ en août 1778, dans une lettre vraisemblablement adressée à son ami François Legras, l'ancien procureur général du Conseil du Cap741. L'inventaire de la sous-série C14 recense pour Malouet, entre 1776 et 1778, 302 courriers échangés avec le ministère. Sous l'administration de Maillart du Mesle (entre 1766 et

741 Gabriel DEBTEN et Johanna FELHOEN KRAAL, « Esclaves et plantations de Surinam vus par Malouet, 1777. », op. cit., p. 60.

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1771) nous avons relevé 296 lettres, et 208 pour l'ordonnateur de Préville (1773-1774 puis 17781785). Ce décompte, à défaut de pouvoir être exact, permet néanmoins de se faire une idée du volume des échanges épistolaires, qui répondent aux exigences adressées aux administrateurs depuis les années 1670 et la redéfinition du projet colonial initiée par Colbert742.

La correspondance avec le ministre est distribuée en fonction de la répartitions des pouvoirs à la tête de la colonie. De fait, les sujets concernant l'autorité conjointe de l'ordonnateur et du gouverneur font l'objet de « lettres communes » signées des deux administrateurs. Les sujets relevant de l'autorité de chacun sont consignés dans les « lettres particulières. » Malouet fait également parvenir trois comptes-rendus (pour l'année 1776743, 1777744 et 1778745) dans lesquels il passe au crible tous les sujets sur lesquels il travaille et qui lui permettent de faire un point de la situation : l'administration générale, les finances, les réunions du Conseil supérieur, la justice, les décisions qu'il a prises, l'état général de la colonie, etc.

Homme de cabinet, le besoin de répertorier, d'étudier et de collecter les richesses naturelles des territoires outre-mer fait également de l'ordonnateur un homme de terrain qui dresse un inventaire des questions scientifiques touchant la colonie. Ainsi, Malouet profite de sa tournée en Guyane pour visiter des cultures d'épices et dresser des procès verbaux précis. Il examine un giroflier planté depuis trois ans, mesure sa circonférence et sa hauteur. Il fait de même avec un cannelier « du même âge, ayant lorsqu'il a été planté un pied de hauteur, lequel a été mesuré en notre présence et s'est trouvé en avoir douze aujourd'hui. » Il renouvelle l'opération sur l'exploitation de M. Macaye, où il inspecte un giroflier et un cannelier746. Il visite l'habitation de M. Noyer, chirurgien-major. Celui-ci a reçu de l'Île de France quatre noix de muscade, qu'il met en terre le 8 février 1773 suivant les recommandations de Pierre Poivre. Finalement, une seule noix germe. Malouet en rend compte au ministre le 3 mai 1777 :

« Le muscadier donne des espérances de réussite aussi heureuse que les transplantations des autres arbres d 'épiceries. f...] La tige qui le 2 juin 1774, n'avoit que sept pouces de haut, a aujourd'hui six pieds et demi, et deux pouces et demi de circonférence. Le 24 avril dernier l'arbre a porté fleurs747. »

742 François REGOURD, Sciences et colonisation sous l'Ancien Régime, op. cit., p. 250.

743 ANOM C14/43 F° 84

744 ANOM C14/50 F° 62

745 ANOM C14/50 F° 96

746 ANOM C14/44 F° 243

747 ANOM C14/44 F° 133

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De passage aux anses d'Iracoubo, il observe la pêche à la tortue, sur laquelle on fonde de grands espoirs. En réalité, ce projet, imaginé à la hâte, ne peut pas être édifié en un objet de commerce profitable. En revanche, cette vérification lui permet de constater que la pêche au lamantin, dans la baie de Cachipour, semble nettement plus prometteuse si on y met les moyens. Pour le moment, il n'y a qu'un seul bateau appartenant à un dénommé Limbourg, un « homme industrieux et actif », qui écoule difficilement sa production. Cette visite lui permet de suggérer au ministre un moyen de développer plutôt cette industrie : d'abord, il faut fournir à Limbourg un meilleur bateau pour qu'il puisse commercer avec la Martinique. Puis, il faut augmenter le parc de bateaux si l'on veut approvisionner toutes les Antilles en poisson sec748.

« Ne rien exclure a priori, soumettre à l'expertise les faits les plus improbables comme les plus ordinaires, rendre curieux ce qui est banal, exotique ce qui est familier749 » : l'ordonnateur revêt donc une fonction d'enquêteur qui doit être attentif à l'ensemble de l'espace naturel qui l'entoure, sans pour autant se laisser entraîner par ses goûts ou sa curiosité. On le voit aisément dans les comptes-rendus que fourni Malouet. Des finances à la réfection de la prison, du séminaire du Saint-Esprit inactif aux lourdeurs de la justice, de la création d'une boucherie au recouvrement des dettes, des difficultés rencontrées par les habitants à la qualité des bois de construction : chaque sujet qui nécessite son attention fait l'objet d'un chapitre particulier. De fait, transmettre le fruit de son travail par la voie administrative, généralement sous forme d'un mémoire ou d'un compte-rendu, impose une forme codifiée, répondant à des exigences normatives. Il s'agit en effet de rendre ces informations suffisamment lisibles et explicites pour les centres du pouvoir et du savoir métropolitains. « Ce qui domine est le souci de codifier, de calibrer, de rendre uniformes et universelles des pratiques locales », précise Noëlle Bourguet, afin que les données issues des colonies soient comparables entre-elles, analysables et exploitables750.

Grâce à une correspondance normalisée et codifiée, l'ordonnateur peut rendre compte précisément de l'état de son travail et ainsi informer la métropole. Il utilise également ces modalités sur le terrain diplomatique pour rapporter ce qu'il observe au Surinam.

748 ANOM C14/43 F° 42

749 Marie-Noëlle BOURGUET, « La collecte du monde: voyage et histoire naturelle », op. cit., p. 173.

750 Ibid., p. 173-174 ; François REGOURD, Sciences et colonisation sous l'Ancien Régime, op. cit., p. 250.

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Au coeur de la prospérité du Surinam

Le voyage qu'il entreprend au Surinam est également un moyen pour Malouet d'accéder à toutes les informations relatives à la colonie hollandaise, qu'il adresse au ministre, et que l'on retrouve dans le troisième volume de sa Collection de mémoires. Sa correspondance développe abondamment ses observations du modèle colonial hollandais. Parmi les points essentiels, il juge l'administration coloniale plus efficace que celle de la France. « Les principes y sont républicains et les formes monarchiques, écrit-il à François Legras en 1778. Ce qui forme la combinaison de gouvernement la plus efficace751. » Le pouvoir est aux mains du gouverneur, qui nomme un magistrat supérieur en charge de l'autorité publique. Celui-ci supervise un Conseil de police et d'administration composé de douze conseillers élus par la colonie. Le gouverneur rend compte de ses décision devant le Conseil, qui peut émettre des réclamations, ainsi que chaque particulier752.

D'une façon générale, Malouet se montre admiratif par le fait que les magistrats respectent les lois sans rechigner, sans s'indigner. Ils utilisent les recours légaux en cas de litiges. Il prend l'exemple de M. Menerzaguer, gendre du gouverneur Neupveu, condamné à tort à une amende de 200 pistoles. Celui-ci paie, ne fait pas jouer son lien de parenté avec le gouverneur, et attend le prochain Conseil pour se pourvoir. « Cet ordre-là est admirable, écrit-il. Parmi nous, un gouverneur, dans ce cas-là, se seroit mis en colère, et son gendre aussi ; on auroit envoyé chercher le commissaire, on l'auroit humilié, et on auroit appris aux assistans que les gens en place et leurs parens ne sont pas faits pour payer l'amende. Voilà nos moeurs753 ! »

Malouet note que les impôts sont payés sans problème, à échéance. Les denrées de la colonies sont acheminées vers Paramaribo avant leur exportation. Là, on vérifie si le propriétaire des denrées est en règle avec ses impôts. S'ils ont été payés, la cargaison est acceptée. Dans le cas contraire, le montant est déduit du prix de la cargaison. Malouet, en esprit pratique, tire parti de cette observation :

« Comme il faut toujours rendre ses lumières acquises profitables à son pays, j'ai fait adopter à Cayenne cet usage que le Conseil supérieur vient de consacrer par un règlement754. »

751 Gabriel DEBIEN et Johanna FELHOEN KRAAL, « Esclaves et plantations de Surinam vus par Malouet », op. cit., p. 60.

752 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires tome 3, op. cit., p. 71-72.

753 Ibid.

754 Ibid., p. 79.

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Du point de vue des finances, la situation n'est cependant pas reluisante. Il rapporte :

« Sur quatre cents habitations, vingt habitans seulement ne doivent rien et sont d'une richesse énorme, cent doivent du tiers au quart ,
· cent cinquante, la moitié, et le reste est engagé pour les trois quarts, la totalité et au-delà de ce qu'ils possèdent755. »

Sur un revenu total d'environ 22 millions, la colonie est endettée à hauteur de 80 millions envers les créanciers européens. Cette configuration alarmante confinerait au découragement si les cultures n'étaient pas si florissantes. Il écrit à son ami François Legras :

« Les Hollandais m'ont f...] présenté le plus magnifique spectacle que puisse produire le courage et l'industrie. Une armée de 100 000 hommes en bataille et la colonie de Surinam sont les deux choses que je me félicite le plus d'avoir vues ? Je me suis promené dans des jardins plus beaux que ceux des Tuileries, qui étaient il y a dix ans couverts de dix pieds d'eau756. »

Cet extrait renvoie à la description qu'il fait de l'habitation de M. de Limes. Celle-ci, en effet, comporte un quai propre et commode, un chemin empierré « au moyen duquel [il arrivoit] sans [s']embourber à la maison du maître. » Le jardin est garni d'arbres fruitiers, de légumes et d'une basse-cour abondante. « En comparant tout ceci à la mesquinerie, à la malpropreté, et à la misère de Cayenne, écrit Malouet, j'étois tenté de me faire adopter Hollandais, et de renoncer à la France Équinoxiale757. » Il attribue cette prospérité à la mise en valeur des terres basses. Celles-ci se présentent de façon uniforme sur 400 lieues « entre l'Orénoque et l'Amazone758. » S'il estime que la terre de Saint-Domingue procure de meilleurs rendements du fait de sa qualité et du peu de travail qu'elle requiert, il constate que les Hollandais sont de bien meilleurs techniciens d'une part, bien mieux ordonnés et disciplinés d'autre part. Il salue « l'uniformité d'ordre et de méthode dans la distribution et l'exécution des travaux. » Au lieu de laisser libre cours à leur « caprice », comme c'est le cas en Guyane, tous les habitants sont soumis à l'exécution du même plan, épaulés par des

755 Ibid., p. 87.

756 Gabriel DEBIEN et Johanna FELHOEN KRAAL, « Esclaves et plantations de Surinam vus par Malouet », op. cit., p. 59.

757 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 3, op. cit., p. 98.

758 Ibid., p. 87.

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ingénieurs compétents759.

Ainsi, Malouet considère que l'endettement de la colonie n'est que passager et que ce problème se résoudra de lui-même. Selon son analyse, il serait le résultat de la baisse du cours du café et du « faste dans les bâtiments et les jardins » qui auraient ruiné la majeure partie des habitants, à l'image de l'habitation de M. de Limes dont ses « Tuileries [...] et sa superbe manufacture, après un moment d'enthousiasme, [lui] ont paru extravagants. » Ce sont des dépenses importantes et inutile à ce niveau760. Malouet prédit que le marché va s'autoréguler. Cet argument libéral lui fait expliquer à Legras que les habitants les plus endettés sont contraints au fur et à mesure de céder leurs biens à leurs créanciers. « Lorsque la révolution sera consommée, écrit-il, lorsque les gens ruinés auront disparu, on ne s'apercevra d'aucun changement dans les produits761. » De fait, il trouve là matière à appuyer le volet financier de son projet de dessiccation des terres basses en Guyane. Les colons hollandais sont soutenus d'un côté par la métropole qui leur accorde une avance de 4 à 10 esclaves en fonction de la superficie cultivée. D'un autre côté ils bénéficient de la caution apportée par l'engagement monarchique qui crée un climat de confiance à destination des financiers amstellodamois, qui « investissent à 200 000 florins à 6% par terres762. »

Ainsi, les observations menées au Surinam, si elles permettent une approche des raisons de la prospérité de cette colonie, sont également l'occasion d'établir une comparaison avec la Guyane et d'y puiser l'inspiration pour des solutions en Guyane. Dès lors, Malouet entend fournir concrètement des exemples aux habitants guyanais.

De la leçon à l'exemple

Homme des Lumières, Malouet confère à son travail une dimension informative et pédagogique à destination de la colonie. D'une façon générale, il s'étonne du manque de savoir des habitants et de leur obstination à persister dans une voie qui, semble-t-il, n'est pas la bonne. Le champ lexical qu'il utilise est éloquent et ses écrits, aussi bien que sa correspondance, font état, presque à l'envi de « l'ignorance » qui règne dans la colonie, du peu de « lumière » dont disposent les habitants, de leur « conservatisme » et des trop rares planteurs « habiles et éclairés ». En 1780,

759 Gabriel DEBIEN et Johanna FELHOEN KRAAL, « Esclaves et plantations de Surinam vus par Malouet », op. cit., p. 59-60.

760 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 3, op. cit., p. 98.

761 Gabriel DEBIEN et Johanna FELHOEN KRAAL, « Esclaves et plantations de Surinam vus par Malouet », op. cit., p. 60.

762 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 3, op. cit., p. 94.

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dans le compte rendu au roi rédigé par Malouet et Sartine, ce constat est repris :

« Il y a une alliance notoire entre la pauvreté et l'ignorance dont résulte un amour-propre opiniâtre, [l'habitant] se complaît dans sa manière d'être, pourvu que les premiers besoins soient satisfaits763. »

Selon Julien Touchet, les déficiences supposées de la société coloniale appellent la tutelle d'une administration intelligente764. Des ouvrages comme La Maison Rustique de Préfontaine sont rédigés dans ce but didactique. Il s'agit d'éclairer l'habitant, et Malouet se voit comme un agent important de cet encadrement. Il est convaincu du bien fondé de ses idées ; leur application, selon lui, relève de l'évidence. Ainsi, sa tournée en Guyane est l'occasion d'informer les habitants qu'il rencontre. Mais la tâche est ardue et Malouet avoue au ministre les difficultés qu'il rencontre avec les habitants les plus éloignés de Cayenne, criblés de dettes, souvent très pauvres, insolvables, éloignés de tout : des voies de communication, du courrier, de l'imprimerie, etc. Certains ne sont pas au courant des projets de la métropole, et ne savent même pas qui il est. « Comment plaire à de pareilles gens, et leur être véritablement utile? » Ainsi, Malouet donne une dimension pédagogique à ces rencontres. Il tente d'expliquer pourquoi il est important de payer ses dettes et de n'emprunter de l'argent que quand on est en état de le rembourser. Il explique également les faiblesses des pratiques culturales, tente de combattre la force de l'habitude, surtout des mauvaises habitudes. Il dévoile la nature exacte des projets de la métropole et explique aux habitants quel est le but d'une colonie765.

La dimension didactique de son projet occupe une place centrale dans sa réflexion. Il cherche à établir, par l'expérience du terrain, l'appréhension concrète des choses observées sur place, un cadre à l'administration et un modèle pour les habitants, « sans quoi [il auroit] eu l'air d'un missionnaire apostolique et point d'un administrateur766. » Avec le projet de mise en valeur des terres basses, Malouet veut doter la Guyane d'une vitrine des lumières métropolitaines à l'usage des habitants. Comme le lui fait remarquer Boutin : « nous n'avons ni modèles, ni artistes, ni capitaux767. » Qu'à cela ne tienne, l'ordonnateur ne se dépare pas d'un certain optimisme ; son administration et le travail de l'ingénieur Guisan, nouvellement recruté, vont changer les choses et

763 ANOM C14/52 F° 98

764 Julien TOUCHET, Botanique et colonisation en Guyane française (1720-1848), op. cit., p. 117.

765 ANOM C14/50 F° 67

766 ANOM C14/50 F° 68

767 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet tome 1, op. cit., p. 121.

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placer la Guyane sur la voie du développement :

« Des procès verbaux authentiques, des opérations géométriques, sont substituées à des fables absurdes,
· un système de culture fondé en raison et en fait va s'établir dans la Guyane, le Gouvernement ne peut plus errer, les entrepreneurs savent ce qu'ils ont à faire pour réussir,
· il ne leur manque plus que des modèles de dessèchemens, de bâtimens, d'écluses, de machines, et ils vont être exécutés768. ,»

Par ailleurs, Malouet fait porter ses efforts en faveur de l'éducation en Guyane et engage des mesures dans ce sens. Son projet s'avère pragmatique, destiné à former la jeunesse aux disciplines utiles dans les colonies. Dans son compte rendu pour 1777, il fait part de sa reprise en main du collège, qui consiste en « un maître d'école sur une habitation qui ne produit rien. » Pour lui, créer un établissement scolaire digne de ce nom « est de la plus haute importance pour la colonie. » Il engage un professeur de mathématique qu'il fait venir de France, auquel il adjoint les services du « plus sensé des missionnaires » et d'un « maître d'écriture. » Il transforme la maison du collège en pensionnat, qui accueille 22 élèves, dont 12 pensionnaires. C'est un enseignement aux visées utilitaristes qui est prodigué ici, en phase avec les besoins d'une société de cultivateurs. On y enseigne donc la géométrie, la mécanique et l'hydraulique. « Nul besoin de latin769. »

En concertation avec M. Maire, le directeur du collège, Malouet projette d'embaucher en plus deux professeurs laïcs de mathématiques, deux régents pour enseigner la grammaire, l'histoire et la religion. Son projet pédagogique est de former une sorte d'école d'ingénierie coloniale, où l'on enseigne « la conduite des esclaves, le travail de la terre, en se fondant sur des faits avérés. » Il projette également d'écrire « une espèce de catéchisme moral et physique », qui servirait de socle à l'élaboration du premier code de l'éducation dans les colonies770. Le 28 août 1778, M. Maire fait état de besoins en livres et de la nécessité d'allouer une pension pour les enfants qui ne pourront payer les frais de scolarité, en particulier les mulâtres771.

Même fort modeste, cet établissement, permettrait donc, si l'on suit Julien Touchet, d'affirmer que la Guyane serait arrivée dans la phase 2 du modèle de Basalla, qui décrit le moment où émerge une science coloniale et des infrastructures entraînant les colonies sur les chemins de l'autonomie scientifique772. Il nous semble cependant que cette affirmation peut être nuancée. En

768 Ibid., p. 187.

769 ANOM C14/50 F° 92

770 ANOM C14/50 F° 93

771 ANOM C14/50 F° 219

772 Julien TOUCHET, Botanique et colonisation en Guyane (1720-1848), op. cit., p. 285.

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effet, l'approche strictement diffusionniste proposée par Georges Basalla peut, à première vue, se montrer séduisante pour expliquer le développement de territoires par le lien étroit entretenu avec la science européenne, qui surgit dans un contexte colonial. Cependant, cette grille de lecture s'avère être quelque peu rapide, car certaines régions, effectivement, ne parviennent pas à s'extraire du sous-développement, de la dépendance vis-à-vis de la métropole, et de l'exploitation qui en résulte, comme le montre la Guyane. Ce cadre revient à ériger les savoirs et les pratiques métropolitaines comme des modèles, ce qui laisse de côté les cadres locaux et préexistants à l'arrivée des Européens773. De fait, considérer que la création d'institutions dédiées aux savoirs constitue une preuve de l'autonomisation scientifique de la Guyane, donc l'entrée dans la phase 2 du schéma de Basalla, nous semble être une erreur de perspective. Les savoirs institutionnalisés restent largement des produits métropolitains, destinés à exploiter au mieux les ressources guyanaises dans le cadre des objectifs ministériels.

Relais du pouvoir monarchique et vecteur d'une tradition administrative et scientifique métropolitaine, l'ordonnateur est un des rouages actifs de la Machine coloniale, qu'il alimente par le biais de la correspondance ministérielle. Il est également le point d'entrée du projet colonial dans les possessions outre-mer. Toutefois, il convient de prendre du champ par rapport à cette analyse du rôle de l'ordonnateur, qui suggère une colonie engoncée dans un rôle périphérique et passif face aux apports du centre européen. Ainsi notre approche se montre attentive à l'appui essentiel des intermédiaires locaux, avec lesquels Malouet est en relation.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote