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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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3.2.3 La Guyane, un sacrifice consenti par Malouet ?

Malgré un le bilan mitigé de ses réalisations en Guyane, Malouet évoque dans son dernier compte-rendu d'août 1778 une certaine réussite. Il se félicite de pouvoir récolter les premiers fruits de son labeur. Malgré quelques revers, dont la mise en place d'un moulin à planche, il annonce les succès des dessèchements, des pêcheries et des haras1142. Or, nous avons vu ce qu'il en était et son constat, à l'évidence, est quelque peu surévalué. Toutefois, il se montre satisfait de sa mission, qui lui « a plu infiniment » et où il a « trouvé pâture à [son] activité1143. » À son arrivée à Paris en 1779, il décrit un accueil triomphal, un grand intérêt de M. de Maurepas pour son travail et les suites favorables accordées par le ministère à ses propositions1144.

Pourtant, la correspondance avec le ministre ne suggère pas que Malouet ait apprécié sa mission outre mesure. Il laisse davantage envisager que c'est un sacrifice auquel il consent pour servir la France. Il est vrai qu'il semble évoluer dans des conditions matérielles qui sont loin des standards auxquels il est accoutumé à Paris :

« J'ai le bonheur d'avoir sous mes fenêtres une porte de la ville, un corps-de-garde et tout le tapage qui en résulte, le fossé dans lequel on vient de jeter des chiens enragés, et la prison : tout cela est immédiatement sous ma chambre à coucher, et à dix pas de mon cabinet. Ainsi je suis l'homme de la ville le plus infecté de toutes ces exhalaisons, et dont le repos est le plus continuellement troublé1145. »

Ainsi, dès le 16 novembre 1776, il écrit au ministre :

« M., si vous m'aviez oublié à Paris, j'en aurois été fort touché ,
· mais si vous m'oubliiez à Cayenne, vous me mettriez au désespoir1146. »

1142Ibid.

1143Gabriel DEBIEN et Johanna FELHOEN KRAAL, « Esclaves et plantations de Surinam vus par Malouet », op. cit.,

p. 60.

1144Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol. 1, op. cit., p. 165.

1145Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 2, op. cit., p. 94.

1146Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 1, op. cit., p. 200.

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Quelques mois plus tard, il réitère, dans la même veine. Après sa tournée en Guyane, il souhaite être rappelé s'il n'y a plus rien d'utile à faire ou s'il manque de moyens pour mener à bien sa mission « car ce pays-ci n'est supportable qu'autant qu'on peut y travailler avec honneur et sûreté à bien mériter l'État1147. » Ce qui est loin du fonctionnaire sûre de lui, triomphant et réglant tous les problèmes en un claquement de doigts. Au contraire, l'ordonnateur tâtonne, commet des erreurs et ne parvient qu'en apparence à apporter des solutions aux problèmes qu'il identifie. On peut également envisager que c'est à nouveau un tour de passe-passe rhétorique, dans lequel Malouet se décrit plus ou moins en difficulté pour mieux briller en cas de succès, ou justifier son échec le cas échéant.

D'ailleurs, il n'hésite pas parfois à se livrer à un peu d'humilité. Il reconnaît que son attitude lui cause du tort. D'une part, parce que le rôle du fonctionnaire pointilleux dans lequel il s'enferme lui attire nécessairement les foudres des habitants, méfiants à l'égard de la métropole et habitués à mener leurs affaires comme ils l'entendent. D'autre part, son attitude « d'instituteur », de faiseur de « leçons » contre la prétendue « ignorance » des colons lui vaut d'être peu apprécié. Il reconnaît là une erreur d'appréciation de sa part. De fait, il avoue à Sartine que présider l'Assemblée aura été une leçon d'humilité pour lui, qui se croyait capable de la mener selon ses désirs. Les revers qu'il essuie l'engagent rapidement à plus de modestie :

« Le premier mouvement de l'amour-propre est de se croire fort à l'aise. Celui du bon sens et de l'expérience sera désormais pour moi de traiter avec une assemblée quelconque, comme si chaque membre étoit plus fort et plus capable que moi1148. »

Ainsi, Malouet accuse un tel déficit d'image au sein de la colonie que ses soutiens s'y comptent sur les doigts d'une main. « J'aurai donc été ici jusqu'au dernier moment aimé de tous les honnêtes gens, craint des autres1149 », écrit-il au ministre. En première lecture, on pourrait penser qu'il se sent animé d'un désir pédagogique réel et qu'il se débat contre vents et marrées pour diffuser un modèle administratif et scientifique bienveillant à l'égard des colons. Toutefois, l'image de l'ordonnateur porteur des bienfaits civilisationnels de la métropole dans ce bout du monde qu'est la

1147ANOM C14/43 F° 84 1148ANOM C14/50 F° 74 1149ANOM C14/50 F° 96

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Guyane, illustre davantage une manifestation hégémonique de la métropole sur sa colonie, plutôt qu'une réelle volonté éducative et de service de l'intérêt général. En dénigrant les savoirs locaux au profit des savoirs métropolitains, la diffusion d'un projet administratif et technique ici se donne à voir comme une des modalités de l'impérialisme et de la domination exercée sur les colonies1150.

Dès lors, en acceptant une mission présentée comme difficile par le ministre, dans une colonie marginale et marginalisée, il apparaîtrait que Malouet tente de faire d'une pierre deux coups. D'un côté, eu égard à ses différends avec le ministre avant son départ, il est possible d'imaginer qu'il saisisse cette occasion pour s'éloigner des allées ministérielles et faire quelque peu oublier ses incartades qui faillirent lui coûter carrière et réputation en 1775. D'un autre côté, Malouet saisit sans aucun doute cette mission comme une opportunité pour sa carrière, d'où le zèle, l'énergie et l'opiniâtreté qu'il déploie à sa réalisation, même s'il n'hésite pas à présenter les choses à son avantage, en faisant siennes certaines idées prises chez les uns et les autres, faisant l'impasse sur les difficultés et les échecs rencontrés. À son retour à Paris, outre les félicitations royales et une gratification de 30 000 francs, Malouet reste toutefois à son poste de commissaire et n'entrevoit aucune perspective de carrière1151. Il lui faudra attendre l'arrivée de son ami le maréchal de Castrie à la tête de la Marine pour être nommé intendant à Toulon en 17811152.

Malouet, donc, affiche des résultats probants dès son retour à Versailles qui lui valent les félicitations, en dépit d'un bilan mitigé qu'il agrémente en sa faveur. En réalité, une partie de sa correspondance avec le ministre met à jour les obstacles qu'il rencontre et laisse entrevoir un administrateur hésitant, constamment confronté à des difficultés qu'il ne surmonte pas toujours, tâtonnant, commettant des erreurs, dont l'attitude condescendante est mal perçue par les habitants. Ces derniers, loin d'adhérer à ses idées, livrent une vision bien différente en pointant le fait que Malouet, se parant de toutes les vertus de l'intégrité, ait pourtant calomnié et pillé sans vergogne le travail du baron de Bessner. Il paraît difficile de trancher une telle affaire dans laquelle, forcément, chaque partie tire la couverture à soi. Nous observons également un fonctionnaire qui, sous couvert de pédagogie, propage un modèle impérialiste qui ne prend pas en considération les savoirs locaux, et dont il a tout intérêt à soutenir les vues pour sa carrière et ses affaires personnelles à Saint-Domingue. Ce qui nous engage à préférer retenir de Malouet l'image d'un homme, certes compétent, travailleur et sans aucun doute administrateur efficace, mais néanmoins sachant manoeuvrer de façon habile pour s'octroyer des mérites qui ne lui reviennent pas forcément, n'hésitant pas à verser

1150Neil SAFIER, Measuring the new world, op. cit. ; Kapil RAJ, « La construction de l'empire de la géographie. », op. cit., ; David Wade CHAMBERS et Richard GILLESPIE, « Locality in the History of Science », op. cit., p. 225-226. 1151Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol. 1, op. cit., p. 165.

1152Ibid., p. 181.

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dans la calomnie afin de préserver son image, sa carrière et ses intérêts.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery