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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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1.2.2 Le projet de Malouet

Malouet de dresser un premier bilan de la situation de la colonie. Il reprend dans un premier temps les grandes lignes des conclusions qu'il avait présentées devant Maurepas à Versailles, pour ensuite proposer les objectifs ministériels et les moyens envisagés pour leur réalisation.

Le constat de Malouet

Il réaffirme donc que la Guyane est impropre aux grandes cultures. En revanche, il souligne qu'elle se prête naturellement à l'exploitation forestière, et à l'élevage, grâce à ses immenses savanes naturelles. Enfin, il souhaite développer la mise en culture des terres basses suivant l'exemple du Surinam.

« Nous rapportons à trois causes principales l'état d'inertie et de langueur où se trouve la Guiane , sa position relativement aux autres colonies, le vice du sol et du climat, celui de la distribution locale des établissements qui y ont été faits842. »

En définissant ces trois causes principales, Malouet expose tout d'abord le fait que la Guyane doit en partie son sous-développement à son éloignement des grands circuits commerciaux. Contrairement aux Antilles qui se sont développées grâce aux flibustiers puis aux Espagnols, qui favorisèrent les échanges de marchandises et d'argent avec la métropole, la Guyane est restée isolée. Les premiers colons ont dû travailler une terre ingrate, sans pouvoir espérer le moindre secours extérieur843. Mais Malouet ne fait pas ici seulement référence à la situation géographique de la Guyane. Cette expression de « position relative » fait aussi allusion à sa position économique par rapport aux autres colonies. Sa réflexion est ici teintée par les théories économiques libérales, qui exercent une forte influence dans le landerneau colonial, en relation avec l'épanouissement de la pensée physiocratique. Plutôt que de s'obstiner à développer les grandes cultures sucrières, alors que la colonie n'en a pas les moyens et qu'elle n'est pas compétitive, l'ordonnateur propose une forme progressive d'exploitation. Dans un premier temps, il préconise de se concentrer sur les secteurs pour lesquels la Guyane présente un avantage par rapport aux autres colonies (en l'occurrence le

842 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 1, op. cit.

843 ANOM C14/44 F° 61

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bois, le bétail et les vivres). Dans son idée, il s'agit d'abord d'enrichir la colonie et ses habitants avec ce qu'elle est apte à produire naturellement, construire une base solide, pour qu'à l'avenir les planteurs soient en mesure d'investir dans la grande culture sucrière844.

Ensuite, nous l'avons vu, s'ajoutent les contraintes naturelles, notamment les pluies abondantes, qui « dégradent [les] terres hautes, et qui entraînent incessamment les sels dans les bas fonds845. » La nature des sols est aussi en cause. Les terres hautes en Guyane sont généralement peu fertiles, hormis dans quelques quartiers privilégiés. La cause première est d'ordre géologique. « Ce continent a été bouleversé par quelque grand accident de la nature, explique Malouet, [à l'origine d'un] mélange désordonné du sable, du tuf, de la terre végétale, des pierres vitrifiées846. » Le baron de Bessner dresse le même genre de constat, dans une lettre de 1774 où il fait état de cette « découverte inattendue» :

« La première fois que j'eus occasion d'assister à une fouille de terre un peu profonde dans le continent de la Guyane, je fus fort surpris de trouver les différentes espèces de terre mêlées au hasard sans aucun ordre, au lieu d'être rangées par couches comme je les avois observées partout ailleurs. [...] J'ai eu occasion de remarquer depuis, dans mes différens voyages, [que cette singularité] se rencontrait dans toutes les terres de la Guyane française847. »

Enfin, Malouet montre que la distribution des établissements est préjudiciable aux habitants et à l'économie. L'habitat dispersé des colons entraîne une mauvaise répartition des moyens productifs et complique l'acheminement des denrées. « Six cents habitans dispersés sur cent lieues de côte. L'éloignement du chef-lieu multiplie les frais et les difficultés dans l'échange de vos denrées et de vos besoins. » C'est aussi un obstacle supplémentaire pour les quartiers les plus éloignés de Cayenne, qui reçoivent, de fait, peu de secours des « artistes et des ouvriers ». L'action de l'administration s'en trouve entravée. Elle ne peut que difficilement rendre la justice et prodiguer ses conseils, si bien que « la langueur, la pauvreté se perpétuent malgré ses soins vigilants848. » En fait, cet éparpillement de l'habitat contribue à fragiliser la population. Isolés les uns des autres, les habitants se retrouvent bien souvent livrés à eux-mêmes dans un environnement difficile, coupés du reste du monde et de l'aide extérieure. Dès lors, comme le montre C.F. Cardoso, l'isolement et la difficulté du milieu livrent les colons à l'alcoolisme et aux épidémies, comme le paludisme, la

844 Alain CLÉMENT, « Du bon et du mauvais usage des colonies », op. cit.

845 ANOM C14/44 F°61

846 Ibid.

847 ANOM C14/42 F°186

848 ANOM C14/44 F°61

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dysenterie, les maladies vénériennes, ou de nombreuses maladies de peau, qui trouvent un terrain favorable sur ces organismes déjà éprouvés par une longue traversée maritime, propice au scorbut849. « Ni l'alimentation de l'époque, écrit Jean Meyer, ni le genre de vie des colons, encore moins les connaissances médicales n'étaient adaptées, ni même adaptables850. »

Buts et moyens du plan proposé

Malgré ce bilan en demi-teinte, Malouet ne se dépare pas d'un certain optimisme. Tout n'est pas perdu :

« Ainsi, la Guiane, dans son état actuel, malgré les vices de sa position et de son sol, malgré les malheurs que nous avons à déplorer, est encore susceptible des entreprises les plus fructueuses851. »

L'ordonnateur en appelle donc au bon sens : tous les acteurs y gagneront en travaillant main dans la main, il en va de l'intérêt de tous. Les entreprises les plus fructueuses, subordonnées à un plan général, soutenu par un gouvernement protecteur, ne peuvent que réussir. Le premier moyen de ce plan est de « rendre cette colonie utile aux autres par l'exportation des bois, des vivres, des animaux852. » De ce point de vue, le plan de Malouet s'inscrit dans la continuité des projets qui naissent à Versailles pour la Guyane depuis l'expédition de Kourou en 1763.

En revanche, Malouet, véritablement, diffère de ses prédécesseurs dans la formulation de ses buts. Sa démarche est résolument tournée vers l'intérêt général, en faisant d'abord porter les efforts là où les avantages comparatifs de la Guyane lui semblent les plus favorables. Il expose ses intentions ainsi :

« Faire naître de ces premiers produits l'augmentation des forces et l'établissement des grandes manufactures dans les terres basses, y provoquer des placements de fonds de la part des capitalistes d'Europe par une grande fidélité des engagemens853. »

849 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française (1715-1817), op. cit.,s, 1999, p. 336.

850 Jean MEYER, Jean TARRADE et Annie REY-GOLDZEIGUER, Histoire de la France coloniale, op. cit. p 180.

851 ANOM C14/44 F°62

852 Ibid.

853 ANOM C14/44 F°62

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Les colonies sont envisagées au travers de leur utilité pour la métropole et comme de simples pourvoyeuses de produits non disponibles sur le territoire national. Ce modèle de mise en valeur connaît une vague de contestation de plus en plus prégnante de la par de certains économistes, nous l'avons vu. On dénonce un mode d'exploitation qui repose sur un principe d'accaparement des ressources, plus que sur un principe de création de richesses renouvelables. Il faut assurer la prospérité des colonies comme des provinces, si lointaines soient-elles, car elles doivent également contribuer à l'enrichissement du pays. « Le paradoxe du fait colonial, explique Alain Clément, est qu'au final, les colonies sont une chance pour la France à partir du moment où elles ne sont plus de simples colonies, mais de véritables partenaires économiques. » Il est donc préférable d'entretenir des relations commerciales avec une colonie enrichie plutôt qu'une colonie dominée, appauvrie sous le joug de la métropole qui, par ricochet, appauvrit la métropole854.

Ainsi, en prônant un enrichissement progressif de la colonie, Malouet s'inscrit en rupture par rapport aux plans précédents qui fondent la réussite sur l'exploitation des ressources par le biais de compagnies commerciales. L'influence libérale alimente sa réflexion économique. Au lieu de développer les formes de cultures extensives traditionnelles, il souhaite orienter la mise en valeur vers une exploitation raisonnée et intensive des sols. Il s'agit d'attirer des capitaux étrangers, tout en conservant un interventionnisme bienveillant de l'État. La défense des intérêts français justifie une telle entorse aux principes de l'exclusif colonial, et façonne l'un des fondements de la pensée coloniale de Malouet.

L'interventionnisme se manifeste au travers de mesures incitatives et restrictives, venant à l'appui du plan proposé. Il est prouvé que les méthodes traditionnelles de culture sont inefficaces, il faut donc en changer, notamment en investissant les terres basses. Les habitants peuvent néanmoins continuer de travailler les terres hautes selon la méthode traditionnelle ; le cas échéant ils se retrouveront circonscrits sur un terrain mesuré à l'aune de leurs moyens productifs. Les autres, qui acceptent de se lancer dans la culture des terres basses, recevront « par préférence tous les secours et encouragemens que le gouvernement pourra leur procurer855. »

Face aux difficultés rencontrées par la Guyane, qui entravent son développement, Malouet jette les bases de principes généraux vers lesquels doit tendre la colonie. Se démarquant du traditionnel modèle de mise en valeur, il puise ses arguments à la source des théories économiques libérales pour proposer une exploitation qui se veut raisonnée. Ces principes doivent servir de

854 Alain CLÉMENT, « Du bon et du mauvais usage des colonies », op. cit., p. 121-124.

855 ANOM C14/44 F°63

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charpente à des propositions concrètes.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille