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La responsabilité sociale de l'artiste contemporain et la création artistique comme outil de développement économique

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par Edouard Vaudour
EDHEC Business School - Msc Creative Business 2015
  

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Annexe 2 : Répartition géographique des centres d'art contemporain

en France en 2015

Source : Association française de développement des centres d'art

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Annexe 3 : Interviews de six acteurs de la culture en France

 

Interview de Jérôme Delormas, Directeur de la Gaîté Lyrique Réalisée le 12 mai 2015 au Foyer de la Gaîté Lyrique

Q : L'artiste doit-il conscientiser dans sa pratique artistique la portée de son message ?

R : Cela dépend vraiment du type d'artiste et de la pratique. L'art et la création inventent des langages et des formes. Je suis foncièrement formaliste. Il peut y avoir un artiste extrêmement spéculatif qui va tellement loin dans la création de formes et de langage qu'il créé une rupture, quelque chose qui forcement prend une place particulière et singulière dans le monde au sens des relations sociales. En l'occurence, il peut y avoir des artistes qui n'inventent pas du tout au niveau formel mais qui ont un message ultra impliqué, engagé voir politique explicitement mais qui sont de très mauvais artistes. D'autres ont un degré d'abstraction extrême et une pratique tellement disruptive, tellement dans l'invention d'un nouveau monde qu'ils sont politiques.

Des artistes intègrent tellement le marché et la notion de notoriété et de validation par les instances que finalement ça devient plus important que la pratique. Ils pré-répondent une attente et du coup ça devient marketing.

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La question de l'engagement explicite n'est pas le bon paramètre. On peut être engagé dans sa tour d'ivoire comme on peut être totalement mauvais dans son engament ne servir à rien pour la société quand on est pseudo-engagé. On a plein d'exemples avec les bouleversements politiques et écologiques : il y a beaucoup d'artistes qui s'engouffrent là-dedans. On voit bien que c'est parce qu'il y a un marché en terme de notoriété et en terme économique.

Q : Dans quelle mesure l'artiste aurait le droit à l'irresponsabilité au nom de la liberté de création ?

R : C'est une vaste et éternelle question qui englobe celle de la censure et de la liberté d'expression. Je défend évidemment la liberté absolue et si l'art doit avoir une fonction c'est celle de la liberté totale, sinon cette fonction n'existe plus dans la société. Liberté totale cela veut dire un imaginaire débridé, une capacité à inventer. Certains régimes politiques ne s'y trompent pas : si ils censurent c'est bien qu'ils y voient du danger. Si il y a danger, il y a intérêt et cela a un impact sur la société. Après, on a la chance de travailler non pas que sur des objets mais sur avec de l'humain, et par rapport à la création contemporaine ce sont des gens vivants que l'on peut rencontrer. Il y a alors l'aspect éthique et moral qui rentre en jeu. Ce sont des citoyens comme les autres. Je ne veux surtout pas sacraliser l'artiste, le mettre sur un pied d'éstale. En tant qu'être social, l'artiste n'a pas tous les droits et cela reste quelqu'un qui a des responsabilités. Une de ses responsabilités peut être de revendiquer sa liberté d'expression. A ce moment, il faut que cela soit complètement assumé.

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Il y a des artistes qui ont l'impression d'exprimer une liberté énorme et qui se font censurer mais avec un peu distance, on se rend compte que c'était absurde. D'abord, ils n'étaient pas si audacieux que ça. Ensuite, la censure est faite à mauvais escient : elle s'applique au mauvais moment et sur des mauvaises choses. Par exemple, la censure de l'oeuvre à Barcelone au MACBA qui a conduit à la démission du directeur. Il y a eu contre lui un tollé contre lui. Cette oeuvre, que j'ai vu en reproduction, ne bouleverse rien et ne remet pas une seconde en cause un ordre social. A la Gaîté Lyrique, on intègre la position du public. On travaille à part égal la question du propos de l'artiste et la question de l'expérience du visiteur. Un cas de conscience peut exister mais il n'y a à priori aucune raison de censurer. On met des avertissements pour que le public soit prévenue.

Q :L'artiste, par sa volonté de changement, s'apparente-il à l'entrepreneur social ?

R : C'est vrai que la figure de l'entrepreneur est assez proche de celle de l'artiste. Je n'en avais pas une conscience aussi aigüe que depuis que j'ai fait un voyage en Californie où finalement là-bas le concept même d'entrepreneur culturel, concept qui nous est chère, et en particulier à la Gaîté Lyrique, est un peu incongru. Cela nous renvoie à notre position très française de mettre la culture dans une case, comme si c'était un registre bien précis alors que finalement lorsqu'on a une mentalité entrepreneuriale : l'entrepreneur est un créateur. C'est aussi quelqu'un qui prend un risque absolu. Certains artistes prennent l'entreprise comme sujet mais ce qui est vraiment intéressant c'est la façon d'être au monde qui est risquée et qui engage complètement la personne.

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Q : Avec l'érosion du lien social, l'artiste a-t-il un rôle à jouer dans l'élaboration de sens collectif ?

R : Il y a quelque chose que l'on ne doit pas oublier. La culture, l'art et la création sont des productions sociales pour être ensemble,pour susciter du débat, de l'expression et de l'échange. On a tendance à l'oublier en sacralisant et en mettant l'oeuvre d'art sur un pied d'éstale. Or, l'oeuvre est faites pour nous, et non pour elle. En ce sens, c'est un vecteur social fondamental. C'est aussi pour cela qu'il est très important d'avoir des lieux comme la Gaîté Lyrique, notamment pour un lieu culturel qui se consacre, qui problématise la question du numérique et de la société numérique qui, à priori, pourrait aller du côté du virtuel, de l'immatériel... Au contraire, ce n'est surtout pas chacun devant son écran. On partage des expériences, des espaces, de la musique, des expositions.

Q : L'artiste déprogramme-t-il des comportements et habitudes inconscientes pour reprogrammer une nouvelle manière d'exister ?

R : C'est tout à fait cela. En revanche, il n'est pas possible de commander aux artistes. L'artiste ne peut pas répondre à une commande. Ce que j'aime entrevoir chez l'artiste c'est cette capacité à pousser les logiques au bout et à les distordre. C'est pour cela que beaucoup d'artistes intéressent des grandes sociétés spécialisées dans la technologie et dans les usages numériques. Les artistes vont détourner un algorithme, un procédé bien lisse et ils vont aider l'entrepreneur, le développeur ou l'ingénieur à aller encore plus loin.

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Q : En quoi l'art contemporain fait du spectateur non plus un témoin passif mais bien un acteur essentiel de l'oeuvre ?

R : L'Esthétique Relationnelle, théorisée brillamment par Nicolas Bourriaud, l'illustre bien mais je me demande si celle-ci n'a pas été mise en oeuvre dans des pratiques qui ne se revendiquent pas, tout simplement parce qu'il y a un côté phagocitage. Quand un milieu est trop constitué, il enferme les oeuvres même si elles sont disruptives. Comme le capitalisme, d'une certaine manière. Cela avale et digère très bien. L'Esthétique Relationnelle a principalement mise en relation des artistes et des gens du milieu de l'art entre eux. C'est là que je trouve qu'il y a une limite qui ne vient pas de la théorie mais d'un milieu en auto-reproduction, d'un fonctionnement social.

Dans les années 90, Thomas Hirschorn avait fait le choix à Bilbao d'en parallèle de sa résidence, de s'installer dans un atelier pignon sur rue. Il fût assez dépité car il avait envie d'échanger mais il n'a eu que des clochards qui sont rentrés dans son atelier. Il n'a pas réussi à toucher un large public. Cela n'a pas été un lieu de relation sociale. Aussi, certains artistes ont mis en oeuvre un partage de plats, d'alimentation dans l'Esthétique relationnelle. Cela a été un indice de quelque chose qui est très fort : la cuisine et l'alimentation comme faisant partie de la culture et comme finalement la première et primordiale esthétique relationnelle. Je fais un continuum entre toutes les pratiques sociales et la création, il n'y a pas de rupture pour moi.

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Q : Comment le numérique change-t-il les manières d'aborder l'art ?

R : Le numérique est un outil de reproduction et de diffusion qui continuerait par certains moyens ce qu'on pu faire la photo et la vidéo dans l'histoire récente.

Il y a également aussi l'aspect de l'art numérique qui est un genre dont le milieu de l'art va s'empresser de codifier, de créer une branche de l'art contemporain avec son marché, ses critiques, ses lieux spécialisés. Ce qui est honorable mais ce qui est limité et ne me satisfait pas. Je pense que la révolution en cours fait exploser cela. C'est potentiellement la notion d'art contemporain avec toute son histoire qui est remise en cause avec les usages numériques d'aujourd'hui qui sont en tout cas l'opportunité de rebattre les cartes. C'est aussi la position de la Gaîté Lyrique de travailler à la déhiérarchisation : détricoter des systèmes hiérarchiques que l'on a créés dans l'histoire de l'art jusqu'à aujourd'hui. Le concept d'art numérique va dans ce sens-là. De nombreux artistes « numériques » sont méprisés par le milieu de l'art et ne rêve que d'une chose c'est d'être adoubé par ce milieu comme si il y avait une hiérarchie. Or, il y a des malentendus là-dessus. A la Gaîté Lyrique, nous essayons de casser les statuts en invitant des gens hétérodoxes qui viennent d'ailleurs, qui n'attendent pas de la Gaîté Lyrique un statut. Enfin, le numérique est une occasion non pas de mimer ce que l'on fait dans l'art contemporain pour en faire un genre nouveau au sein de l'art contemporain mais de se dire que tout peut voler en éclat, qu'il y a de nouvelles manières de créer, de nouveau types d'oeuvres, de nouveaux types de récits, d'autres imaginaires qui ne sont pas antagoniste avec le passé. Plein d'artistes qui utilisent l'outil numérique finalement

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se reposent et nous renvoient à des questions ancestrales. Prenons l'exemple du jeu vidéo qui nous offre aujourd'hui l'opportunité de se réaproprier le jeu comme phénomène sociale et artistique. C'était un peu ringard d'aimer jouer il n'y a pas si longtemps. Aujourd'hui, on peut être gamer, un geek de jeu vidéo et aimer jouer aux jeux de plateau, aux échecs etcÉ On l'a vérifié dans plein d'endroits ici avec des projets d'artistes et de game designers. De plus en plus, notamment les plus jeunes cousent plein de choses, croisent l'espace réel, le rapport physique aux choses et le virtuel, le numérique. C'est aussi le cas avec le phénomène des fab labs qui renvoient à des pratiques ancestrales de fabrication. Si on prend l'exemple du designer François Brument qui expose ici dans le cadre de l'exposition Oracles du Design, il a conçu des algorithmes qui permettent de produire une forme qui est numérisée sur un ordinateur lorsque vous soufßez. Ensuite ces formes sont imprimées en 3D. En l'occurence, ce sont des vases. A terme, avec l'avancée de la technologie, on pourra les imprimer non plus avec de la matière synthétique mais avec de la terre. On pourra donc faire de la céramique comme les techniques traditionnelles mais dans un processus ultra contemporain et très sophistiqué. Ici, l'art contemporain n'a pas d'importance. Ce n'est plus la question.

Concernant la vente d'objets d'art sur Internet, je ne pense pas que cela soit un danger pour les galeries. Elles seront intégrées ces dimensions. Comme toujours dans ce domaine-là et en particulier dans le commerce, on a toujours intérêt à multiplier les points de vente et la visibilité étant donné que ça développe de l'intérêt. Je pense qu'actuellement le marché de l'art numérique est en train

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d'émerger, mais de ce fait une galerie qui aurait un artiste numérique a tout intérêt

à s'associer à des plateformes.

Q : Qu'est-ce qui rend les lieux culturels des lieux de vie fédérateurs pour la communauté ?

R : Il y a une nécessité absolue de lieux de vie culturelle comme la Gaîté Lyrique : des lieux de vie sociale à l'ère numérique.

Q : Pourquoi la diversification des formes de dialogue via le développement de festivals & des hors-les-murs sont nécessaires au rayonnement culturel des institutions, des artistes et des territoires investis ?

R : On retrouve ici la question de la démocratisation culturelle. Question qu'un Thomas Hischorn a plutôt bien géré mais ils sont rares les professionnels du monde de l'art qui réussissent cela. Qui dit démocratisation de la culture, cela présuppose qu'il y a quelque chose à rendre accessible. Or, ce quelque chose, qui décide de cette valeur-là symbolique ? Ce sont toujours les mêmes. Par exemple, le Centre Pompidou Mobile amène les oeuvres d'art dans des territoires : c'est un bon sentiment mais quel message veut-on faire passer ? Est-ce que cela veut dire que ces gens-là n'ont pas de culture ? Or, ils ont une culture. Tout le monde a une culture : simplement certaines sont valorisées et d'autres non. Je sais bien que la société classe mais il faut se battre contre cela. C'est quelque chose que les outils numériques peuvent apporter : un partage des savoirs. Au Japon, il existe des

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quartiers où il existe une université communautaire où chacun s'échangent ces savoirs. C'est le paradigme numérique qui permet cela.

Nier le fait que tout le monde ait une valeur, politiquement c'est inacceptable. Il faut être cohérent : si l'on montre un Malevitch ou un Mondrian en banlieue, en quoi cela est plus légitime qu'un concert de rap ou autre chose ?

Q : En quoi une programmation pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?

R : Le paradigme numérique apporte la collaboration et l'interdisciplinarité. Ce dont on se rend compte à nouveau c'est que l'innovation, l'invention, la création n'émergent pas tout à fait là où on le pense, en tout cas pas en milieu pur. Toute l'histoire prouve en terme d'innovation que c'est est un phénomène fortuit. C'est parce qu'il y a eu transposition, qu'il y a eu discussion avec quelqu'un dans un champ qui n'a rien à voir, qu'il il y a eu emprunt et analogie avec un autre secteur. La rencontre fortuite est fondamentale et cela est aidé par des conditions pluridisciplinaires. A la Gaîté Lyrique, en mettant sous le même toit des entrepreneurs de start-ups, des artistes de toutes les disciplines, des chercheurs, des scientifiquesÉ c'est se dire qu'à un moment donné il y a des connexions qui se font et que l'on avait pas nécessairement pré-conçues ou imaginées. On sait simplement que les conditions sont réunies.

Q : Que pensez-vous de la transformation et la réappropriation d'anciens lieux industriels en lieux artistiques et culturelles ?

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R : J'aurais une position assez pragmatique là-dessus. C'est toujours bien qu'une société plutôt que de détruire systématiquement son patrimoine et reconstruire, c'est mieux de transformer ce qu'elle a produit. C'est un potentiel où l'on aurait tort de se priver. En revanche, il ne faut pas le sacraliser. J'ai rencontré des collectivités et des élus qui ont en charge un patrimoine industriel considérable et veulent en faire absolument quelque chose. Parfois, il ne faut pas non plus se forcer. Ce n'est pas parce que c'est trop grand à utiliser : comme el Matadero à Madrid qui est un lieu extraordinaire mais c'est objectivement trop grand. Il faut donc savoir réutiliser du patrimoine et la Gaîté Lyrique en est un très bel exemple, mais il faut avoir aussi cette audace de détruire pour refaire du neuf. Dans certains pays comme au Royaume-Uni, il y a une générosité architecturale plus importante alors qu'en France on est un peu timoré.

Q : A l'initiative de l'IRCAM ou des ateliers Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont importants pour décloisonner ces domaines ?

R : Il y a une condition : celle d'avoir une conception assez large de l'artiste qui englobe le designer. Il y a un parallèle car ils sont tous dans une spéculation et dans une passion, à corps perdu. Les grands scientifiques ont souvent des attitudes communes aux grands artistes.

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Q : En quoi le design apparaît comme une solution afin de combiner art, technique et société ?

R : Le design est un champ immense. Il y a beaucoup de polémiques et de discussions sur ce qu'est le design. J'ai une acception assez large et anthropologique. Je vois qu'on est dans une société où la plupart des objets que nous utilisons sont le fruit d'un double-processus : de dessein et de dessin. Nous sommes de plus en plus dans une société interfacée et le rôle du design est cette fonction qui fait qu'on est au monde d'une certaine manière et pas d'une autre. Cela met le design au centre et partout. Après, il y a des modes de production et des formes du design qui sont très hétérogènes les unes des autres. Cela fait tout le merveilleux et toute la chaire du design : il y a le design graphique, le webdesign, le design d'objets, le design de modeÉCette diversité est fabuleuse mais cela reste finalement un même processus mental et un processus de création de même type. En vérité c'est un enjeu de pouvoir. C'est un enjeu politique phénoménale. En témoignent les Iphones qui sont des purs produits de design dans le hardware comme dans le software. Les péripéties, les discussions sur « est-ce de l'art ou non? » n'a à vrai dire peu d'importance. Ce qui est important c'est l'enjeu autour de ces outils numériques : le code devient un langage de pouvoir. Ce langage, les artistes se l'approprient comme ils se sont appropriés les autres.

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Interview de Michel Muckensturm, Administrateur généréral de l'IRCAM Réalisée le 22 mai 2015 à l'IRCAM

Q : A l'initiative de l'IRCAM ou des ateliers Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont importants pour décloisonner ces domaines ?

R : Pierre Boulez est un artiste fortement engagé dans la cité. Il a créé l'IRCAM et il cherchait à créer des matériaux nouveaux. En ayant une formation d'ingénieur et de mathématicien, il souhaitait utiliser les techniques modernes pour accroître l'expressivité du langage musical. Il a rencontré Georges Pompidou qui avait aussi une certaine vision. Il y a une démarche politique de certains artistes à certains moments mais ce type d'artistes restent rares. L'IRCAM est un des rares lieux où il y a la fois des chercheurs scientifiques et des créateurs.

Si l'on prend l'exemple de l'Opéra dans l'Italie de la Renaissance, ce fût un laboratoire, des expériences de princes : un mélange à la fois technique et artistique. L'IRCAM est contruit sur ce modèle L'objectif de l'IRCAM est d'avoir des artistes qui ont des préoccupations particulières, à priori ce sont plutôt des artistes musiciens et d'avoir un dialogue compétitif avec des scientifiques qui sont

excellents dans leur domaines. L'objectif est de coordonner le développement scientifique pour accroître le langage artistique. C'est un mécanisme difficile à incarner. Souvent on fait des choses par analogie, on s'inspire de l'astronomie, d'Einstein ou de je ne sais quoi, mais il n'y a pas de vrai démarche commune qui va concourir à créer quelque chose de nouveau dans le temps. Or, à l'IRCAM, on est plus proche du Bauhaus où il a les dimensions techniques et artistiques dans le même lieu. Une véritable cohabitation n'est pas simple. L'artiste a un processus qui lui est propre et des préoccupations : l'urgence de sa création, la pièce à venir. Or, le chercheur scientifique lui veut faire avancer la science. Il est dans une idée de généricité. Tout nourrit sa problématique mais il a l'éternité devant lui.Il est ouvert à tout nouveau paradigme ou à l'amélioration de son paradigme. L'artiste a lui besoin d'être à telle heure à un concert ou à une exposition et doit voir son oeuvre fonctionner. Pour l'IRCAM, ce dialogue s'incarne véritablement dans l'outil technologique et en particulier dans les logiciels. Les chercheurs scientifiques vont développer des algorithmes particuliers et vont essayer de répondre aux sollicitations à la fois des artistes mais aussi aux problématiques générales de leur secteur qui concernent différents champs scientifiques : de l'acoustique instrumental à la spatialisation de l'espace. Le pont entre l'artiste et le scientifique se fait par le logiciel. C'est la manière par laquelle l'innovation pourra s'incarner dans quelque chose de plus générique qui va dépasser l'oeuvre artistique du créateur.

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Q : Comment le numérique change-t-il les manières d'aborder l'art ?

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R : A l'IRCAM, on invente des paradigmes de programmation informatique. l y a une vingtaine d'années, la confrontation d'artistes et de scientifiques a donné lieu à la création de MAX MSP utilisé maintenant par tous les artistes : à la fois musiciens, plasticiens, ceux qui fonts des installations vidéos et qui cherchent à travailler avec l'interactivité d'événements séquentiels. C'est un langage qui permet l'écriture d'événements temporels : que ce soit des notes de musique ou des mouvements de danseur. C'était pour répondre à un besoin scientifique d'un artiste, à l'époque Philippe Manoury. C'est peut-être par accident car ce n'est pas la préoccupation première de l'artiste qui souhaite avant tout sortir son oeuvre mais cela peut donner lieu à de l'innovation d'usage, l'innovation produit dans des univers beaucoup plus larges. La spécificité de l'IRCAM est de faire travailler des musiciens qui jouent en live sur scène avec des phénomènes électroniques qui varient en fonction du jeu. Ce sont des problématiques de langage informatique aussi complexes que celles dans l'industrie spatiale. Ce sont des phénomènes de synchronisation que vous trouvez également dans l'industrie de l'armement. Où va se déplacer la trajectoire prédictive du missile et non de la note ? On est sur un travail où des gens dans l'IRCAM vont enrichir par leur travail la problématique de l'aéronautique, du contrôle de trafic aérien et celle du musicien. La volonté initiale est de gérer un événement artistique mais cela participe à des recherches pour une communauté scientifique qui peuvent donner lieu à de l'exploitation de logiciels.Ce mécanisme vient quand même du besoin créateur. Les scientifiques se nourrissent de la demande artistique qui a des requêtes d'usage. Ce n'est pas une demande de "proof of concept" dans un laboratoire. Il y a un défi qui est de faire

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fonctionner l'expérience devant un public. L'IRCAM valorise aussi des objets ou des logiciels. Par exemple, sur le suivi des partitions, on fait des recherches et on développe avec une start-up un karoké amélioré. On pourra disposer en jouant au piano dans son salon d'un logiciel qui va permettre à l'orchestre virtuel de s'adapter à votre allure. Dans la musique électronique, la première phase de l'IRCAM était de construire du hardware pour créer des oscillateurs. Le hardware servait aussi au Ministère de la Défense.On a aussi depuis 15 ans, une équipe de recherche qui travaille sur la description qualitative de genre. On a signé un contrat avec UNIVERSAL MUSIC pour améliorer leurs recommandations d'utilisateurs en fonction de l'atmosphère et de sonorités en élargissant les genres de musique. Il y a aussi DASSAULT, plus grande SSII européenne, qui propose Catia un logiciel 3D de conception industrielle. L'un des points qui est ressorti est que lorsqu'ils ont sorti le Dreamliner d'Airbus, les clients avaient peur du fait qu'il n'y ait pas de bruit. Ce sont les musiciens qui peuvent créer de la synthèse sonore. Pour l'artiste, ça lui permet de modéliser des matériaux avec du son. C'est quelque chose qui intéresse l'industrie.

Q : En quoi une programmation pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?

R : A l'IRCAM, on travaille également avec l'industrie pour véhiculer des informations particulières qui permettent un rendu particulier. On travaille avec des médecins, des neurologues par exemple pour soigner les acouphènes. Le patient

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peut rééduquer son cerveau afin de diminuer la douleur. On est bien dans la pluridisciplinarité.

Q : En quoi l'artiste nourrit-il l'innovation, susceptible d'aider le développement humain ?

R : Ce sont des produits dérivés de la création artistique qui peuvent trouver des applications. Il y a beaucoup de pistes de relations science - art qui n'est pas une incarnation purement d'analogie. Cela a un impact et c'est une source d'innovation.

Q : En quoi l'art contemporain fait du spectateur non plus un témoin passif mais bien un acteur essentiel de l'oeuvre ?

R : Le public, lorsqu'il vient à l'IRCAM, c'est pour un spectacle. Lorsque vous êtes dans un restaurant 3 étoiles, vous venez pas pour avoir la recette. La démarche du public est différente. C'est la relation à l'oeuvre d'art qui intéresse le public.

Les arts plastiques ont réussi à faire penser qu'ils sont prédominants sur le reste des arts. La musique vous impose sa propre temporalité alors qu'un tableau on peut penser le saisir en une minute. Pour l'immersion, tout dépend du propos de l'artiste. L'IRCAM collabore avec le CNRS et le laboratoire Pierre Marie-Curie mais a aussi une dimension de transmission. On héberge un Master en science appliqué à la musique et on a aussi un doctorat en composition. On organise aussi des résidences recherche-création. On a aussi développé dans Live de Ableton, IRCAMAX un outil qui permettre d'acroître l'expressivité électronique. Parfois, le

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laboratoire créé et demande aux artistes d'appliquer lors de performances. Le 21 juin 2015 pour la fête de la musique aura lieu avec la musicienne électronique Chloé . La place sera insonorisée et les smartphones du public vont interagir avec l'artiste. Il y aura aussi un concert prévu en décembre avec Rone.

Q : En quoi le design apparaît comme une solution afin de combiner art, technique et société ?

R : Avec l'école des Beaux-Arts du Mans, on a créé une filière de formation en design sonore et on a aussi une équipe spécialisée dans ce domaine. Autant le design visuel existe, autant le design sonore n'est pas très développé. L'outil Pantone n'est pas disponible pour les sons. Cette équipe travaille la manière de qualifier les différents sons. On a ainsi travaillé avec RENAULT sur leurs véhicules électriques. Les véhicules émmettent un signal qui caractérisent leur marque. Le son devient alors un outil marketing pour véhiculer un message. Cette équipe est plus dans une situation anthropologique : je regarde et je qualifie ce qui se fait. Je ne suis pas dans l'aide à la création immédiate. On est plus proche d'un design industriel.

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Interview de Thibault Duchesne de Lamotte Artiste, Graphic Designer & Fondateur du Prism Collective

Interview réalisée le 12 mai 2015 au Louvre

Q : L'artiste doit-il conscientiser dans sa pratique artistique la portée de son message ?

R : Il y a plusieurs types d'artistes dans l'art contemporain. Il y a ceux qui veulent choquer pour choquer. En tant qu'artiste, j'essaye de m'éloigner du message du publicitaire. Je préfère un process plutôt qu'une interrogation. J'aime cette idée de mystère et de recherche et peut-être que chacun peut trouver une portée plutôt qu'un message.

Q : Dans quelle mesure l'artiste aurait le droit à l'irresponsabilité au nom de la liberté de création ?

R : Je ne considère par l'artiste comme un super-citoyen où quelqu'un qui échappe à la société. Il critique la société mais il s'expose aux conséquences. Le meilleur moyen d'exacerber des problèmes c'est de se confronter aux limites de la société. Il n'échappe pas aux conséquences de ces actes. Si il n'y avait aucune

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conséquences en tant qu'artiste, l'acte ne servirait à rien. On n'a pas à légitimer une action ou avoir plus de droit au nom de l'art.

Q : L'artiste, par sa volonté de changement, s'apparente-il à l'entrepreneur social ?

R : On a tendance à considérer l'artiste comme quelqu'un qui échappe aux principes de la société mais il y a tout une organisation autour de l'artiste. Aussi, l'entrepreneuriat est un acte créatif en soi. Un artiste devient une société car c'est une marque.

Q : Avec l'érosion du lien social, l'artiste a-t-il un rôle à jouer dans l'élaboration de sens collectif ?

R : Un des problèmes majeurs qu'on a aujourd'hui c'est la fracture sociale. On essaye de retrouver des schémas de société pour gommer tout ça. Or, l'art a une portée « universelle » et pourtant il est sujet à alimenter cette fracture car cela alimente une certaine élite autour d'un projet artistique. Il y a toujours des courants et des contre-courants. En contrepartie, il y a au niveau des musées, une ouverture avec des happenings, des festivals et une volonté de gommer cette image qui ternit le milieu artistique aujourd'hui.

Q : En quoi les réflexions amenés par l'expérience artistique sont essentiels à la construction individuelle ?

R : L'art en soi il y a quelque chose qui est à prendre et pas nécessairement accessible. On ne va pas en faire de l'entertainment où l'on rabaisse le contenu. A

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force de vouloir tout démocratiser, on rabaisse le contenu et la qualité. Au cinéma, il y a une baisse de qualité, une démarche commerciale. Or, sur la scène artistique, ce que je souhaite c'est de proposer un contenu de qualité.

Q : L'artiste déprogramme-t-il des comportements et habitudes inconscientes pour reprogrammer une nouvelle manière d'exister ?

R : C'est un peu fort de parler de responsabilité de l'artiste. Il y a aussi une responsabilité des philosophes et des sociologues. L'artiste est là pour apporter une vision personnelle. Est-ce qu'il doit montrer un modèle ou reprogrammer ? Je ne sais pas. C'est plutôt un collège de différents acteurs de la société qui peut proposer des alternatives. L'artiste en lui-même propose une vision. Je ne suis pas sûr que ça soit le rôle de l'artiste. Il amène à une réflexion, à un état. Le philosophe aura une vision plus universelle alors que l'artiste qui va avoir une vision plus personnelle.

Q : En quoi l'art contemporain fait du spectateur non plus un témoin passif mais bien un acteur essentiel de l'oeuvre ?

R : Il y a une différence notable entre les années 90 où il n'y avait plus d'esthétique. Aujourd'hui, on ré-infuse de l'esthétique mais avec une pratique qui reste relationnelle. Notamment grâce avec les installations vidéos, on est dans l'immersion.

Concernant ma pratique, j'envisage l'oeuvre comme un questionnement. J'invite le spectateur à une promenade intellectuelle qui de fait le rend acteur mais non sujet.

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Le spectateur donne sens à l'oeuvre. C'est faire l'expérience de l'art qui importe. On peut amener à une forme de contemplation. La passivité face à l'art, c'est un des axes majeures de l'artiste contemporain.

Q : Comment le numérique change-t-il les manières d'aborder l'art ?

R : Le numérique change la donne. L'art sort de la galerie. Il y a un écueil en revanche avec les installations photos : on peut avoir vu quelque chose sans l'avoir vécu. On peut perdre en substance par rapport à une oeuvre. Il faut être vigilant par rapport à ça lorsqu'on « consomme » l'art. L'action derrière un écran va aplatir. Dans la pratique artistique, on tend à sortir du cadre du tableau et on retombe derrière un cadre : celui de l'ordinateur.

Cela donne un outil puissant à l'artiste. On peut envisager des pratiques mais cela tâtonne énormément. Cela laisse un champ assez vaste pour l'artiste pour envisager le rapport au public.

Ensuite, c'est aussi un média de diffusion. Avec la révolution douce qui a touché la communication, on envisage encore les ordinateurs comme des pages. La transition ne s'est pas encore faite par rapport aux médias. On va peut-être trouver la vraie utilisation par des pratiques expérimentales.

Q : Pourquoi la diversification des formes de dialogue via le développement de festivals & des hors-les-murs sont nécessaires au rayonnement culturel des institutions, des artistes et des territoires investis ?

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R : Le rayonnement culturel dépend de la « classe créative » qui a un rôle prédominant dans notre société.

Q : En quoi une programmation pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?

R : Il y a eu de tout temps des collectifs artistiques, de la collaboration mais aujourd'hui on a peut-être avec les réseaux sociaux, il y a eu plus de communication autour des collectifs. Le processus créatif à partir du moment où il est confronté à différentes idées a tendance à être enrichi.

Un collectif de peintres va pratiquer avec le même genre d'idéaux mais pas le collectif pluridisciplinaire. L'artiste gagne en humilité à travailler en collectif car c'est le fait d'assumer que le musicien a son expertise à apporter en tant que musicien et que l'artiste n'a pas nécessairement la réponse à tout, même techniquement.

Q : Que pensez-vous de la transformation et la réappropriation d'anciens lieux industriels en lieux artistiques et culturelles ?

R : Un collectif d'artistes qui prend possession d'un hangar ce sont des questions financières. Il y a un espace de création et d'exposition potentielle à prendre, des espaces en friche. Cela décentralise les pôles culturels. Ce sont des lieux périphériques. De tout temps, il y a eu ça : c'était Montparnasse avant, Montreuil aujourd'hui.

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Q : A l'initiative de l'IRCAM ou de l'atelier Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont importants pour décloisonner ces domaines ?

R : Historiquement, le scientifique et le philosophe sont les mêmes. Il y a un cheminement philosophique très fort. Il y a beaucoup d'artistes qui s'intéressent à la science. Caroline Corbasson s'intéresse à des phénomènes géologiques et spatiales. Il y a un rapprochement scientifique qui est évident. Ses thèmes sont les terres à prendre, la dimension inconnue. L'étude de la couleur est un aspect scientifique. La pratique artistique implique une pratique de la chimie. Le peintre est un chimiste : il y a un mélange de couleur, de pigments.Il y a également des installations qui s'intéressent à l'énergie, à la géométrie. Je pense ici à l'exposition sur Takis qui s'intéresse au magnétisme.C'est l'image tout public qui a changé. On a oublié le scientifique qui a « l'intuition créative ». Il y a en réalité deux territoires : l'inconnu et le connu.

Q : En quoi l'artiste nourrit-il l'innovation des industries créatives ?

R : L'art contemporain est la base expérimentale pour ce qui deviendra plus commercial. Beaucoup de campagnes publicitaires s'appuient sur des oeuvres d'art contemporain. L'art contemporain infuse le paysage culturel et on va le retrouver dans les industries créatives.

Le cinéma d'avant-garde a totalement inspiré le cinéma grand public. Ainsi, les films expérimentaux de Jean-Luc Godard ont inspiré tout une génération au cinéma. La pratique expérimentale donne lieu à de nouvelles idées.

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Q : En quoi le design apparaît comme une solution afin de combiner art, technique et société ?

R : Le designer n'a pas les mêmes questionnement que l'artiste. Dans le design, il y a un produit qui tend à être multiplié et distribué.

L'artiste soulève des questions tandis que le designer solutionne.

L'art contemporain va aussi infuser le design qui à son tour va infuser la société dans son ensemble. Je pense aussi que le design est une pratique à part entière.

Oeuvre de Thibault Duchesne, Float, 2014

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Interview de Beth Scaccia

Membre de l'association californienne Freespace Réalisée le 11 mai 2015 sur Skype en anglais

Q : Does the artist need to think about the impact of his message while creating ?

R : Each artist is different. Sometimes artists do have a specific message in mind that they want to transmit but I think the purpose of art is to brighten through expression and a way to channel our emotions into something more positive. It is important that we have the opportunities to create without focusing so much on the outcome. For example, in Tibet, monks made sand mandalas during weeks and afterwards they completely destroy it. It is much more about the process of creating art than about the end product.

However, artists are also suppose to market themselves and to sell their work.

Q : To what extent the artist has the right to be irresponsible in the name of the freedom to create ?

R : Art is a great way to draw attention to social issues, it is a nice vehicle for that. We need art for that reasons : to questions our beliefs and just to be critical, to look at thing for another perspective. It is also essential to democracy.

Q : Does an artist, with his willing to change society, share the same mission as a social entrepreneur ?

R : These two figures can be similar. Some people just want to create art for themselves. I know some artists that do not share their work, it is not their goal to share their goal with others. It is just to deal with their emotions. Art can have many different uses.

Q : Why the art expriment is essential for the individual construction ?

R : Arts and culture attract and bring people together.

Q : Do you think the artist fight against bad consumerism habits and propose a new way to exist ?

R : If you look at the festival Burning Man, it is definitely a criticism of the consumerist society. Artists believe in de-codification. Even with Freespace, our devise is « no ego, no logo ». Some artists do have a big ego to create but in Burning Man, there are 10 principles and one is the gift principle. We don't exchange any money. It is a criticism of capitalist principles and also a way to find alternatives.

Q : How the numeric revolution change the way people are « consuming » art ?

R : It is a tool for the artists to sell an to promote their work. It allows collaboration.

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Q : What make cultural places a tool to build community ?

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R : What makes a place special is culture. When people share a part of themselves, that's the currency that creates community.

Q : Why the recent development of festivals and Outside the Walls exhibitions participate to the radiance of cultural institutions, artists and territories ?

R : We don't have any mobile museums that I am aware of in California. Museums are important as social components as they attract people. It also creates community.

Q : What do you think of the transformation of old industrial places into artistic places ?

R : Artists have to move to places with very low rent. It provides opportunity to have a place. I know a project from Detroit : the Garbage Man. In Detroit, they do not have any recycle program and the Garbage Man started to organize in a warehouse a place to create things from recycling products. This recycling center is all citizen-driven and the founder Matthew Naimi is providing a service that the state is not. Many events with arts and music are now happening there. I think again it is an example of a place where there are tools to create and to make art.

Q : Do you think that connexions between science and arts are important to decompartmentalize these domains ?

R : Before we were living in a time where all was about specialization. Now we see that all the different disciplines are related and how many connections there are

between them. For me, Freespace is an example of this idea : this is a place that is not specialized to artists or scientists. All people can come and share with each other. We believe that this is where magic happens. In Paris, we made an event : a fashion hackaton. That was designed by an engineer together with a fashion designer. It worked well : both the structure of the engineer and the creativity of the fashion designer.

Q : To what extent the design thinking is a solution so as to combine technicality, arts and society ?

R : The design principles themselves are directly combining all these knowledge together. It is kind of an hybrid process.

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Logo & devise de Freespace

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Interview d'Alexandre Gain-Chabbert Administrateur du Wonder à Saint-Ouen & de l'Amour à Bagnolet

Interview réalisée à l'Amour le 14 mai 2015

Q : L'artiste doit-il conscientiser dans sa pratique artistique la portée de son message ?

R : Je suis pour une liberté totale. En même temps, je souhaite que les expositions que j'organise à l'Amour soit accessibles. Un verre d'eau sur un tabouret peut transcender quelqu'un qui a fait 10 ans d'études d'art. Si on expose dans un centre de quartier, c'est dommage de faire de l'art minimaliste. L'accessibilité de la production est un point important. L'artiste doit réfléchir aussi à la visibilité

Q : Dans quelle mesure l'artiste aurait le droit à l'irresponsabilité au nom de la liberté de création ?

R : Ce n'est pas le rendu qui est important. La forme peut choquer mais ce qui compte c'est l'intention de l'artiste. Il y a des artistes qui sous couvert artistique vont vouloir choquer. Le problème est que ce n'est pas évident à déceler. Deux performances identiques peuvent partir de deux intentions très différentes. Même si l'intention de départ est juste avec une pensée bien ficelée, il y a des

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performances. A titre personnel, je fais du street-art qui peut choquer des gens mais mon intention est surtout de faire rire.

Q : L'artiste, par sa volonté de changement, s'apparente-il à l'entrepreneur social ?

R : L'entrepreneur fait un pari. Il part d'une idée pour faire une carrière. L'artiste, lui, fait une carrière sur sa production, sa personne. Faire une carrière artistique c'est entreprendre. Dans le fond c'est la même chose et dans la forme ça diffère.

Q : Avec l'érosion du lien social, l'artiste a-t-il un rôle à jouer dans l'élaboration de sens collectif ?

R : D'après moi, la majorité des artistes n'en ont pas conscience. Ce sont plus aux organisateurs d'avoir cette conscience. Je ne vois pas quel type d'oeuvre d'art peut créer du lien social.

Q : En quoi les réflexions amenés par l'expérience artistique sont essentiels à la construction individuelle ?

R : J'ai travaillé pour une association qui s'appelle Synesthésie et qui organisait une exposition d'art contemporain à Saint-Rémi. Les oeuvres étaient incompréhensibles et non lisibles pour le public.

Q : L'artiste déprogramme-t-il des comportements et habitudes inconscientes pour reprogrammer une nouvelle manière d'exister ?

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R : Si on prend l'exemple de Jeff Koons au Centre Pompidou, c'est intéressant car c'est tout à fait dans un cadre et un public qui sera touché par le message. Tandis qu'exposer Jeff Koons en banlieue, eu égard la consommation des gens, cela n'aurait pas de sens. La puissance de l'art contemporain est que les installations et les performances sont un langage direct et peuvent changer des vies.

Q : En quoi l'art contemporain fait du spectateur non plus un témoin passif mais bien un acteur essentiel de l'oeuvre ?

R : Cette immersion est récente dans l'histoire de l'art. On arrive sur la fin du format académique, du « white cube ».

Q : Comment le numérique change-t-il les manières d'aborder l'art ?

R : Internet a donné un élan à beaucoup de choses, notamment au street-art. Le numérique a aussi permis le développement des logiciels de musique comme Ableton et les logiciels de retouche de photos. Cela oblige l'artiste à aller plus loin dans sa technique pour se différencier.

Q : Qu'est-ce qui rend les lieux culturels des lieux de vie fédérateurs pour la communauté ?

R : Il y a aussi des lieux qui créent du lien entre les artistes. Le problème est encore une fois l'accessibilité du contenu. Il y a des inégalités de capital culturel et social.

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Q : En quoi une programmation pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?

R : Que pensez-vous de la transformation et la réappropriation d'anciens lieux industriels en lieux artistiques et culturelles ? Dans la forme, on fait pareil qu'une fondation qui a beaucoup de moyens. A l'Amour à Bagnolet, on occupe un bâtiment qui est abandonné depuis 27 ans. Si on n'occupait pas ce bâtiment, il serait resté vide pendant longtemps avant d'être détruit. Je trouve légitime d'en faire une galerie d'art et un lieu de vie pour 8 personnes. Dans le fond, c'est encore l'intention qui compte. C'est bien quand c'est un bâtiment qui n'avait pas d'utilité sociale.

Q : A l'initiative de l'IRCAM ou de l'atelier Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont importants pour décloisonner ces domaines ?

R : Je connais par exemple Guillaume Coerno qui fait de la science en galerie. Dans la cité de la science et de l'industrie, il y a aussi un fab lab.

L'artiste, comme le scientifique, essaye de créer ce qui n'existe pas. Dans la science, dans la biologie, il y aussi une esthétique, une beauté qui est presque du domaine artistique. En même temps, parfois il ne faut pas absolument mélanger des domaines opposés pour dire qu'on les mélange. Ca serait comme en musique mélanger le rap et le métal.

Q : En quoi le design apparaît comme une solution afin de combiner art, technique et société ?

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R : Le design c'est de l'art fonctionnel, au service de la personne lambda. La technique devrait être le point de départ de toute pratique artistique. On développe une technique, on part de l'artisanat, d'un matériau (le bois, le métal) et de temps en temps on va faire de l'art. Qu'on soit artisan de la matière, de la lumière etcÉ

Les designers acceptent leur côté artisan et le côté fonctionnel de leurs produits. C'est une voie respectable à suivre : repenser l'objet de tous les jours et le rendre plus simple. Au sein même du design, il y a des designers artistes qui vont oeuvrer pour le beau et des designers plus industriels qui vont chercher la fonctionnalité avant tout.

Vue du Wonder à Saint-Ouen

Interview de Michèle Broutta

Galeriste & éditrice

Réalisée le 22 mai à la Galerie Michèle Broutta

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Q : L'artiste doit-il conscientiser dans sa pratique artistique la portée de son message ?

R : La pratique artistique c'est choisir une voie d'expression de vie personnelle à travers une expression artistique. Il y a le peintre-sculpteur, le musicien, celui qui créé quelque chose mais aussi ceux qui font de la relation. Ceux qui se servent de la culture pour éduquer les autres, pour partager.

En ce qui concerne l'artiste, l'oeuvre sort de lui. La conscience il peut l'avoir après. Je suis sûr que les grands artistes, comme Picasso ou Duchamp par exemple, ne choisissent pas. Ils ont été porteurs d'un message mais on s'en rend souvent bien compte après. Ils ont réussi à développer ce qu'ils avaient à dire parce qu'ils sont passés avec beaucoup d'humilité par un travail que l'on pouvait juger artisanal. Je ne pense pas que l'artiste doivent conscientiser son message. Les artistes ont la foi mais je ne sais pas si ils ont la conscience de ce qu'ils font.

Q : Dans quelle mesure l'artiste aurait le droit à l'irresponsabilité au nom de la liberté de création ?

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R : L'artiste, si il fait ce qu'il sent qu'il doit faire, n'est pas responsable de la réaction des autres. Qu'il en tire des conséquences et qu'il soit influencé par une mode ou par un aspect plus plubicitaire, mais ce n'est pas lui qui peut juger de cela.

Q : L'artiste, par sa volonté de changement, s'apparente-il à l'entrepreneur social ?

R : Il aura un impact sur la société si c'est un grand artiste. Je pense que l'artiste et l'entrepreneur sont complémentaires. Ce qui est extraordinaire est le cas où l'artiste rencontre l'entrepreneur. Je pense ici au cas de Giacometti dont le frère était entrepreneur. Il faut qu'il y ait quelqu'un derrière un artiste pour sortir l'artiste qui est trop focalisé sur le perfectionnement de son oeuvre. L'artiste ne doit pas être dans le mimétisme par rapport à un entrepreneur. C'est lui le créateur.

Par exemple, Brancusi a apporté un regard neuf sur la sculpture. Durant la première partie de sa vie, jusqu'à 40 ans il a été véritablement artiste. Mais ensuite, il a arrêté de créer à 40 ans et a su faire valoir sa création de lorsqu'il était jeune.

Q : Avec l'érosion du lien social, l'artiste a-t-il un rôle à jouer dans l'élaboration de sens collectif ?

R : La politique ne devrait jamais oublier la faculté de la culture à réunir les gens. Un monarque comme Frédéric II l'avait compris.

Q : En quoi les réflexions amenés par l'expérience artistique sont essentiels à la construction individuelle ?

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R : L'artiste est en avance sur son temps. Il donne aux autres le monde de demain. C'est pour cela qu'on ne l'entend pas, on ne peut pas le comprendre.

Q : L'artiste déprogramme-t-il des comportements et habitudes inconscientes pour reprogrammer une nouvelle manière d'exister ?

R : Vous appliquez votre intelligence mental mais pas du tout votre intelligence du coeur. Un être humain c'est une tête, une âme, un coeur et des mains.

Q : Comment le numérique change-t-il les manières d'aborder l'art ?

R : Grâce au numérique, bien que ça soit la souris au lieu d'un crayon, ce qui est important est que ça passe par la main. Le numérique est un outil qui permet d'aller plus loin, de découvrir des langages et de faire des calculs. Je serais très curieuse de voir des calculs sur le nombre d'or dans l'art contemporain faites par un ordinateur.

Q : Qu'est-ce qui rend les lieux culturels des lieux de vie fédérateurs pour la communauté ?

R : C'est la rencontre, la mise en commun d'une même sensibilité sur une oeuvre. C'est un moyen d'échange, que cela soit dans l'accord ou dans la guerre. La Cité Radieuse du Corbusier à Marseille n'a été comprise que par la suite.

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Q : Pourquoi la diversification des formes de dialogue via le développement de festivals & des hors-les-murs sont nécessaires au rayonnement culturel des institutions, des artistes et des territoires investis ?

R : Je vois ce qui fait dans le 15ème arrondissement de Paris. Au fond, les politiques ne sont pas intéressés. Ils cherchent bien souvent à faire en sorte que l'on parle de ce qu'ils font. Si on veut changer quelque chose dans la culture, il faut apprendre l'histoire de l'art et des religions. Ce sont des bases que les politiques n'ont pas. En Italie, l'histoire du pays se fait à travers la peinture. En France, on apprend plus l'histoire à travers les batailles plutôt qu'à travers l'art.

Q : En quoi une programmation pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?

R : J'ai fait des ponts entre l'édition et le dessin,la peinture. On a aussi plusieurs artistes qui lisent des poèmes lors d'expositions.

Q : Que pensez-vous de la transformation et la réappropriation d'anciens lieux industriels en lieux artistiques et culturelles ?

R : Lorsque les artistes investissent des lieux, ils les transforment. C'est particulièrement vrai avec le street-art. On est dans une période tellement cassée que l'on peut tout faire. Il ne faut en revanche pas confondre l'événement et l'oeuvre d'art.

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Q : A l'initiative de l'IRCAM ou de l'atelier Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont importants pour décloisonner ces domaines ?

R : Il y a des artistes qui se sont inspirés de biologie, de l'étude de cellules. Beaucoup d'oeuvres d'artistes s'apparente à de la science, ne serait-ce que par l'observation. Je pense néanmoins que c'est surtout l'artiste qui puise son inspiration auprès du scientifique et non l'inverse.

Q : En quoi l'artiste nourrit-il l'innovation des industries créatives ?

R : L'artiste est très créatif. Il a un noyau autour de lui pendant les 10 premières années mais il a une véritable influence souvent 50 ans après. Ce fut le cas pour le sculpteur Alexander Calder.

Q : En quoi le design apparaît comme une solution afin de combiner art, technique et société ?

R : Le designer est influencé par l'artiste, il a le regard de ce qui a été fait et entrepris par l'artiste. Il faut que cela soit suffisamment nouveau pour étonner mais aussi que cela soit reçu.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille