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Les haies vives dans la dynamique des contacts foret-savane a Yambassa, région du centre Cameroun

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par Cyrille LEMOUPA FOTIO
Université de Yaoundé 1 - Master 2 2015
  

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V-CONTEXTE SCIENTIFIQUE

· Des conditions climatiques et humaines favorables à la transgression de la forêt sur la savane

Dans l'ensemble du Centre-Cameroun, la progression de la forêt sur la savane est favorisée par des précipitations abondantes (1 400 à 1 600 mm) bien réparties dans l'année (9 à 10 mois consécutifs), des sols ferralitiques profonds et de faibles pressions anthropiques (moins de 15 habitants au km2). Dans la région du Mbam et Kim, cette avancée est très rapide du fait de la très faible densité humaine (moins de 5 habitants au km2) et de l'inaccessibilité de certaines zones par manque de routes (Youta Happi, 1998). La nette progression de la forêt sur la savane dans la région du confluent du Mbam et du Kim confirme que la tendance « lourde» de l'évolution de l'écotone forêt-savane dans le centre du Cameroun est celle d'une reconquête lente de la savane par la forêt semi-décidue dans un contexte général de climat

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humide. Dans d'autres régions du Centre-Cameroun, un peu plus peuplées, cette tendance est également vérifiée. C'est le cas notamment à l'est de la zone, au sud de la région de Bertoua, au centre dans la localité d'Efoulan située au nord de la ville d'Akonolinga, mais aussi dans la zone du confluent entre les rivières Mbam et Kim à l'est de la ville de Foumban. Cette évolution s'inscrit dans un contexte général de reconquête des savanes par la forêt depuis un peu plus de 1000 ans.

De très nombreux travaux ont été consacrés à la problématique de la dynamique des contacts forêt-savane des régions tropicales humides. Parmi ces recherches, certaines se sont penchées particulièrement sur l'influence des pratiques agricoles sur cette évolution en Afrique subsaharienne. Ainsi, plusieurs travaux de recherche ont mis en évidence une dynamique transgressive de la forêt sur la savane proche comme en Cote d'Ivoire (Blanc-Pamard, Spichiger, 1973), en Guinée (Fairhead et Leach, 1996), au Togo (Guelly et al. ,1993) et au Cameroun (Youta Happi, 1998 ; Dalliere et Dounias, 1999 ; Filipski et al., 2007). Cette dynamique écologique s'explique par des facteurs naturels favorables au développement d'un couvert végétal arboré (sols profonds, climat humide etc.) ainsi que par des processus biologiques comme la coalescence de proche en proche favorisant la pousse des ligneux sur les lisières des ilots forestiers et la dissémination des graines d'arbres par les animaux, par le vent et par les Hommes. En plus de ces facteurs physiques et biologiques favorables, l'agriculture traditionnelle basée sur des cultures annuelles, pluriannuelles et pérennes pourrait être le principal facteur de la dynamique du contact forêt-savane, ceci par son ampleur et par la transformation effective et durable qu'elle entraîne dans le paysage du fait de son caractère répétitif au centre Cameroun (Milleville, 2007), Defontaine (1998), Jagoret et al. (2010).

· Mise en valeur agricole des lisières et dynamique de l'écotone

Dans la région du confluent entre le Mbam et le Kim, Froment et al., (1996) ont mis en évidence que les populations Tikar, en s'établissant toujours sur la lisière, subissaient auparavant le phénomène de transgression. Cette implantation avait même tendance, par l'entremise notamment d'oiseaux anthropophiles disséminateurs, à accélérer la progression forestière à la périphérie de l'habitat à l'insu des Tikar qui se voyaient contraints de déplacer le village pour se maintenir en lisière. La mobilité forcée de l'habitat accompagnait l'espace agraire itinérant, ce dernier résultant de mises en jachère de longue durée rendues nécessaires par la réitération culturale sur 7 à 8 années consécutives et par la baisse drastique de production qui s'ensuivait. Cette relative passivité face à la transgression, va cesser à partir

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des années 60 avec l'apparition de deux facteurs. Dans un premier temps, l'adoption massive de l'arboriculture de rente et la création d'un périmètre boisé pérenne qui va s'ensuivre. L'arboriculture entretenue sur les marges des villages va finir par bloquer la transgression forestière et permettre le maintien des habitats. Dans un second temps, l'invasion intempestive des recrus par la buissonnante Chromolaena odorata, va modifier la rotation agricole. Mettant à profit les indéniables qualités agronomiques de cette adventice amélioratrice des sols (Prasad et al., 1993). Les Tikar vont à partir des années 80 intensifier leur système de culture en revenant sur la même aire de culture après un temps de jachère réduit à moins de 5 ans. Cette forte réduction de la durée de la déprise agricole compromet toute recolonisation par le recru (Guelly et al., 1993). Le blocage du recru est renforcé par l'excellent rendement calorique de l'eupatoire lors du brûlis qui neutralise les jeunes rejets d'arbres héliophiles précurseurs de la reforestation (Gauthier, 1996).

Dans la région du centre-Cameroun en général, des facteurs locaux apportent actuellement le « coup de pouce » qui permet de mesurer des progressions spectaculaires en quelques dizaines d'années. C'est par exemple le rôle tout à fait primordial de Chromolaena odorata qui joue le rôle de pare feu en s'interposant entre la savane et la bordure de la forêt. Sa présence permet la survie d'un plus grand nombre d'espèces pionnières de la forêt qui sont malheureusement très sensibles aux feux de brousse (Youta Happi, 1998).

Au centre de la Côte-d'Ivoire, dans le « V Baoulé », la mise en valeur agricole des lisières a entraîné localement une implantation des espèces pionnières de la forêt en savane. Des relevés botaniques réalisés dans des anciens champs d'ignames implantés sur les lisières révèlent la présence d'espèces pionnières de la forêt dans les jachères (Blanc-Pamard et Spichiger, 1973 ; Blanc-Pamard et Peltre, 1979). Les auteurs concluent que l'occupation temporaire des parcelles de savanes par les cultures est responsable de ces implantations. La raison est que pendant la phase culturale, ces parcelles sont mises en défens, ce qui favorise le recrutement spontané des espèces de la forêt. Au sud-est de la République Centrafricaine et au nord du Congo Brazzaville, l'occupation temporaire des parcelles de savanes par l'habitat aurait les pour effets la constitution de bosquets (Boulvert, 1990 ; Grand-Clément, 2002). Ces auteurs expliquent que l'installation des habitations dans les savanes conduit, d'une part, à la suspension des feux et, d'autre part, à l'implantation d'arbres fruitiers qui, avec le temps, créent une ambiance écologique favorable à l'installation des espèces indigènes de la forêt dense.

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Dans la région ouest du terroir yambassa justement, des travaux agronomiques révèlent une rotation culturale qui aboutit à une recomposition de l'occupation du sol. L'un des traits majeurs de cette dynamique est la conversion de parcelles de savanes en agroforêts de cacaoyers. En effet, les systèmes de culture vivriers en zone de savane reposent sur le manioc et le maïs, qui constituent la base alimentaire de la population de Kédia près de Bokito. Ils combinent dans l'espace et dans le temps des cultures annuelles (taro, igname, maïs, courge à pistaches, etc.) ou pluriannuelles (manioc, bananier plantain) de longueurs de cycle différentes, permettant le plus souvent deux productions par an sur la même parcelle. Une parcelle en savane peut porter ces cultures vivrières durant 4 années, puis elle est mise en jachère pour 10 à 12 ans. Mais dans bien des cas, les cultures vivrières sont associées aux cultures pérennes (le cacaoyer, les agrumes) durant leur phase juvénile : les 5 à 7 premières années qui précèdent l'entrée en production du cacaoyer, par exemple. Cette association du cacaoyer aux cultures vivrières contribue à accroître la production vivrière des exploitations et favorise l'entretien des jeunes cacaoyères (Aboubacar et al., 2012).

Ainsi, un peu partout en Afrique tropicale humide, l'occupation temporaire des parcelles de savanes par les champs et/ou les cultures conduit à une colonisation spontanée de la savane par la forêt dense. La question qui se pose est celle de savoir comment évoluent les parcelles de svanes occupées de manières pérennes par les champs et/ou les habitats.

· La régénération post-culturale à l'intérieur de la forêt

Les champs de forêts abandonnés après récolte connaissent eux aussi une activité dynamique. La vitesse de la reconstitution qui s'opère est fonction du nombre de cycles culturaux antérieurs. Un espace qui a été pendant longtemps exploité verra son potentiel de régénération réduit. Certains éléments de l'environnement immédiat peuvent également avoir une influence sur la reconstitution. C'est par exemple le cas de la présence sur les jachères de certains arbres épargnés par un abattage sélectif pendant l'activité agricole. Ces « orphelins de la forêt » (Carrière, 1999) ont un rôle déterminant dans la dynamique forestière. En effet, l'arbre au sein de l'agrosystème crée les conditions favorables à l'installation des essences ligneuses et facilite la régénération du couvert forestier (Yarranton et Morrison, 1974) .

Certains auteurs comme Carrière (1999) considèrent que l'agriculture extensive traditionnelle basée sur le système de cultures itinérantes ou essartage, joue un rôle proche de celui des chablis dans la dynamique forestière. Pour cet auteur, dans certaines situations, les perturbations induites par les agriculteurs ne sont pas préjudiciables à la biodiversité de la

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forêt, mais au contraire, elles en constituent un des éléments. Cela s'explique par le fait que les agriculteurs en aménageant les parcelles de cultures, épargnent un certain nombre d'arbres pour diverses raisons comme la fertilisation pour le cas des légumineuses. D'autres raisons expliquent la préservation des arbres dans les champs. C'est le cas des arbres fruitiers, des arbres d'ombrage, des essences à valeur culturelle ou rituelle, des essences à valeur médicinale ou culinaire. Aussi, une fois la parcelle abandonnée en jachère, ces arbres dispersées favorisent ou accélèrent la reconstitution de la forêt du fait qu'ils sont des portes graines et servent aussi de perchoirs aux oiseaux et animaux grimpeurs qui s'y attardent pour manger ou pour expulser leurs déjections. Aussi, les perturbations induites par l'agriculture itinérante pratiquée en forêt dense humide dans un contexte de faible densité démographique présentent quelques caractéristiques semblables aux perturbations naturelles. Plusieurs raisons expliquent cela :

- Les perturbations cycliques qui y sont pratiquées, notamment par le biais des défrichements culturaux, correspondent à des éclaircies temporaires que le calendrier agricole des terroirs impose ;

- Le terroir agricole en mosaïque de phases de jeunesse (jeunes jachères ou forêt très dégradées), de maturité (jachère âgée ou forêts secondaires) et de vieillesse (forêts secondaires âgées ou forêts en voie de reconstitution) y constitue un facteur de maintien de la biodiversité;

- Les perturbations fréquentes (temps de jachère de 20-30 ans) tout comme les chablis loin de diminuer la diversité biologique, y permettent plutôt le renouvellement ;

- La variabilité des intensités des perturbations (faibles superficies défrichées, dispersion des champs dans le terroir, courte durée des cultures, rotations déclenchées avant la diminution de la fertilité des sols) concourt également à un maintien de la biodiversité globale et même parfois à un enrichissement par le biais d'introduction d'espèces.

Toutes ces perturbations anthropiques améliorent la forêt en tant que ressource utilisable pour l'homme et contribuent de manière significative à la structuration en taches de la forêt et donc au maintien de sa biodiversité à l'échelle locale. Le maintien et surtout l'évolution de la biodiversité s'expliqueraient par les changements climatiques et écologiques (pénétrations de nouvelles espèces) ainsi que par les facteurs historiques (sédentarisation des villages), sociaux (évolution des maîtrises foncières, agencement des cultures dans l'espace) et culturels (abattage ou non de certaines espèces d'arbres culturellement valorisées). Dans une

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perspective dynamique, on peut résumer l'action de l'agriculture itinérante par une altération puis une reconstitution de la forêt, donc un maintien de la biodiversité et une évolution de celle-ci à travers l'histoire des populations et leurs activités de subsistance.

Kahn (1982, cité par Kemadjou, 2010) a étudié la reconstitution de la forêt tropicale humide après culture traditionnelle au Sud-ouest de la Côte-d'Ivoire sur 14 jachères d'âges différents (de 3 à 60 ans). Pour lui, la forêt tropicale humide se reconstitue par une série de stades successifs, chaque stade étant le résultat de l'installation du développement et du dépérissement d'un ensemble floristique qui facilite l'installation et le développement du stade suivant. La théorie de la reconstitution qui découle de cette étude établit que le développement de la forêt après perturbation artificielle passe par une série de 4 stades successifs:

- Le stade herbacé graminéen où la végétation présente essentiellement les adventices surtout graminéennes;

- Le stade à herbacées et sous ligneux qui correspond à la mise en place sous forme de plantules d'espèces pionnières de la forêt à croissance rapide et à bois mou ;

- Le stade arbustif pionnier qui est caractérisé par la présence de nombreuses espèces secondaires. Ce stade disparaît progressivement et voit l'apparition de jeunes plants d'espèces à longue durée de vie ;

- Le stade préclimacique. Il met en place une forêt secondaire qui précède la forêt climacique. C'est le dernier stade avant la reconstitution complète de la végétation. Il est caractérisé par la présence en nombre dominant des espèces à longue durée de vie et à bois dur

Le schéma de la succession tel que présenté par Kahn (1982, cité par Kemadjou, 2010) est à peu près comparable à ceux élaborés par certains de ses prédécesseurs en ce qui concerne la reconstitution de la forêt tropicale humide post culturale. Celle-ci, une fois perturbée, tend à se reconstituer à travers une série d'étapes qui passent par les plantes herbacées, les arbres à croissance rapide et à faible longévité, les grands arbres héliophiles et enfin les arbres caractéristiques de la forêt primaire qui sont constitués essentiellement d'espèces sciaphiles. Aubréville (1947, cité par Kahn, 1982) distingue trois phases dans le processus de reconstitution :

- La première phase est celle des espèces caractéristiques des forêts secondaires. Les espèces en présence sont essentiellement héliophiles. Elles s'élèvent à une taille située entre 15 et 20 m de haut ;

Le long des lisières, une bande de Chromolaena odorata, Asteraceae exotique pérenne (Gautier, 1993) introduite au Cameroun à la fin des années 1960, s'intercale entre la savane et

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- La deuxième phase qui connaît la formation d'un sous-bois comparable à celui d'une forêt primaire. D'autres espèces héliophiles encore plus grandes que les premières dominent ;

- La troisième phase ou reconstitution de la forêt primaire. Ici les espèces secondaires de la première phase ont disparu. Ce sont désormais les grands arbres de longue durée de vie qui dominent.

Dans la partie septentrionale du Cameroun, Aboubakar (1997) a déterminé les conséquences de l'exploitation des espaces boisés ainsi que les risques qui en découlent. Il note la réduction du couvert ligneux causée par les défrichements culturaux croissants et la raréfaction de certaines espèces ligneuses telles que Trichilia rok et, Dalbergia melanoxylon. Dans les savanes arbustives jadis cultivées, Aoudou (2001) a observé une augmentation du recouvrement des ligneux, une diversité de la structure de la végétation en fonction de la durée de l'abandon sur les terroirs anciennement habités et mis en défens dans la Haute Bénoué.

· Le rôle protecteur des espèces de lisière

Le front forestier au contact de la savane est essentiellement peuplé d'espèces héliophiles très expansives qui se répartissent derrière la lisière de la forêt sur les 10 à 50 premiers mètres. Il s'agit, pour les plus répandues, de Markhamia lutea, Voacanga africana, Alchornea cordifolia, Allophyllus africana, Albizia zygia, Albizia glaberrima et Albizia adianthifolia. Ces trois dernières espèces ont un caractère très plastique et ont une répartition plus large, aussi bien dans la forêt que dans la savane (Youta Happi, 1998). Sur les lisières, ces espèces qui ont la taille d'arbustes et de jeunes arbres de 7 à 20 m cohabitent avec des peuplements de Zingiberaceae. Ce dispositif forme un pare-feu naturel pour la forêt, à la fois défensif et offensif. Défensif grâce au rideau persistant des feuilles des espèces du front forestier et des ampes foliaires des Zingiberaceae gorgées d'eau. Offensif grâce aux branches débordantes des espèces de bordure qui rampent parfois jusqu'au sol. Sous leur ombre, alors que les Gramineae privées de lumière périclitent, les graines des espèces de lisière, dans une ambiance relativement humide, peuvent germer sans être concurrencées. Ainsi de proche en proche, ces espèces de conquête s'implantent, aidées par l'ombrage croissant qui empêche les Gramineae de pousser.

· Le rôle accélérateur de Chromolaena odorata

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la forêt. Cette plante herbacée, dotée d'une très grande capacité de ramification et d'une forte vitesse de croissance, présente également la caractéristique de rester verte plus longtemps que les herbacées de la savane en saison sèche. De la sorte, les feux de savane ne la franchissent pas ou ne la détruisent que partiellement, ce qui a pour conséquence une protection de la lisière. De plus, Chromolaena odorata ne s'oppose pas aux espèces pionnières de la forêt car son système racinaire tolère la germination et le développement de leurs graines et de leurs plantules. Elle les protège des feux et favorise donc leur croissance sous leur couvert persistant (Achoundong et al., 1996 ; Youta Happi, 1998). Dans la compétition interspécifique qui se déroule en lisière et, localement, en savane, Chromolaena odorata élimine les Gramineae du fait de son fort développement vertical et latéral. Elle favorise en quelques années l'installation définitive des espèces de forêt qui la dominent par contre dans le temps et dans l'espace.

· Les systèmes défensifs végétaux africains

Les comptes rendus d'opérations de police et les rapports militaires rédigés au début de la période coloniale européenne en Afrique mentionnent les difficultés rencontrées pour approcher de nombreux établissements entourés d'épais fourrés d'épineux ou d'euphorbes (Seignobos, 1978). Cet auteur précise que les « fortifications végétales» avaient été créées par l'homme, et leur démantèlement fut souvent exigé par les puissances coloniales comme gage de soumission. Dans la partie septentrionale du Cameroun, mais aussi autour de lac Tchad, ces « murs vivants » ont disparu rapidement à l'époque coloniale, car elles furent soit détruites, soit délaissées ou reconverties chez les groupes éleveurs en haies de protection des champs. Les chemins bordés qui permettaient de contenir le bétail se maintinrent alors que s'effaçaient les lignes boucliers. Beaucoup de ces constructions végétales sont encore décelables dans le paysage où se succèdent des éléments arborés ou arborescents en lignes. Leur abondance inattendue ne s'explique pas par la seule nécessité de canaliser le bétail, pas plus que les rideaux d'arbustes spinescents sur les piémonts ne peuvent être attribués uniquement à une action antiérosive. De plus, l'évidente inefficacité défensive des constructions de terre et surtout de pierres sèches laisse comprendre leur vraie raison d'être, celle de supporter des constructions végétales formées d'épineux ou d'euphorbes dont les ruines sont encore accrochées à ces murs. Passant presque inaperçues, ces défenses végétales sont en réalité omniprésentes sur de vastes aires et montrent tout le raffinement de leurs diverses combinaisons. Leur reconstitution et leur interprétation exigent une véritable démarche archéologique. Nous évoquerons ici des exemples de fortifications végétales

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édifiées au Cameroun et dont certaines servaient encore au moment de la pénétration coloniale. Les systèmes défensifs végétaux sont omniprésents en Afrique, essentiellement dans les situations de populations installées dans des écosystèmes ouverts comme les savanes et les steppes. Toutefois, dans la zone soudano-sahélienne, l'élaboration de ces «fortifications» était favorisée par un certain nombre de conditions.

- Elles n'existaient pas dans les États centralisés comme les royaumes du Bornou près du lac Tchad ou du Baguirmi où seule la capitale s'arrogeait le droit d'être fortifiée. En revanche, dans les cités du pays haoussa, les défenses végétales renforçaient les murailles. Ces constructions végétales étaient surtout élaborées dans les zones où les densités de populations étaient trop fortes pour qu'un simple no man's land forestier puisse assurer leur protection.

- Elles étaient également essentielles pour des groupes en situation d'assiégés ou menacés de façon endémique. Certaines régions, particulièrement vulnérables, multipliaient ces défenses dans les couloirs de peuplement nés du refoulement continuel de populations venues des grands empires, ou dans les régions directement exposées aux menées de ces empires qui les razziaient périodiquement.

- Les végétaux complétaient, dans bien des cas, les refuges naturels, collines et massifs rocheux avancés en plaine. La protection pouvait être assurée par une essence unique ou bien, et c'est le cas le plus fréquent, plusieurs espèces se combinaient entre elles en une succession de lignes formées de variétés différentes. Certaines plantes, qui se bouturent facilement, servaient de supports à d'autres, lianescentes et épineuses, qui constituaient les lignes avancées et créaient des écrans élevés. On utilisait en avant-poste les essences peu sensibles au feu, ou celles qui étaient difficiles, voire dangereuses à abattre. Certaines, enfin, qui formaient des « murs » hermétiques étaient disposées en dernière ligne. Le choix des combinaisons restait très ouvert, mais le mode défensif choisi était, dans sa complexité, représentatif du groupe ou du sous-groupe ethnique qui l'avait suscité et qui le reproduisait indéfiniment.

Toujours, d'après Seignobos (1978), les Guiziga, populations indigènes de la région de Maroua établissaient leur habitat aux pieds de massifs rocheux (figure 3). Une partie de leur terroir exigeant impérativement une protection, de véritables murs végétaux suivaient les piémonts, à quelques dizaines ou centaines de mètres des premiers éboulis. Les Guiziga bouturaient sur la ligne de défense extérieure Commiphora africana, de manière relativement espacée. Acacia ataxacantha était semé parallèlement à l'aide de cannes de mil évidées et

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remplies de graines qui s'écoulaient par l'extrémité qu'on laissait traîner dans une rainure du sol. En se développant, Acacia ataxacantha, épineux buissonnant, se mêlait à Commiphora africana pour former une barrière de trois à quatre mètres de hauteur. Une deuxième ligne, à base d'Euphorbia unispina, dans sa variété au port le plus serré et à la taille la plus élevée, poussait à quelques mètres en arrière. Enfin, Commiphora africana, arbuste à la silhouette contournée et dont les rameaux sont autant d'aiguillons, était bouturé en croisillons sur plusieurs rangs à l'arrière.

En complément de ces premières lignes de défense générale, les passes des petites vallées étaient barrées par des murets recréant un milieu favorable à la croissance d'euphorbiacées ou d'Acacia ataxacantha. Ces « pierriers » ou Dled1, ces murets qui coupaient les vallées et qui sont aujourd'hui à nu ne servaient pas seulement à casser les assauts de la cavalerie des royaumes voisins, ils constituaient le plus souvent le support durable de systèmes défensifs végétaux complexes.

L'abondance d'une essence, Commiphora africana sur les massifs à l'ouest de Maroua ou Acacia ataxacantha en bordure des cours d'eau, permettait une mise en place rapide (une saison des pluies suffisait) et le renouvellement fréquent de centaines de mètres de haies. Ces rideaux défensifs évoluaient sans cesse, avançant en plaine ou se rétractant à proximité de l'entassement chaotique des pierres, contournant les massifs, d'abord partiellement, puis les ceinturant intégralement, en fonction des fluctuations de densité de population du massif. En revanche, les plantes à latex comme Adenium obaesum, Euphorbia unispina et surtout Euphorbia desmondi étaient plutôt importées d'autres régions et on les faisait fructifier à partir des lignes existantes. Elles jouaient le rôle de barrière mécanique et l'on « mettait en réserve » l'une d'elles, qui servait uniquement, en association avec Strophantus, à la composition de poison de flèche.

1 Dled signifie mur de pierre (pierrier). Il est élevé comme système d'appui des lignes végétales

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Figure 3: Système défensif végétal type mofou

Source: Seignobos, 1980

Dans le domaine forestier et à ses abords, les remparts végétaux pouvaient atteindre des dimensions impressionnantes comme en pays Yambassa, au nord de Yaoundé (Beauvilain et al., 1985). Ici, l'ossature défensive est fournie par un arbre, le kapokier (Ceiba pentandra), qui peut atteindre de 30 à 40 mètres de haut. Les Yambassa ont ainsi bouturé des « murs vivants » de kapokiers sur des kilomètres de long (figure 4).

Les contreforts à la base des fûts s'imbriquent les uns dans les autres ou forment une véritable muraille de 3 à 4 mètres de hauteur qui assure une protection hermétique, dont les rares ouvertures étaient gardées. Toutefois, ces murs d'arbres gigantesques avaient d'autres fonctions. Non seulement ils délimitaient et défendaient l'espace d'une communauté villageoise, mais ils créaient véritablement le terroir Yambassa. Installées dans des savanes

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herbeuses, ces lignes ceignaient les positions hautes et jouaient le rôle de pare-feu. À l'arrière, l'homme pouvait entretenir des massifs forestiers dont l'essence dominante était le palmier à huile.

Figure 4 : Système végétal de défense yambassa

Source: Beauvilain et al, 1985

C'est justement dans ce contexte à l'histoire récente très mouvementée que notre étude a été conduite. Les travaux nous ont permis de détecter les héritages d'ordres fonciers, économiques et écologiques de ce contexte de guerres entre groupes de populations et de mises en valeurs agricoles des terres.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand