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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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1.2.3 Une collaboration entre la métropole et la colonie

Malouet insiste sur l'importance de cette assemblée. Dans son discours, l'administration a une vue d'ensemble des problèmes et peut fournir les moyens de les résoudre. Mais rien ne vaut l'expérience du terrain des habitants qui travaillent une terre quotidiennement depuis des années. Aussi il veut responsabiliser son auditoire en faisant le pari qu'il verra où se situe son intérêt, c'est-à-dire, dans son esprit, que les habitants collaboreront avec l'administration et adhéreront à son plan. « C'est à vous maintenant, dit-il, à éclairer l'administration sur votre situation, sur vos besoins, sur vos ressources856. » Des trois causes principales du retard de la colonie, Malouet dresse une liste de treize propositions, comprenant certains objectifs ministériels, qu'il soumet à la délibération des députés de l'assemblée. Ces propositions portent sur une restructuration générale de la colonie, de son économie et de ses moyens agricoles.

Les treize propositions de Malouet

Afin de lutter contre les problèmes engendrés par la dispersion des habitations, Malouet propose un rapprochement de « tous les établissements du chef-lieu, ou des principaux postes », ainsi qu'un regroupement des cultures entreprises sur les terres basses, autour des lieux habités. Au-delà de ces regroupements, il propose une relocalisation rationnelle des moyens de production et des cultures. Son idée est de procéder à une distribution mieux ordonnée de celles-ci, en fonction de la qualité des sols, et de dédier un quartier spécifique à l'élevage. Ainsi il demande aux députés de réfléchir à une répartition des habitants par classe dans chaque quartier, en spécifiant le type de culture et le nombre d'habitants s'y livrant857.

S'inscrivant dans la continuité des projets successifs imaginés depuis 1763, et en reprenant pour partie les souhaits ministériels, Malouet envisage d'attribuer un quartier au développement « d'une population de blancs pasteurs et ouvriers », voire, dans la mesure du possible, de plusieurs

856 Ibid.

857 ANOM C14/44 F°64

202

groupes amérindiens « civilisés » et transformés en cultivateurs. Au fur et à mesure du temps, ces populations doivent former une sorte de rideau défensif contre les esclaves marrons du Surinam858. Quand bien même la colonie dispose d'une garnison, Malouet observe qu'une intervention armée risque de mettre la Guyane en délicatesse avec ses voisins hollandais. Un des moyens envisagé, donc, pour contourner cet obstacle, repose sur l'idée que nous avons par ailleurs déjà développée, qu'un cultivateur libre défendra mieux sa terre que ne le ferait un esclave.

D'un point de vue financier, l'urgence est d'assainir les comptes afin de restaurer la crédibilité de la Guyane auprès des « capitalistes d'Europe ». Pour ce faire, Malouet propose que l'administration engage un processus de contrôle strict. La colonie doit respecter ses engagements et les habitants doivent honorer leurs dettes859. Sur le plan économique, l'ordonnateur estime qu'il est primordial de rationaliser les productions. La surproduction de rocou menace de ruiner les planteurs. Il convient aussi de déterminer quelle est la forme la plus économique pour exploiter le bois, les vivres et le bétail860. Malouet propose alors de créer, pour chaque secteur, une association d'habitants, qui détermineront en commun comment améliorer leur exploitation. Partant, les députés doivent évaluer le projet de création d'une chambre économique861.

Enfin, il convient d'envisager un développement des cultures en terre basse. Rappelons qu'à ce stade, la réflexion de Malouet est encore en cours d'élaboration puisqu'il ne s'est pas encore rendu au Surinam pour observer ce procédé. Dans cette optique, les députés doivent évaluer le type de production susceptible d'offrir le meilleur rendement. De là, est-ce qu'un dessèchement s'avère nécessaire, et avec quels moyens supplémentaires862 ?

La réponse de l'Assemblée

L'avis de l'Assemblée est rendu en deux temps. D'abord, le procureur général Claude Macaye livre un sentiment général sur les propositions de Malouet. S'il se montre généralement favorable aux propositions de l'ordonnateur, il apporte néanmoins des éléments de contradiction et de temporisation importants à prendre en compte, d'autant qu'au moment où siècle l'Assemblée pour la première fois, Malouet n'a pas encore entrepris son tour en Guyane. Ensuite, l'Assemblée siège à

858 ANOM C14/44 F°63

859 ANOM C14/44 F°64

860 Ibid.

861 ANOM C14/44 F°64

862 ANOM C14/44 F°63

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plusieurs reprises pour discuter en plus en profondeur les différentes propositions, et rend un arrêt définitif lors de la séance du 19 mai 1777863.

Tout d'abord, pour Macaye, il paraît évident qu'un regroupement des habitations et une contiguïté des cultures en terre basse constituent un avantage pour tout le monde. Néanmoins, le procureur soulève qu'à l'examen des cartes, l'éloignement des habitations n'est pas flagrant et qu'il faudra donc examiner attentivement ce sujet. Il en va de même pour les terres basses. La continuité des exploitations en terre basse lui paraît difficile. Macaye fait remarquer que celles qui sont contiguës, entre Mahuri et Kaw, sont bien moins nombreuses qu'au Surinam, et appartiennent à quelques propriétaires. « Il semble que cette contiguïté des habitations ne sauroit avoir lieu dans ces circonstances. », d'autant que leur mise en valeur n'est pas d'un accès facile pour tous les planteurs et nécessite, le cas échéant, l'octroi d'aides pour les plus modestes864. Finalement l'Assemblée tranche et reconnaît que si la dispersion des habitations est effectivement un problème, c'est « un vice difficile à réparer ». Ce rapprochement proposé ne peut avoir lieu que dans l'exploitation des terres basses865.

Concernant la relocalisation des moyens de production, Macaye insiste sur la nécessité d'une inspection préalable des terres, surtout dans les quartiers inhabités. Toutefois, contrairement à ce que propose Malouet, l'Assemblée juge qu'adapter les cultures en fonction du type de sol est quelque peu irréaliste. Il paraît difficile de faire changer d'avis un habitant qui n'a pas les moyens ni les connaissances nécessaires pour faire pousser autre chose que ce qu'il réussit. Il est donc préférable de « dire que chaque espèce de terre ne sauroit être propre à toute espèce de culture. » Ainsi, l'Assemblée propose la nomenclature suivante : les terres profondes conviennent au cacao et au café ; les terres sablonneuses de Kourou et Sinnamary conviennent au coton et indigo ; les terres de l'Oyapoc et de la Comté sont adaptées au rocou ; enfin les plaines autour de la Gabrielle sont parfaites pour la culture de la canne à sucre866.

Le procureur émet ensuite un avis réservé sur le développement de l'élevage dans un quartier dédié, faute d'informations précises, car « cette proposition demande une grande connoissance de l'intérieur des terres, dit-il, des bois qui y croissent [...] des savannes naturelles qui peuvent s'y trouver [...] des moyens et du temps nécessaires pour les former867. » L'arrêt définitif reste également prudent. Si l'Assemblée n'est pas contre le principe de développer des ménageries sur le modèle de celles de Kourou et de Sinnamary, en revanche l'introduction des bestiaux, la

863 ANOM C14/44 F°137

864 ANOM C14/44 F° 74

865 ANOM C14/44 F° 154

866 Ibid.

867 ANOM C14/44 F° 75

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construction de haras et la fourniture d'esclaves doit rester à la charge de sa majesté.

Par ailleurs, Macaye se montre favorable à l'idée de procéder à une division des habitants par classe, à condition qu'elle ne génère pas de différence. L'Assemblée prend le contre-pied et estime cette mesure inutile les habitants ont des intérêts divergents et sont de toute façon peu enclins aux associations solidaires868.

Quant au projet d'établir un cordon défensif par l'établissement de « blancs pasteurs » et mettre à contribution les tribus amérindiennes, Macaye ne se montre pas convaincu. D'une part, l'établissement dans des quartiers dédiés réclame une étude plus approfondie des lieux, afin de déterminer si leur exploitation est viable. D'autre part, il remet en cause l'idée d'intégrer les Amérindiens à ce processus. Il invoque les difficultés rencontrées lors des tentatives précédentes. « Ceux qui connoissent le génie des peuples indiens, dit-il, leur manière de vivre, leurs haines respectives, leurs guerres de nation à nation, leur amour de la liberté [...] trouveront ce projet bien difficile869. » L'arrêt définitif de l'Assemblé confirme ces réserves. Installer une colonie blanche apparaît impossible en zone tropicale. Toutefois, la multiplication « des petits ouvriers et des petits habitans » est jugée plus appropriée car « le travail de leur main les rend utiles et durs à l'effort » et ils peuvent être affectés à la défense de la colonie. En revanche, si fixer des populations amérindiennes s'avère extrêmement compliqué, il ne faut pas pour autant abandonner ce projet pour des raisons politiques. Il faut donc favoriser les contacts avec les Blancs par l'envoi de missionnaires et traiter les Amérindiens en hommes libres870.

Le volet économique des réformes envisagées par Malouet est abordé avec la même circonspection. Macaye fait remarquer qu'avant d'orienter la Guyane vers l'exploitation forestière et l'élevage, il faut connaître précisément quels revenus la colonie peut en tirer. Il s'agit de comparer leur rentabilité avec celle de l'agriculture pour déterminer si finalement ces secteurs sont « plus utiles et plus [lucratifs] pour la colonie. » L'Assemblée rend un avis prudent. Les habitants estiment que pour le moment, l'exploitation du bois n'est pas une priorité, par manque de moyens matériels et humains. Il en va de même pour l'exportation de vivres et de bétail. Seule la certitude de débouchés sera susceptible de redonner confiance et de pousser les habitants à s'investir dans ces activités871.

En revanche, Macaye rejoint complètement l'avis de Malouet par rapport à la culture du rocou. Il reconnaît que cet aspect requiert un examen poussé. À la surproduction de cette plante tinctoriale doit répondre une action administrative, dans le but de restreindre et d'améliorer sa

868 ANOM C14/44 154-155

869 ANOM C14/44 F° 75

870 ANOM C14/44 F° 154

871 ANOM C14/44 F° 152

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production872. C'est, selon lui, l'examen de ces différents éléments qui déterminera la viabilité ou non d'une chambre économique. Enfin, le procureur abonde largement dans le sens de Malouet au sujet de l'assainissement des finances de la colonie. Il ne fait aucun doute que les abus doivent être sévèrement réprimés et que les engagements doivent être tenus si la Guyane veut retrouver une certaine crédibilité et attirer des capitaux873. L'arrêt du mois de mai confirme cet avis de Macaye. Plutôt que d'accorder plutôt que d'accorder des privilèges exclusifs contraires à la liberté et à la propriété, l'Assemblée estime qu'il est préférable de développer le rocou, d'en perfectionner la façon et d'en assurer la qualité par deux syndics nommés par les notables de la colonie. Concernant les finances, les administrateurs doivent veiller à réprimer la fraude pour redonner confiance aux marchands européens. Enfin, les députés trouvent inutile de créer une Chambre d'agriculture, vu l'état de la colonie. L'Assemblée leur semble un outil mieux adapté874.

Finalement, la mise en valeur des terres hautes et des terres basses est un sujet dont l'importance mérite la plus grande considération de la part de l'Assemblée. Macaye admet que les terres hautes sont généralement d'un faible rapport. Néanmoins il signale que certaines sont malgré tout fertiles, comme l'a montré le baron de Bessner. En conséquence, il pense que l'action administrative doit se déployer à l'échelle de la Guyane toute entière, afin d'en recenser les endroits où les terres hautes sont les plus fertiles. De là, il convient d'investir les terres basses en se fondant sur l'expérience acquise par certains habitants qui, depuis 1763, se sont lancés dans cette entreprise. Macaye estime bon de déterminer quel serait le montant des investissements à consentir pour aménager ces terres. En outre, il préconise un calcul de rentabilité précis, afin de savoir si les bénéfices dégagés des terres basses peuvent contribuer au désendettement de la colonie875. Ces remarques portent sur des points relativement importants. L'exploitation des terres basses en Guyane est très peu pratiquée. En effet, à l'arrivée de Malouet, seules 7 habitations, sur les 250 recensées en Guyane, exploitent des terres basses. C'est en 1763 qu'ont lieu les premiers essais de culture. Un colon, nommé La Hayrie, tente la mise en valeur d'un fond dès cette date, mais sans grands résultats, par manque de méthode. En la matière, Macaye jouit d'une solide expérience puisqu'il fait figure de précurseur. À partir de 1764, il entreprend un polder de près de vingt hectares aux Fonds de Rémire pour y planter du café. Il procède méthodiquement et s'adjoint la collaboration de Simon Mentelle et de l'arpenteur Tugny. En 1767, s'inspirant des travaux de Macaye, François Kerkhove met sept mois pour aménager son habitation de la Rivière du Tour de l'Île876. Le

872 ANOM C14/44 F° 74

873 ANOM C14/44 F°75

874 ANOM C14/44 F° 155

875 ANOM C14/44 F°73-74

876 Yannick LE ROUX, « La révolution agricole des terres basses au 18ème siècle en Guyane », op. cit., p. 332.

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procureur fait donc ici figure d'expert.

Sur ce sujet central, l'Assemblée reconnaît que les terres hautes sont de qualité variable et qu'il en est des bonnes comme des mauvaises. Les terres des quartiers de Rémire, la Gabrielle, l'Oyapock, Kaw, Macouria et Kourou présentent une fertilité reconnue. Aussi semble-t-il opportun de continuer à les utiliser car leur préparation est moins exigeante pour la culture des vivres, elles s'épuisent moins vite, d'autant que les travaux et les engrais pour bonifier les terres épuisées ne sont à la portée que d'un très petit nombre d'habitants. Concernant les terres basses, les habitants reconnaissent leur intérêt mais le roi doit au préalable ordonner des travaux de prospection sous la direction d'ingénieurs qualifiés. Les travaux d'aménagement, extrêmement coûteux, doivent être financés par le roi. À charge aux habitants exploitant les terres basses de rembourser les avances faites877.

Enfin, l'Assemblée profite de cette occasion pour soumettre des demandes spécifiques aux administrateurs. Les habitants demandent l'établissement d'un moulin banal, l'interdiction d'enterrer les morts dans les églises et la réduction des jours de fêtes. Mais d'une manière plus générale, les demandes vont dans le sens d'une demande faite au roi pour soutenir le développement économique de la colonie. Les députés souhaitent de ce fait que les encouragements soient étendus également aux habitants les plus modestes, et qu'il y ait une exemption de capitation de cinq ans pour les habitants qui se lancent dans la culture du cacao878.

L'Assemblée général de Guyane est donc le lieu où se rencontrent, par l'intermédiaire de Malouet, les projets administratifs et techniques de la métropole, et les intérêts des colons fondés sur leur appréciation plus concrète des possibilités, au sens large, de la colonie. Il pense que les mesures prises peuvent constituer un tournant décisif dans l'histoire de la Guyane si elles sont appliquées, responsabilité qui incombe aux administrateurs car il ne dénombre qu'une dizaine de personnes présentes à l'Assemblée qui soit capable de « raisonner convenablement sur la culture et d'administration de la colonie879. »

877 ANOM C14/44 F° 151-153

878 ANOM C14/44 F° 163

879 ANOM C14/50 F° 62

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault