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Réformer le code civil.

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par Anaïs Bodenes
Université Rennes 1 - Master 2 Droit privé général 2014
  

Disponible en mode multipage

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Année universitaire 2014 / 2015

Mémoire pour le Master 2

« Droit privé général parcours droit privé fondamental »

REFORMER

LE CODE CIVIL

Présenté et soutenu par : Sous la direction de :

Anaïs Bodénès Monsieur Richard Desgorces

Professeur à l'Université Rennes 1

Réformer le Code civil 2

« Il me tient à coeur d'exprimer ma sincère reconnaissance à l'égard de mon directeur de mémoire, le Professeur Richard Desgorces, pour son aide précieuse, sa disponibilité et ses judicieux conseils qui ont contribué à alimenter ma réflexion et m'ont guidée tout au long de ce travail de recherche ».

Réformer le Code civil 3

LISTE DES ABRIEVATIONS

art. Article

Ass. plén. Assemblée plénière de la Cour de cassation

Bull. Bulletin

C. Cass. Cour de cassation française

C.E.D.H Cour européenne des droits de l'Homme

Conv.EDH Convention Européenne des droits de l'Homme

Chron. Chronique

Cf. se reporter à

Civ. Chambre civile de la Cour de cassation française

coll. Collection

comm. Commentaire

D. Recueil Dalloz

dir. Direction

éd. Edition

Gaz. Pal Gazette du palais

in dans

infra ci-dessous

J.C.P Semaine juridique

L.G.D.J Librairie générale de droit et de jurisprudence

obs. Observations

Ouvr. préc. Ouvrage précité

p. Page

PUF Presses universitaires de France

RTD. Civ Revue trimestrielle de droit civil

s. suivant

spéc. spécialement

supra ci-dessus

vol volume

CONCLUSION GENERALE 105

Réformer le Code civil 4

SOMMAIRE

(Une table des matières détaillée figure à la fin du mémoire)

INTRODUCTION 5

Première partie : Pourquoi réformer le Code civil ? 15

CHAPITRE 1 - REMEDIER AUX DEFAUTS 16

Section 1 - La complexité 16

Section 2 - Le vieillissement 27

CHAPITRE 2 - ADAPTER À L'EUROPE 39

Section 1 - A l'Europe des droits de l'homme 39

Section 2 - A l'Europe du commerce 50

Deuxième partie : Comment réformer le Code civil ? 62

CHAPITRE 1 - LES TECHNIQUES CLASSIQUES DE REFORME 63

Section 1 - La science de la réforme 63

Section 2 - La forme de la réforme 75

CHAPITRE 2 - LES TECHNIQUES MODERNES DE REFORME 85

Section 1 - L'harmonisation du droit civil européen 86

Section 2 - L'unification du droit civil européen 93

Réformer le Code civil 5

INTRODUCTION

« Le Code civil est vivant. Il doit le demeurer ! »1

1. Voici une exclamation bien surprenante. Monument du droit, toujours riche et vivant2, tels sont les arguments avancés par le plus grand nombre. Aussi surprenante soit telle, cette formule de Jean Foyer a le mérite de refléter la réalité : le Code civil est vivant. Certes, mais seulement en ce qu'il continue d'être en vigueur, appliqué par tous. Son prestige quant à lui, est mort. Ainsi, le Code civil ne peut demeurer vivant, il doit renaitre.

2. Le Code civil, polysémique. Un Code civil est avant tout un code. Ce mot « code », du latin « codex », désigne un livre composé de feuilles de parchemins ou de tablettes reliées entre elles3. Cette forme d'ouvrage fut utilisée principalement pour des ouvrages de droit, plus précisément pour des recueils de textes législatifs émanant des empereurs. A l'origine, le « codex » est alors un recueil qui rassemble ce qui est présent. Parmi les premiers « codex », l'on trouve celui de Grégorius en 291, il s'agissait d'abord de collections dues à l'initiative privée. Par la suite, l'empereur lui-même voulu rassembler les textes dans un recueil, l'on va alors assister à des compilations officielles comme le Code théodosien (438) et le Code Justinien (529).

Le sens du terme « codex » va progressivement évoluer. Les codes précités n'étaient que des recueils de lois, autrement dit ils recueillaient l'ensemble des lois dans un seul volume. Désormais, le terme « codex » signifie non plus « recueils de lois » mais « recueils de droit », ces recueils créent du droit, apportent de la nouveauté. L'objectif de toute entreprise de codification est alors de rendre le droit plus accessible, plus simple, puisque la création du droit nouveau se matérialise en une seule entité. La rédaction d'un code rend le droit plus lisible, ce dernier comprend en effet un fil directeur, des grands principes. Cette lisibilité tient au fait que la codification améliore la qualité des textes. Un code se veut donc fondamentalement cohérent. Il est organisé par matières, subdivisé en livres, en chapitres. La cohérence s'applique aussi au plan du Code, qui a pour objectif de faciliter sa compréhension. Rédiger un code, c'est alors souhaiter rendre le droit accessible et intelligible.

1 J. Foyer, « Le Code civil est vivant. Il doit le demeurer ! », JCP 2004 I. 120

2 J.-L. Halpérin, Le Code civil, Dalloz, 2e ed. 2003, p. 2.

3 J.-L. Halpérin, ouvr. préc., p. 3.

Réformer le Code civil 6

3. Appliquée au Code civil, que reste t'il de cette notion de Code ? Avant toute chose, délimiter l'étendue de notre étude est nécessaire. Il convient en effet de se demander de quel Code civil l'on parle. Code Napoléon, Code actuel, Code ayant subit de nombreuses modifications depuis 1804, collections d'articles ? Le parti pris sera le suivant : considérer le Code civil comme un livre tel qu'il est en vigueur aujourd'hui. Ses évolutions et modifications ne seront pas pour autant niées, cependant notre constat aura pour base le Code civil en 2015.

Le Code civil contient, par définition, le droit civil. Cette expression « droit civil » découle du latin « jus civile » et désigne le droit des citoyens. Branche fondamentale du droit privé, le droit civil comprend les règles relatives aux personnes, aux biens, à la famille, aux obligations, aux sûretés, aux successions etc. Le Code civil constitue alors, vulgairement, le code des citoyens. Cette définition ne convainc pas, il convient d'envisager celle du père du Code civil, Portalis. Un Code civil est, selon Portalis, « un corps de lois destinés à diriger et à fixer les relations de sociabilité, de famille et d'intérêt qu'ont entre eux les hommes qui appartiennent à la même cité »4. De cette définition découle, d'une part, l'idée d'un code pour les citoyens et d'autre part, d'un code avec pour objectif l'organisation de la vie en société.

Aujourd'hui, la notion de Code a été profondément ébranlée. D'une réunion de droit l'on était passé à une création de droit. Au XXIe l'on assiste alors à une sévère régression de la codification : la codification n'est plus source de création de droit. Les codes en droit français répondent tous à ce constat. Le législateur, lorsqu'il souhaite codifier, modifie, abroge les textes, mais ne crée pas. Ainsi, il n'est pas inexact d'énoncer que le Code civil n'est plus aujourd'hui source de création de droit, ne constitue plus une oeuvre cohérente, il s'agit d'un rassemblement de textes épars. La nécessité de réformer s'entrevoit.

4. Réformer, entreprise monumentale. Avant d'envisager la réforme, il convient d'en revenir à la source, la codification, qui consiste à créer un code dans un domaine où il n'en existait pas. Du latin « codicem facere », qui signifie faire un code, la codification revêt deux sens. D'une part, elle peut consister en une simple compilation. Cette forme de codification n'est pas innovante puisqu'elle recueille des textes de nature différente et les compile dans un seul corps. D'autre part, la codification constitue, au sens propre du terme, une innovation : une réformation du droit. La véritable codification suppose une rupture avec

4 Portalis, Discours de présentation du Code civil présenté le 3 Frimaire an X.

Réformer le Code civil 7

le droit antérieur, du moins une discontinuité5. De cette forme de codification découle un code empreint d'unité, de cohérence.

Créer un code dans un domaine où il n'en existait pas, voici ce qu'est la codification. Cette définition ne doit pas faire l'objet d'une confusion avec un terme proche, mais pourtant fondamentalement différent, la recodification. En effet « recodifier est nécessairement autre chose que codifier »6. Cette recodification, à l'instar de la codification, revêt plusieurs facettes. Elle peut prendre la forme d'une refonte d'un code préexistant, code qui a été refondu, le titre peut demeurer le même ou légèrement différer. La recodification peut également résulter de l'adjonction, à un code déjà existant, de nouvelles dispositions. Enfin, elle peut prendre la forme d'un transfert de dispositions d'un code préexistant vers un nouveau code.

5. Réformer est-ce autre chose que recodifier ? En effet, avant d'envisager la réforme du Code civil, il convient de délimiter ce terme de « réforme » et de rapprocher, ou d'exclure, les termes voisins. Communément, le terme réformer signifie « faire subir à quelque chose des modifications importantes destinées à l'améliorer »7. Ainsi, il apparaît qu'une réforme n'est pas fondamentalement un changement de forme, alors même que l'étymologie du terme pourrait le laisser penser. Envisager « recodifier » et « réformer » comme des termes synonymes ne semblent pas incohérents. En effet, la réforme peut prendre la forme d'une recodification visant à refondre un code préexistant. Pour cette raison, « refonte du Code » constitue également une expression synonyme à celle de « réforme du code ». Les termes voisins foisonnent.

D'une part, réformer le Code civil peut consister en une réhabilitation. Réhabiliter c'est reconnaître « la valeur, l'utilité de quelqu'un, de quelque chose, après une période d'oubli, de discrédit »8. Appliquée au Code civil, nous verrons que cette définition est riche de vérité. D'autre part, il convient cependant d'écarter un terme voisin, celui de « révision ». En effet, réviser le Code civil n'est pas le réformer. Réviser c'est « examiner quelque chose à nouveau, étudier à nouveau, vérifier »9. N'apparait pas là, la dimension fondamentale de changements profonds, de modernisation. Ainsi, tout au long de notre étude, les termes tels que « réhabilitation », « refonte », « recodification » seront employés au sens de « réformer ».

5 B. Belloir-Caux, Code civil Mode d'emploi Ellipses, 2011, p. 9.

6 Ph. Rémy, La recodification civile, Droits, 26, 1997, p. 4.

7 Dictionnaire de français Larousse, voir « réformer ».

8 Dictionnaire de français Larousse, voir « réhabiliter ».

9 Dictionnaire de français Larousse, voir « réviser ».

Réformer le Code civil 8

6. Réformer le Code civil, tenter de démontrer sa nécessité, sera le but de notre étude. Aujourd'hui, la situation en France est figée. Les tentatives de Codes nouveaux se soldent par des échecs. Réformer le Code civil c'est élaborer quelque chose de nouveau, cependant cette idée de nouveauté se heurte à un obstacle propre au droit français : le conservatisme. Si l'on retient la parole du doyen Carbonnier, le Code civil est la « Constitution civile des français »10. Par définition, une constitution est stable. Cependant, l'addition des termes « Code » et « Constitution » a un résultat néfaste : on ne change pas le Code civil : « quand un code a vaincu l'usure de l'évolution par une résistance séculaire, il acquiert peut-être statut de livre canonique, une sorte de noblesse qui le place hors de l'écoulement du temps »11.

7. De cette affirmation découlent trois idées : plus de deux siècles ont passé et la postérité du Code civil, oeuvre historique (1) est avérée. En effet, nier l'importance considérable qu'a constitué le Code civil dans le rayonnement de notre pays n'est pas le but de notre étude. Cependant, si le Code civil a été, il n'est plus (2). Au regard de ces affirmations, la finalité de notre étude coule de source : le Code civil doit être réformé, au delà des difficultés (3).

§1 - Sens de l'étude : le Code civil oeuvre historique

8. La codification civile est la réalisation en France, d'un vieux projet, celui d'unifier le droit civil. Cette ambition a été principalement celle d'un seul homme, Napoléon Bonaparte. Au sein de la constitution de 1791 figurait déjà ce souhait de codification : « il sera fait un code de lois civiles communes à tout le royaume ». Cambacérès, un juriste de l'époque, va s'atteler à la tâche. Le 9 aout 1793, il présente à la Convention un projet de code, projet qui reprend le plan du Code Justinien. Dénoncé comme profondément révolutionnaire, et inapproprié en temps de guerre, le texte ne sera pas voté. Ainsi, un deuxième projet sera soumis à la Convention, que cette dernière laissera une nouvelle fois de côté12. Le Directoire, en 1795, va nommer une commission de clarification des lois et, persévérant, Cambacérès présidera ce troisième projet. Celui-ci connaîtra le même sort que les précédents en raison du renversement du Directoire. « Conçus par des juristes influencés par le virage post-thermidorien, ces projets font figure de transition entre les ambitions révolutionnaires et les

10 J. Carbonnier, « Le Code civil », in P. Nora, Les lieux de mémoire, t. II, La nation, p. 293 et s

11 J. Carbonnier, V° Codification, in dictionnaire de philosophie juridique, sous la dir. de P. Raynaud et S. Rials, PUF, 2003.

12 Pour plus de détails voir J.-L. Halpérin, ouvr. préc., p. 12 et s.

Réformer le Code civil 9

réalisations consulaires »13, autrement dit ces projets ne constituent pas des échecs mais une inspiration pour les rédacteurs de 1804.

Sans forte volonté politique, la rédaction du Code civil n'était pas envisageable. Dès son arrivée au pouvoir, grâce au coup d'état du 18 Brumaire an VIII, Napoléon va préparer cette codification, priorité selon lui de son passage au pouvoir. Ainsi, il va profiter d'une conjoncture pour favoriser la réunion des facteurs de nature à faciliter l'adoption d'un Code civil : stabilisation monétaire, rétablissement du culte, pacification intérieure, autant d'éléments propices à la réalisation du Code civil. Le 24 Thermidor an VIII (12 août 1800), Napoléon va désigner une commission de quatre membres chargée de fixer les bases de la législation civile. L'importance décisive de ce choix est telle que ces quatre membres sont considérés comme les rédacteurs du Code civil. Portalis, Tronchet, Bigot de Préameneu et Maleville vont être chargés de rédiger, en 3 mois, le Code civil. Après 5 mois de travail, un premier projet voit le jour, le « projet de l'an VII ». Précédé du fameux « Discours préliminaire » dû à la plume de Portalis, ce projet va donner lieu à un vaste débat, dont le premier consul chercha à contrôler toutes les étapes. Les tribunaux vont émettre, dans l'ensemble, des avis défavorables, notamment à propos de l'extension du divorce. Pour autant, l'ensemble du projet sera transmis au Conseil d'Etat. Présidées par Napoléon lui même, les discussions au Conseil d'Etat seront très vives et aboutirons à de profondes modifications. Le livre préliminaire envisagé par Portalis sera réduit à un titre préliminaire. Un compromis sera trouvé avec l'introduction du divorce par consentement mutuel, si cher à Napoléon. Enfin, le projet sera voté, projet divisé en trente-six lois ajoutées à une trente-septième qui réunissait l'ensemble des lois dans un Code, le Code civil.

9. Le 21 mars 1804, les trente-six lois votées vont donc être réunies en un seul corps de lois, sous le titre de Code civil des Français, par la loi du 30 Ventôse an XII. La promulgation du Code civil met alors un terme à un processus d'unification du droit privé français amorcé depuis plusieurs dizaines d'années. Voulu comme un « recueil pratique sans ambition spécifique »14, le Code civil et ses 2281 articles auront une destinée considérable. Après la rénovation des institutions, la fondation d'un Etat fort, centralisé et efficace15, Napoléon Bonaparte a alors doté la France d'un outil fixant l'état des personnes, le régime

13 J.-L. Halpérin, ouvr. préc., p. 15.

14 J.-L. Halpérin, ouvr. préc., p. 23.

15 Message de Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale, in Le Code civil 1804-2004, Livre du Bicentenaire, Dalloz Litec, 2004, p. 11.

Réformer le Code civil 10

juridique des biens, la portée des obligations. Le Code civil de 1804 se limitait exclusivement au droit civil, organisé pour une nation donnée et en fonction d'une société particulière. Il s'agit là d'une définition stricte de la matière du Code, définition qui avait pour objectif l'unité de l'ouvrage. L'article 7 de la loi du 21 mars 1804 atteste ainsi de la volonté de Bonaparte, de donner aux Français, un code applicable à tout le pays : « à compter du jour où ces lois sont exécutoires, les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts, les règlements cessent d'avoir force de loi générale ou particulière dans les matières qui sont l'objet des dites lois composant le présent code ».

10. Le Code civil, l'ambition d'un homme. La codification, en tant qu'objectif politique, est l'expression du pouvoir politique et d'une manifestation de souveraineté. Bonaparte se devait ainsi, à l'instar de grands souverains à l'origine de codes, d'attacher son nom au sien. En 1807, le Code civil sera rebaptisé « Code Napoléon ». Ce dernier, alors exilé à Sainte-Hélène énoncera en 1815 ces propos prophétiques : « Ma vraie gloire, ce n'est pas d'avoir gagné quarante batailles... Ce que rien n'effacera, ce qui vivra éternellement, c'est mon Code civil... J'ai semé la liberté à pleine main partout où j'ai implanté mon Code civil »16. Véritable instrument et symbole de la gloire immortelle de Bonaparte, le Code civil a prospéré. Plus de deux siècles après, cette postérité est avérée. Cependant « Les Codes des peuples se font avec le temps ». Cette formule de Portalis est incomplète : les codes des peuples se défont également avec le temps. Le Code civil, modèle pour de nombreux peuples, n'a pas été épargné.

§2 Ð Objet de l'étude : le Code civil, oeuvre dépassée

11. La postérité du Code civil est ainsi avérée, mais non son éternité. Il subit depuis de nombreuses années déjà, l'érosion du temps. Pensé, préparé et conçu comme la « constitution civile de la France » selon la formule du doyen Carbonnier, le Code civil des français en aura le destin. Il a remplit cette mission « d'organisation et de définition de la société civile avec une continuité et une stabilité »17, et pas seulement pour la France. Aujourd'hui, il ne s'agit pourtant plus que d'une façade.

12. La fonction d'organisation sociale qu'a remplit le Code civil n'est pas contestable :

16 Pour un regard historique voir J. Carbonnier, « Le Code civil », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 17 et s.

17 Y. Gaudemet, « Le Code civil, Constitution civile de la France », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 297 et s. spéc. p. 299.

Réformer le Code civil 11

l'oeuvre a reconstruit un ordre social fragilisé, qui venait d'être violemment ébranlé. Le Code civil a mit fin à la diversité, aux incertitudes. L'objectif de donner une constitution civile à la France a été réalisé, il n'a pas seulement ordonné et clarifié le droit Le titre préliminaire constitue l'exemple même de cette nature constitutionnelle. En effet, son titre « De la publication, des effets et de l'application des lois en général » est explicite : il expose les principes de la loi. Ainsi, « préparé pour être une constitution civile, conçu et établi comme tel, le Code civil des français n'a pas trahi les espérances placées en lui »18.

13. En deux siècles le code civil a vu déferler plus de dix constitutions politiques. La constitution civile que semble être le Code civil a alors duré, tandis que les constitutions politiques de la France se succédaient. Cette fonction de Constitution civile du code a été exportée, faisant de notre Code civil, un modèle pour nos voisins étrangers. En effet, le terme employé pour qualifier l'effet produit par le Code Napoléon à l'étranger est celui de « rayonnement ». Semblable à la prédiction de Bigot de Préameneu, « le Code civil était la loi particulière des Français, elle est devenue la loi commune des peuples d'une partie de l'Europe ». Dès sa publication, les qualités du Code civil seront le vecteur d'une diffusion et de propagation du modèle. Il va connaître un immense prestige en Europe. Toutefois, ce sont les conquêtes napoléoniennes qui expliquent principalement son rayonnement : le Code civil sera imposé aux peuples des pays annexés (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Italie du Nord, certains cantons suisses). Au delà de ce phénomène, le Code civil va servir de modèle à de nombreux systèmes juridiques de pays étrangers19.

14. Le Code civil fut un modèle, cette affirmation ne fait pas de doute. La profonde modernité dont a su faire preuve, à l'origine, le Code civil explique que c'est vers ce modèle que les Etats en besoin de construction, d'affirmation de souveraineté, se sont tournés. Le Pays de Bade, les pays d'Amérique Latine, les pays d'Afrique francophone, la Belgique, autant d'exemples illustrent ce phénomène20. Le Code civil va incarner, par ses idéologies, son langage, ses traditions, une méthode remarquable de codification, et les pays culturellement proches de la France vont s'en inspirer. Ainsi, le Code civil du Bas-Canada de 1866 illustre ce propos.

Modèle de codification d'une part, mais également modèle de législation. Son

18 E. Gaudemet, L'interprétation du Code civil en France depuis 1804, Ed. mémoire du droit, 2002.

19 Sur ce point voir spécifiquement Code civil et modèles, Des modèles du Code au Code comme Modèle, dir. Th. Revet, L.G.D.J. 2005.

20 Pour une vision plus détaillée du phénomène voir Code civil et modèles, Des modèles du Code au Code comme Modèle, ouvr. préc., p. 596 et s.

Réformer le Code civil 12

contenu, en raison de son caractère universel et adaptable, sera apte à être exporté. Le Code civil a alors été le Code de tous les français, mais aussi de bien d'autres peuples. Il fut un modèle, mais il n'est plus. Aujourd'hui, le Code civil est une oeuvre dépassée.

15. Un mal ronge notre Code civil, sur lequel il n'a pas d'emprise : l'évolution. « Au temps du succès succède aujourd'hui celui des épreuves »21 : ces épreuves constituent l'objet même de notre étude. Le Code de 1804 a profondément changé, mais il n'a jamais été remis en cause dans son intégralité. Changement du contenu, conservation de la structure, il a subi des greffes, mais ne s'est pas adapté à notre société, il a perdu sa cohérence initiale22. Enfin et surtout, il souffre de l'éclatement et l'éparpillement des sources de droit. La finalité de notre étude s'entrevoit alors : le Code civil, afin de retrouver sa vigueur d'antan, doit être étudier sous l'angle d'une réforme.

§3 Ð Finalité de l'étude : le Code civil, une oeuvre à réformer

16. Le Code civil a perdu de son éclat, il n'occupe plus un rôle de premier plan dans les principales entreprises de codification, il ne conserve pas même son aura immense acquise par le passé. Si le Code civil, monument historique, demeure certes intact au niveau de son contenant, le contenu du Code est quant à lui, en déclin.

17. Elément de culture23, façon de penser le droit24, élément du patrimoine25, grammaire de notre droit26, le Code civil ne peut plus être défendu comme un code symbole d'unité et de cohérence. Il n'est plus, selon la célèbre formule de Portalis précédemment employée, « un corps de lois destinées à diriger et à fixer les relations de sociabilité, de famille et d'intérêt qu'ont entre eux les hommes qui appartiennent à la même cité ». Envisager sa réforme n'est pas inopportun et semble même couler de source : faire subir à quelque chose des modifications importantes destinées à l'améliorer, telle est la destinée qu'il convient de réserver, aujourd'hui, à notre Code civil.

21 Y. Gaudemet, art. préc., in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 304.

22 Message de Monsieur Christian Poncelet, Président du Sénat, reproduit in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 5.

23 G. Cornu « Un Code civil n'est pas un instrument communautaire », D. 2002, chron. p. 351.

24 P. Legrand, « Sens et non-sens d'un Code civil européen », RIDC 1996., p. 779.

25 G. Cornu « Un Code civil n'est pas un instrument communautaire », art. préc. spéc. p. 352.

26 Y. Lequette, « Quelques remarques à propos du projet de Code civil européen de M. von Bar », D. 2002, chron. p. 2202.

Réformer le Code civil 13

18. Réformer le Code civil pourrait, à première vue, apparaître comme un combat d'arrière garde27. En effet lors de la célébration de son centenaire, en 1904, les débats étaient déjà centrés autour d'une révision. Saleilles défendait les mérites d'une révision générale du Code civil28, Planiol quant à lui pensait inutile toute révision du code. Un siècle plus tard, le contenu du débat n'a pas changé, mais il s'est déplacé : la réforme s'est envisagée au regard du droit européen, autour de la question suivante : l'avenir du Code est-il dans l'Europe ? Ainsi l'étude d'une réforme du Code n'est pas dépassée. Elle a d'ailleurs été maintes fois tentée.

19. « La réforme du Code civil (É) est un véritable serpent de mer juridique qui, tel le monstre du Loch Ness, nourrit les chroniques depuis 2004, date à laquelle Jacques Chirac, alors président de la république, décida de lancer ce projet lors de la célébration du bicentenaire du Code de 1804 »29. Ces mots du professeur Tournafond ne pouvaient pas mieux résumer la situation : la réforme du Code civil est un combat entreprit depuis longtemps déjà et semé d'embûches. La réforme s'est ainsi envisagée de deux façons : d'une part certains projets penchent pour une refonte globale du Code, à l'inverse d'autres projets se cantonnent à un domaine du Code.

Dès la fin de l'année 1944, le président de l'Association Henri Capitant, le bâtonnier Jacques Charpentier a porté l'attention sur la nécessité d'une refonte du Code civil. Quelques mois plus tard le Général de Gaulle nomma une commission de révision du Code, par décret du 7 juin 1945. La "Commission de réforme du Code civil" travaillera presque quinze années sans qu'aboutisse pour autant une refonte générale du Code.

Fut également élaboré l'avant-projet « Catala » du nom du civiliste Pierre Catala. Il s'agissait d'un avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, autrement dit un projet portant sur les contrats, les quasi-contrats, la responsabilité civile et la prescription. Une nouvelle fois, cet avant-projet n'a pas abouti à une réforme du Code civil, cependant il est à l'origine de la réforme de la prescription en matière civile30.

Le projet Catala a été principalement concurrencé par d'autres projets, notamment par celui résultant du groupe de travail rival réuni par François Terré31. En effet, en juillet 2008 ce

27 Voir sur ce point B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, Le Code civil face à son destin, La documentation française, Ministère de la justice, 2006, p. 92.

28 Le Code civil 1804-1904, Livre du centenaire, Paris, E. Duchemin, 1969, réed. Préfacée par Jean-Louis Halpérin, Dalloz, 2004.

29 O. Tournafond, Le projet de la chancellerie de réforme du droit des contrats commentaire raisonné et critique, Droit et patrimoine, 2014, 241.

30 LOI n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

31 O. Tournafond, art. préc.

32 Issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés et publiée au journal officiel le 24 mars 2006.

Réformer le Code civil 14

groupe de travail a présenté un projet de réforme du droit des contrats, projet qui n'a pas abouti. L'on peut également citer l'Association Henri Capitant qui, à l'initiative de Michel Grimaldi, a entrepris de participer à ce mouvement de réforme. Cette association est à l'origine de la réforme du droit des sûretés32. Enfin, en 2009, un groupe dirigé par Monsieur Hugues Périnet-Marquet a émis des propositions pour une réforme du droit des biens.

20. Ces projets n'ont pas abouti à une réelle réforme du Code civil. Aujourd'hui, celle ci n'est pas formellement en marche, cependant la réforme pourrait s'envisager à travers l'avant-projet de réforme des obligations menée par la Chancellerie. Il se veut une synthèse des propositions du groupe « Catala », du groupe « Terré » et des différents travaux menés par la Chancellerie elle même. Modifiant profondément notre droit des contrats, ce projet a été votée et l'article 8 de la loi n°2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures a habilité le gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance. La réforme du droit des obligations est alors en marche. Celle du Code civil dans son ensemble se fait attendre.

21. L'étude proposée ici s'inscrit alors dans cette entreprise monumentale que constitue la réforme du Code civil. Il s'agira alors d'envisager cette réforme dans son intégralité et non cantonnée à certaines matières du Code civil.

22. Problématique. La problématique est largement pressentie, elle ne peut être que la suivante : en quoi la France doit-elle aujourd'hui réunifier l'ensemble du droit civil en un instrument accessible à tous ?

23. Annonce du plan. La réforme du Code civil apparaît à nos yeux nécessaire, vitale. A la question « Pourquoi réformer le Code civil ? » (Première partie) s'en adjoint une seconde : « Comment réformer le Code civil ? » (Deuxième partie). Les réponses à ces questions constituent la démonstration de la nécessité, pire, de l'urgence de la réforme.

Réformer le Code civil 15

Première partie : Pourquoi réformer le Code civil ?

24. Selon la célèbre formule du doyen Carbonnier, le Code civil semble demeurer la « Constitution civile de la France »33. L'intensité de ce message est réelle, toutefois de nombreuses illustrations prouvent que cette formule, si bien rédigée soit-elle, en raison notamment de la qualité de son auteur, n'est plus vraie aujourd'hui. Si le Code civil a été, il n'est plus. Nier le succès du Code civil n'est pas le but de notre étude. En effet, il ne fait pas de doute que cette oeuvre a rempli de manière honorable sa fonction de constitution civile : il a structuré, révélé et organisé notre société. Une constitution civile est faite pour durer34, plus encore qu'une constitution politique, en raison de la lente évolution de l'homme et de ses habitudes (à l'inverse des changements réguliers de gouvernement de la société politique). Le Code civil, constitution civile, a duré, mais deux-cent-onze ans après sa promulgation, le temps est venu pour lui de subir de profonds changements.

25. Pourquoi revenir sur une oeuvre vieille de plus de deux siècles qui, en apparence, témoigne d'une autorité suprême ? Il ne faut pas se résigner devant une telle tâche, refuser d'agir c'est conduire à la ruine du Code, bien entamée déjà. Après le succès, le Code civil affronte le temps des épreuves. A la question « Pourquoi réformer le Code civil ? » il convient d'apporter deux réponses. D'une part, la réforme du Code civil est nécessaire afin de remédier à ses innombrables défauts (Chapitre 1). Ces derniers sont la source de la perte d'autorité du Code, il n'est plus qu'un symbole, il devrait pourtant demeurer une oeuvre unificatrice et effective. Notre Code n'est plus compris, n'est plus vécu. Il a certes construit la France, mais il ne survit pas à l'Europe. Ainsi, la réforme du Code civil est nécessaire afin de l'adapter à l'avenir de notre société moderne : l'Europe (Chapitre 2).

33 J. Carbonnier, « Le Code civil », in P. Nora, Les lieux de mémoire, t. II, La nation, p. 293 et s.

34 Y. Gaudemet, « Le Code civil, Constitution civile de la France », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., spéc. p. 299.

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CHAPITRE 1 - REMEDIER AUX DEFAUTS

26. Envisager la réforme du Code civil ne peut se faire sans constatation de ce qui ne fonctionne plus, autrement dit, il convient d'envisager les défauts du Code civil. Un défaut signifie communément un manque, une insuffisance. Inévitablement, le Code civil souffre d'insuffisance, il n'est pas complet puisqu'il ne peut pas tout prévoir : tels étaient déjà les mots de Portalis dans son discours préliminaire. Cependant, un Code imparfait ne va pas de pair avec un Code faible, défectueux, vicié. Dès lors, une réforme du Code civil doit s'envisager aux travers des deux défauts majeurs qui touchent aujourd'hui notre Code civil : sa complexité (Section 1) et son vieillissement (Section 2).

Section 1 - La complexité

27. La complexité dont souffre le Code tient à la combinaison de deux facteurs : le Code civil n'est plus symbole d'unité (1) alors même que celle-ci devrait constituer sa raison d'être. Le Code civil, au-delà de n'être qu'une compilation de textes, n'est plus source de sécurité juridique (2) : il est illisible, incohérent. Autrement dit, il ne constitue plus le Code civil de tous les français.

§1 - L'absence d'unité du Code civil

28. En 1804, le Code civil avait pour principale ambition de symboliser l'unité du droit civil français. Deux cents onze plus tard, il apparaît que le Code ne satisfait plus à cette ambition. En effet, sa complexité constitue la cause de cette absence d'unité. Dans quelle mesure ? L'unité d'un code postule de sa cohérence, une oeuvre unitaire est ainsi, par nature, cohérente. Le Code civil a certes constitué une oeuvre cohérente, mais en 2015 il ne s'agit plus que d'un recueil de droit civil (A). Au sein même de son corpus, l'oeuvre n'a plus de raison d'être. Ce propos est aggravé lorsque l'on envisage la deuxième facette de cette absence d'unité : le droit civil se développe désormais hors du Code (B). Dès lors, quelle est l'utilité d'un Code civil si ce dernier ne contient plus l'ensemble du droit civil français ?

29. Il y a une dizaine d'années, lors de la célébration du Bicentenaire du Code civil, se posait la question de savoir si l'on fêtait « le bicentenaire d'un Code vivant, solide d'avoir

A - Un recueil de droit civil plus qu'une oeuvre cohérente

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trop longtemps vécu, ou d'un Code mort d'avoir trop vécu, d'un fantôme de Code »35. L'interrogation se pose encore aujourd'hui.

30. L'on se doit en effet, lorsqu'il s'agit d'envisager l'avenir du Code civil, de se poser la question suivante : ce texte est-il réduit à l'état de compilation dépassée ? Compiler signifie « écrire un ouvrage, fait d'un assemblage de textes empruntés, de morceaux puisés dans d'autres ouvrages »36. Cette définition du terme « compiler » est aux antipodes de celle de « codifier », laquelle signifie « rassembler en un seul corps des textes législatifs ou réglementaires, des coutumes, etc »37. Se cache derrière cette définition l'idée d'une certaine cohérence. Il s'agit aujourd'hui, pour notre Code civil, de survivre aux épreuves.

31. Depuis 1804, le Code civil n'est pas, fort heureusement, resté inchangé. Un code ne peut rester immuable. Selon Portalis lui-même, le Code civil ne pouvait « enchaîner le temps »38. Depuis les années 1980 un mouvement de réforme a été engendré, mettant à jour une moitié du Code. Cette mise à jour a réduit le Code civil à l'état de compilation de textes hétérogènes39. Ces nouveaux textes ne sont que juxtaposés et non intégrés, ordonnés, et cela en raison de leur date, leur portée ou bien leur esprit qui diffèrent. « Le Code civil a parfois les allures d'un monstre »40, voilà qui résume bien l'état de notre Code civil actuel. En effet, au-delà d'un certain seuil, les lois particulières, les réformes successives, les créations prétoriennes (voir infra §77 et s.) ont eu pour seule et malheureuse conséquence une défiguration du Code civil français.

32. La problématique n'est pas celle du contenant mais du contenu. N'est pas remise en cause l'idée selon laquelle le Code civil constitue un monument historique dont le prestige du contenant est intact41, l'on peut même, sans s'y risquer, assimiler le Code civil français à une relique, un code devenu « lieu de mémoire »42. Mais est-ce la destinée, la fonction d'un Code, que de n'être qu'un lieu de mémoire, un symbole ? Surtout, le Code civil français

35 Ph. Rémy, « Regards sur le Code », in Le Code civil 1804-2004, Livre du Bicentenaire, Dalloz, Litec, 2004, p. 99 et s., spéc. p. 102.

36 Dictionnaire Larousse, voir « compiler ».

37 Dictionnaire Larousse, voir « codifier ».

38 Discours préliminaire sur le projet de Code civil, présenté le 1er pluviose an IX, in J.-E.-M. Portalis, Ecrits et discours juridiques et politiques.

39 En ce sens voir J.-L. Halpérin, Le Code civil, 2ème édition, Dalloz, 2003, p. 126.

40 J.-L. Halpérin, ibidem.

41 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, Le Code civil face à son destin, La documentation française, Ministère de la justice, 2006.

42 L'expression « lieu de mémoire » est employée par J. Carbonnier, voir notamment « Le Code civil », in Livre du bicentenaire, ouvr. préc., p. 19. Sur ce point , voir les parallèles effectués par R. Cabrillac, « Le symbolisme des codes », in Mélanges Fr. Terré, Dalloz, 1999, p. 211 et s., spéc. p. 216.

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constitue-t-il encore aujourd'hui le reflet de notre droit commun ? Rien n'en est moins certain.

33. Demeurer le droit commun c'est l'objet même du Code civil43, celui-ci ne doit pas se distiller en une réglementation pointue, spéciale. Un éclatement entre normes communes et normes spéciales est nécessaire et ces deux types de normes doivent pouvoir réussir à cohabiter harmonieusement. Malheureusement, toute nouvelle loi, nouvelle forme, affecte de facto l'autorité du Code. Lors de l'élaboration de nouveaux codes par exemple, les grands principes du Code civil peuvent être atteints, et la multiplication des Codes entraine de surcroît une dilution du droit commun44. Ces nouveaux codes énoncent des règles générales45, à l'instar du Code civil. Des règles générales ne doivent-elles pas trouver leur place dans un Code civil, porteur du droit commun ? La réponse devrait être positive, mais ces nouveaux codes spéciaux et les principes généraux qu'ils énoncent n'offrent plus, au Code civil, qu'une place de figurant46.

34. Le constat est alors le suivant : le Code civil français n'offre aujourd'hui qu'une vision trompeuse mais surtout incomplète du droit civil français, surtout il ne reflète pas le droit commun. S'agit-il alors encore de « la constitution civile de la France47 » ? La réponse est sans conteste négative, le Code civil français perd haleine, suffoque, il a été, mais n'est plus. Le Code civil a pu revêtir, à l'origine, la forme d'une Constitution civile des français, la volonté de ses auteurs ayant été d'organiser l'ensemble des aspects de la société civile. Cependant, il faut se rendre à l'évidence : aujourd'hui, le Code civil n'est qu'un recueil de lois civiles, à l'instar des nouveaux codes qui ne constituent pas des oeuvres législatives raisonnées48. Pourquoi une telle chute vertigineuse depuis une cinquantaine d'années ? D'abord parce que l'esprit même du Code civil, à savoir son unité, s'est transformé en raison de modifications profondes, de réformes particulières49. Le Code civil est alors « rabattu au

43 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 95.

44 N. Molfessis, « Le Code civil et le pullulement des codes », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 334.

45 Exemple du Code de la consommation, voir sur ce point F. Beauchard, « Remarques sur le Code de la consommation », in Mélanges Cornu, p. 14 ; D. Bureau, « Remarques sur la codification du droit de la consommation », D. 1994. p. 297.

46 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 96.

47 J. Carbonnier, « Le Code civil », in P. Nora, Les lieux de mémoire, t. II, La nation, p. 293 et s.

48 Par exemple le Code de procédure civile (1806), le Code de commerce (2007), voir sur ce point Y. Gaudemet, « Le Code civil, Constitution civile de la France », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., spéc. p. 305

49 Voir sur ces réformes et modifications D. Tallon, « Grandeur et décadence du Code civil français », in Mélanges M.Fontaine, Editions Larcier, 2003, p. 279.

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rang de recueil de législation civile »50, Code civil qui est voué à n'être plus qu'« une collection de lois chaque jour moins complète »51. Cette nature de recueil de lois civiles lui fait évidemment perdre sa légitimité, qu'il s'agisse d'une légitimé politique ou sociale, ce qu'il conviendra d'envisager ultérieurement.

35. Au-delà de l'incohérence au sein même du Code civil, ce dernier souffre d'un autre mal, plus grave encore. Le droit civil bien qu'il se situe dans le Code civil, de manière éparse certes, se situe aujourd'hui également hors du Code. La base commune du droit français que constitue le Code civil tend à disparaître en raison d'un phénomène inquiétant : l'éclatement du droit civil hors du Code civil.

B Ð L'éclatement du droit civil hors du droit civil

36. Le Code civil peut-il toujours être apparenté au code de droit commun si le droit civil est éclaté hors de lui ? La question semble surprendre tant la réponse est évidente. Aujourd'hui, il n'est pas pessimiste de dire que le droit civil est éclaté. Ce phénomène d'éclatement du droit civil hors du Code civil peut être apparenté à une « décodification »52 de celui-ci. Un droit civil qui se situe hors de son livre d'accueil affaibli inévitablement la substance même du Code civil et nuit à son rayonnement53.

37. Avant toute démonstration d'un éclatement du droit civil hors du Code civil il convient de définir ce qu'est le droit civil. Il s'agit de « l'ensemble de règles qui fixent le statut et les droits fondamentaux des personnes ainsi que celles qui organisent leurs relations dans la vie privée, hors l'activité commerciale54. Doit-être également définie la notion d'éclatement. Communément, il s'agit du fait de se diviser brutalement en plusieurs parties55. L'éclatement du droit civil hors du Code civil consisterait ainsi en une dispersion de ce droit, dispersion qu'il faut envisager comme un changement profond et non comme un simple phénomène. L'on comprend alors la gravité du propos : un Code civil ne peut pas survivre si

50 Y. Gaudemet, « Le Code civil, Constitution civile de la France », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., spéc. p. 299.

51 Ph. Rémy, « La recodification civile », Droits, 26, 1997, p. 3 et s.

52 Ph. Rémy, « La recodification civile », art. préc., p. 3, spéc. p. 10.

53 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 93

54 Telle est la définition donnée par J.-L. Aubert, « La recodification et l'éclatement du droit civil hors le Code civil », in Livre du bicentenaire, ouvr. préc., p. 124. Sur ce point, il propose d'autres définitions qui ne convainquent pas.

55 Dictionnaire Larousse, voir « éclatement ».

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le droit civil n'est pas codifié en son sein. Les règles de droit civil se détachent ainsi du Code, jusqu'à constituer des droits autonomes.

38. Le droit civil se développe donc en marge du Code civil, de cette façon il ne peut plus constituer le tronc commun du droit français56. Cet éclatement du droit civil hors du Code civil n'est pas nouveau. En effet en 1898 déjà une loi relative aux accidents du travail57 est venue consacrer la théorie du risque professionnel. Depuis, l'on a pu assister à une multiplication des dispositions législatives dans divers domaines. Le droit des personnes et de la famille a en effet fait l'objet de dispositions nouvelles au regard de l'action sociale et de la santé publique, dispositions qui sont référencées hors du Code civil58. Cependant, ce domaine est celui où les manifestations de l'éclatement est le moins flagrant.

39. Lorsque l'on s'intéresse au droit des obligations, la gravité de l'éclatement du droit civil hors du Code civil apparaît : les manifestations d'éclatement fourmillent. Une étude exhaustive est impossible ici, il s'agira alors d'apporter une vision globale du phénomène. L'exemple le plus criant concerne la législation sur les clauses abusives qui n'a pas été incorporée au Code civil59. S'agissant des contrats spéciaux, ces derniers se retrouvent hors du Code civil, le principal exemple est la législation relative au contrat de travail, cette dernière a ainsi abouti à un Code du travail60. La responsabilité civile n'est pas en reste, elle est également touchée par l'éclatement. En effet, le régime des accidents de la circulation institué par la loi du 5 juillet 1985 n'a pas fait l'objet d'une insertion dans le Code civil61. De même l'affirmation du principe selon lequel le fait de la naissance ne peut constituer un préjudice a sa place dans le Code civil et non en dehors62. Enfin, au moyen d'une vision plus générale, l'on constate que le droit des biens, de la propriété et de la propriété intellectuelle sont également touchés par ce syndrome d'éclatement du droit civil. Le régime de servitudes

56 J.-L. Halpérin, Le Code civil, Dalloz, 2003, spéc. p. 129.

57 Loi du 9 avril 1898 sur les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail (Bulletin de l'Inspection du travail, n°2, 1898).

58 Code de la santé publique, droits et dignité des malades (art. L. 1101-1 et s.), assistance médicale à la procréation (art. L. 2141-4) ; Code de l'action sociale et des familles, accès aux origines personnes (art. L. 1471), accouchement sous X (art. L 222-6), la liste n'est pas exhaustive.

59 Le projet de réforme de la Chancellerie votée par ordonnance le 16 février 2015 remédie à cela avec un article 1169 « Une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties peut être supprimée par le juge à la demande du contractant au détriment duquel elle est stipulée ».

60 Pour une vision plus complète des contrats spéciaux hors du Code civil voir J.-L. Aubert, « La recodification et l'éclatement du droit civil hors le Code civil », in Livre du bicentenaire, ouvr. préc., p. 128.

61 A l'inverse, la responsabilité du fait des produits défectueux instituée par la loi du 19 mai 1998 a fait l'objet d'une insertion dans le Code civil (art. 1386-1 et s.).

62 Loi du 4 mars 2002, art. 1er.

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par exemple n'a pas été substantiellement modifié dans le Code civil mais a fait l'objet d'intenses développements dans d'autres Codes63.

40. Cet éclatement du droit civil hors du Code civil a ainsi pour corollaire le « pullulement des Codes »64. Le Code civil ne serait-il, en ce qu'il ne contient plus les matières qui devraient être intégrées en son sein, qu'un Code parmi tant d'autres ? La codification se désintéresse du Code civil. Cependant, en codifiant autour du Code civil, l'on peut déjà parler de réforme du Code civil puisqu'on l'affecte, on atteint la fiabilité même du Code civil. Cette idée de fiabilité du Code civil, à l'instar du phénomène d'éclatement du droit civil hors du Code civil, n'est pas nouvelle. C'est le fondement de ce que l'on a nommé la « décodification » du Code civil. Les lois nouvelles échappent au Code, « le Code civil n'est plus, en vérité, le corps des lois civiles »65. Si le Code est périmé lorsqu'il s'agit de constituer le code du droit commun, il l'est d'autant plus lorsqu'il s'agit de demeurer le Code du droit civil.

41. Il convient, avant de conclure à la gravité du phénomène, de s'interroger sur la portée de ce dernier. Cet éclatement ne serait-il pas naturel au regard de la spécialisation du droit ? La réponse est positive si cet éclatement conduit à l'avènement de règles de droit autonomes66, le droit social en est l'exemple ultime : il s'est détaché du droit civil et a conduit à l'établissement de branches autonomes du droit. Il en est de même s'agissant des droits de propriétés intellectuelles, le recours à un code était justifié par la matière elle-même et l'attraction sur celle-ci du droit commercial. Cette affirmation n'est pas exacte appliquée au droit de la responsabilité ou au domaine immobilier, matières dans lesquelles l'éclatement consiste en une dispersion de la règle de droit et non d'une véritable autonomie. Or, les matières qui intéressent le Code civil ne devraient pas avoir à être dispersées. Cette dispersion remet alors en cause leur application et leur rayonnement.

42. L'éclatement du droit civil affecte ce dernier, et influe sur la qualité même du Code civil. Il convient alors d'y remédier tant l'accessibilité au droit s'en trouve atteinte. En effet, comment assurer la connaissance du droit applicable, la sécurité juridique alors même

63 Code rural (art. L. 152-14 et s.) ; Code de l'urbanisme (art. L. 45 1-1 et s. et R. 45 1-1 et s.) ; Code de l'environnement (art. 515-8 et s.).

64 Voir l'article de N. Molfessis, « Le Code civil et le pullulement des codes », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 309.

65 G. Cornu, « La lettre du Code à l'épreuve du temps », in Mélanges R. Savatier, Dalloz, 1965, p. 157, spéc. 165.

66 Voir sur ce point les développements de J.-L. Aubert, « La recodification et l'éclatement du droit civil hors le Code civil », in Livre du bicentenaire, ouvr. préc., p. 130 et s.

67 N. Molfessis, « Le Code civil et le pullulement des Codes », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 338.

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que le droit civil est éparpillé ? Il ne permet plus d'appréhender l'ensemble des règles civiles. La solution est sans doute à rechercher chez l'un des pionniers, malheureux, du Code civil : Cambacérès. Malgré l'impossibilité d'une règle parfaite il convenait selon lui, de ne jamais détacher d'une matière, une disposition ou des lois qui la compléteraient, ne jamais non plus diviser afin de conserver une régularité effective des dispositions qui s'éclairent par leur rapprochement67. La violation, par le législateur français, de ces deux affirmations ont conduit à la complexité et à la décodification du droit civil français. La valeur du Code civil était à rechercher dans le respect de ces principes. Aujourd'hui leur méconnaissance conduit à dévaluer notre Code, pire, à le rendre inaccessible.

43. Cette inaccessibilité au droit et l'absence de sécurité juridique est également le reflet de l'inflation législative que le droit français a connu, inflation qu'il faut combiner à l'immobilisme et dont l'addition rend le droit civil français précaire et complexe.

§2 - L'absence de sécurité juridique conférée par le Code

44. Le Code civil peut être regardé aujourd'hui comme une compilation et non comme un Code, compilation qui ne contient plus aujourd'hui l'ensemble du droit civil, cette affirmation est le résultat de nos développements précédents : le Code civil est un recueil et le droit civil se fait en dehors de celui-ci. Cependant, le constat d'échec se fait également lorsqu'il s'agit d'envisager le droit civil dans le Code. En effet, ce droit est aujourd'hui si complexe qu'il ne confère plus une sécurité juridique. Cette complexité est le fruit de deux mouvements paradoxaux : des domaines du Code civil ont connu de tels changements législatifs qu'une instabilité est née (A). A côté de celle-ci, des pans entiers du Code sont restés quasiment inchangés : un véritable immobilisme est alors à constater (B).

A Ð Une inflation législative source d'instabilité

45. De l'esprit de tous, une loi idéale est une loi de qualité, qui reflète la réalité. Si les lois deviennent de plus en plus nombreuses, définition même d'une inflation législative, elles sont méconnues et la sécurité juridique n'est pas effective. L'adage « nul n'est censé ignorer la loi » est alors aujourd'hui dépassé, et le problème semble insoluble. En effet, un cercle vicieux apparaît : lorsque la loi est mal faite, lorsqu'elle est faite de façon quantitativement abusive, un problème de stabilité se forme, la loi est inaccessible, incompréhensible, des

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contestations apparaissent, on la modifie, et cela indéfiniment. L'instabilité a alors pour pendant la complexité, le Code civil souffre donc aujourd'hui d'une grande précarité.

46. Selon Montesquieu « Il ne faut point de lois inutiles, elles affaibliraient les lois nécessaires » : le résumé de la position du Code civil est parfait, l'inflation législative a alors eu pour conséquence dommageable l'inefficacité législative. Parmi les trois piliers de la société civile française que sont la famille, la propriété et le contrat, la première matière a été fondamentalement ébranlée68 en raison de l'excès de réforme, autrement dit en raison d'une inflation législative sans précédent. Bien sûr, les idées de Portalis sur la famille semblent dépassées69, mais cette désuétude ne méritait pas que le Code civil ne cesse de demeurer un « objet juridique et historique cohérent »70. La matière familiale du Code civil a connu des transformations saccadées, une avalanche de réformes, ce qui a pu faire dire à certains qu'il s'agissait d'une « politique de Gribouille »71.

47. Cette inflation législative qui a touché le Code civil s'explique par la volonté d'égalité entre l'homme et la femme. Jusqu'en 193872, la femme devait obéissance à son mari73. Cependant, ce remaniement du Code civil avait commencé dès la fin du XIXème siècle, pour exemple l'on peut énoncer qu'entre 1880 et 1914 ce sont plus de 250 articles qui ont été modifiés74. La cinquième république constitue le point d'orgue de l'idéal d'égalité au sein de la famille75 : égalité du mari et la femme par les lois de 1965 et 1985 sur les régimes matrimoniaux, égalité de l'enfant légitime et de l'enfant naturel par les lois de 1964 relatives à la tutelle, de 1972 sur la filiation et de 2001 sur les successions, égalité du père et de la mère par les lois de 1970, de 1987 et de 2002 (sur le nom et sur l'autorité parentale). Un tel catalogue était nécessaire afin d'appréhender le problème : un nouveau droit de la famille a vu

68 Ph. Rémy, « La recodification civile », art. préc., p. 3.

69 Dans son discours préliminaire, Portalis prônait par exemple l'idée d'une autorité, du père sur ses enfants, du mari sur sa femme.

70 J.-L. Halpérin, « Le regard de l'historien », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 57.

71 Terme utilisé par Marco Sabbioneti, « Di alcune modificazioni del modello napoleonico di diritto », Quaderni fiorentini per la storia del pensiero giuridico moderno, 30, 2001/II, pp. 857-867. Cité par J.-L. Halpérin, « Le regard de l'historien », ibidem.

72 Loi du 18 février 1938 supprimant l'incapacité de la femme mariée

73 Article 213 du Code civil supprimé par la loi du 18 février 1938.

74 A propos du rétablissement du divorce, la réforme des droits successoraux des enfants adultérins et incestueux, des droits du mariage, etc. Voir sur ce point J.-L. Halpérin, « Le regard de l'historien », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 56-57.

75 Pour plus de détails voir Y. Lequette, « D'une célébration à l'autre à l'autre (1904-2004), in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 9 et s., spéc. p. 20.

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le jour, « les grandes lignes du modèle familial s'imposent aux juges comme aux justiciables »76.

48. La quête d'égalité du législateur s'est alors soldée par une instabilité, faisant perdre au Code son « effet instituant »77. En effet, cette avalanche de réformes est le signe même d'une perte de crédibilité, de l'échec de l'entreprise législative, d'un incessant « ravaudage législatif »78. Pire encore, ce courant législatif a fait perdre à la famille sa dimension collective au détriment d'une nature individualiste, normalement antinomique avec la notion même de famille79. Dans l'optique de réformer le Code civil, cette dimension devra alors être prise en compte : proposer un modèle institutionnel bénéfique à l'avenir de la société.

49. Cette inflation législative revêt une seconde facette, agrémentant l'argument selon lequel le Code civil n'est plus source de sécurité juridique. Ces réformes incessantes ont réduit à néant le style, la clarté et l'élégance du Code de 1804, ruinant par la même son accessibilité ainsi que son intelligibilité80. Si l'empreinte du Doyen Carbonnier sur le Code civil n'a pas dénaturé ce dernier (un style classique a été adopté, se fondant dans l'esprit initial du Code, les qualités du texte ont alors été conservées), il n'en est pas de même lorsque l'on envisage l'empreinte du législateur moderne sur le Code. L'idée selon laquelle le style d'une loi est l'objet même de sa clarté, de son intelligibilité et de son accessibilité81 est fondamentale ici : les lois nouvelles sont imprécises 82 , cette imprécision participe à l'insécurité juridique et à l'illisibilité du droit. La loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité (PACS) constitue l'exemple le plus frappant. D'une part, sa place au sein même du Code civil a été de nombreuses fois décriée83, d'autre part cette loi se lit au regard des décisions du Conseil constitutionnel tant sa rédaction est maladroite.

76 P. Catala, « La métamorphose du droit de la famille », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 341 et s., spéc.

p. 343.

77 Ph. Rémy, « La recodification civile », art. préc., p. 14 et s.

78 Ph. Rémy, « Regard sur le code », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 108.

79 Voir sur ce point Y. Lequette, « D'une célébration à l'autre (1904-2004) », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 21.

80 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 101

81 N. Molfessis, « Le contrôle de la réforme par le Conseil constitutionnel », Petites affiches, 28 octobre 2004, n°216, p. 59 et s., spéc. n°8.

82 Par exemple la loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins. Celle-ci comporte des coquilles, des défauts, des paradoxes.

83 P. Catala, « Le pacte civil de solidarité. Critique de la raison médiatique », in Famille et Patrimoine, PUF, 2000, p. 249 et s., spéc. p. 250.

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50. L'inégalité entre les réformes menées par le Doyen Carbonnier et celles menées par le législateur moderne se constate également lorsqu'il s'agit d'envisager leur contenu. L'innovation constituait le maître-mot de la plume de Carbonnier, innovation s'accompagnant d'une cohérence certaine et appréciable84. Aujourd'hui, les réformes partielles en droit de la famille sont-elles aussi opportunes ? Les lois en matière successorale ou celles relatives à la dévolution du nom de famille invitent à se poser la question tant elles sont complexes.

51. Au regard de cette inflation législative, le Code civil n'a plus « de valeur ou de vigueur propre qui le mette à l'abri des turbulences »85. Cette affirmation se révèle d'autant plus évidente lorsqu'il s'agit d'étudier le pendant de l'instabilité : l'immobilisme.

B - Un immobilisme source de complexité

52. La famille, en tant que grand pilier de la société civile a connu un excès de réforme. A l'inverse, les piliers qui l'accompagnent, à savoir la propriété et le contrat souffrent d'une absence de réforme.

53. L'inertie du Code civil est caractérisée lorsque l'on découpe ses matières, mais également lorsqu'il s'agit de l'envisager dans sa globalité : en 2015, environ la moitié du Code civil n'a jamais été modifié, il est donc resté inchangé. Cette situation pourrait ainsi être envisagée, par les plus optimistes, comme un gage de pérennité, de qualité du Code. Il n'en est rien : excepté le droit patrimonial de la famille, le Code civil a « sombré dans une douce torpeur »86.

54. Après l'analyse de l'inflation législative, l'argument premier consisterait à énoncer que l'immobilisme est gage de qualité, puisque par définition il s'opposerait au phénomène qui ruine la cohérence du Code civil. Pour autant, la nature inerte, quasi morte de certaines parties du Code participe à cette incohérence : au sein d'un même Code n'est pas acceptable de telles disparités, notamment au regard des conséquences que cela engendre : instabilité, inaccessibilité, illisibilité, complexité surtout.

55. La difficulté, à l'instar de l'inflation législative, n'est pas nouvelle. En effet, lors de la célébration du centenaire du Code civil, la question se posait déjà. Plus d'un siècle plus

84 L'on peut citer pour exemples les lois de 1965 et 1985 qui ont modernisé le droit des régimes matrimoniaux, phénomène déjà socialement enclenché.

85 Ph. Rémy, « Regard sur le code », in Livre du Bicentenaire, spéc. p. 117.

86 Y. Lequette, « D'une célébration à l'autre » in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 15.

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tard, le législateur semble avoir abandonné l'idée d'un véritable livre de référence au profit d'une codification parcellaire, des réformes émiettées. L'affrontement entre capitalisme et socialisme au sein même du Code civil (voir infra §61 et s.), en est la cause : des réformes civiles concernant le droit des obligations ou encore le droit des biens nécessitent un consensus. En 1904 une révision du droit de la propriété et des contrats ne semblait pas envisageable pour le législateur, en raison de cette absence de consensus politique87.

Grâce à la souplesse du droit des contrats, les citoyens peuvent répondre avec le maximum d'efficacité à l'infinie variété des situations et des besoins mais là n'est pas le rôle d'un Code d'être aussi souple. La souplesse n'incite pas le législateur à agir, de ce fait l'immobilisme du Code civil s'ancre dans les moeurs. Le domaine contractuel est ainsi largement touché par une politisation forte et l'idée selon laquelle le citoyen doit s'adapter doit être remise en cause : « comme il est des propriétés d'une telle nature que l'intérêt particulier peut se trouver facilement et fréquemment en opposition avec l'intérêt général dans la manière d'user de ces propriétés, on fait des lois et des règlements pour en diriger l'usage »88. Autrement dit, transposée au contrat, cette affirmation reflète la cohabitation entre la liberté contractuelle et les exigences (consentement exempt de tout vice, objet, cause) qui permettent de donner au législateur les moyens de contrôler l'intérêt général. Le législateur français est alors frileux lorsqu'il s'agit d'effectuer un choix politique. C'est pour cette raison fondamentale que le droit des contrats est inerte dans notre Code civil.

56. Pour autant, l'exagération n'est pas justifiée au regard du projet de réforme du droit des contrats, votée par la loi du 16 février 2015 dont l'article 8 habilite le gouvernement à réformer par ordonnance. En effet, le législateur a pris parti en faveur d'une place grandissante accordée au jeu de volontés unilatérales. Il faut saluer la réforme, sans même analyser son contenu, car son besoin est inéluctable. Le législateur, en sortant de sa réserve, se place sur une route semée d'embûches, pour deux raisons : le droit des contrats est le droit le plus figé au sein du Code civil, de ce fait un consensus sera difficile à trouver.

57. Les textes du Code civil qui régissent le droit des obligations sont, pour l'essentiel, ceux issus de la codification de 1804. Depuis 211 ans maintenant, le Code est demeuré immobile. Le Code civil, et plus spécifiquement le droit des contrats est ainsi, certes resté

87 J. Carbonnier, « La codification dans les états de droit : le cas français », Année canonique, 1996, p. 95.

88 J.-F. Niort, « Droit, économie et libéralisme dans l'esprit du Code civil », Archives de philosophie du droit, 1992, p. 101, spéc. p. 107.

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figé, mais il ne s'est pas fossilisé89. Le changement s'est fait ailleurs90, en raison de la doctrine et de la jurisprudence. Ce rôle normatif de la jurisprudence fera l'objet d'une étude approfondie (voir infra §78 et suivants). Un droit des contrats sous la coupe de deux sources de droit inférieures à la loi, à savoir la doctrine et la jurisprudence doit faire l'objet d'une virulente critique. Certes la lettre du Code civil n'a, pour ainsi dire, pas changé depuis 1804, d'où l'inertie, mais ce code, symbole en théorie du droit commun, ne rend plus compte de l'état du droit positif. La stabilité qui trouverait sa nature dans l'immobilisme est un leurre et n'inspire pas le respect.

58. Le Code civil a sûrement, grâce aux renforts précités, évité un vieillissement précoce, mais ce vieillissement était inévitable. Le temps est ainsi venu de repenser notre Code civil, à défaut ce décalage entre « droit écrit » et « droit vécu» engendrera la perte définitive du rayonnement du droit français au travers du Code civil. Ce dernier n'est pas lisible car trop complexe. Il faut alors le rajeunir car celui souffre d'un vieillissement considérable.

Section 2 - Le vieillissement

59. Le Code souffre d'un mal terrible, un des pires qui puisse toucher une oeuvre codificatrice : il a vieilli. Certes, un Code qui survit aux épreuves du temps peut être gage de réussite, de sécurité, de stabilité. Notre Code civil en ce qu'il est instable et complexe cumule les défauts. Ce vieillissement est la conséquence des défauts précédemment étudiés, un code vieilli est un code qui n'est plus conforme à la réalité juridique. Ainsi, une désuétude est inévitablement perceptible (1), désuétude qui a conduit le juge à outrepasser ses devoirs et pouvoirs afin de remédier au vieillissement. Notre Code civil est désormais remplit de créations prétoriennes, et l'on doit s'interroger sur l'intégration de ces créations au sein d'un Code : est-ce un remède au vieillissement ou un danger supplémentaire (2) ?

§1 - La constatation d'une désuétude

60. Cette désuétude, une fois constatée, appelle à deux énonciations : d'une part, notre Code civil est désuet car il s'agit d'une oeuvre de compromis entre capitalisme et socialisme. En effet, l'impossibilité du législateur de trancher entre ces deux axes politiques conduit à la désuétude de l'oeuvre (A). D'autre part, notre Code civil souffre d'un vieillissement au regard

89 Voir les développements sur ce point de B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 97.

90 Ph. Rémy, « La recodification civile », art. préc., in Droit, 1997, n°26, spéc. p. 10.

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de son corpus : le fond et la forme souffrent tous deux d'une désuétude capitale : les notions contenues dans le Code civil et la forme de celui-ci ne sont plus adaptées à la réalité (B).

A - Une oeuvre de compromis entre capitalisme et socialisme

61. En 1804, le Code civil apparaît comme un acte de volonté, il s'insère en effet dans le cadre d'un gouvernement autoritaire91, c'est un instrument politique. A l'origine, il s'agissait d'une oeuvre moderne : il tendait à systématiser les règles de droit, réformer le système juridique, faciliter l'accès au citoyen, autant d'innovations qui rendaient, à l'époque, le Code civil empreint d'une modernité incontestée. Cette modernité était également reflétée par la consécration de grands principes tels que la liberté et l'égalité, principes qui sont devenus le socle de notre ordre juridique.

62. Pour certains, « l'écoulement du temps n'a pas altéré ses qualités. Il est désormais inscrit dans l'intemporalité »92. Tant d'optimisme paraît irréel tant le Code a vieilli. Il ne constitue plus qu'un « lieu de mémoire », et ne reflète plus, outre le droit positif français, la réalité sociale. En effet, bien qu'ayant survécu à deux siècles et plus de dix constitutions politiques, le Code civil est inévitablement une oeuvre de compromis. « Des coups venant de droite, autant venant de gauche, c'est ainsi que, bien souvent, on caractérise le juste milieu »93, cette affirmation du doyen Carbonnier illustre parfaitement le compromis entre socialisme et capitalisme.

63. Le Code civil n'est pas parfait, la perfection est utopique. Le compromis est ainsi le contraire de la perfection, avec la nocivité que cela implique : la Révolution et ses maximes rodent sur le Code civil. L'article 544 qui dispose que « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » en est la représentation ultime. Il en va de même pour l'article 1134 qui consacre la liberté individuelle. A l'inverse, l'on peut illustrer le compromis aux moyens d'un contre-exemple : l'ordre public à l'instar des maximes révolutionnaires, rode sur le Code : « On ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs »94. Ainsi, ordre public et liberté individuelle constituent deux idéologies antagonistes, ces deux notions constituant pourtant le

91 J. Carbonnier, « Le Code civil », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 21.

92 D'après le message du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Monsieur Dominique Perben lors de la célébration du bicentenaire du Code civil. Message retranscrit in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 13 et s.

93 J. Carbonnier, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 26.

94 Art. 6 C.civ.

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socle du droit civil français. Le Code civil est alors largement dominé par l'esprit de compromis.

64. Un Code civil qui revêt avant tout une dimension politique ne peut être impartial. L'impartialité du droit était la ratio legis du compromis choisi en 1804. Il s'agit pourtant d'une utopie : le Code civil n'est pas le Code de tous les français, l'on peut ainsi parler du « mythe du caractère populaire du droit95 » et plus spécifiquement du caractère populaire du Code civil. L'on a pu parler de « code taillé pour les notables »96 et cette affirmation est fondée : la toute-puissance des propriétaires y règne, la lettre de l'article 544 constitue l'affirmation du capitalisme.

65. Selon un regard contemporain, cette oeuvre de compromis est désuète aujourd'hui : notre société a connu de nombreux bouleversements, des changements sociaux et politiques. Cet ensemble ne peut pas avoir laissé intact le « monument juridique » qu'est le Code civil. Notre société a évolué, le Code civil a vieilli. L'impossible consensus entre capitalisme et socialisme au moment de l'élaboration du Code civil semble ainsi hors de propos désormais. En effet, il n'est pas prétentieux de dire que la partie a été remportée par l'individualisme. La mutation du droit de la famille en est un exemple frappant. L'esprit du Code civil en est alors modifié.

66. L'importance des changements économiques a été méconnue, laissant l'esprit du Code civil vieillir chaque jour un peu plus. Malheureusement notre démocratie moderne délaisse ce sujet brulant du vieillissement, de l'absence de modernité et semble ce contenter d'un code symbole, d'un consensus qui ne reflète plus l'état actuel de cette démocratie moderne. Il aurait dû s'agir d'un compromis provisoire, au contraire il s'agit désormais d'un compromis historique que l'on peine à remettre en cause. Un optimiste trop prononcé serait malvenu ici : la société français rencontrera toujours des problèmes97, la question sociale sera toujours à l'ordre du jour, on évoquera ainsi à défaut d'une lutte des classes, une exclusion sociale. Certes, mais une réforme du droit civil est nécessaire, même si celle-ci engendrera inévitablement un conflit idéologique qu'il conviendra de transcender. Cette transcendance aura pour source la mondialisation mais également l'Européanisation (voir infra §92 et suivants).

95 P. Malaurie, « L'utopie et le Bicentenaire du Code civil », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 4.

96 J.-L. Halpérin, Le Code civil, ouvr. préc., p. 111 et s.

97 J. Carbonnier, « Le Code civil des français dans la mémoire collective », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 1052.

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67. L'acceptation d'un tel défaut que constitue le vieillissement revêt une gravité certaine. Pour autant, un second défaut majeur induit chaque jour un peu plus le vieillissement de notre soi-disant « Constitution civile ». En effet, le contenu et le contenant du Code civil ont vieilli avec lui. L'oeuvre de compromis est ainsi désuète, d'une part au regard des principes qu'elle véhicule, d'autre part au regard de sa forme.

B - Une oeuvre désuète par ses notions et sa forme

68. Désuet, le Code civil ne l'est pas seulement en raison de sa complexité. En effet, sa substance intrinsèque, ainsi que sa forme, font de cette « oeuvre » une oeuvre démodée. Evidemment, le Code n'est pas parfait, Portalis soulignait déjà, lors de son célèbre Discours préliminaire qu'il était impossible de tout prévoir. Soit, mais ce qui a été prévu en 1804 n'est plus le reflet de notre société aujourd'hui. On ne peut pas tout prévoir mais l'on peut réformer. Sans réforme, la substance même du Code civil est caduque, et cette affirmation peut être sans conteste étendue de la façon suivante : le contenu mais plus également le contenant persistent dans l'obsolescence.

69. Cette désuétude n'est que la prolongation des défauts précédemment évoqués : instabilité, oeuvre de compromis, complexité, insécurité, immobilisme. En effet si l'on envisage l'exemple de l'immobilisme du Code civil, celui-ci a pour conséquence directe et néfaste le maintien d'un Code aux notions désuètes. A l'origine, le Code n'était pas parfait, cependant les dispositions imparfaites d'hier sont les mêmes aujourd'hui98 : l'obligation de donner de l'article 1103, la formule amputée de l'article 2276, l'imprécision concernant l'article 1165 posant l'effet relatif du contrat, ou encore l'article 1142 du Code civil qui exprime un droit de Common Law et non un droit français. La liste est non exhaustive et il s'agit là du coeur du problème : le Code civil est rongé par ses défauts.

70. Le Code est également obsolète au regard des notions, des textes qu'il contient, non pas en raison de leur imprécision, incertitude, mais au regard de leur lettre même. Le maintien de ces textes dans le Code fait d'eux des textes applicables, vivants99. Or, ils sont morts depuis longtemps déjà. L'article 1333 dispose que « Les tailles corrélatives à leurs échantillons font foi entre les personnes qui sont dans l'usage de constater ainsi les

98 Pour plus de détails voir D. Tallon, « Grandeur et décadence du Code civil français», in Mélanges M. Fontaine, Larcier, 2003, p. 279 et s., spéc. p. 286.

99 Ph. Rémy, « La recodification civile », art. préc.

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fournitures qu'elles font ou reçoivent en détail ». Que signifient ces tailles ? Il s'agit là d'un texte, à l'instar de nombreux autres, qui s'applique à des biens disparus soit totalement, soit partiellement, de notre société. L'on peut citer également l'article 519 relatif aux moulins à eau ou à vent, ou bien la liste des immeubles par destination posée par l'article 524. Celui-ci envisage les ustensiles aratoires, les ruches à miels, les pressoirs, etc. Enfin, la position du meuble au sein du Code civil est largement dépassée, répondant encore à l'image d'une société préindustrielle. Cette suprématie de l'immeuble sur le meuble est aujourd'hui contredite par la réalité économique. Pire encore : la suma divisio instituée par l'article 516 du Code civil est emprunte d'une désuétude : tous les biens ne sont pas réductibles à ces deux catégories. Ainsi, ces exemples font de la réforme du droit des biens100 et plus globalement du Code civil une nécessité tant les textes sont artificiels.

71. Le contenu du Code civil ne donne plus une image parfaite de l'état actuel du droit civil et l'homogénéité est freinée, pire, rendue impossible par la coexistence de textes désuets et de nouveaux textes chaque jour plus nombreux qui rendent la réforme du Code civil quotidienne mais qualitativement insatisfaisante. En 2015, l'on peut affirmer que les lacunes sont nombreuses mais comblées par des législations nationales et européennes florissantes. Le contenu des dispositions est repris article après article de façon à ce que la réforme du Code civil soit quotidienne : en réalité, la réforme du Code civil est entreprise, cependant ce n'est pas par ce biais qu'elle sera effective et novatrice.

72. La désuétude touche aussi les textes anciens, cela n'est qu'une conséquence logique. Cependant elle touche également les textes rénovés tels que ceux du droit de la famille. Une réforme globale est ainsi nécessaire et il n'apparait pas superflu de le répéter. Le contenu, la substance, le fond du Code civil est périmé. Qu'en est-il de la forme ?

73. Le corps du texte est également désuet si on l'apprécie quantitativement « en deux siècles, le corps du Code a été tailladé, recousu, étendu, retranché et démultiplié101 ». Bien que sa dénomination « le Code civil des Français » soit restée intacte102, sa grandeur, son symbole au regard de sa forme sont autant d'indices qui conduisent à parler de « décadence » du Code103. La vision optimiste serait d'affirmer que le Code en tant que contenant a résisté à l'épreuve du temps. Cela étant, cette affirmation constitue le reflet de la problématique : une

100 R. Libchaber, « La recodification du droit des biens », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 297 et s.

101 Ph. Rémy, « Regards sur le Code », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 103.

102 En France il n'est pas intitulé « Code Napoléon », cette appellation est utilisée à l'étranger.

103 Terme de D. Tallon, « Grandeur et décadence du Code civil français », art. préc., p. 279 et s.

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forme inchangée est nécessairement obsolète. L'impossible homogénéité envisagée ci-dessus impacte alors l'unité de forme et de présentation du Code civil.

74. La numérotation, le style, le plan, le vocabulaire, autant d'éléments sur lesquels le temps a une emprise néfaste. Un exemple criant est celui des réformes successives qui conduisent à former des « trous » dans le tissu des textes104. Cela renvoie par ricochet au problème de la numérotation. L'article 5 de la loi du 30 ventôse an X relative aux travaux préparatoires du Code civil disposait qu' « il n'y aura pour tous les articles du Code civil qu'une seule série de numéros ». La numérotation primitive du Code civil a ainsi été conservée, mais surtout on a souhaité garder les « grands articles » à leur place. En effet, l'on ne peut s'attaquer aux numéros symboliques : les articles 544, 1134 ou bien 1382 sont intouchables. Ainsi, Philippe Rémy se demande : « qu'importent les doubles, les triples et les vides, si l'on conserve à leur place ces sentinelles du droit civil français ? »105. Ce phénomène d'articles « maximes » a conduit à des tours de force, à ajouter, là où la place était libre, des textes supplémentaires. Des vides, des excroissances sont le résultat d'une telle volonté conservatrice. Le Code civil est de ce fait dépouillé dans sa forme même, et le plan n'y échappe pas.

75. Le plan du Code demeure son point faible depuis son origine. Pour certains, ce plan est certes défectueux, mais il présente un mérite : la flexibilité. Celle-ci permet alors l'adjonction ou l'insertion de nouveaux titres, sans qu'en souffre la numérotation106. La flexibilité se fait au détriment de la simplicité mais surtout de la modernité. Un exemple affligeant : le titre 1er du livre I ne comporte pas de chapitre premier. Cette absence de rigueur est inadmissible au sein de notre « Constitution civile ». Pire encore, le titre sur la responsabilité en fait des produits défectueux est le titre IV bis, ainsi est-il accolé en fin de titre IV relatif aux engagements qui se forment sans convention. Or, n'y a-t-il pas en général une convention qui se forme ? En résumé, un plan difforme, une structure vieillissante, font du Code civil un recueil complexe dans lequel un profane ne pourrait s'y retrouver. « Qui penserait à chercher les règles des quasi-contrats dans un livre consacré aux différentes manières dont on acquiert la propriété ? » se demande D. Tallon107.

104 Pour une vision détaillée voir Ph. Rémy, « Regards sur le Code », art. préc., p. 104 et s.

105 Ph. Rémy, « Regards sur le Code », art. préc., p. 105.

106 C. Witz, « L'influence des codifications nouvelles sur le Code civil de demain », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 705.

107 D. Tallon, « Grandeur et décadence du Code civil français », art. préc., p. 279 et s.

108 F. Ewald, « Rapport philosophique : une politique du droit », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 77 et s., spéc. p. 79.

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76. Le corps du Code est toujours là, mais l'étude de ces défauts amène à penser qu'il ne s'agit plus d'un Code. Cette affirmation revêt une véritable importance lorsqu'il s'agit d'envisager le Code comme tributaire de la jurisprudence.

§2 - L'intégration des créations prétoriennes : remède ou danger ?

77. Le Code civil n'est désormais plus un code. Cependant afin de le maintenir en vie, le juge tient un rôle capital. En effet, pour pallier le vieillissement, la jurisprudence oeuvre activement par le biais de créations prétoriennes. Un code aux mains du juge constitue un défaut en lui-même, pour autant il ne convient pas de nier la réalité. A cet effet, l'on peut sans conteste énoncer qu'aujourd'hui l'on est en présence d'une jurisprudence normative, autrement dit le juge civil est maître du Code civil (A). Cet argument doit inexorablement amener à s'interroger sur les solutions que l'on peut apporter à ce phénomène qui dénature substantiellement le Code civil : la solution au vieillissement demeure inévitablement dans sa modernisation (B).

A - Un droit civil aux mains du juge : une jurisprudence normative

78. « Un Code, quelque complet qu'il puisse paraître, n'est pas plutôt achevé, que mille questions inattendues viennent s'offrir au magistrat. Car les lois, une fois rédigées, demeurent telles qu'elles ont été écrites. Les hommes, au contraire, ne se reposent jamais ; ils agissent toujours », en ces termes, Portalis dans son Discours préliminaire énonce le principe selon lequel la loi ne peut pas tout prévoir. Cette locution viendrait alors contredire l'idée d'un Code vieillissant puisque par nature les lois seraient obsolètes, désuètes dès lors formulation108. Portalis laissait ainsi, après la construction de la loi, la place au travail des juges, au travail du droit : « De là, chez toutes les nations policées, on voit toujours se former à côté du sanctuaire des lois, et sous la surveillance du législateur, un dépôt de maximes, de décisions et de doctrine qui s'épure journellement par la pratique et par le choc des débats judiciaires, qui s'accroit sans cesse de toutes les connaissances acquises, et qui a constamment été regardé comme le vrai supplément de la législation ». Autrement dit, la loi, plus spécifiquement le Code civil, peut rester le même, tant que le droit vie sous l'impulsion du juge. Est-ce réellement au juge de faire le droit, plus précisément est-ce au juge de faire et refaire le Code civil ?

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79. Dès la fin du XIXème siècle, la société française a connu de profondes mutations, en raison du développement de l'industrie, de l'évolution de la bourgeoisie ou encore de l'accroissement de la population ouvrière109. Il est alors revenu à la jurisprudence d'intervenir avant que le législateur ne se saisisse du problème. Malheureusement, le législateur a parfois tardé à agir, si bien qu'en 2015, le Code civil français doit beaucoup aux juges de la Cour de cassation. Le juge a su s'adapter aux évolutions économiques et sociales ; à tous les changements qu'il s'agisse de changements de besoin ou de moeurs. Par le biais du juge, le Code civil s'est enrichi, complété, renouvelé et parfois modifié. Le juge a ainsi évité un vieillissement prématuré du Code. Pourtant, le vieillissement est bien réel.

80. C'est en raison de la fonction première du juge que la jurisprudence a pu jouer un rôle si important au sein du Code civil. En effet, c'est la fonction d'interprétation du juge, reconnue par l'article 4 du Code qui lui confère une place centrale. Cet article dispose que « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ». Autrement dit, le juge a une obligation de dire le droit, en contrepartie lui est conféré la possibilité de l'interpréter. Cela étant, l'interprétation est à distinguer de la création. Or le juge du XXIème siècle devient un juge créateur, en raison de l'immobilisme du législateur. L'on a ainsi pu parler de « jurisprudence législative »110, les exemples foisonnent.

81. Dans le domaine de la responsabilité civile, cette « jurisprudence législative » a donné toute sa mesure111. Au moyen d'un texte prétexte, l'article 1384, la jurisprudence a érigé une clause générale de responsabilité du fait des choses, anéanti le numerus clausus des responsabilités du fait d'autrui, fabriqué un nouveau régime de responsabilité des commettants ou encore modifié la responsabilité parentale. Toujours s'agissant de la responsabilité civile, l'article 1382 a fait l'objet d'une interprétation si extensive qu'elle ne peut être infinie. C'est pour cette raison que Geneviève Viney, que l'on rejoint, appelle à la suppression de ce fossé entre loi civile et droit positif112 : la suppression ne s'envisage qu'au moyen d'une réforme du Code civil.

82. A l'instar de la responsabilité civile, le droit des contrats n'est plus l'apanage du

109 Pour une vision détaillée de ce propos voir J. Hilaire, « Le Code civil et la Cour de cassation », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 155 et s.

110 V.F Zenati, La jurisprudence, coll. « Méthode du droit », Paris, Dalloz, 1991, p. 177 et s.

111 Sur la question, voir G. Viney, « Les difficultés de la recodification du droit de la responsabilité civile », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 255 et s.

112 G. Viney, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 255 et s.

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Code civil, il s'est enrichit sous l'impulsion de la jurisprudence : la réticence dolosive déduite de l'article 1116 par exemple ou bien les articles relatifs à l'objet du contrat qui ne permettent pas de prendre pas en compte les évolutions en ce domaine. La jurisprudence conduit parfois à dénaturer la lettre même d'un article, ainsi l'article 1142 n'est plus aujourd'hui de droit positif : la lettre du Code est trompeuse au regard de l'interprétation faite par la Cour de cassation113. De façon plus générale, c'est l'ensemble du droit des contrats qui a été complété voire crée par la jurisprudence : les pourparlers, le régime de l'offre, le moment de la conclusion du contrat, autant de principes silencieux au sein du Code civil et résolus par le juge. Enfin, le Code ne nous dit rien sur le déséquilibre contractuel entre les parties alors même qu'aujourd'hui la liberté contractuelle est nuancée.

83. La jurisprudence dans sa fonction d'interprète peut sembler assez légitime. Or elle sort parfois de son rôle et crée de nouveaux principes, sans base législative. L'exemple fondamental est celui de l'enrichissement sans cause : par le biais d'un grand principe, l'équité, elle a interdit à chacun de s'enrichir au détriment d'autrui114. Un principe comme celui-ci a alors intégré naturellement le droit civil sans que le législateur vienne le consacrer. Son absence au sein du Code civil nourrit inévitablement le constat selon lequel le Code souffre d'un vieillissement accéléré. Le constat est identique s'agissant des troubles anormaux de voisinage115.

84. Le juge, selon Montesquieu, ne devrait être que la bouche de la loi, ici la loi est la bouche du juge, la jurisprudence en tant que source de droit deviendrait supérieure à la loi, au contenu même du Code civil. L'apport du juge est alors aussi important voire plus important que celui du législateur. Cependant, l'article 4 du Code civil lui confère un pouvoir d'interprétation. Les décisions des juges de la Cour de cassation devraient ainsi être plus que des décisions de justice mais revêtir moins d'autorité que la loi. Or le principe de jurisprudence législative contredit cette idée et de nombreux principes ont alors été créés en dépit de l'article 5 du Code civil, lequel interdit les arrêts de règlement. Portalis, dans le discours préliminaire, avait insisté sur la complémentarité des articles 4 et 5 « mais en laissant à l'exercice du juge, toute latitude convenable, nous lui rappelons les bornes qui dérivent de la

113 Voir sur la question, Th. Revet « Recodification, entre tentation et illusions », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 458.

114 Principe consacré par la Chambre des requêtes de la Cour de cassation le 15 juin 1892 dans un arrêt Boudier c/ Patureau-Mirand.

115 La formulation du principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » a été posée dans un arrêt de la Cour de cassation du 19 novembre 1986, Bulletin 1986 II N 172 p. 116.

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nature même de son pouvoir, un juge est associé à l'esprit de législation mais il ne saurait partager le pouvoir législatif. La loi est un acte de souveraineté ; une décision n'est qu'un acte de juridiction ou du magistrature. Or, le juge deviendrait législateur s'il pouvait, par son règlement, statuer sur des questions qui s'offrent à son tribunal ». En 2015, en dépit des recommandations de Portalis, le juge est devenu législateur.

85. Malgré leur interdiction, les arrêts de règlements sont malheureusement nécessaires : le vieillissement de la loi oblige les juges de la Cour de cassation à prendre de tels arrêts. En effet, une loi ancienne ne correspond plus à l'évolution de la société. Le législateur est alors passif, une réforme est pourtant nécessaire afin d'intégrer ces créations prétoriennes : il faut moderniser le Code civil.

B - Les solutions au vieillissement : la modernisation

86. Le vieillissement du symbole d'unité que constitue le Code civil n'est plus à démontrer, il est effectif et conduit ce dernier à une mort annoncée. Il est voué à disparaître en tant que forme du droit commun français et expression d'une civilisation juridique. Le Code civil est aujourd'hui en décalage par rapport à la réalité économique, sociale et même à la réalité juridique, il ne peut plus servir de cadre, de modèle. Pour que notre Code retrouve sa nature de « monument du droit»116, de « ciment de la société »117 une cohérence doit être retrouvée.

87. La modernisation du Code civil, remède au vieillissement doit s'envisager à travers la sécurité juridique : il s'agit là d'une fin principale à laquelle tend toute codification118. La nature même d'un Code demeure la réunion de l'ensemble des dispositions législatives en vigueur. Si le Code est sans lacune, c'est à dire complet et exhaustif, le droit le devient également et la sécurité juridique est retrouvée. En effet, un Code complet est ainsi lisible, prévisible, à l'inverse il échappe à l'arbitraire du juge et au phénomène de jurisprudence législative. Un droit complet interdit donc le recours à des principes subjectifs, incertains tels que l'équité. La modernisation induit ainsi la cohérence, celle-ci ayant pour conséquence la sécurité juridique. Cependant, ce cercle vertueux participe sans doute d'une utopie, celle d'une confiance illimitée en la loi.

116 G. Cornu, « Un Code civil n'est pas un instrument communautaire », D. 2002, chron., p. 351.

117 Y. Lequette, « Quelques remarques à propos du projet de Code civil européen de Monsieur Von Bar », D. 2002, chron., p. 2202.

118 P. Malaurie, « L'utopie et le Bicentenaire du Code civil », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 5

119 Il s'agit la d'une idée de R. Libchaber reprise par Th. Revet, « La recodification, entre tentation et illusions », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 461.

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88. La modernisation peut-elle ainsi se passer d'un objectif concret mais impossible telle que la sécurité juridique ? En effet, la modernisation du droit civil est nécessaire. Réformer le Code civil c'est ainsi le moderniser. Sans envisager, pour le moment, une technique particulière et précise de réforme (voir infra §151 et suivants), il convient d'éluder la question d'une réactualisation du Code civil. D'une part, les dispositions désuètes doivent être éradiquées : le vieillissement du droit des biens est considérable, cette matière n'est plus aujourd'hui du droit commun : les notions dépassées mais pourtant nécessaires devraient ainsi rejoindre d'autres codes, comme celui du Code rural119. Un toilettage systématique s'impose également s'agissant de la responsabilité civile.

89. La modernisation du Code doit être réalisée à travers une réécriture de certaines dispositions. Ainsi, à la différence d'une éviction des dispositions désuètes, il s'agit ici d'une simple modification. Certaines règles ont été partiellement modifiées, précisées par la jurisprudence, cependant il s'agit d'une source d'imperfections et de grands dérèglements. L'article 1129 en est la preuve, celui-ci dispose : « Il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce. La quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu'elle puisse être déterminée ». Ne pourrait-on pas, comme le suggère Thierry Revet, inscrire l'exigence d'objectivité autrement dit d'extériorité à la volonté unilatérale de l'un des contractants ? Ce n'est malheureusement pas la voie choisie par le législateur. En effet, le projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations prévoit un article 1162 selon lequel « L'obligation a pour objet une prestation présente ou future. Celle-ci doit être possible et déterminée ou déterminable. La prestation est déterminable lorsqu'elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties ». Aucune trace d'objectivité ici.

90. Enfin, la modernisation doit s'analyser au regard de l'adjonction de dispositions c'est à dire d'ajouts. Il s'agirait ainsi d'intégrer les créations prétoriennes, intégration qui peut s'apparenter à un remède au vieillissement. Mais adjoindre la jurisprudence au Code, ce n'est pas réformer, le Code deviendrait alors saturé, peut-être l'est-il même déjà. La recodification passe ainsi par l'innovation afin de remettre le droit civil en paix avec son temps. La survie du Code civil postule donc d'une recodification.

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91. En résumé, le Code civil est « à bout de souffle »120 et la valeur sentimentale qu'il peut revêtir pour le plus grand nombre ne suffit plus à le maintenir en tant qu'oeuvre symbole d'unité. Il n'est plus homogène, a perdu de sa cohérence, ne contient plus l'ensemble du droit civil. Pire, il est source d'insécurité juridique, inaccessible pour tous, obsolète. A l'aide du Code, il est impossible d'appréhender le droit civil français à moins de se plonger dans une abondante jurisprudence. La réforme est nécessaire, vitale, ses défauts en témoignent. La nécessité de la réforme revêt cependant une autre facette, plus importante encore. Certes le Code est défectueux au plan interne, il est impératif de remédier à ses défauts, mais l'adaptation à l'Europe apparaît aujourd'hui primordiale : le débat se situe désormais au niveau européen.

120 D. Tallon, « L'avenir du Code civil en présence des projets d'unification européenne du droit civil », in 18042004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., spéc. p. 1001

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CHAPITRE 2 - ADAPTER À L'EUROPE

92. Le Code civil n'est plus un code, il est devenu, malgré lui, un recueil de lois civiles. Si ce constat revêt une certaine gravité, celle-ci se démultiplie si l'on envisage l'esprit du Code au-delà de son corps. A l'origine, l'unité du droit civil français, la réduction de l'ordre civil à la loi et enfin la rationalité de cet ordre constituaient les piliers du Code civil. Aujourd'hui, sous l'effet d'une « post modernité »121, ces trois piliers ne sont plus les « raisons d'être » du Code civil. Ainsi, il faut adapter le Code civil, du fait d'une dénationalisation du droit civil, plus précisément en raison de l'Européanisation de ce droit.

93. Adapter le Code civil à l'Europe postule d'une double épreuve. D'une part, l'adaptation à l'Europe des droits de l'homme (Section 1), aujourd'hui l'on assiste en effet à une expansion des droits individuels sous la forme radicale des droits de l'homme. D'autre part, à l'Europe du commerce (Section 2). Cette prolifération de sources européennes est un des obstacles, surmontable, qui se place sur la route d'une réforme du droit civil. Il faut redonner au Code civil son statut de « livre de référence »122, cependant ces deux pôles, que sont l'Europe du commerce et l'Europe des droits de l'homme, exercent une domination sur les sources internes. Il convient ainsi d'envisager la façon de concilier sources internes et sources communautaires.

Section 1 - A l'Europe des droits de l'homme

94. La Convention européenne des droits de l'homme exerce une influence sur le devenir du texte fondateur, le Code civil. Ainsi, les droits de l'homme constituent-t-il l'avenir du droit civil (1) ? En raison de la réponse nuancée, l'avenir du Code civil, sans adaptation autrement dit sans réforme, est sombre : sa légitimité est atteinte du fait de la toute puissante du juge européen des droits de l'homme (2).

§1 - L'avenir du droit civil : les droits de l'homme ?

95. Si l'avenir du droit civil repose entre les mains des droits de l'homme, la théorie voudrait qu'existe entre droits fondamentaux et droits civils, deux pôles originellement distincts, une frontière bien étanche (A). En pratique, la réalité est bien différente : notre droit civil français, droit positif, est aujourd'hui subjectivisé (B).

121 Terme employé par Ph. Rémy, « Regards sur le Code », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 113.

122 J. Carbonnier, « Le Code civil », in Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, t. 1, 1997 p. 1345.

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A - Une frontière théorique étanche entre droits civils et droits fondamentaux

96. En théorie, droits de l'homme et Code civil constituent deux réalités auxiliaires, additionnelles. En effet, la spécificité d'une Europe et notamment d'une idéologie juridique européenne est le fruit d'une corrélation entre codifications des droits nationaux et déclarations des droits subjectifs123. Une définition du terme « droits fondamentaux » est nécessaire. Il s'agit en effet d'une formule floue, difficile à définir et, ni la Cour européenne des droits de l'homme, ni la Cour de justice, ne donnent une définition de ce terme. Il s'agirait des droits « essentiels tant à l'ordre juridique qui les porte qu'à l'humanité même de leurs titulaires »124. Une exhaustivité d'une liste des droits fondamentaux est alors impossible. L'emploi ici du terme « droits fondamentaux » consistera à designer des droits protégés et surtout proclamés par une juridiction.

97. La coexistence entre droits civils (ici le Code civil) et droits fondamentaux devraient ainsi être naturelle et se passer sans heurts. Cette coexistence tranquille tirerait sa source de la nature même des droits fondamentaux : les droits de l'homme sont des déclarations de principe, leur portée est ainsi limitée à des considérations morales ou philosophiques. Historiquement, ces affirmations sont exactes. En 1804, droits de l'homme et droit civil évoluaient sans contact, dans des univers opposés. En effet à l'origine, les droits fondamentaux étaient définis de sorte que le droit civil soit laissé hors de leur emprise : notre Code civil avait ainsi toute sa raison d'être, les normes qu'il édictait n'étaient pas sous l'emprise d'autres droits, d'une nature différente de la sienne. Ces droits fondamentaux avaient pour objectif de prévenir une possible réitération des horreurs perpétrées par les régimes totalitaires125, à protéger le citoyen contre l'action de l'Etat qui aurait pu apparaitre arbitraire. Des exemples appuient ce propos, notamment les articles 8 et de 12 de la Convention européenne des droits de l'homme (la Convention), relatifs respectivement au droit au respect de la vie privée ou de la vie familiale et au droit au mariage. Ces articles, en raison de leur contenu, auraient pu apparaître contraires, en opposition ou bien superflus à nos articles du Code civil, par exemple à l'article 9 du Code également relatif au droit au respect de la vie privée. Pourtant, tel n'était pas le cas, puisque ces articles 8 et 12 n'avaient pour seul objectif la prévention des risques précités.

123 A.-J. Arnaud, « Ces âpres particularismes... », Droits, 1991, p. 17 et s., spéc. p. 20.

124 E. Picard, « Droits fondamentaux », in Dictionnaire de la culture juridique.

125 Y. Lequette, « Le Code civil est la prolifération des sources internationales », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 186.

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98. Le constat est le suivant : à l'origine et en théorie, droits subjectifs et droits civils ne souffraient d'aucune hiérarchie, ils reposaient sur la base d'une complémentarité. Une telle affirmation, si elle était encore exacte aujourd'hui, ne menacerait en rien la légitimité de l'ensemble de nos règles de droits civils, autrement dit notre Code civil. A présent, il en va autrement : l'ensemble des pays qui adhèrent à la Convention européenne des droits de l'homme ont, par leur acceptation, accepté le droit de recours individuel devant la Cour de Strasbourg. Ainsi, les droits de l'homme ne sont plus seulement des données gouvernées par des considérations morales et philosophiques, mais ils regroupent des données positives d'une importance considérable. Ce droit de recours individuel devant la Cour de Strasbourg, autrement dit le contrôle de conventionalité, constitue un contrôle a posteriori, exercé à l'initiative de tout intéressé. Cette Cour a ainsi, au fil des années, dépassé le but premier des droits de l'homme à savoir prévenir de l'arbitraire126. Désormais, tous les droits subjectifs doivent être protégés, il s'agit ainsi de défendre l'individu contre l'Etat mais également de garantir « l'exercice effectif par l'Etat »127 de ces droits. La Convention européenne des droits de l'homme peut ainsi réglementer le comportement des personnes privées : tel est l'effet horizontal de la Convention. Cette considération fait inévitablement naître des conséquences directes sur notre droit civil et sur son contenant, le Code civil. Les droits civils des Etats membres de l'Union européenne, ici la France, doivent ainsi se soumettre aux droits fondamentaux. Si le droit civil français ne vaut plus rien, s'il n'est pas conforme aux droits de l'homme, quelle place tient-il désormais aux côtés d'un droit de tous les droits ?

99. Cette question peut être reformulée de la façon suivante : « L'idéologie des droits de l'homme est-elle compatible avec l'existence d'un véritable ordre civil ? »128. La montée en puissance de tels droits que constituent les droits de l'homme, des droits plus fondamentaux encore que l'ensemble des droits civils dont le Code civil en est la représentation, doit en effet pousser à la réflexion. Aujourd'hui, la régulation sociale prend la forme d'une affirmation de droits subjectifs, ces droits subjectifs ayant la caractéristique supplémentaire d'être des droits subjectifs fondamentaux. Ainsi n'y a-t-il pas une incompatibilité avec notre Code civil ?

126 A. Debet, L'influence de la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit civil, thèse Paris-II, 2001.

127 Ph. Malaurie, « La Convention européenne des droits de l'homme et le droit civil français », JCP 2002. I.143, n°6.

128 Question posée par Y. Lequette, « Le Code civil est la prolifération des sources internationales », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 185.

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B - Une incompatibilité en pratique : la subjectivisation du droit positif

100. Au nom des droits de l'homme, droits subjectifs, la Convention européenne des droits de l'homme accompagnée de la Cour de Strasbourg établissent un nouveau corps de droit. Celui-ci n'est pas sans poser de problème avec l'ancien corps de droit : notre Code civil. Ce nouveau corps de droits fait ainsi éclater le droit positif actuel129. Cet éclatement doit être la source d'une adaptation afin de régler l'incompatibilité, à savoir la subjectivisation du droit positif et ainsi laisser place à une cohérence nouvelle.

101. Les droits de l'homme sont incontestablement l'avenir du droit, bien que certains soient très nuancés sur la question130. La véritable question se situe sur un autre plan, les droits de l'homme sont-ils l'avenir du Code civil ? L'influence que la Convention exerce sur notre oeuvre symbolique est incontestable. Cette influence peut être appréciée d'un regard optimiste, c'est notre cas, ou plus tristement, d'un regard pessimiste, regard qui conduit à énoncer que la Convention déstabilise notre Code, représente un obstacle à sa cohérence. Il n'est pas ironique d'énoncer que sa cohérence n'a pas attendu l'avènement des droits fondamentaux pour être ébranlée. Pourtant, la complémentarité théorique du Code civil et de la Convention européenne des droits de l'homme est réduite aujourd'hui à néant tant les relations entre ces deux types de normes sont houleuses, sources d'une incompatibilité : le droit positif se subjectivise. L'antinomie des termes est évident, c'est pour cette raison qu'une adaptation du Code est nécessaire, vitale.

102. Cette subjectivisation du droit positif trouve sa source par l'intégration, dans l'ordre juridique française, de la Convention européenne des droits de l'homme en 1974 mais, surtout, de l'acceptation précitée du droit de recours individuel offert à toute personne. Aujourd'hui, sous l'influence des droits fondamentaux, l'importance moindre que revêt le droit positif français doit être étudiée. Cette influence est telle que le contenu du Code en est affecté, le législateur intervient en effet dans l'hypothèse où ce contenu apparaît incompatible avec les droits garantis par la Convention. Cette intervention est, de prime abord, une réelle avancée et paraît nécessaire. Certes, mais la subjectivisation du droit positif rend notre Code civil incohérent.

129 Ph. Malaurie, « La Convention européenne des droits de l'homme et le droit civil français », art. préc.

130 D. Gutmann, « Les droits de l'homme sont-ils l'avenir du droit ? », in L'avenir du droit, Mélanges en hommage à François Terré, Dalloz, PUF, Editions du Juris-Classeur, 1999, p. 330 et s.

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103. Le Code civil est vieillissant, nos droits civils nationaux sont alors remaniés par des droits fondamentaux par nature plus humains, compatibles avec la réalité sociale car attentifs aux personnes. Cependant cette idéalisation doit être nuancée : la « fondamentalisation » du droit civil a pour corolaire une subjectivisation de celui-ci131. Cette subjectivisation n'est pas compatible avec l'esprit du Code civil, celui de définir un ordre civil. La réforme civile en est alors l'objet. Le droit civil matérialisé dans notre Code est le socle de l'organisation de la société : son attention est portée sur les relations des membres de cette société, le modèle qu'il édicte permet à chacun de prévoir la portée de ses actes, d'agir en conséquence. A l'inverse, les droits fondamentaux s'intéressent à l'individu lui-même et non à ses relations : la personne prime, c'est la représentation même du droit subjectif. Ainsi la subjectivisation du droit civil conduit à envisager notre système juridique comme définit autour de l'individu, comme un « droit civil entièrement revisité par les droits fondamentaux132 ». Ce n'est pas la nature du Code civil que d'être une compilation de droits subjectifs. Celui-ci doit refléter la vision d'une société. De fait, si n'importe quel droit fondamental peut remettre en cause le modèle qu'incarne le Code civil, il n'y a plus de Code civil. Ce Code, pour être effectif, doit être stable et la « fondamentalisation » de ses droits ne le permet pas. Aujourd'hui, les règles civiles contenues dans notre Code ont pour mission de coordonner les intérêts de tous au regard d'une certaine vision de la société, cependant elles sont dépourvues de vigueur propre puisque les droits fondamentaux peuvent les remettre en cause.

104. Les droits fondamentaux constituent certes l'avenir du Code civil, seulement et seulement si le législateur intervient pour remettre de l'ordre dans cette incohérence. La nature de ces droits subjectifs appuie cet argument. Le Code civil est un texte à valeur législative et non à valeur constitutionnelle (à l'exception de quelques textes). Sa valeur législative fait de lui un texte inférieur aux traités internationaux133. Ainsi, le contenu même du Code civil doit être modifié lorsqu'il est contraire à ce qu'édicte la Convention européenne des droits de l'homme. Pourtant, cette Convention est ignorée des réformes entreprises du droit civil. L'on peut citer la loi du 29 juillet 1994 sur le respect du corps humain134 ou bien la

131 Y. Lequette, « Le Code civil est la prolifération des sources internationales », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 187.

132 Y. Lequette, ibidem.

133 Art. 55 de la Constitution de 1958.

134 Loi n° 94-653 sur le respect du corps humain.

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loi du 8 janvier 1993135 relative à l'autorité parentale sont des réformes qui n'ont pas été influencées par la Convention européenne des droits de l'homme : « les instruments juridiques internes et l'évolution de la société française suffisaient à eux seuls à justifier les changements du Code civil adoptés »136. Fort heureusement, la menace de l'éventualité d'une condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme a poussé le législateur à agir : c'est l'exemple de la loi du 22 janvier 2002 concernant l'accès aux origines137.

105. Pour certains, il s'agirait d'une instrumentalisation de la Convention européenne des droits de l'homme afin de justifier une modification du Code civil138. En réalité, il s'agit de modifications nécessaires, sur lesquelles le législateur actuel devrait prendre exemple afin de réformer l'ensemble du Code civil. Ainsi, sans tomber dans un Code civil rempli de droits subjectifs, il s'agirait de le réformer en tenant compte, sans les ignorer, des droits fondamentaux. En effet, leur importance nous empêche de les laisser de côté. Aujourd'hui notre Code civil est instable, incohérent et vieillissant : autant d'arguments qui pourraient engendrer une condamnation de la France en raison de l'exigence européenne relative à la stabilité et à la clarté des normes : les lois doivent, selon la Cour européenne des droits de l'homme, être accessibles139. Au regard de l'accessibilité au droit, ce que ne garantit plus notre Code civil, la Cour européenne a malheureusement toujours considéré que les dispositions de notre Code étaient accessibles. Cependant, s'agissant de l'instabilité, la prévisibilité des normes civiles n'est plus assurée, en raison des multiplications des lois, des modifications constantes. Une réforme d'envergure est ainsi nécessaire afin de mettre le droit français en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme. Cette réforme semble difficile à mettre en oeuvre puisque l'influence de la Convention sur le contenu du Code civil est faible : peu de modifications interviennent à ce propos. A l'inverse, notre droit positif se subjectivise, le paradoxe est considérable.

106. En réalité, il apparait que la réelle influence des droits de l'homme, des droits fondamentaux est exercée, non pas de manière indirecte par le législateur, mais de manière directe et cela par le juge. En effet, l'influence de la Convention européenne est phénoménale s'agissant de l'interprétation du Code civil. Le contenu du Code est ainsi directement modifié,

135 Loi n°93-22 du 8 janvier 1993 relative à l'état civil, à la famille, aux droits de l'enfant et au juge des affaires familiales.

136 A. Debet, « Le Code civil et la convention européenne des droits de l'homme », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 953 et s. spéc. p. 960.

137 Loi n°2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'Etat.

138 A. Debet, art. préc., in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 961.

139 CEDH, 26 avril 1976, Sunday Times c/ Royaume-Uni, série A, n° 30, Rec. p. 31, § 49.

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celui-ci souffrant d'une perte de légitimité considérable, entraînant dans sa perte le juge français.

§2 - La perte de légitimité du Code civil du fait de la prédominance du juge européen

107. Cette perte de légitimité du Code civil s'explique par la toute puissante du juge européen. En effet, la jurisprudence de la Cour européenne des droits l'homme induit une subordination du Code civil (A) lequel est aujourd'hui interprété au regard de droits subjectifs par le juge des droits fondamentaux (B).

A Ð Une subordination du Code civil à la jurisprudence de la Cour européenne

108. L'incompatibilité entre Code civil et Convention européenne des droits de l'homme est évidente lorsqu'elle résulte d'une condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme (la Cour). L'article 46 de la Convention dispose que « les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux décisions de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties ». Un arrêt de la Cour peut venir profondément modifier notre droit interne. Pour certains, une dénonciation évidente doit être faite du caractère envahissant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme140. En réalité, cet argument doit être nuancé, en effet, peu de dispositions du Code civil ont été soumises au contrôle de la Cour.

109. Surtout, lorsqu'elle a eu à connaître de la conventionalité de certaines dispositions du Code civil, la Cour n'a pas condamné la France. Un exemple, dans l'arrêt Odièvre contre France141, la Cour a constaté une conformité du droit interne au regard des exigences européennes, à l'instar de l'arrêt Gnahoré contre France142 dans lequel elle a reconnu la conventionalité de l'article 375 du Code. Une certaine lâcheté de la Cour peut alors lui être reprochée, mais cela semble s'expliquer au regard de la nature des droits en cause, à savoir des droits civils : ils régissent les relations entre particuliers, le législateur et les juges

140 Par exemple Y. Lequette, « D'une célébration à l'autre (1904-2004) », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 9 et s. ; Ph. Rémy, « La recodification civile », art. préc.

141 Arrêt Odièvre contre France, 13 févr. 2003, RTD Civ. 2003. 375, obs. Marguénaud.

142 Arrêt Gnahoré contre France, 19 septembre 2000, Recueil des arrêtés et décisions 2000-IX/ 407 ; D. 2001. 725, note Rolin.

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internes sont ainsi plus aptes à envisager la réalité sociale du pays143. Pour autant, le Code civil a été inéluctablement atteint par le pouvoir de la Cour, remettant en cause sa cohérence.

110. La subordination du droit civil français à la Cour européenne des droits de l'homme s'envisage à travers l'exemple le plus criant, l'arrêt Mazurek144 rendu le 1er février 2000 dans lequel elle a considéré que les dispositions du Code, limitant la vocation successorale de l'enfant adultérin en présence d'enfants légitimes, étaient contraires à la Convention. Un an après cette décision, le législateur français est enfin intervenu, par le biais de la loi du 3 décembre 2001145 : le Code civil a ainsi été modifié en raison d'une condamnation européenne. La portée des arrêts de la Cour peut alors être considérable, cependant un problème survient : la condamnation ne vient que confirmer une évolution existante ou remettre en cause des dispositions internes très contestées. Ainsi la Cour ne ferait qu'un acte de constatation et non d'évolution et ses décisions n'apporteraient pas de révolution dans l'ordre juridique interne.

111. Affirmer que la Cour ne met qu'à l'ordre du jour des problèmes réels peut s'avérer véridique, mais si cela permet une réforme, comme cela a pu être le cas avec l'arrêt Mazurek, il ne faut pas s'en priver. Sans cette condamnation, qui sait combien de temps aurait pu prendre cette modification du Code civil ? Aucune réponse ne peut être apportée à cette question, cependant là n'est pas le coeur du problème. En effet, par l'arrêt Mazurek, c'est toute la marge d'appréciation laissée aux Etats qui est remise en cause. Les lois et la jurisprudence civile de chaque Etat membre de l'Union européenne n'échappent plus à la censure de la Cour, et la jurisprudence de la celle-ci va très loin : elle estime146, à l'inverse de la jurisprudence française, que la Convention a une autorité supérieure non seulement à celles des lois ordinaires, mais encore à celle de la Constitution147. Une telle autonomie de la jurisprudence de la Cour n'est pas acceptable : le législateur national n'est rien si une seule voix peut le bloquer.

143 Explication de A. Debet, art. préc., in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, p. 958.

144 Arrêt Mazureck c. France, 1er févr. 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000-II/ 1 ; JCP 2000. II. 10286, note Gouttenoire-Cornut et Sudre ; RTD Civ. 2000. 311, obs. Hauser ; RTD Civ. 2000. 429, obs. Marguénaud ; RTD Civ. 2000. 601, obs. Patarin.

145 Loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions du droit successoral.

146 CEDH, 30 janvier 1998, Parti communiste unifié de Turquie c/Turquie, Rec. 1998-1/1.

147 J. Foyer, « Le Code civil de 1945 à nos jours », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 275 et s. spéc. p. 291

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112. Le Code civil n'est ainsi plus la « charte positive de nos droits fondamentaux dans les rapports privés »148, aujourd'hui c'est tout le Code civil qui est ouvert au contrôle de conventionalité, en raison d'une Cour européenne très active qui contraint les Etats membres à des mesures de nature à assurer le respect des droits de l'homme dans les relations entre individus. La situation peut être résumée de la manière suivante149 : le livre 1er du Code est sous l'emprise des articles 8 et 14 de la Convention. Si l'on adjoint à cette emprise le principe de proportionnalité, le contrôle du Code est assuré par le juge des droits de l'homme. Le Code civil n'a plus de vigueur propre, puisque le juge européen peut vérifier une proportionnalité entre un droit fondamental et les intérêts de la société : il s'estime investi du pouvoir de procéder à une interprétation évolutive et progressiste du Code. Les droits fondamentaux proclamés par cette Convention sont pragmatiques, évolutifs, dynamiques, l'Europe est ainsi « maitresse des valeurs auxquelles elle est subordonnée et c'est une maîtresse inconstante »150.

113. La jurisprudence de la Cour de Strasbourg est ainsi très évolutive et permet de remettre en cause, en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, des principes bien établis au sein des législations des Etats membres. Le juge européen ne statue pas à partir d'une réalité objective, mais au regard d'un droit fondamental : notre Code civil ne peut ainsi plus établir un véritable ordre civil, « la fondamentalisation du droit civil conduit à la volatilité de solutions et à l'exaltation des intérêts particuliers »151 : les droits fondamentaux conduisent à la confrontation entre individus et non à l'unité. Cependant, en raison de la hiérarchie des normes, ces principes sont imposés par la Cour malgré les tentatives de l'ordre civil français : emmaillotée entre l'intérêt national et la domination strasbourgeoise, l'entreprise de réforme du Code civil sera bien difficile à mettre en oeuvre.

114. Cette difficile mise en oeuvre, qui s'explique par la toute puissante du juge européen, demeure plus flagrante encore lorsque l'on se place au niveau de l'interprétation qu'exerce ce juge sur notre Code civil.

148 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 116.

149 Pour plus de détails voir J.-P. Marguénaud, « L'influence de la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit français des obligations », in Le renouvellement des sources du droit des obligations, L.G.D.J, 1997. 45.

150 Ph. Malaurie, « La Convention européenne des droits de l'homme et le droit civil français », art. préc., n°9.

151 Y. Lequette, « Le Code civil est la prolifération des sources internationales », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 187.

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B - L'interprétation du Code civil aux mains du juge européen

115. Lorsque les règles du Code civil sont inchangées, l'idée première consiste à imaginer que la Convention européenne des droits de l'homme et la Cour européenne des droits de l'homme n'ont pas d'influence sur celles-ci. En réalité, il s'agit de l'influence fondamentale de la Convention européenne des droits de l'homme en tant qu'elle semble constituer une solution d'avenir. Ainsi, le Code civil et notamment son interprétation est entre les mains du juge européen, En effet la jurisprudence de la Cour, sans condamner la France, est susceptible de présenter une plus grande importance lorsqu'elle touche aux structures intellectuelles du pays152.

116. Afin d'envisager ce propos, il convient de commencer par l'étude de ce qui constitue le commencement du Code civil, son titre préliminaire. Sous l'influence de la Convention européenne des droits de l'homme, le juge national pourrait modifier ce qui ne l'a jamais été depuis 1804. Ainsi, certains auteurs 153 considèrent que le contrôle de conventionalité modifie par sa nature le sens des articles 4 et 5 du titre préliminaire du Code civil relatifs aux pouvoirs du juge national. Ces articles disposent respectivement que « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice » et « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ». Ce contrôle de conventionalité modifierait alors le sens de ces articles puisqu'il permet au juge d'écarter la loi incompatible avec le traité.

117. Aujourd'hui, ce titre préliminaire est si désuet qu'il n'assure plus, à l'instar de l'ensemble du contenu du Code, la sécurité juridique. Or, la Cour européenne des droits de l'homme est très sensible à ce principe qui implique l'accessibilité, la stabilité et la clarté des normes. En effet, la prééminence du droit est un des principes inspirateurs de la Convention, la jurisprudence de la Cour y attache une importance fondamentale. Il convient ainsi d'espérer que les règles du titre préliminaire du Code civil soient un jour revues par le juge au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. L'on peut envisager l'exemple de l'article 2 du Code civil « la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif ». L'interprétation de cet article évolue sous l'influence de la jurisprudence

152 Ph. Malaurie, art. préc., n°12.

153 C. Willmann, « L'influence de la Convention européenne des droits de l'homme sur le titre préliminaire du Code civil », in Le titre préliminaire du Code civil, coll. « Etudes juridiques », Economica, 2003, p. 19 et s. spéc. p. 19.

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européenne. En droit interne, cet article établi un principe d'interprétation qui s'impose au juge en l'absence de manifestation d'une volonté législative154. A l'inverse, la Cour européenne considère que l'on peut adopter des lois rétroactives, dans des domaines non répressifs155. Aujourd'hui, il est inexact d'énoncer que l'article 2 du titre préliminaire du Code civil ne s'adresse qu'au juge156 et cette évolution de l'interprétation de cet article est un des apports le plus fondamental de la Convention européenne des droits de l'homme sur le Code civil.

118. Les articles 4 et 5 du Code, déjà cités, doivent être étudiés plus en détails : sous l'effet d'une lecture européenne, le sens de ces articles pourraient évoluer. Ce n'est pas le cas de l'article 4, qui est conforme à l'article 6 de la Convention selon lequel tout justiciable a droit à un procès équitable, ce qui implique l'accès au juge. Cependant, Rémy Libchaber considère que l'article 4 a « masqué tous les risques réels de défaillance de la justice française »157 et ne répond pas aux exigences de l'article 6 de la Convention. L'exemple de l'article 5 et plus significatif : la lettre de cet article est lapidaire, il implique que le juge interne ne peut pas rendre un arrêt de règlement, celui-ci ne peut pas lier les autres juges. Pour la Cour Européenne des droits de l'homme, la règle jurisprudentielle doit être prévisible, elle doit également être cohérente et constante lorsque les droits fondamentaux sont en jeu : le juge français n'est pas tenu par les précédents mais ne peut s'en écarter sans prudence. Une relecture de l'article 5, sous l'angle européen, permet d'énoncer que le juge ne doit changer de jurisprudence qu'avec modération. L'influence de la Convention européenne des droits de l'homme frappe ainsi le titre préliminaire, cependant il sera irréel de réduire cette influence au seul titre préliminaire. En effet, c'est l'ensemble du Code qui est interprétée sous l'angle européen.

119. Dans un arrêt du 11 décembre 1992158, la Cour de cassation s'est fondée sur l'article 8 de la Convention qui garantit le secret et la liberté de la vie privée, ainsi que sur l'article 9 du Code civil qui n'avait vocation qu'à protéger le secret. Par cet arrêt, la Cour de

154 Civ., 7 juin 1901, S. 1902. 1. 513, note Wahl. C'est une règle d'ordre public, cette jurisprudence est appliquée strictement par la Cour de cassation.

155 Arrêt Zielinski, Pradal, Gonzales et autres c. France, 28 octobre 1999.

156 Sur cette question voir les explications de A. Debet, art. préc., in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 967.

157 R. Libchaber, « Les articles 4 et 5 du Code civil ou les devoirs contradictoires du juge civil », in Le titre préliminaire du Code civil, coll. « Etudes juridiques », Economica, 2003, p. 143 et s. spéc. p. 157.

158 Ass. Plén., 11 déc. 1992, JCP 1993. II. 21991, concl. Jéol, note Mémeteau.

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cassation a donné à cet article 9 une nouvelle valeur, imprévue certes, mais supplémentaire159. Cette influence de la Convention européenne des droits de l'homme touche alors tous les domaines : les articles 1382 et 1134 sont deux articles fondamentaux du Code civil qui prennent un autre sens lorsqu'ils sont interprétés à la lumière des droits fondamentaux160.

120. La relation entre Code civil et droits de l'homme est certes difficile à envisager, mais bien réelle, ce ne sont plus deux pôles qui évoluent indépendamment. Le Code civil évolue peu, mais lorsqu'il doit évoluer, la Convention européenne des droits de l'homme joue un rôle importante et la jurisprudence de la Cour Européenne implique des modifications du Code : les droits fondamentaux exercent une influence non négligeable sur l'avenir du Code. Les droits fondamentaux pénètrent ainsi chaque jour un peu plus dans le Code civil, sans qu'une réelle réforme n'ait lieu. La complexité est alors amplifiée, l'incohérence grandit. Il ne faut pas que la Convention devienne un instrument de réécriture complète du Code civil, or en raison de l'interprétation évolutive de la jurisprudence de la Cour, l'on assiste à une réécriture permanente. Où est alors la fonction stabilisatrice du droit, inhérente, en principe, au Code civil ? La loi française, plus précisément le Code civil, cède devant le juge européen. La solution à proposer appartient à notre législateur français : il convient soit de revenir à une conception stricte du droit, sans envisager les moeurs, soit que la Cour interprète elle aussi strictement les droits fondamentaux. En effet, la jurisprudence européenne devrait être une source d'enrichissement de notre droit national161.

121. Si les droits fondamentaux et leur influence nous ont conduit à nous interroger sur l'existence même d'une vigueur encore certaine du Code civil, il convient d'envisager l'émergence de l'ordre communautaire, plus important encore : le caractère national de notre Code civil est aujourd'hui profondément remis en cause. L'adaptation du Code civil à l'Europe est rendue nécessaire par cette communautarisation du droit. Un Code civil franco-français est dépassé à l'heure de la construction européenne : l'Europe du commerce constitue l'avenir du droit civil français, cependant, sans réforme, le Code civil réceptacle du droit civil, est « désharmonisé ».

159 J. Hauser, RTD Civ. 1993. 97.

160 Voir A. Debet, art. préc., p. 970 et s.

161 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 112.

162 Notamment depuis l'arrêt Jacques-Vabre, Cass. Ch. Mixte 24 mai 1975, D. 1975. 497, concl. Touffait, G.A. n°2, p.15, obs. F. Terré et Y. Lequette.

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Section 2 Ð A l'Europe du commerce

122. Première puissance commerciale de la planète, l'Union européenne est une économie ouverte : son commerce de marchandises et de services avec le reste du monde représente plus d'un tiers de son économie. L'Europe évolue, son droit aussi, cependant cette évolution semble absente si l'on se place du point de vue du Code civil français : sans adaptation, il est « désharmonisé » (1). Ainsi, le souverain n'est plus législateur national mais bel et bien le législateur européen. La solution, si un seul ordre subsiste, pourrait être celle de changer de Code, en réalité l'adaptation du Code civil à l'Europe du commerce apparaît plus complexe (2).

§1 - Un Code civil « désharmonisé » par son Européanisation

123. Pendant bien longtemps, aucune contrainte extérieure, qu'elle soit internationale ou supranationale, ne s'est s'exercée sur le Code civil français : le législateur français en était maître. Aujourd'hui, l'on peut parler d'une dénationalisation du droit civil français, plus précisément d'une européanisation : la masse communautaire pénètre, depuis une cinquantaine d'années162, notre législation nationale. Le droit communautaire s'impose ainsi aux juridictions civiles et il prime sur les lois internes françaises. Notre Code s'en trouve profondément, mais non harmonieusement, modifié (A). Cela, additionné à la fondamentalisation du droit civil français évoqué précédemment, atteint gravement notre Code civil, notamment sa propre souveraineté (B).

A Ð La législation européenne cause de modification du Code civil

124. La souveraineté du législateur national n'est plus totale, il apparaît aujourd'hui évident que le contenu même du Code est susceptible de substantiellement modifié sous l'effet de contraintes ou du moins de règles européennes à savoir le droit de l'Union européenne. Le droit qui nous intéresse ici est celui de la Communauté économique européenne instituée par le traité de Rome en date du 25 mars 1957. Ce droit revêt la principale caractéristique d'une primauté sur notre droit interne, qu'il n'est pas nécessaire de

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réexpliquer. Aussi, ce droit est perpétuellement source de créations normatives163, ces nouvelles règles forment le droit communautaire « dérivé ».

125. Cette imbrication du droit européen issu de directives, de traités, de règlements, dans notre Code civil est assez récente. Ainsi, au début des années 1990, alors que plus de 20000 textes européens étaient en vigueur dans la Communauté économique européenne, aucun prolongement n'était visible dans le Code civil164. L'influence du droit communautaire sur le Code est alors récente. Cette prolifération des sources européennes semble constituer un obstacle bien difficile à surmonter, en raison de la nature du Code civil : ces nouvelles normes viennent perturber notre ordre civil national. En 1804, à défaut de sources internationales, une dimension européenne pouvait apparaître car existait « une tradition partagée par tous les peuples policés de l'Europe »165, cependant cette tradition a été, par les rédacteurs du Code, nationalisée. En 2015, la réalité est autre : plus de 80% de notre législation nationale est d'origine communautaire : comment cette masse affecte-t-elle le Code civil ? Entrave-t-elle une entreprise de réforme166 ?

126. Le droit civil a longtemps paru insensible à la construction européenne : si le Doyen Carbonnier n'a souhaité s'attaquer qu'au domaine du droit de la famille, c'est qu'il pensait que l'impulsion viendrait de l'Europe s'agissant du droit des obligations167. Ainsi, l'Europe a fait bouger les choses : une oeuvre d'harmonisation européenne des législations a été entreprise afin de supprimer les entraves aux échanges intracommunautaires (l'objectif étant de permettre la libre circulation dans le marché commun). De plus, des nouvelles politiques ont été élaborées par les institutions communautaires. L'addition de ces deux entreprises a eu pour résultat l'insertion de textes, de nature européenne, dans le Code civil : l'Europe a contribué à faire évoluer notre droit. Pourtant, notre droit civil ne s'adapte pas, ou mal. Des exemples peuvent nous en convaincre.

127. Ce droit « venu d'ailleurs ou de nulle part »168 constitue aujourd'hui le contenu d'une partie de notre Code, en effet des directives communautaires ont été transposées, directives qui « lient tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en

163 Voir sur ce point L. Leveneur, « Le Code civil et le droit communautaire », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 929 et s. spéc. p. 931.

164 Voir sur ce point B. Oppetit, « L'eurocratie ou le mythe du législateur suprême », D. 1990, chron. p. 73.

165 Portalis, Discours de présentation du Code civil prononcé le 3 frimaire an X.

166 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 106.

167 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 109.

168 J. Carbonier, Droit et Passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 1996, p. 47.

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laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens »169. Les mesures de transposition de directives, dans l'ordre juridique interne, consistent alors à ajouter des dispositions dans notre Code. Le premier exemple tient à la directive relative au rapprochement des législations des Etats membres en matière de responsabilité du producteur pour les dommages causés par le caractère défectueux de ses produits, autrement dit la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux adoptée le 25 juillet 1985. Sur cette question, le Code civil n'était pas muet : il contenait des textes relatifs à la garantie des vices cachés, et l'on assistait à jurisprudence protectrice de la victime. Cette directive a été transposée en France dix ans après son adoption et a conduit à l'adjonction d'un titre IV bis du livre III du Code civil. Ce dernier a ainsi été enrichit de dix-neuf nouveaux articles. Cependant, l'harmonisation européenne s'est faite par une superposition de couches de dispositions identiques dans toute l'Europe sur des règles éventuellement différentes d'un Etat à l'autre170. Les nouveaux articles ont ainsi peu d'apports, à part celui peut être, de rendre incohérent le contenu du Code civil.

128. Un second exemple peut être envisagé, celui de la directive relative à la signature électronique, bien que le constat soit différent. Adoptée le 13 décembre 1999, son objectif était de contribuer à la reconnaissance de ces signatures mais aussi au développement des communications et du commerce électronique. A l'inverse de la directive antérieure, la Frace l'a transposé rapidement. Par une loi du 13 mars 2000, portant adaptation du droit de la preuve aux technologiques de l'information et relative à la signature électroniques, plusieurs articles du Code civil ont subi des modifications et l'on a assisté à des adjonctions. En effet, cette transposition de la directive a conduit à l'adjonction d'un nouveau chapitre au sein du titre III du livre III du Code civil « des contrats sous forme électronique ». Le choix de cet emplacement a été fort critiqué et justifié par certains : il s'agit de dispositions techniques visant des relations entre un professionnel et ses clients171. Certes, alors pourquoi avoir transposé cette directive au sein même du Code civil ? De plus, les dispositions qui en découlent sont maladroites, la directive ne brille ni par sa clarté ni par ses qualités : l'incohérence du Code est atteinte en raison de la toute puissante de la politique de Bruxelles. Si pour certains auteurs, un Etat membre conserve une importante marge de manoeuvre lors de

169 Art. 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

170 Pour plus de détails voir L. Leveneur, art. préc., in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 934.

171 J. Huet, « Le Code civil et les contrats électroniques » , in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 539 et s. spéc. p. 554.

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la transposition d'une directive172, la réalité est tout autre : le rayonnement du Code demeure altéré par ces maladroites transpositions. La perte de souveraineté de notre oeuvre civile est évidente.

B - L'harmonisation européenne cause de l'atteinte à la souveraineté du Code civil

129. Cette intégration de la législation européenne au sein de notre législation interne se veut fragmentaire, ainsi c'est la cohérence même du Code civil qui est atteinte, quel que soit le procédé d'intégration utilisé : « l'harmonisation européenne désharmonise le Code »173. Cette législation européenne a pour objectif la réalisation d'un marché intérieure unique, à l'inverse le Code civil, réceptacle de notre législation civile, exprime, ou devrait exprimer, l'unité. L'incohérence est saisissante. Sans réforme de notre Code civil celui-ci va perdre la partie face à l'Europe du commerce.

130. La subordination de la France à la politique juridique de l'Union européenne apparaît à travers l'exemple de la transposition de la directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux. La volonté de préserver certains principes fondamentaux a conduit la France a transposer cette directive à sa façon174 et ces libertés prises ont fait valoir à la France une condamnation. En effet, reprochant à la France d'avoir mal transposé cette directive du 25 juillet 1985, la Cour de justice a été saisie par la Commission européenne d'une action en manquement : pour avoir accru le seuil de protection des victimes, la France a ainsi été condamnée175. Sur trois points176, la Cour de justice a reconnu que la République française avait manqué à ses obligations communautaires lors de la transposition. La France a ainsi été tenue de prendre acte de cette condamnation et a procédé à la modification des dispositions du Code civil par une loi du 9 décembre 2004. Depuis cette loi, les dispositions du Code civil qui coexistent sont contradictoires : l'harmonisation des législations européennes désharmonise notre législation. Cette incohérence est source d'un recul de la souveraineté du législateur français.

172 Voir sur ce point l'argumentation détaillée de L. Leveneur, art. préc., in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 936 et s.

173 Ph. Rémy, art préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 115.

174 Pour plus de détails voir B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 107.

175 CJCE, 25 avril 2002, D. 2002. 2462, note Ch. Larroumet.

176 Voir le détail de L. Leveneur, art. préc., in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 937.

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131. En raison des exigences européennes, le législateur français n'est plus souverain sur le contenu même du Code. Si l'on en n'était pas déjà convaincu, la suprématie du droit communautaire est ainsi bien réelle. Ce propos revêt une certaine gravité si l'on envisage la raison de notre condamnation, à savoir avoir été plus favorable aux victimes de dommages causés par des produits défectueux par rapport à ce que proposait la directive européenne. Au-delà d'être grave, ce propos peut choquer177, mais il est justifié : la Cour de justice interprète strictement les lois de transposition, et ne tient compte que du droit communautaire en vigueur au moment de l'adoption de la directive. L'arrêt par lequel la France a été condamnée marque ainsi la véritable perte de souveraineté de notre législateur national. En effet, le libellé des directives doit être strictement respecté par les lois de transposition, telle est la requête de la Cour de justice. Cette volonté de tout contrôler est aujourd'hui grandissante, pour certains il s'agit d'une dérive « très sensible Ð dans l'usage des directives : les directives communautaires sont parvenues à un tel degré de précision qu'elles ne laissent souvent guère de marge de liberté aux Parlements nationaux chargés de les transposer dans l'ordre interne »178. Certes, recopier mot à mot une directive dans l'ordre interne paraît assez peu louable, mais le droit français doit satisfaire aux impératifs de l'harmonisation européenne.

132. Cette perte de souveraineté semble logique en l'absence de réforme, d'adaptation du droit civil français à la réalité : la mondialisation et notamment l'européanisation du droit supplantent le Code civil. Ainsi, en raison de la nature même du droit communautaire à savoir un droit puissant, il revient au Code civil de s'adapter et non l'inverse : ce n'est pas à l'Europe de s'adapter à chaque législation nationale. La construction européenne se fait non sans perte de liberté pour les autorités nationales : le législateur français ne peut maintenir une souveraineté totale et il conviendrait aujourd'hui qu'il s'y résigne car il ne peut que s'incliner devant le droit communautaire. Cependant, un juste milieu peut être envisagé : une certaine marge de manoeuvre doit être laissée au législateur national afin que la transposition respecte l'harmonie et l'équilibre du droit interne, notamment du Code civil. Cette proposition n'est réalisable qu'en présence d'une bonne foi de la part du législateur français mais également d'une certaine soumission, du moins une souplesse, de la part législateur européen.

133. Introduire des textes communautaires au sein de notre Code civil conduit inévitablement à une perte de souveraineté de ce dernier : le droit européen limite la marge de

177 Voir G. Viney, « L'interprétation par la CJCE de la directive du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux », JCP 2002, I, 177.

178 B. Oppetit, « L'eurocratie ou le mythe du législateur suprême », chron. préc., D. 1990, chron. p. 73.

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manoeuvre des Etats, l'impact se ressent sur le rayonnement du Code. Surtout, le législateur européen et le législateur national ne sont pas animés par la même logique. En effet, l'Europe du commerce et son droit sont dominés par des valeurs marchandes, à mille lieux des valeurs qui dominent le Code civil à savoir la liberté et la responsabilité. Yves Lequette résumait cette affirmation de la façon suivante : « ainsi le droit communautaire qui réduit ici l'homme à sa seule dimension économique l'emporte sur le droit civil, alors même que celui-ci s'efforce d'appréhender le civis, le citoyen dans toute sa complexité et sa diversité »179.

134. La principale difficulté à laquelle se heurte l'entreprise de réforme civile tient à cette mésentente moins qu'à la domination du droit européen sur le droit national. Pourtant cette prolifération de normes européennes induit nécessairement une réforme du Code civil. Paradoxalement, la domination précitée fait d'une entreprise de réforme un objectif quasiment irréalisable. Ainsi, sans consensus et sans compromis de la part du législateur français, l'entreprise de réforme est-elle compromise ? Condamnée ? Cette vision pessimiste doit être envisagée afin de la combattre : des solutions pour l'avenir sont à suggérer afin que le droit communautaire ne constitue plus une concurrence, une entrave, une contrainte au droit national. Le Code civil doit s'adapter à la réalité européenne afin que le droit européen devienne pour lui une force, un allié, un soutien qui lui est vital actuellement au regard de sa piètre posture.

§2 - Les solutions à la désharmonisation du droit civil français

135. L'absence d'harmonisation du droit civil français aujourd'hui, qui a pour conséquence l'absence d'harmonisation du Code civil, résulte de la volonté du législateur français de ne pas s'adapter au droit européen. Vouloir conserver une certaine souveraineté, une mainmise sur le contenu du Code, conduit à le désharmoniser. Quelle solution alors à la désharmonisation du Code civil français sous l'effet du droit européen ? La solution première serait de se désintéresser du Code civil comme réceptacle du droit européen (A), solution qui convainc partiellement. La seconde solution serait, quant à elle, à rechercher dans d'autres formes de codifications (B).

179 Y. Lequette, art. préc., in Livre du Bicentenaire, spéc. p. 179.

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A - Le Code civil, entre intérêt et indifférence pour le droit européen

136. L'incohérence, l'incompréhension qui règne dans le Code civil, en raison des transpositions maladroites des directives européennes, doit être l'argument moteur d'une recodification de notre législation civile. Si notre Code a vieilli, comme l'on a pu maintes fois le constater, c'est en partie en raison de « la multiplication des textes régissant une matière en dehors de la structure de celui-ci »180. La recodification civile devrait alors avoir pour objectif l'intégration, dans le Code civil, de l'intégralité des textes qui le concernent. Les textes européens sont alors directement concernés. Le législateur français doit saisir l'opportunité qui lui est donnée à travers une transposition des directives afin de restaurer la cohérence de son propre corps de règles, le Code civil. Cette idée est séduisante, mais « réharmoniser » le droit civil français au regard de l'Europe du commerce apparaît constituer une tâche complexe.

137. La solution la plus fréquemment proposée181 est celle d'intégrer les textes relatifs à la protection des consommateurs, non pas au sein du Code civil, mais dans le Code de la consommation qui constituerait le « réceptacle naturel » de ce genre de dispositions. La question est alors la suivante : « Code civil ou Code de la consommation pour la transposition des directives consuméristes ? »182. Le choix du « code réceptacle » revêt une importance particulière puisque la solution aura pour conséquence une influence différente des règles nouvelles. Ce choix, dans la plupart des interventions du législateur européen, ne pose pas de difficulté : la directive trouve son prolongement dans le Code relatif à son contenu. Cependant, lorsqu'il s'agit d'envisager les directives relatives au droit de la consommation, la question semble insoluble.

138. La transposition de la directive du 25 mai 1999 « sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation » a été pour certains souhaité dans le Code civil, afin d'étendre le domaine des nouvelles règles qui seraient édictées183. Pour d'autres, il fallait la transposer dans le Code de la consommation184. Le législateur a donné raison à cette seconde proposition. Cette directive a effet été transposée en droit français par une

180 R. Cabrillac, Les codifications, coll. Droit, Ethique, Société. PUF. 2002

181 G. Plaisant et L. Leveneur, « Quelle transposition par la directive du 25 mai 1999 sur la garantie de la vente des biens de consommation ? », JCP 2002.I.135.

182 L. Leveneur, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc. spéc., p. 941.

183 Voir sur ce point G. Viney, « Quel domaine assigner à la loi de transposition de la directive européenne sur la vente ? », JCP 2002, I, 158.

184 G. Plaisant et L. Leveneur, chron. préc.

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ordonnance du 17 février 2005185, introduisant de nouvelles règles au sein du Code de la consommation. Cette transposition au sein de ce code pouvait paraître logique car la directive avait pour principal objet, selon son article 1, « d'assurer une protection uniforme minimale des consommateurs dans le cadre du marché intérieur » : il s'agit-là de règles spéciales et non de règles générales applicables quelle que soit la qualité des parties.

139. Cette suggestion pour l'avenir du Code civil revient à vouloir préserver les règles du Code civil et l'unité de son corpus : cela est vain, le Code civil n'est plus symbole d'unité. Si la place d'une transposition d'une directive n'est pas dans le Code civil, celui-ci voit sa sphère d'influence limitée : il va s'effacer devant ces législations spéciales. Sur ce point, il convient d'approuver la vision de Philippe Rémy : « l'ultime tentation est de préserver le Code civil en accueillant les règles communautaires dans des codes réceptacles, comme le Code de la consommation ; mais en préservant la pureté du symbole, on le réduirait précisément à n'être qu'un symbole, ou une coquille vide »186. Ainsi, le Code civil ne peut pas être réduit au statut de relique, cependant cet argument doit être nuancé : notre Code représente le droit commun fondamental et pose les principes généraux. Ces derniers peuvent être modifiés par des lois spéciales dans des cas particuliers187. Un juste milieu doit être trouvé, par le biais d'une réforme, afin que le Code civil reste le réceptacle du droit commun tout en s'adaptant au droit européen, droit d'une importance considérable aujourd'hui. Une réforme ne pourrait ignorer sa portée. Aussi, l'on doit impérativement réfléchir sur l'articulation entre droit commun et droit spécial, sur l'objectif du Code civil, sur la portée du Code de la consommation. Sans clarification du législateur français, sans réforme, la question « Code civil ou Code de la consommation ? » ne cessera de se poser.

140. En réalité, c'est aussi le Code de la consommation qu'il faudrait refondre : compilation à droit constant, textes disparates, l'ensemble de ces éléments prouve la nécessité : pour autant, « ce qui paraît envisageable pour le Code de la consommation l'est-il pour le Code civil »188 ? Le Code civil doit-il redevenir l'alpha et l'Omega du droit civil ? De prime abord, la réponse apparaît incontestablement positive. Certes, mais pour cela, la supériorité du Code doit être reconnue : le législateur doit alors s'attarder sur les principes

185 Ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur. (J.O n° 41 du 18 février 2005 page 2778).

186 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., spéc., p. 115.

187 L. Vogel, « Recodification civile et renouvellement des sources internes », in Livre du Bicentenaire, spéc. n°29.

188 L. Leveneur, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 944.

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généraux et spéciaux, ceux qui ont subi l'usure du temps. Un code brouillé par des règles particulières s'exporte en effet moins facilement qu'un code vecteur de principes généraux.

140. En réalité, quelle que soit la solution que l'on envisage, le parti pris, c'est l'annonce de la défaite du Code dont il s'agit ici : il ne s'adapte plus aux évolutions, « ce n'est plus notre arche, notre forteresse, ni l'autel de nos lois »189. Pire encore, si le Code civil n'a pas su s'adapter à la codification européenne, comment réagira-t'il face aux codifications encore plus innovantes et surtout, à l'internationalisation du droit au-delà de son européanisation ? Doit-on se résigner à la décodification ? L'avenir du Code civil est bien sombre, mais doit toutefois être envisagé, il s'agit là d'une preuve ultime pour une nécessité de la réforme.

B - L'avenir du Code civil face à l'internationalisation du droit

141. La communautarisation du droit est réelle et celle-ci, au-delà des conséquences négatives qu'elle a provoquées sur notre Code civil, a eu pour but de rapprocher les législations internes. La communautarisation a ainsi pu unifier ou harmoniser les législations nationales. Cependant, cette dernière doit être relativisée. Le droit communautaire est certes prédominant s'agissant du domaine du droit des contrats, mais il est parcellaire : il est axé sur le consommateur et notamment sur sa protection ; ce dernier étant ainsi envisagé comme partie faible. Les objectifs de la communautarisation, à savoir cette protection du consommateur mais également la réalisation du marché intérieur, freinent une véritable toute-puissance des normes européennes.

142. Ainsi, l'avenir du Code civil, sous l'angle européen, est sûrement à rechercher par une européanisation indirecte : le droit européen pénètre les domaines tels que le droit de la famille ou des personnes, mais de manière moins invasive et surtout, sans créer d'incohérence190. Cette communautarisation n'a pas alors pour seul but de contredire le droit national, le juge européen peut conforter la règle nationale, mais elle va s'accentuer : le droit communautaire dispose d'un large champ d'application, notamment depuis l'arrêt Garcia Avello191, ainsi le droit européen en ce qu'il pénètre notre droit civil n'a plus vocation à se limiter qu'aux situations purement économiques inhérentes au marché intérieur. Le droit civil

189 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., spéc., p. 117.

190 Voir sur ce point les exemples de S. Nadaud, Codifier le droit civil européen, Europe(s), Larcier, 2008, préface d'Eric Garaud,

191 Cour de justice de l'Union européenne, C-148/02 Carlos Garcia Avello contre Etat belge Recueil 2003 p I16613

Réformer le Code civil 60

peut apparaître instrumentalisé au regard du droit des traités, comment alors remédier à ce phénomène ? Assurément, par l'adoption d'un Code civil européen.

143. Ce Code civil européen constitue une technique moderne de réforme du Code civil (voir infra §214 et suivants). Avant son étude, il convient d'envisager l'avenir de notre Code civil au regard des nouvelles codifications, effectives, à l'inverse du Code civil européen qui ne constitue, encore, qu'une hypothèse. La codification s'enrichit perpétuellement grâce aux opérations internationales, par exemples les règles matérielles régissant la vente internationale de marchandises issues de la convention de Vienne192. Auparavant, ces opérations relevaient des droits nationaux compétents, selon les règles de conflits de lois. Le Code civil a inévitablement été influencé par ce type de codifications, mais la principale source d'influence sur le Code civil se situe au niveau des conventions internationales qui, sans se placer sur le terrain de la hiérarchie des normes à l'inverse du droit communautaire, bénéficient d'une place confortable en tant que règles de droits.

144. La France n'a pas su maintenir l'unité du Code civil, telle est la conclusion que nous pouvons apporter après ces développements : codification hors du Code, évolution du Code de la consommation, mais surtout l'apparition et le développement des sources internationales en témoignent. Ce dernier argument est intéressant ici : la France, en adhérant à des conventions internationales qui priment le droit interne, a pris le risque de déstabiliser son Code civil. En effet, au nom de principes posés par ces conventions, des normes de notre relique peuvent être sacrifiées : les normes du Code civil nécessitent alors une réforme afin qu'elles soient conformes à ces principes transcendants. Cette perte d'autorité du Code civil s'accompagne d'autres maux : le Code civil est concurrencé par des codifications nouvelles avec pour objectif l'uniformisation du droit. A l'échelle mondiale, l'uniformisation du droit est en route et le droit civil français ne suit pas. Grâce aux diverses conventions internationales, le droit de la vente tend à être unifié, cette unification implique l'amputation, parfois, d'articles du Code civil ou de la compétence française193. Pour autant, l'unification du droit de la vente est nécessaire en raison de l'internationalité croissante des opérations contractuelles. Sans réforme, le déclin du Code civil apparaît évident.

192 Convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, reproduite dans le Code de commerce, Dalloz.

193 Voir les exemples de C. Witz, « L'influence des codifications nouvelles sur le code civil de demain », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., spéc. 694.

Réformer le Code civil 61

145. Ce même code doit également redouter d'autres formes de codifications, qui revêtent, à l'instar des conventions précitées, une nature internationale. L'on peut citer l'exemple des Principes du droit européen du contrat ou les principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce international. Pareils principes n'ont la possibilité de revêtir leur application maximale qu'aux travers deux conditions : un choix de loi opéré par les cocontractants à l'un de ces instruments normatifs et la résolution du conflit par voie d'arbitrage. Le Code civil doit ainsi s'inquiéter de ces nouvelles formes de codifications, de ces nouveaux instruments. En effet, ils offrent une réglementation si moderne et équilibrée du droit commun des contrats qu'ils ne peuvent que concurrencer notre Code dont on connaît la réglementation désuète et complexe.

146. Pour certains194, il ne faut pas s'inquiéter de l'influence de ces nouvelles codifications. Ainsi, un Code civil dont le rôle est diminué ne serait pas, par nature, synonyme de perte d'influence des institutions et techniques du droit français. Pareille position ne convainc pas : le Code civil en tant que « constitution civile » doit jouer un rôle central et non être dominé par des codifications à portée normative molle. Un coup d'assaut est alors, une nouvelle fois, porté au Code civil. La solution à cela consiste, une fois encore, en un Code civil européen, par lequel notre code retrouverait toute sa vigueur.

147. A la question « Pourquoi faut-il réformer le Code civil ? » la réponse est désormais claire : il s'agit d'une oeuvre complexe, vieillissante, politisée et sous l'égide du juge. Surtout, il s'agit d'une oeuvre incohérente au regard de l'ordre communautaire : la fondamentalisation et l'européanisation du droit sont deux phénomènes auxquels le Code civil n'a pas su s'adapter. Une véritable recodification civile est nécessaire, cependant il faut la concilier avec les contraintes extérieures imposées. Ainsi, à la question « Pourquoi faut-il réformer le Code civil », l'on peut répondre qu'il est défectueux et inadapté à l'évolution du droit. Ainsi, une seconde question s'entrevoit : s'il faut réformer le Code civil, il convient de savoir par quel(s) moyen(s).

194 C. Witz, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., spéc. 695 et s.

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Deuxième partie : Comment réformer le Code civil ?

148. « S'il advenait que la France fût quelque jour dotée d'un législateur soucieux de droit, un nouveau code civil pourrait et devrait être préparé »195. Une crise grave et profonde a atteint notre Code civil actuel : il est urgent de le réformer. Cette urgence n'est plus à démontrer tant elle est flagrante. La question « comment réformer le Code civil » est alors essentielle et il faut tenter d'y répondre. Autrement dit, il faut s'intéresser à la question sous-jacente « comment dire le droit ? ».

149. « Quelle tâche que la rédaction d'une législation pour un grand peuple ! »196, en effet réformer c'est toucher à l'acquis, appliquer cela au Code civil paraît pour grand nombre de citoyens français, impensable. Bien plus qu'un symbole, le Code civil constitue pour beaucoup, d'après les termes du doyen Carbonnier, la véritable Constitution civile de la France. Pire encore, certains considèrent qu'il faut laisser le Code tel qu'il est puisqu'à « l'atomisation de notre société doit correspondre une multiplicité de sources »197, sources qui seraient conformes à notre société. Nous sommes pourtant convaincus du contraire : nous avons besoin d'un Code civil nouveau : il faut le reconstruire.

150. L'oeuvre de recodification civile est délicate et semée d'embûches. Deux techniques de réforme sont possibles. D'une part, une réforme du Code civil peut s'envisager sous l'égide des techniques classiques (Chapitre 1), autrement dit au regard des techniques que nous offre le droit interne. Cependant, l'Européanisation du droit semble nous oblige à emprunter la voie d'une technique moderne de réforme. En effet, la réforme du Code civil doit s'envisager aujourd'hui au regard du droit européen : un Code civil européen est rendu nécessaire (Chapitre 2). Savoir comment réformer le Code civil c'est répondre à la question suivante : « révision nationale ou codification européenne ? »198.

195 C. Atias, « Le Code civil nouveau », D. 1999. p. 200.

196 Termes de Portalis lors des travaux préparatoires du Code civil. Voir sur ce point F. Ewald, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 84.

197 L.Vogel, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 163.

198 Y. Lequette, « D'une célébration à l'autre (1904-2004), in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 27.

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CHAPITRE 1 - LES TECHNIQUES CLASSIQUES DE REFORME

151. Légiférer est un art, réformer l'est aussi. Reconstruire, refondre notre Code civil sera un travail de longue haleine, difficile, complexe, pour lequel beaucoup ont déjà abandonné avant de commencer. Devant l'ampleur de la tâche, le comportement à adopter doit nécessairement être optimiste, le résultat en dépend.

152. Réformer est un art, un art technique. Envisager d'un point de vue interne, la réforme du Code civil est possible aux moyens de techniques classiques. Ces techniques sont diverses et peuvent être découpées en deux volets complémentaires. La science de la réforme doit être étudiée (Section 1) afin d'élaborer par la suite la meilleure forme possible de réforme (Section 2).

Section 1 - La science de la réforme

153. La science de la réforme consiste à envisager cette dernière non pas au regard de sa forme, mais aux regards des moyens à mettre en oeuvre : comment créer une loi nouvelle, plus précisément comment réformer le Code civil, surtout comment bien le réformer ? La réponse à ces nombreuses questions se cherche en analysant l'ampleur que prendrait une réforme du Code civil. Réformer c'est légiférer à nouveau, et l'art de légiférer prend désormais un nom, bien que celui-ci ne soit pas définit par une quelconque dictionnaire : il s'agit de la légistique. Discipline mystérieuse, la légistique c'est « l'art d'écrire, d'élaborer » 199 la loi. En tant que nouvelle loi, la réforme du Code civil constitue inexorablement une question de légistique (1). Réformer, c'est légiférer

et légiférer, c'est faire de la politique : la réforme du Code civil, au-delà de demeurer une question de légistique est ainsi principalement, voire exclusivement, une question politique (2).

§1 - La réforme du Code civil : une question de légistique

154. Produire une loi, réformer un code constitue une tâche monumentale au regard du travail à fournir. La loi doit procurer sécurité et certitude au justiciable, il faut donc entrer dans les détails : une loi réussie est une loi technique (A). Une loi réussie est également une

199 Entretien avec Karine Gilberg, « L'art de la légistique », Gaz. Pal., 07 janvier 2010 n°7, p. 8.

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loi qui s'inspire des droits étrangers influents et qui s'adapte et s'empreint de cultures juridiques étrangères. Ainsi, la réforme du Code civil, pour qu'elle soit effective, devra nécessairement s'élaborer à travers un processus d'acculturation (B).

A - Les détails techniques d'une codification réussie

155. Plus de deux siècles après, le Code civil ne rayonne plus, à l'instar de ce qui a

fait son succès : son pragmatisme. Il a subi des retouches, des ajouts, des embellissements si bien qu'aujourd'hui le code est en ruine, incohérent. Il faut retrouver une modernité et une cohérence, cela s'envisage au regard d'une réforme à la légistique parfaite.

156. Tout nouveau code constitue nécessairement une rupture avec le droit antérieur. En effet, par son entrée en vigueur il efface « délibérément d'un trait de plume »200 le monde juridique qui l'a précédé. Pour autant, réformer le Code civil n'est pas synonyme de rupture brutale avec le droit antérieur : si l'on envisage la réforme au moyen d'une recodification, celle-ci aura un effet de continuité. Ainsi, « un code n'est pas un filtre à huile : on ne jette pas l'ancien pour mettre le nouveau à la place »201. Une recodification, plus généralement une réforme, suppose sans conteste la prévision d'une panoplie complète et précise de détails techniques afin de faciliter le passage de l'ancien au nouveau code. Cette panoplie précise et complète c'est précisément l'art de la légistique et une partie de la réponse à la question brûlante « comment réformer le Code civil ? ».

157. La principale vocation de la loi est d'assurer la sécurité juridique, cela participe de la qualité de la justice. Une loi doit donc être de qualité. Il ne s'agit pas seulement de légiférer, il faut bien légiférer ou du moins « mieux légiférer »202 : la qualité rédactionnelle et l'encadrement du processus d'élaboration des textes doivent prévaloir sur une vision du droit qui repose sur l'activité économique. Légiférer demeure alors un art complexe : droit en vigueur, insuffisances dans sa mise en oeuvre, destinataire de la règle, autant de difficultés qui sont rencontrées lors de la production d'une norme. Cette complexité décuple lorsque l'on envisage de réformer une relique telle que le Code civil. En effet, nombreux détails techniques doivent être étudiés précisément, rien ne doit être laissé au hasard, un nouveau

200 R. Cabrillac, « Recodifier », RTD Civ. 2001. p. 833.

201 M. Tancellin, Les exigences du code civil du Québec, Revue de droit de MCGill, 1994, vol. 39, p. 748.

202 Voir sur ce point Entretien avec Karine Gilberg, « L'art de la légistique », Gaz. Pal., 07 janvier 2010 n°7, p. 8.

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Code civil devrait nécessairement revêtir une nature qualitative au risque de subir un sort pire encore que celui qui lui est réservé actuellement, à savoir être dépourvu d'autorité.

158. Une démarche méthodique doit ici retenir notre attention afin d'envisager techniquement la réforme du Code civil. La production de toute nouvelle norme est alors soumise au respect de règles juridiques de fond et de procédure, le respect de ces règles constitue ainsi le vecteur de la qualité de la loi.

159. L'application dans le temps d'une réforme du Code civil doit être envisagée en premier lieu, tant elle apparaît demeurer l'élément le plus controversé. Les règles relatives à l'entrée en vigueur des lois et des règlements publiés au Journal officiel sont fixées par ordonnance203. Aujourd'hui la très grande majorité des lois prévoient elles mêmes quand elles vont entrer en vigueur, cette date est généralement très éloignée de sa date de publication. Si jamais, et nous l'espérons, un nouveau Code civil voit le jour, il est évident qu'il ne rentrera pas en vigueur le lendemain de sa publication, mais des années plus tard : « patience et longueur de temps204 » tel est le résumé qu'il convient d'énoncer. Une loi de bonne qualité, précise et complète, passe alors par une entrée en vigueur différée mais surtout par un arsenal solide de dispositions transitoires : ces dispositions s'imposent obligatoirement et ce pour des motifs de sécurité juridique. Les règles sur l'application dans le temps d'une nouvelle loi, tel que le serait un nouveau Code civil, sont ainsi un objectif primordial. A cette application dans le temps s'ajoute l'application dans l'espace.

160. Une nouvelle loi est en principe applicable de plein droit sur l'ensemble du territoire de la République. Dans certains cas, il peut apparaître utile, voire nécessaire, d'aménager le champ d'application territorial d'un texte. Cette question doit être systématiquement examinée lors de la conception de celui-ci, spécialement en ce qui concerne son application à l'outre-mer205. Concevoir une réforme du Code devra ainsi amener à s'interroger sur son applicabilité territoriale, et surtout éviter les erreurs du passé. En effet, le souci de lisibilité de la loi implique que celle-ci soit la même pour tous. Que penser alors de l'ordonnance du 19 décembre 2002206 qui a incorporé un nouveau livre au Code civil (devenu le livre V désormais) et comportant des articles propres à Mayotte ? Pour certains, il s'agit

203 Ordonnance n°2004-164T du 20 février 2004 dont les dispositions ont remplacé notamment celles du décret du 5 novembre 1870T et figurent désormais à l'article 1er du code civil.

204 Voir sur ce point C. Kleitz, « Patience et longueur de temps... », Gaz. Pal., 07 janvier 2010 n° 7, p. 3

205 Guide de légistique, Légifrance, 2007.

206 Ordonnance n° 2002-1476 du 19 décembre 2002 portant extension et adaptation de dispositions de droit civil à Mayotte et modifiant son organisation judiciaire

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« d'énumérations sans âme, plates litanies de « sont applicables à Mayotte sous réserve de... » ou « les articles...sont applicables à Mayotte dans leur rédaction issue de la loi ... » sombrant dans un verbiage bureaucratique le plus souvent illisible »207. Nous partageons ce propos et il convient d'ajouter qu'un Code civil nouveau, comme toute entreprise de recodification, devra posséder une dimension unificatrice très forte. Il ne s'agit pas d'intégrer dans un nouveau code des dispositions applicables à une minorité. Cela est en effet incompatible avec la dimension précitée.

161. Après l'énoncée des règles générales et applicables à toute loi nouvelle, il faut les envisager au regard de la codification : celle-ci tend à faciliter la connaissance et la communication des règles de droit208. Un nouveau Code civil devra ainsi être un code qui rassemble des normes mais également qui clarifie le droit et l'actualise. Les méthodes de la codification sont complexes209 : la sélection et l'organisation des dispositions regroupées dans un code devront reposer sur des choix cohérents et aboutir à un instrument utile et maniable. Aussi, le plan du code devra traduire une organisation du droit adaptée, à l'inverse de ce qu'il traduit actuellement. Enfin, la division du Code en livres, titres et chapitres, devra être étudiée en ce qu'elle commande la numérotation des articles auxquels il conviendra de peu toucher au regard de la dimension symbolique de certains articles (l'on pense ici notamment aux articles 544 1134, 1382). La pratique dite de la « dénumérotation210 » qui consiste à changer le numéro d'un article pour lui en attribuer un autre est à bannir, autant que possible, car elle déstabilise les justiciables. Ces derniers le seront déjà assez, au regard du changement monumental que constituerait un Code civil nouveau.

162. Ces techniques devront être scrupuleusement respectées car leur méconnaissance peut mettre en péril la cohérence du code, alors même que cet objectif constitue le coeur de la réforme. Une codification réussie passe ainsi obligatoirement par le respect de l'ensemble de ces détails qui peuvent apparaître complexes, techniques. Il est vrai qu'une entreprise de réforme est par essence difficile, mais s'y résigner serait trop simple. A ces détails techniques, qui doivent être scrupuleusement suivis si l'on veut aboutir à une loi de bonne qualité s'ajoute un autre aspect de légistique : légiférer ce n'est pas seulement rester « franco-français ».

207 R. Cabrillac et J.-B. Seube, « Pitié pour le Code civil (à propos de l'ordonnance n°2002-1476 du 19 décembre 2002), D. 2003. 1058, spéc. n°6.

208 Le Conseil constitutionnel a rappelé en 1999 que la codification du droit répondait à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999.

209 Voir sur ce point le Guide de légistique, Légifrance, 2007.

210 Terme employé dans le Guide de légistique, Légifrance, 2007.

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Ainsi, une codification réussie ne peut s'envisager qu'au moyen du phénomène d'acculturation.

B - Une codification réussie au moyen d'une acculturation

163. Au-delà d'une codification aux détails techniques comme gage de réussite, il convient de centrer notre étude sur un phénomène, tout aussi complexe, celui de l'acculturation juridique. Une réforme du Code doit ainsi nécessairement s'envisager à travers une acculturation.

164. Le rayonnement qu'a connu le Code civil hors de France est sans conteste. Du moins, l'on peut énoncer que le Code civil a perduré en raison du rayonnement de la France. Progressivement, le Code Napoléon s'est nationalisé dans un certain nombre de pays, il s'est acclimaté et a parfois acquis une autonomie par rapport à la version française211. Il s'agit-là d'une acculturation. Avant d'envisager son effet sur une réforme du Code civil, il convient de définir ce terme. Par acculturation « il faut entendre toute greffe d'une culture sur une autre » et par « acculturation globale » celle de la greffe d'un code tout entier, phénomène que l'on désigne aussi par la notion de réception212. A la suite d'une acculturation apparaît un phénomène de nationalisation d'un Code : c'est le fait du législateur national qui apporte, au fil du temps, des modifications à un Code afin de le mettre en adéquation avec l'évolution de la société.

165. N'est-ce pas de cela dont notre code a besoin aujourd'hui ? L'influence du Code civil est désormais nulle dans le reste du monde213, un meilleur code permettrait alors un meilleur rayonnement de la France. Malheureusement, notre vieux code perdure. S'il peut témoigner d'une rare capacité d'adaptation aux évolutions de la société contemporaine, le résultat laisse les juristes que nous sommes en attente de mieux, à savoir une véritable réforme. Il ne faut cependant pas, selon le Doyen Carbonnier, « se représenter l'acculturation comme un mécanisme irrésistible »214, autrement dit n'est pas une donnée naturelle que celle d'intégrer du droit étranger. Ainsi, même si l'on envisage la réforme du Code civil à travers une acculturation, des résistances naîtront. Ce n'est pas sans conséquence que deux systèmes juridiques se rencontrent, les effets affectent aussi bien les individus que les institutions. La

211 Voir sur ce point B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 24.

212 J. Carbonnier, Sociologie juridique, Quadrige, 1994, p. 377.

213 Le Code civil une leçon de légistique ?, sous la direction de Bernard Saintourens, Economica, Etudes juridiques, 24, 2006.

214 J. Carbonnier, Sociologie juridique, ouvr. préc., p. 377.

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tâche semble ardue, il nous faut pourtant l'envisager tant elle apparaît bénéfique et pourrait guérir le Code civil de ses maux.

166. Le vieillissement du Code, le recul de la France sur la scène international ainsi que le fossé juridique et culturel entre les pays expliquent la perte de l'influence française. Pour y remédier, il s'agirait désormais d'intégrer ce processus d'acculturation : ce n'est plus aux codes des autres pays de s'acculturer au nôtre, mais l'inverse : le nouveau Code civil serait ainsi le fruit d'une acculturation juridique. Si l'on envisage l'origine du déclin de notre code cela revient à étudier l'adoption d'un nouveau modèle, plus récent, le BGB, qui constitue aujourd'hui un concurrent redoutable215. L'Allemagne n'est pas le seul pays à avoir recodifié son droit civil. Ainsi, les Pays-Bas ont, après une longue gestation, remplacé leur Code civil de 1838 par un nouveau code, le NBW, entré en vigueur le 1er janvier 1992216. Le Québec a suivi cette voie et a remplacé son code de 1866 par un nouveau Code civil entré en vigueur le 1er janvier 1994217. Si ces pays ont réussi à réformer le Code civil pourquoi ne le pourrait t'on pas ?

167. Réformer le Code civil, à travers un processus d'acculturation, reviendrait à une réforme appuyée sur des droits étrangers, sur un exemple hors de nos frontières, une inspiration de ce qui fonctionne déjà. Surtout, cela reviendrait à mettre en cohérence le droit français avec le droit d'une grande partie du reste du monde, avec, pour conséquence directe, un regain de l'influence du Code civil et de la France sur la scène juridique internationale. Le législateur doit à la fois rationaliser le système juridique et le moderniser : il lui faut rechercher un équilibre entre respect de la tradition et adjonction d'éléments modernes. De façon inespérée, ce processus d'acculturation semble avoir gagné la confiance de notre législateur moderne français.

168. Aujourd'hui, la réforme du code est partiellement en marche à travers la réforme du droit des obligations218. Ce projet est limité au droit des contrats et il ne s'agit pas pour l'instant de critiquer cela, mais d'analyser sa ratio legis, sa raison d'être. Ce projet contient des véritables révolutions qui constituent pour certains une « régression de notre inestimable

215 R. Cabrillac, « L'avenir du Code civil », JCP G, n°13, 24 Mars 2004, I 121.

216 D. Tallon, Le nouveau code civil des Pays-Bas, in B. Beignier (dir.), La codification, Dalloz, 1996. p. 181 et s. spéc. p. 182.

217 R. Cabrillac, « Le nouveau code civil du Québec », D. 1993. p. 267 et s.

218 Habilitée par l'article 8 de la loi n°2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, publiée au JO du 17 février 2015

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Code civil »219. Parmi elles, l'apparente suppression de la cause, et l'introduction de la clause abusive220. Ces deux phénomènes, véritables révolutions, sont liés et ont trait au processus d'acculturation du Code civil français. D'une part, l'on supprime ce qui est « trop français »221 à savoir la cause. D'autre part, on introduit pour tous les contrats un concept qui ne concerne pas directement le droit civil, à savoir les clauses abusives. Pour certains, « c'est la culture même du droit civil français qui est en jeu »222. Pour nous, il s'agit d'une réelle volonté du législateur d'évoluer, de s'adapter aux droits étrangers et de redonner au Code civil sa position d'antan. Sur le fond, nous n'envisagerons pas la pertinence de l'introduction de ces deux phénomènes. Il suffit de se contenter du moyen utilisé par le législateur français : l'acculturation. L'optimiste renaît alors à propos d'une réforme du Code civil dans son ensemble, si un jour celle-ci avait lieu, puisque le législateur moderne français n'ignore pas les moyens techniques étrangers, gages de réussite.

169. Détails techniques à respecter, processus d'acculturation, autant d'éléments qui seraient à prendre en compte dans le cadre d'une réforme du Code civil. En effet, une bonne loi, un code de qualité ne peut s'élaborer sans rigueur et sans vision extérieure. Cependant, la légistique ne suffit pas, un code ne sera pas investi d'une souveraineté particulière s'il n'est pas politiquement souhaité. Au-delà de demeurer une véritable question de légistique, la réforme du Code civil constitue principalement une question politique.

§2 - La réforme du Code civil : une question politique

170. La réforme du Code civil ne peut s'étudier sans envisager la dimension politique qu'elle revêt. Légiférer c'est faire de la politique. Seulement, l'apport politique ne suffit pas à faire une bonne loi. Avant tout, une réforme du Code civil de qualité est nécessairement une réforme démocratique (A). Malheureusement, sans forte volonté politique, la démocratie n'a pas de postérité. Ainsi, une forte volonté politique est nécessaire mais conduit à certaines dérives qu'il convient de dénoncer (B).

219 R. Boffa, « Juste cause (et injuste cause). Brèves remarques sur le projet de réforme du droit des contrats », D. 2015. p. 335.

220 Art. 1169 du projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats.

221 R. Boffa, ibidem.

222 R. Boffa, ibidem.

Réformer le Code civil 70

A - Nécessité d'une loi démocratique

171. Notre société moderne est complexe et technique, à l'image de notre Code civil. La mise à disposition des citoyens des normes juridiques sous forme d'ensembles organisés permet alors un accès au droit simple et sûr. Surtout, cette mise à disposition est un impératif démocratique223.

172. Pour que notre droit civil soit recodifié, réformé, il faut qu'il devienne une véritable « réalité vivante, respectée et respectable »224. Pour cela il est indispensable qu'un code remplisse des qualités techniques au-delà de celles évoquées : il doit avant tout être populaire, le caractère populaire d'un code assure ainsi la sécurité juridique. Par définition, le droit est, dans une société démocratique, fait par le peuple et pour le peuple225. Un Code civil nouveau devra alors respecter cette formule : le code doit traduire les valeurs dont le peuple a besoin, doit conduire à la rationalisation et à la simplification des règles. Une fois encore, il s'agira de ne pas réitérer les erreurs du passé à savoir un code ouvert aux « bourgeois », aux « propriétaires ». Le langage devra être clair, simple, concis, sans ambiguïté. La réforme du Code civil s'envisage à travers les citoyens, par le biais de la démocratie, et tous les moyens mis à disposition doivent être utilisés.

173. « Une loi de bonne qualité est avant tout une loi démocratiquement fabriquée »226, nous n'aurions pas pu résumer de meilleure façon la nécessité d'une loi profondément démocratique. La démocratie, « système politique, forme de gouvernement dans lequel la souveraineté émane du peuple »227, est le vecteur d'une bonne loi. L'obstacle à la qualité de la loi tient principalement à l'urgence : elle nuit au dialogue avec les acteurs sociaux, à la démocratie. Pour cette raison, toute nouvelle loi doit être élaborée lentement, prudemment, de façon à répondre à l'exigence démocratique, fondamentale pour qu'une loi revête une certaine autorité. Ces arguments, appliqués à l'entreprise de recodification du Code civil, conduise à énoncer qu'une réforme du Code civil devra obligatoirement passer par la démocratie, sous peine d'une absence de postérité. Tout projet de réforme, présentant une certaine ampleur ou une certaine complexité, appelle ainsi un travail d'évaluation préalable. Celui comprend une analyse de la nature des difficultés à résoudre, la définition de l'objectif

223 Message de Monsieur Jean-Louis Debré, in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 12.

224 Ph. Malaurie, art. préc., in Livre du Bicentenaire, p. 3.

225 Ph. Malaurie, ibidem.

226 « Une loi de bonne qualité est avant tout une loi démocratiquement fabriquée », JCP G, n°28, 8 juillet 2013, p. 783.

227 Dictionnaire Larousse, voir « démocratie ».

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assigné à la réforme et l'examen des différentes options envisageables dans la conduite de cette dernière. Plusieurs procédés démocratiques sont à notre disposition afin d'élaborer une bonne loi, il convient de les étudier.

174. D'une part, la qualité légistique d'une loi est exigée afin que celle-ci soit démocratique. Cela passe principalement par le travail en commission, qui se développe considérablement. Dans le débat parlementaire, se rencontrent qualité de la loi, démocratie, et temps : trois éléments nécessaires à la rédaction de bonne loi. Cette multiplicité de structures démocratiques de contrôle et d'amendement228 vient alors corriger bien des erreurs. D'autre part, l'on peut recourir à des études d'impact. Celles-ci ont pour objectif de répondre aux questions suivantes229 : quelles sont les difficultés auxquelles la réforme entend remédier et en quoi l'état actuel du droit est en cause ? Quel est l'objectif de la réforme ? Quelles sont les options envisageables pour répondre à cet objectif ? Des réformes à fort impact, telle que le serait la réforme du Code civil, ne doit alors pas être décidée dans la précipitation et doit respecter l'exigence démocratique. Il ne faut pas céder à la pression médiatique qui peut parfois exiger des réponses immédiates à tous les problèmes. La volonté d'une loi démocratique doit primer.

175. Une loi démocratiquement fabriquée, un Code civil réformé, doit également s'envisager à travers la collaboration de l'ensemble des citoyens. C'est une approche que l'on peut qualifier de « sociologie juridique »230. L'on peut analyser l'intérêt d'une réforme, sa nécessité, aux travers de types de quantification à savoir les statistiques et les sondages. Quoi de plus démocratique que de demander leur avis aux citoyens à propos d'une réforme ? La qualité de la loi, de la réforme, en dépend231. Cette démocratie peut également être trouvée dans la consultation d'acteurs extérieurs tels que des universitaires ou des experts de la société civile : la pluridisciplinarité est essentielle, la qualité de la loi passe ainsi par la consultation d'acteurs divers. L'exemple le plus criant est celui des pratiques nouvelles d'élaboration participative : consultations ouvertes sur internet, enquêtes de terrain. Ces techniques, couplées à celles des études d'impacts, permettent d'apporter des réponses au besoin de

228 Voir sur ce point « Une loi de bonne qualité est avant tout une loi démocratiquement fabriquée », art. préc.

229 Pour plus de détails voir le guide de légistiqiue, 2007, Légifrance.

230 En référence à l'ouvrage de J. Carbonnier, Sociologie juridique, ouvr. préc.

231 Sur ce point voir les développements de J. Carbonnier, ouvr. préc. à propos des techniques de réforme : sondages, statistiques, analyse des médias, l'observation, analyse des données etc.

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légiférer232, surtout elles mettent en exergue les blocages et aident à faire émerger les besoins de la société civile.

176. Enfin, il convient de ne pas oublier le rôle créateur de la pratique dans le processus d'élaboration de la norme juridique233 : la pratique est une source incontestable de droit et rejoint l'idée de démocratie. En effet, il s'agit de consulter de nombreux acteurs et domaines juridiques concernés par l'élaboration d'une nouvelle norme, ici la réforme du Code civil. Devraient ainsi être considérées les pratiques juridiques des avocats, des notaires et de l'ensemble des professions du droit civil, du droit en général afin de combler certaines défaillances et offrir une réforme de qualité. Il y a du fait dans le droit et il ne faut pas l'ignorer sous peine d'affecter la qualité d'une loi, d'une réforme.

177. L'ensemble de ces méthodes vise à vérifier la complexité et les impacts d'un projet de texte. La réforme du Code civil ne devra pas ainsi échapper à cette exigence démocratique : un Code civil réformé doit nécessairement revêtir des qualités exceptionnelles, celles justement qui font défaut aujourd'hui. La démocratie est alors essentielle, mais non exclusive. Ce qui confère définitivement à un code sa légitimité démocratique, c'est le débat politique, indispensable. Un nouveau Code civil ne peut s'élaborer sans une forte volonté politique, cependant celle-ci doit être modérée au risque d'entraîner de graves dérives.

B - Nécessité et dérives d'une forte volonté politique

178. « La codification exige une volonté politique forte »234, cette affirmation que l'on doit à Rémy Cabrillac sonne juste : sans volonté politique forte, la codification est impossible. Appliquée à notre étude, cela conduit à énoncer que la réforme du Code civil doit nécessairement être portée par une forte volonté politique. Par le passé, l'Histoire a montré de nombreux exemples de cette illustration : projets abandonnés par faiblesse ou indifférence, codes imposés à l'arraché par un pouvoir sûr de lui et déterminé. Disposons-nous aujourd'hui d'une volonté politique assez puissante, au moins autant qu'en 1804, afin d'aboutir à une refonte globale du Code civil ?

179. Si notre Code civil a vu le jour en 1804, c'est précisément en raison de l'insistance de Napoléon Bonaparte. A l'inverse, en 1946 l'échec de la révision générale du

232 A. Outin-Adam ; A.-M. Reita-Tran, « Excès et dérives dans l'art de légiférer », D. 2006. p. 2919.

233 « Le rôle créateur de la pratique dans l'élaboration de la norme juridique », Gaz. Pal., 18 avril 2013, n°108, p. 23.

234 R. Cabrillac, « Recodifier », RTD Civ. 2001. p. 833

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Code civil français au lendemain de la seconde guerre mondiale est en partie liée au manque d'audace des pouvoirs publics. Ainsi, l'importance d'une volonté politique dans l'entreprise de codification, en l'espèce dans l'entreprise de réforme, est une réalité. Au-delà de rationaliser un système juridique, de demeurer une oeuvre cohérente, un ensemble construit, un nouveau Code civil doit être souhaité politiquement afin de faire aboutir le processus. Echapper au débat politique est impossible, ce dernier confère à tout code sa légitimité démocratique. Cependant, l'on peut se demander, et certains auteurs l'ont fait avant nous235, si la codification, mieux, la recodification, n'est pas plutôt une ambition de despote éclairé. Tel est le risque d'une trop forte volonté politique, celui de réduire à néant la dimension démocratique d'une loi, d'une réforme.

180. Il nous faut dénoncer le recours à des procédés tels que l'ordonnance afin de réformer le Code civil. Un nouveau code, pour continuer ou plutôt redevenir la « Constitution civile » d'un pays, doit recevoir la caution des représentants du peuple. Combinaison entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, l'élaboration de la loi est complexe. Aujourd'hui, une forme est particulièrement appréciée et donne une part belle à l'exécutif : le recours à l'ordonnance. Légiférer c'est ainsi faire de la politique. Que fait-on alors de la démocratie, rabattue au second rang ? La réforme du Code civil doit certes être le fruit d'une volonté politique, cependant elle ne doit pas constituer un moyen de faire de la politique. Le recours à l'ordonnance n'est pas la solution si l'on veut une réforme de bonne qualité.

181. Prise en application de l'article 38 de la Constitution (celui-ci permet au gouvernement de demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnance des mesures qui sont normalement du domaine de la loi), une loi de 1999236 a changé la donne. Ainsi, cette loi a habilité le gouvernement à procéder à l'adoption de la partie législative de neufs codes publiés au cours de l'année 2000237. L'idée est que l'ordonnance serait l'outil approprié à des réformes lourdes en expertise juridique et pauvres en décision politique238. Tel n'est pas le cas de la réforme du Code civil qui revêt incontestablement une forte dimension politique. Le recours à l'ordonnance pour mener à bien la réforme paraît ainsi inenvisageable. Si l'on veut que le code devienne à nouveau « la constitution civile des français » l'on doit y

235 Notamment M. Grimaldi « A propos du bicentenaire du Code civil », in Mélanges Blanc-Jouvan, art. préc., spéc. n°5.

236 Loi n°99-1071 du 16 décembre 1999 portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnance, à l'adoption de la partie Législative de certains codes.

237 Codes de l'éducation, de la santé publique, de l'environnement, de commerce, de justice administrative, de la route, de l'action sociale, ainsi que du Code rural et du Code monétaire et financier.

238 P. Deumier, « Le code civil, la loi et l'ordonnance », RTD Civ. 2014 p. 597.

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toucher par la voie parlementaire : « le droit civil est au coeur de la vie quotidienne des français, et donc relève du Parlement ; la réforme soulève des questions de politique juridique, et donc relève du Parlement »239.

182. Malheureusement, ce n'est pas le souhait du législateur moderne que de faire une réforme alliant démocratie et politique. En effet, par une loi du 28 janvier 2015, le gouvernement a été habilité à réformer le droit des contrats, des quasi-contrats, le régime de l'obligation et la preuve, par voie d'ordonnance. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une réforme de l'ensemble du Code civil (que nous souhaitons vivement), il s'agit tout de même d'une réforme de grande ampleur en raison de son objet. Nous regrettons alors la méthode240, le recours à l'ordonnance, la mise à l'écart du Parlement. Cette réforme, marquée idéologiquement, a fait le choix de « l'économie administrée »241. Une insécurité juridique et une incohérence ne peuvent être que les conséquences néfastes d'un tel choix. Or, la sécurité juridique et la cohérence sont les deux piliers d'un nouveau Code civil, les deux caractéristiques majeures dont il ne fait plus preuve aujourd'hui. Si une réforme accentue les défauts actuels du Code, elle n'a pas lieu d'être.

183. A vouloir trop réformer, à vouloir réformer rapidement, par le biais d'instruments politiques non démocratiques, la réforme est vouée à l'échec. Ainsi, la réforme du Code civil doit certes avoir pour origine une volonté politique réelle, mais sans pour autant bafouer l'exigence démocratique. Le moment est pourtant venu de réformer : il semble en effet que notre pays, notre système politique dispose d'une volonté assez vivace de réformer, que l'on peut comparer à celle de 1804. Seulement, la méthode à laquelle il convient de recourir pour réformer doit être modifiée. Un choix plus démocratique conduira alors à l'effectivité d'un Code civil nouveau.

184. L'alliance entre légistique et politique, s'agissant de la réforme du Code civil, est sans conteste : une loi de qualité ne peut s'envisager qu'à travers des détails techniques scrupuleusement respectés, une vision du droit étranger passant par une acculturation mais également et surtout par une loi démocratiquement et politiquement fabriquée. Le respect de ces éléments ne peut aboutir à autre chose qu'à une réforme de qualité. Pour autant, il nous

239 P. Deumier, art. préc.

240 C'est également la position de N. Molfessis, « Droit des contrats : l'heure de la réforme », JCP G, n°7, 16 février 2015, doctr. 199.

241 N. Molfessis, ibidem.

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faut envisager un second aspect de la réforme : sa forme. En effet cette dernière postule du retentissement et du rayonnement d'une loi nouvelle.

Section 2 - La forme de la réforme

185. Après la science de la réforme, les méthodes à utiliser, doit être étudiée la forme de la réforme. Alors, il faut répondre à la question suivante : a-t-on besoin d'un code ? (1). Si la réponse à cette question semble positive, il n'empêche qu'un nouveau Code civil pose inévitablement des difficultés formelles (2).

§1 - Interrogation sur le maintien d'une codification

186. La codification en France est une vieille tradition, « la loi parfaite, c'est le code »242 : oui, mais quelle forme de codification ? Selon la doctrine, l'on distingue deux formes de codification243. D'une part, la codification-compilation ou à droit constant, d'autre part, la codification-innovation ou modification. La première, qui se borne à remettre de l'ordre dans les règles existantes, est totalement inefficace à l'aune d'une réforme du Code civil (A). La seconde, qui reconstruit le droit, est nécessaire et témoigne d'une réelle nécessité d'un maintien d'une codification (B).

A - Inefficacité d'une codification à droit constant

187. Depuis de nombreuses années déjà, la codification à droit constant tient une place considérable dans l'élaboration de la norme juridique. Cette codification à droit constant constitue certes une rupture dans les textes mais pas dans le droit positif : autrement dit les textes antérieurs sont abrogés, mais l'on assiste à une reprise de leur contenu, à l'exception des textes obsolètes. Ainsi, le droit positif demeure. Cette codification à droit constant constitue la pratique actuelle française.

188. En raison de l'immobilisme du Code civil, précédemment étudié, une législation spéciale s'est développée244 : Code rural, Code de commerce, Code de la consommation. S'agissant de ce dernier, la codification du droit de la consommation a eu pour effet la transplantation de dispositions du Code civil dans ce code spécial, comme si le Code civil ne

242 S. Guy, De la codification, Petites affiches, 12 mars 1997, n°31, p. 11.

243 L. Vogel, art préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 165.

244 Pour plus de détails voir Ph. Rémy, « Regards sur le Code », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 111.

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pouvait conserver son statut de code commun qu'au prix de cette redite. La codification spéciale qui s'est ainsi faite à droit constant est alors « un aspect de la décodification civile »245 . Il convient de dénoncer cette codification à droit constant, dénoncer son inefficacité, bien qu'aujourd'hui, la foi codificatrice de notre législateur s'y réfugie.

189. Des arguments peuvent, contre toute attente, être invoqués à l'appui d'une codification à droit constant. Celle-ci permettrait d'élaborer des codes sans les ralentir, ou les perdre, dans l'examen et les débats de toute réforme de fond. C'est précisément l'intérêt d'une codification que de débattre au fond, l'argument ne peut être entendu. Réformer le Code civil au moyen de cette technique que constitue la codification à droit constant n'est pas plus envisageable que la technique de l'ordonnance. En effet, codifier à droit constant signifie avoir la volonté d'appréhender l'ensemble du droit régissant une matière donnée, celle-ci ne pouvant englober que les dispositions législatives et réglementaires émanant des autorités françaises (cette codification ne peut seulement appréhender des textes que les autorités françaises ont le pouvoir d'édicter, d'abroger, pour les remplacer par des textes codifiés). Que faire alors de la masse des sources contractuelles, jurisprudentielles, coutumières, internationales et surtout communautaires ? Face à l'Européanisation du droit, réformer le Code civil à droit constant est une ineptie.

190. Ineptie en raison des défauts de cette forme de codification. Il s'agit d'une codification non créative, bureaucratique dont découlent d'innombrables erreurs et infidélités. L'actuel Code civil, défectueux, ne peut être remplacé par une nouveau Code tout aussi infidèle à la réalité. De plus, l'objectif premier d'une réforme est de faciliter la connaissance du droit par tous, en le simplifiant et en le modernisant. Là encore, cette forme de codification n'est pas adaptée. En effet, est-ce améliorer l'accès au droit que d'empiler des lois, sans remédier à leur incohérence ? La réponse est évidemment négative. L'exemple le plus criant de l'échec de la codification à droit constant est le Code de commerce. Ce dernier se veut, après le Code civil, notre Code le plus général. Aujourd'hui, l'on peut le résumer à une « collection de lois particulières, sans rapports les unes avec les autres, dont la cohabitation forcée, loin de faciliter l'accès au droit, le rend en réalité plus difficile »246. Est-ce la destinée que l'on souhaite pour un nouveau Code civil ?

245 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 112.

246 L. Vogel, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 166.

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191. La recodification nécessaire ne saurait être réalisée à droit constant247. Ainsi, malgré les impératifs de rationalité justifiant son recours, une recodification-compilation aboutirait à un fourre-tout dépourvu de toute cohérence, qui supprimerait l'origine historique, politique et factuelle de la norme codifiée, du Code civil248. La recodification civile doit également être pertinente, doit remplir l'objectif qui l'avait suscitée en assurant l'adaptation d'un Code civil vieillissant à un monde nouveau. La recodification-compilation détruit, par nature, toute entreprise de réforme du Code civil, l'on n'accélère pas la modification d'un code en le rationalisant, malgré l'avis des codificateurs français contemporains249

192. La solution la plus naturelle, mais non des moindres, est alors celle d'une véritable recodification du droit civil français, l'inverse même d'une codification à droit constant. L'innovation doit demeurer le maître mot de toute entreprise de réforme. Recodifier est un art difficile, plus encore, « recodifier est nécessairement autre chose que codifier »250. Parler de recodification, de réforme du Code civil c'est déjà faire le choix de la forme de la réforme : la codification-innovation.

B Ð Nécessité d'une codification-innovation

193. Réformer le Code civil c'est remplacer un système existant par un autre et pour cela, seule la codification-innovation convient. De plus, envisager une recodification par la voie d'une codification-innovation c'est déjà conserver la forme du code. La valeur symbolique de celui-ci demeurera, pour cette fois, un argument positif : le Code civil a trop de valeur symbolique pour être recodifié à droit constant. L'on touche alors, par le biais d'une réforme, au contenu, et non au contenant. Ce phénomène concerne les codes réussis dont on ne peut nier que le Code civil en fasse partie. Il a été réussi, il n'est plus adapté, une nuance doit être effectuée. Cependant, la valeur symbolique du Code civil a conduit à sa stagnation. En stagnant, le Code civil a perdu de son influence. Il convient aujourd'hui de se détacher de la symbolique du contenant et de ne pas toucher à la symbolique de contenu. La codification-innovation s'avère être la méthode parfaite pour arriver à cette fin.

247 C'est également l'avis de C. Atias, Le code civil nouveau, art. préc.

248 R. Cabrillac, Recodifier, art. préc.

249 « En fournissant aux auteurs de projets de réforme une base de textes clairs, ordonnés et en vigueur, la codification prépare la réforme et la simplification ultérieure des textes », cf. Circ. du 30 mai 1996 relative à la codification des textes législatives et réglementaires, art. 4 (JO 5 juin 1996, p. 8265).

250 Ph. Rémy, La recodification civile, art. préc. p. 4.

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194. Cette forme de recodification, par son ampleur, ne peut s'inscrire que dans la durée. Elle peut évidemment ne jamais aboutir, mais il s'agit d'un risque à prendre (une illustration de cela a été précédemment évoquée : la révision globale du Code civil à la Libération). La contrainte « temps » n'en est pas réellement une puisqu'une réforme entreprise lentement est gage de qualité. De plus, la recodification-modification ou innovation favorise une élaboration plus démocratique d'un texte. En effet, à la différence d'une codification par ordonnance (le Code de commerce par exemple), celle-ci permet à chaque acteur de la vie politique de pouvoir s'y associer pleinement.

195. Notre société civile souffre aujourd'hui d'une complexité et d'un vieillissement, elle a besoin d'épuration et de rajeunissement. L'heure n'est plus à la pérennisation, le droit doit aujourd'hui « créer les conditions d'une véritable renaissance, d'un recommencement vers une nouvelle alliance de la société, de la loi, de la jurisprudence, de la pratique et de la doctrine »251. Le droit doit innover, cette innovation passe par la réforme du Code civil. Le réformer certes, mais conserver sa forme, tel est le compromis qu'il convient d'effectuer. La codification en tant que forme de la réforme, est nécessaire.

196. Un code reste encore le meilleur outil de travail d'un praticien, surtout la forme compte autant voire davantage que le fond. Parfois, la refonte d'un Code est essentielle, c'est le cas pour notre Code civil. Bien opérée, une réforme peut se passer sans heurts, il s'agit seulement d'utiliser les bonnes méthodes, celles que nous venons d'évoquer. Il convient également d'éviter certains pièges : codification à droit constant, réformer par ordonnance, etc. De ces énonciations ressortent une idée fondamentale : bien utilisée, la codification, la recodification, rend la loi plus accessible.

197. Bien qu'une réforme du Code civil soit vivement souhaitée, cette dernière ne signifie pas pour autant disparition du Code civil252. La sécurité juridique, la connaissance du droit applicable rendent indispensable un Code civil. Seulement, son contenu doit être profondément modifié.

198. La méthode à adopter pour légiférer est désormais claire : il s'agira de recodifier notre Code civil en innovant et non en compilant. Cette innovation sera alors gage de qualité, et de prospérité. Cependant, cette étude sur le maintien ou non d'une codification doit être

251 C. Atias, ibidem.

252 Voir sur ce point B. Belloir-Caux, Code civil Mode d'emploi , Ellipses, 2011.

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corroborée par l'études des contraintes intrinsèques qui s'imposent au législateur. Bien que des difficultés formelles se rencontrent massivement lorsque l'on envisage de réformer le Code civil, celles-ci restent en faveur d'une recodification-modification.

§2 - Les difficultés formelles d'une réforme du Code civil

199. L'art de légiférer est complexe lorsque l'on s'attelle à « bien légiférer ». La naissance d'un souci d'esthétique apparaît « dans les codes qui portent à leur paroxysme le gout du beau droit »253. Si le Code civil doit faire l'objet d'une réforme, celle-ci doit revêtir des qualités exceptionnelles. En réalité, la difficulté sur la forme n'en est pas une puisque, bien qu'il soit tentant d'envisager une réforme partielle, autrement dit de simples retouches, celle-ci serait gage de décodification (A). Naturellement, la forme appropriée de la réforme est celle d'une recodification globale (B).

A - Une réforme partielle et progressive gage de décodification

200. Par réforme partielle nous entendrons également réforme progressive, autrement dit une réforme élaborée « petit à petit ». Certes, celle-ci serait incontestablement plus rapide qu'une réforme d'ensemble, elle favoriserait une actualisation instantanée du droit, qui permettrait de suivre l'évolution sociale. C'est l'idée que le Code civil pourrait se réformer par couches successives, par ajouts progressifs, au gré des besoins. L'argument n'est pas inexact, cependant il porte en lui l'absence de cohérence et de pertinence nécessaire à toute réforme.

201. Il convient de déplorer la volonté puissante de nombreux auteurs partisans d'une révision partielle et progressive du code254. Pour certains, si la réforme partielle du Code civil doit être privilégiée, c'est en partie en raison de l'absence d'une volonté politique très forte de réforme255. Cet argument ne convainc pas, aujourd'hui notre gouvernement politique souhaite faire évoluer notre droit. Cet argument doit toutefois être entendu, la volonté politique actuelle envisage une réforme partielle, celle du droit des contrats. Si réformer « petit à petit » est ainsi la priorité, il convient d'espérer que cette entreprise se mue, à terme, en réforme globale. D'autre part, la réforme partielle et progressive devrait, pour ces mêmes partisans,

253 R. Cabrillac, Recodifier, art. préc.

254 Voir sur ce point Th. Revet, « La recodification entre tradition et illusions », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc.

255 Voir sur ce point B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 114.

Réformer le Code civil 80

être privilégiée, en raison du symbole que représente le Code civil256. S'en remettre à la dimension symbolique afin de réfuter l'idée d'une réforme globale est signe d'un défaitisme : le contenu doit être modifié, cela n'engendre pas pour autant une modification du contenant.

202. Cette révision partielle et progressive serait plus sage, plus modeste, elle aurait ainsi plus de chance de succès. Si l'on suit ce raisonnement, les vices du Code ne seront pas gommés. Or, c'est de ça dont il s'agit : il faut remédier aux défauts du Code civil et l'adapter à l'Europe. Une réforme partielle ne peut être le théâtre d'une telle entreprise. En effet, réformer et réitérer les erreurs du passé sont deux phénomènes antinomiques. Rodent alors autour d'une recodification partielle l'incohérence et l'impertinence, alors même que la cohérence est inhérente au concept même de code. Une recodification progressive menace incontestablement cette cohérence d'ensemble d'un code, cohérence qui devra irriguer un nouveau Code civil. Réformer partiellement c'est aussi réformer en raison de considérations politiques : les modifications faisant l'objet d'un consensus rapide feront l'objet d'une réforme, celles imposées par la logique, l'urgence ou l'importance des matières n'évolueront pas. Le propos est grave. De plus, une réforme partielle, par petites touches, fait perdre son unité au code, le transforme en recueil de droit civil. La recodification partielle est donc gage de décodification.

203. Cette décodification par voie de réformes partielles est pourtant en marche, en France, depuis de nombreuses années déjà. En réalité, la réforme du Code civil se fait chaque jour, sans que l'on y porte intérêt. Le mouvement de révision du Code ne cesse de progresser257. Réformer est ainsi un terme d'une banalité consternante, lorsqu'il est appliqué au Code civil. Sa piètre posture actuelle donne alors raison à notre propos : réformer progressivement et partiellement, par petites touches, contribue à la ruine de notre « Constitution civile ». Ici encore, certains se réjouissent de cette méthode de réforme. En effet, à partir des années soixante, des réformes ont vu le jour, notamment celles que l'on doit au doyen Carbonnier. Elles ont certes ménagé l'unité du Code civil, mais n'ont pas évité un décalage considérable entre les différentes parties du code (cf. supra §44 et suivants). Le doyen Carbonnier observe lui-même que « si les réformes devaient ainsi se poursuivre sur des nouvelles décennies, elles courraient le risque de se diluer en une espèce de banalité législative : ce ne serait plus que des numéros dispersés dans des bilans de sessions

256 J. Carbonnier, « Le Code civil », art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 30.

257 Voir sur ce point C. Witz, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 700.

Réformer le Code civil 81

parlementaires »258. Ce qu'il redoutait constitue aujourd'hui la réalité : la banalité d'une réforme qui se fait chaque jour, et qui ruine la cohérence et l'unité de notre Code civil.

204. Au plan national, réformer de cette façon est la conséquence d'un manque d'ambition, d'un attachement au symbole, d'un conservatisme détestable. Ce n'est pas rendre service à notre actuel Code civil que de le réformer par petites touches. Ce n'est pas d'une cure de jouvence dont le code a besoin259, il lui faut repartir de zéro. Actuellement, son unité, sa cohérence, son autorité sont affectés. En réalité, les défauts du code et son inadaptation à l'Europe sont le fruit vicié de cette méthode de réforme. Certes, conserver le cadre du Code de 1804 (la forme) est une solution minimale, encore faut-il en changer intégralement le contenu. De simples retouches apportées, à la va-vite, par un législateur peu soucieux de sa plume, sont alors à fuir formellement. En effet, « concevrait-on qu'on confiât une réparation d'automobile Mors ou Mercédès à un forgeron de village ? Voilà cependant ce que demandent les jurisconsultes qui veulent qu'on révise le code civil à coup de lois spéciales »260, cette allégation ne peut mieux résumer la situation. Notre Code civil a fait son temps, il faut désormais trouver le courage pour le réformer dans son ensemble.

205. La recodification partielle n'est cependant pas à évincer définitivement. En effet, bien que la réforme globale constitue la méthode adéquate, une recodification globale qui s'inscrit dans la durée ne peut éviter l'adoption de réformes spécifiques temporaires, dans l'attente de l'entrée en vigueur du nouveau Code civil261. C'est le prix à payer pour éviter l'insécurité juridique d'accroître. Malgré tout, le retour du prestige du Code civil est incontestablement à rechercher à travers une réforme globale.

B - Une réforme globale gage de réussite

206. Une réforme globale présente des avantages certains, si tant est qu'elle prenne la forme d'une recodification-innovation. Elle maintiendrait l'unité logique de l'ensemble des dispositions du code, voeu cher à notre étude tant l'unité actuelle du Code civil est inexistante. Réformer, recodifier l'ensemble d'un droit répond également au souci prédominant de cohérence. Une recodification globale sera, sans conteste, plus soignée qu'une recodification partielle. Il serait incongru de remettre en cause cette idée.

258 J. Carbonnier, Essais sur les lois, Défrénois, 2e éd. 1995, p. 17.

259 Telle était l'ambition de G. Cornu dans son célèbre article « La lettre du Code à l'épreuve du temps », in Mélanges offerts à R. Savatier, Paris, Dalloz, 1965, p. 174.

260 F. Larnaude, « Le Code civil et la nécessité de sa révision », Livre du centenaire, t. 2. p. 911.

261 R. Cabrillac, Recodifier, art. préc.

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207. Les exemples de nouveaux codes, réformés dans leur ensemble, ne manquent pas. D'une part, l'on peut envisager le nouveau code civil du Québec. Préserver l'interdépendance existant, entre les divers articles d'un code, constitue la raison qui a conduit le gouvernement québécois à privilégier une recodification d'ensemble. D'autre part, l'on peut citer le nouveau Code de procédure civile français de 1975, salué unanimement par la doctrine et par les praticiens. En effet, ce dernier conserve une unité d'inspiration aux règles de la procédure civile ainsi réformées dans leur ensemble. A ce propos, on a pu dire qu'il s'agissait de l'exemple parfait de la réussite d'une codification au sens vrai et plein du terme262. Ces exemples ne trompent pas : la réitération du succès de ces réformes d'ensemble doit être appliquée à la réforme du Code civil. A l'inverse, et pour appuyer notre propos, l'on doit envisager l'exemple de la recodification intervenue en Louisiane263. Le législateur a préféré, plutôt qu'une réforme globale, s'engager dans une recodification progressive. Au terme de son travail décousu, il s'avère aujourd'hui qu'en Louisiane, toute unité d'ensemble du code fait défaut. Ainsi, les exemples étrangers de recodification et les tentatives de révision globale du Code civil sont riches d'enseignements.

208. Certes, une réforme globale constituerait une entreprise pharaonique, mais l'état actuel de notre Code la justifie. Fort heureusement, cette refonte globale a trouvé des partisans, certes moins nombreux que ceux favorables à une révision partielle, pourtant gage de décodification. Ainsi, certains préconisent l'adoption d'un nouveau Code civil, car un toilettage n'est plus possible264, le tissu est usé. L'éclatement du droit civil hors du Code civil rend également nécessaire la réforme globale, alors que la recodification partielle aurait pour conséquence néfaste l'adoption d'un « patchwork » juridique265.

209. Une recodification-modification d'ensemble permet alors, plus que des révisions successives, de faire évoluer un code, tout en le plaçant au-dessus des phénomènes de mode. Des écueils sont toutefois à éviter, un tri est nécessaire entre « évolutions profondes et durables et agitations éphémères et superficielles »266. L'on pense ici à l'exemple du nouveau Code pénal, auquel on a pu reprocher son manque de recul et surtout le fait d'être trop ancré

262 J. Heron, « Le nouveau Code de procédure civile », in La codification, sous la dir. de B. Beignier, Dalloz, 1996, p. 81 et s. spéc. p. 82.

263 Voir sur ce point B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 113.

264 Voir sur ce point D. Tallon « L'avenir du Code civil en présence des projets d'unification européenne du droit civil », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 1003.

265 Voir sur ce point J.-L. Aubert, « La recodification et l'éclatement du droit civil hors le Code civil », art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 123 et s.

266 R. Cabrillac, Recodifier, art. préc.

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dans le présent, le législateur n'a pas su codifier pour l'avenir267. Il convient, pour l'entreprise de réforme du Code civil, d'en tirer des leçons. La réforme devra, au-delà d'être tournée vers l'avenir, simplifier et unifier le droit civil.

210. D'évidence, les travaux préparatoires du nouveau code seront longs et difficiles : ne réforme pas le Code civil, oeuvre symbolique par excellence, qui veut. Le nouveau Code civil, Code civil du XXIème siècle, devra être la « source d'une recomposition des grands ensembles et des catégories juridiques fondamentales »268 : s'entrevoit la nécessité du rétablissement d'une cohérence perdue. Animée par la codification, la réforme peut voir le jour.

211. Elle peut voir le jour, mais quels domaines doit-elle concerner ? La tâche consiste à prendre parti sur le concept même de Code civil : un nouveau Code civil devra demeurer la charte de l'ensemble des droits et obligations civiles du citoyen et non régir l'ensemble de l'activité sociale des citoyens. La recodification d'un nouveau Code sera alors fondamentalement innovante. Qu'il soit le Code civil des personnes, de la famille, des biens et des relations économiques269 ne fait pas de doute, mais doit-on créer des codes autonomes ? L'on pourrait envisager, à la place d'un Code civil, le morcellement de plusieurs Codes : un Code des biens, un Code des personnes, un Code des obligations. Cela répondrait à un souci d'homogénéité, cependant un tel démantèlement n'est pas souhaitable selon nous. En effet, notre société nécessite un corpus de droit privé commun : le nouveau Code civil répondrait à cette attente. A ce nouveau Code, l'on pourrait cependant adjoindre des Codes spécialisés270, car le Code civil ne doit pas devenir le réceptacle de règles pointues trop détaillées. Sa lisibilité et sa compréhensibilité en dépendent.

212. Afin de constituer, mieux, de demeurer à nouveau le code par excellence, le Code civil réformé ne devra alors pas se laisser absorber par la codification, il devra être le fruit d'un travail soucieux d'épuration et de précision. Il ne doit pas avoir pour ambition de contenir l'ensemble du droit, mais seulement le droit commun fondamental. Le Code civil,

267 M. Delmas-Marty, « Le nouveau Code pénal », Rev. sc. crim., 1993, p. 443 et s.

268 C. Atias, Le Code civil nouveau, art. préc.

269 J.-L. Aubert, « La recodification et l'éclatement du droit civil hors le Code civil », art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 136.

270 Voir sur ce point les développements de J.-L. Aubert, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 137 et s. Selon cet auteur s'interroge sur le partage entre droit commun et droit spécial. Il envisage par exemple un Code des contrats spéciaux.

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réformé dans son ensemble, a un avenir, à condition d'être nettoyé et de voir ses lacunes comblées.

213. Quel que soit le procédé envisagé, partielle ou globale, la réforme du Code civil des Français sera un processus très long. Une volonté politique exceptionnelle est nécessaire, obligatoire. Cette réforme devra être le fruit d'un travail démocratique, travail qui devra également revêtir des qualités techniques de grande qualité. De cela découle inévitablement une idée fondamentale : « l'opération demande du souffle »271. Cette méthode classique de réforme ouvre la voie, plus convaincante, à une seconde méthode. En effet, celle-ci est plus surprenante mais guère plus difficile. Il s'agit de la codification européenne : l'avenir du Code civil est à rechercher dans un Code civil européen.

271 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 118.

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CHAPITRE 2 - LES TECHNIQUES MODERNES DE REFORME

214. Le Code civil français, « en piètre position (É), plus que l'ombre de lui-même, (É) à bout de souffle272 », doit être rénové. Ce Code civil, apparenté à la « constitution civile de la France273 » souffre d'un tel vieillissement que sa réhabilitation ne passe peut être pas, exclusivement, par une entreprise de réforme dans l'ordre interne. Alors, sans laisser de côté l'idée d'une réforme globale du Code civil, il convient de s'interroger sur l'élaboration d'un Code civil européen, ces deux idées n'étant pas exclusives l'une de l'autre.

215. A défaut de volonté politique réelle dans l'ordre interne à propos de l'élaboration d'un nouveau Code civil, la solution européenne s'entrevoit274 : faut-il un Code civil européen ? Cette question ne cesse d'agiter le monde juridique en Europe, question essentielle qui est celle d'une codification nouvelle. Le bicentenaire du Code civil avait déjà été l'occasion, pour les hommes politiques comme pour les universitaires, d'envisager l'élaboration d'un Code européen275. La France, effacée sur la scène nationale, ne rayonne plus par sa politique, son économie. De plus, l'entreprise de recodification du législateur français est rendue difficile en raison de l'européanisation du droit. Cette européanisation du Code civil et la perte de rayonnement de ce dernier rendent alors inéluctable la nécessité d'un Code civil européen.

216. Comment élaborer ce Code civil européen ? Deux voies possibles : la première consiste en l'harmonisation du droit civil européen. Au sens commun du terme, « harmonisation » signifie « l'action d'établir des proportions heureuses entre plusieurs choses, de les mettre en accord, de les harmoniser, fait d'être harmonisé276 ». Appliquée à notre étude, harmoniser le droit civil européen reviendrait à rapprocher les législations des Etats membres autour de principes communs et constituerait ainsi un intermédiaire au but final, à savoir l'unification277. La seconde, c'est l'unification. Unifier consiste, au sens courant du terme, à réunir des éléments afin d'en faire un tout homogène, cohérent. Contrairement à l'harmonisation, l'unification du droit civil européen ne laisserait plus de

272 D. Tallon « L'avenir du Code civil en présence des projets d'unification européenne du droit civil », in 18042004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 1009

273 J. Carbonnier, « Le Code civil », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 1045

274 D. Tallon, art. préc., in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 1004 et s.

275 Voir sur ce point les messages du Président de la République, du Garde des sceaux, du Président du Sénat et du président de l'Assemblée nationale, in Livre du bicentenaire, ouvr. préc., p. 3 et s.

276 Dictionnaire Larousse, voir « harmonisation ».

277 Voir sur ce point les développements de S. Nadaud, Codifier le droit civil européen, ouvr. préc.

278 A. Batteur, « Célébration du bicentenaire du Code civil : regards d'un civiliste résolument optimiste sur l'avenir du Code des français », CRDF, n°4, 2005, p. 171-178.

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place aux législations nationales de chaque Etat membre. Là encore, des obstacles apparaissent : unifier le droit civil européen conduirait, a priori, à l'arbitraire et à l'appauvrissement des droits nationaux.

217. L'élaboration du Code civil européen semble ainsi demeurer un projet réaliste lorsqu'il s'agit de l'envisager au travers l'harmonisation du droit civil européen (Section1). Pour autant, une oeuvre d'unification, trop souvent décriée, n'est pas à exclure (Section 2).

Section 1 - L'harmonisation du droit civil européen

218. L'harmonisation du droit civil européen semble constituer le mode de rapprochement le moins compliqué à mettre en oeuvre s'agissant d'une mise en commun des législations européennes. Pour cette raison, l'oeuvre d'harmonisation au niveau européen est, depuis longtemps déjà, amorcée (1). Cependant, bien qu'amorcée, cette harmonisation reste inachevée car entachée d'obstacles quasi insurmontables (2).

§1 Ð Une harmonisation amorcée

219. L'harmonisation du droit civil européen a pour qualité première qu'elle laisserait aux Etats membres, un espace de liberté. Cette idée est avant tout une oeuvre doctrinale (A), oeuvre doctrinale qui constitue alors le support de l'oeuvre institutionnelle (B).

A - Le Code civil européen : une oeuvre doctrinale

220. Longtemps, la question de l'élaboration d'un Code civil européen n'avait été envisagée que sous un angle historique, théorique ou comparatiste, et non pas juridique278. Afin d'étudier sereinement l'entreprise phénoménale que constitue l'élaboration d'un Code civil européen, un rappel historique est ici nécessaire.

221. L'oeuvre d'harmonisation du droit civil européen constitue avant tout une oeuvre doctrinale, avant même une oeuvre institutionnelle. Les travaux des groupes de travail entrepris par des universitaires ont eu pour objectif, depuis plus de quarante ans et à travers l'élaboration des grands principes communs, l'harmonisation du droit privé européen.

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222. L'idée première d'une harmonisation du droit civil européen nous vient, en 1974, d'un professeur à l'Université de Copenhague, Monsieur Ole Lando. Il s'agissait d'une harmonisation qui ne se matérialisait pas sous forme d'un code mais de Principes de droit européen279 des contrats applicables selon un choix des parties. Ces Principes ont alors été élaborés par une Commission Lando280, mais ils avaient la faiblesse ou du moins la modestie de n'envisager que le droit européen des contrats. Le passage d'une harmonisation du droit européen des contrats à l'harmonisation du droit civil européen s'est fait, dans les années 2000, sous l'impulsion d'un autre professeur, Monsieur Christian Van Bar. Cette Commission Van Bar281 a été désignée par la Commission mais également par le Parlement comme le groupe le plus légitime afin d'élaborer des textes européens.

223. La prise de pouvoir doctrinal, dans l'entreprise d'harmonisation du droit européen, ne doit pas être négligée. Toutefois, ces travaux sont dépourvus de force obligatoire, c'est pour cette raison qu'une combinaison est nécessaire, celle d'une oeuvre doctrinale à une oeuvre institutionnelle.

B - Le Code civil européen : une oeuvre institutionnelle

224. L'harmonisation du droit civil européen n'est plus seulement une oeuvre doctrinale, aux mains d'historiens, de professeurs, mais une oeuvre institutionnelle. De concert, le Parlement Européen et la Commission Européenne282 ont oeuvré afin de mettre en oeuvre cette idée de codification européenne. Des travaux préparatoires ont été demandés par le Parlement européen en 1989, en mars 2000 et en novembre 2001. L'entreprise d'harmonisation européenne s'est réalisée sous l'égide d'une doctrine déterminée avant d'intéresser les autorités communautaires. Le lien entre oeuvre doctrinale et oeuvre communautaire, s'agissant de l'élaboration d'un Code civil européen, est ainsi évident.

279 Principles of European Contract Law, Parts I and II (éd. O. Lando and H. Beale), Kluwer, 2000. L'ouvrage contient une version française des principes. La troisième partie est publiée sur le site : http :// www.cbs.dk./departments/law/staff/ol/commision-on-ecl/index.html.

280 Sur le fonctionnement de la Commission Lando, cf. D. Tallon, membre de la Commission, Vers un droit européen des contrats, in Mélanges Colomer, Litec, 1993, p. 464.

281 Chr. von Bar, Le Groupe d'études sur un Code civil européen, RID comp. 2001.127. Le 12 avril 2002, le professeur von Bar a prononcé une conférence à la Cour de cassation, intitulée Vers un Code civil européen ?, traduite et publiée dans les Annonces de la Seine, 3 juin 2002, n° 33, p. 1.

282 Cf. la communication de la Commission au Conseil et au Parlement concernant le droit européen des contrats, JOCE 13 sept. 2001, C 255/1 ; la résolution du Parlement, du 26 mai 1989 sur un effort de rapprochement du droit privé des Etats membres, JOCE C 158/400 ; la résolution du 6 mai 1994 sur l'harmonisation de certains secteurs du droit privé des Etats membres, JOCE 1994, C 205/518 ; la résolution du 15 nov. 2001 du Parlement européen concernant le rapprochement du droit civil et commercial des Etats membres, procès-verbal du 15 nov. 2001 [COM(2001) 398 - C5-0471/2001 - 2001/2187(COS)].

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225. Le Parlement et la Commission étaient investis d'une même mission : la codification du droit civil européen. Sous l'impulsion du Parlement européen, les choses s'accélèrent, la Commission européenne prenant le pas et appelle, en juillet 2001, à une consultation des juristes sur la nécessité d'élaborer un droit européen des contrats. Cependant de nombreux différents ont vu le jour. Le Parlement critique la Commission Européenne qui s'est limité au seul droit des contrats, il déplore ce positionnement et revendique sa volonté d'un véritable droit privé commun européen. Pour cela, un calendrier est fixé283 : en moins de 10 ans il convenait d'élaborer des textes en matière de droit privé fixant des règles communes aux Etats membres, les enseigner en faculté puis adopter des règles relatives au droit des contrats. Le constat est sans appel : un Code civil européen ou du moins l'harmonisation du droit européen ne peut se faire dans la précipitation.

226. En outre, indépendamment de cette entreprise de codification, l'harmonisation du droit civil européen trouve sa source dans le travail des juges européens et notamment des juges de la Cour de justice des communautés européennes. Cette dernière fait peu à peu émerger des principes généraux qui conduisent au rapprochement des législations nationales. L'on ne peut parler de « juges unificateurs », mais le terme de « juges harmonisateurs » paraît alors approprié.

227. Cette oeuvre institutionnelle que constituerait un Code civil européen doit être envisagée au regard de ses effets sur le droit international privé. En effet, le choix d'un Code civil européen apparaît contradictoire avec l'idée même du droit international privé, ils diffèrent tant au niveau de leurs sources que de leurs buts et leurs finalités284. La diversité est la raison d'être du droit international privé, à l'inverse, le but du droit communautaire est d'aboutir à un droit commun des Etats membres285. Sur le plan européen, le remède à la méthode des conflits de lois serait le Code civil européen, le droit international privé serait alors réduit à une peau de chagrin286. Cependant, ce constat est exagéré. En effet, l'adoption d'un Code civil européen n'aurait pas inévitablement pour conséquence d'aboutir à l'élimination du droit international privé, en raison d'une part de la nature même de l'ordre

283 Pour un détail de l'historique voir Y. Lequette, « Vers un Code civil européen ? », in Pouvoirs, n°107, Le Code civil, p. 98.

284 E. Ralser, « Pluralisme juridique et droit international privé », R.R.J. 2003, n°4, page 2549

285 P. de Vareilles-Sommières, « Un droit international privé européen ? », in Le droit privé européen, Economica, 1998, p. 136.

286 Pour A. Bodénès-Constantin, si la perspective d'un Code civil européen se concrétisait, « on arriverait à terme à une suppression de tout ou partie des conflits de lois en Europe », La codification du droit international privé français, Defrénois, Coll. Thèses Doctorat et Notariat, Tome 11, 2005, p. 16.

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juridique européen, à savoir un ordre dépourvu de règles de complétude matérielles et d'autre part en raison de la dualité entre les règles d'un possible Code civil européen et les règles conflictuelles communautaires287.

228. Le conflit entre droit européen et droit international privé n'est pas l'enjeu principal du projet d'un Code civil européen. En effet c'est la délimitation de la codification européenne qui apparaît comme l'enjeu majeur, enjeu qui suscite de telles interrogations288 que l'harmonisation européenne n'a d'autre choix que de rester une oeuvre inachevée.

§2 - Une harmonisation inachevée

229. Malgré les tentatives d'harmonisation du droit civil européen, certains efforts restent vains. Cela s'explique par la pluralité d'arguments juridiques qu'il convient d'apporter pour justifier l'élaboration d'un Code civil européen, arguments qui peuvent apparaître contradictoires. En effet, si la nécessité d'une union économique en Europe ne fait pas de doute (A), celle de la création d'une culture juridique commune est hautement contestée (B).

A Ð La création d'une union économique

230. L'absence de compétence de l'Union européenne afin de procéder à une unification du droit privé (cf. infra §243 et suivants), l'oblige alors à envisager l'harmonisation du droit civil européen aux moyens d'une justification économique. La question à poser est simple et nous l'emprunterons à un auteur : « une unification européenne du droit, sous couvert d'intérêts exclusivement économiques, est-elle de nature à fonder un véritable ordre civil289 » ?

231. Ce projet d'une harmonisation du droit européen, par le biais d'une union économique, suscite de nombreux débats. La logique voudrait que l'Union européenne, avec sa monnaie unique, aille de pair avec un droit unique, idée que l'on peut résumer par la volonté de création d'un « euro droit civil290». L'intensification des échanges communautaires et leur libéralisation ne sont pas anecdotiques, le rapprochement des législations européennes incite alors à envisager les arguments économiques pour justifier l'élaboration d'un Code civil européen. Cette élaboration, conforme à la politique sectorielle d'harmonisation du droit,

287 Pour une vision détaillée voir S. Nadaud, ouvr. préc., spéc. p. 383 et s.

288 Voir sur ce point D. Tallon « Grandeur et décadence du Code civil », in Mélanges offerts à Marcel Fontaine, p. 292.

289 Y. Lequette, « Vers un Code civil européen », ouvr. préc., p. 101.

290 J. Huet, « Nous faut-il un « euro » droit civil ? » D. 2002, p. 2611.

Réformer le Code civil 90

a eu, sous l'égide de la Commission européenne, pour but la réalisation d'un marché unique sans frontières. C'est pour cette raison qu'elle s'est bornée, lors d'une communication en juillet 2001, au seul droit des contrats. Pour la Commission, la coexistence des législations civiles entrave le bon fonctionnement du marché intérieur. La multitude de droits nationaux mais surtout leur divergence freinent les transactions. Cet argument constitue ainsi le fondement d'une action communautaire s'agissant du droit européen des contrats. Pour les partisans d'un Code civil européen, comme peuvent l'être le Parlement et la Commission, l'argument économique semble être le plus légitime. Pour autant, ses faiblesses ne peuvent pas être ignorées.

232. Si l'harmonisation du droit civil européen reste inachevée c'est en partie, mais pas seulement, en raison de la faiblesse291, du moins de l'incertitude, de cette justification économique.

D'une part, la justification économique est aux antipodes de notre vision franco-française. Pour les plus opposés à la thèse d'un Code civil européen, le Code civil constitue un « tout292 ». L'idée d'un Code civil européen élaboré en raison d'une nécessité d'union économique paraît ainsi appauvrir la tradition française. Le droit civil, dans sa dimension la plus large, envisage la complexité et la diversité du citoyen, il n'est pas réduit à un simple produit économique. Mais n'est-ce pas cela l'évolution, à savoir s'adapter à la réalité sociale ?

D'autre part, les opposants à la thèse d'une union économique justifiant l'harmonisation du droit européen soutiennent également l'exemple des Etats-Unis. Il s'agit du marché intérieur le plus dynamique au monde, en l'absence d'un droit civil unifié. Certes, mais la législation civile aux Etats-Unis est diamétralement opposée à celle de l'Europe, et leur volonté du pluralisme de législation s'explique par leur tradition. En effet, dans un pays de common law, la codification n'est pas naturelle. De fait, l'harmonisation du droit européen doit se faire au regard des caractéristiques propres de l'Union européenne.

233. Limitée au seul droit des contrats (cf. infra §268 et suivants), l'argument économique se justifie puisqu'il s'agit d'envisager des matières telles que le droit des contrats, de la responsabilité, des sûretés mobilières et des quasi contrats. De plus, l'acquis communautaire en la matière est riche (commerce électronique, directives etc.). Recouvrir le droit des contrats au sens large est alors nécessaire. L'harmonisation du droit des contrats

291 Pour une vision détaillée voir B. Fauvarque-Cossson, « Faut-il un Code civil européen ? », RTD Civ. 2002, p. 463.

292 G. Cornu, « Un Code civil n'est pas un instrument communautaire », art préc.

Réformer le Code civil 91

garantirait le bon fonctionnement du commerce intra-européen mais également la bonne exécution des contrats. La réalisation d'un marché unique exige alors, inévitablement, l'harmonisation du droit par les instances européennes.

234. Cette harmonisation du droit européen peut cependant être considérée comme inachevée puisqu'il est difficile de justifier, d'un point de vue économique, son étendue à l'ensemble du droit civil européen. En effet, il peut sembler ardu de justifier l'harmonisation du droit de la famille avec l'argument économique. Pour autant, il existe un argument contre cette idée selon laquelle le droit du marché européen n'est pas intéressé par le droit de la famille, il s'agit de l'argument fondé sur la libre circulation des personnes. L'on peut citer comme exemple l'affaire Carlos Garcia Avello contre l'Etat belge293 relatif au nom, arrêt qui justifie un début du droit européen de la famille.

235. Malheureusement, cet inachèvement trouve également sa source dans un second argument, plus vigoureux encore. Une justification d'une l'harmonisation du droit civil européen par la création d'une culture juridique semble, de prime abord, peu convaincante.

B Ð La création d'une culture juridique commune

236. Au travers l'élaboration d'un Code civil européen, une harmonisation est nécessaire, mais cette harmonisation ne peut se faire sans la création d'une culture juridique commune et c'est là le coeur du débat. « Alors que l'adoption du Code civil des Français a couronné une unité nationale qui s'était progressivement forgée au fil de plus de dix siècles d'histoire et qui avait été préparée par un long et minutieux travail de rapprochement des coutumes entre elles et avec le droit écrit, ce qui avait permis une véritable synthèse, on nous propose d'unifier le droit civil entre des peuples dont même les plus ardents défenseurs de l'idée européenne reconnaissent qu'ils ne constituent pas pour l'heure une nation294 ». Le paradoxe est ainsi identifiable : sans une Europe juridique construite, en l'absence de cohérence de l'ordre civil européen, l'élaboration d'un Code civil européen serait vouée à l'échec.

237. En premier lieu, il convient d'envisager le terme « culture » au sens large, à savoir « l'ensemble des phénomènes matériels et idéologiques qui caractérisent un groupe

293 Cour de justice de l'Union européenne, C-148/02, Carlos Garcia Avello contre Etat belge, Recueil 2003 p I16613

294 Y. Lequette, « D'une célébration à l'autre (1904-2004) », in 1804-2004, Le Code civil : un passé un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 31 et s.

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ethnique ou une nation»295 . Relèvent alors de cette définition les structures religieuses, sociales, philosophiques. Le droit de chaque Etat membre résulte de sa culture nationale, mais envisager une culture juridique comme symbole de l'unité européenne ne revient pas à renier la culture juridique de chaque Etat membre. La Charte des droits fondamentaux appuie ce raisonnement : « l'Union respecte la diversité culturelle, linguistique et religieuse296 ». Harmoniser le droit civil européen ce serait, d'une part, rapprocher les législations nationales sans que ces dernières ne soient contraintes d'abandonner leur propre culture juridique et, d'autre part, créer une base commune au travers l'élaboration d'une culture juridique européenne.

238. La diversité culturelle de l'Europe est source de richesses, par ses traditions, ses langues, et ses droits. C'est là un des atouts de l'Europe. En effet, le droit constitue une des composantes fondamentales de la culture d'un Etat. Peut t'on alors respecter la culture juridique de chaque Etat membre tout en élaborant un droit civil européen créateur d'une culture commune ? Les détracteurs d'une harmonisation européenne font primer l'idée d'un impossible Code civil européen à travers cet argument culturel, notamment d'un point de vue linguistique. En effet, il n'y aurait pas, selon eux, de langue européenne, plus globalement de culture européenne297. L'argument culturel apparaît alors central dans ce débat, invoqué à tort afin de justifier l'impossible Code civil européen à travers la préservation du droit français, de notre culture juridique et de son inenvisageable rapprochement avec les traditions de common law.

239. Plus modérément, certains auteurs considèrent que cet argument culturel doit être adapté aux différentes matières concernées par l'harmonisation voire l'unification du droit civil européen298. Des droits tels que le droit de la famille seraient à forte charge culturelle voire émotionnelle à l'inverse du droit des contrats par exemple. Mais n'est-ce pas là l'intérêt de la création d'une culture juridique européenne ? Cette culture, symbole d'unité, serait la solution au vieillissement de notre matière contractuelle. La France a une codification à refaire et celle-ci, en passant par la codification européenne et justifiée par une culture juridique commune aux Etats membres, serait le remède adéquat.

295 La définition est empruntée au dictionnaire Larousse

296 Art. 22, Charte des droits fondamentaux.

297 Voir sur ce point les développements pessimistes et très critiques de G. Cornu, « Un Code civil n'est pas un instrument communautaire », D. 2002, art. préc.

298 B. Fauvarque-Cosson, « Faut-il un Code civil européen ? », art. préc.

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240. Il convient dès lors de se détacher du défaitisme ambiant et d'envisager l'harmonisation du droit civil européen comme facteur de paix, symbole d'une construction européenne qui conduirait à la création de traditions juridiques, de règles juridiques communes et qui à terme, contribuerait à la création d'une véritable culture juridique européenne. Bien sûr, il ne s'agit pas de tomber dans le piège évident d'une précipitation, qui conduirait inévitablement à l'échec d'une harmonisation, une culture juridique européenne ne s'invente pas, elle se créée, et il est évident que cette entreprise sera longue. Le pouvoir est aux mains de l'enseignement : il faut revoir la façon d'enseigner le droit civil et intégrer le droit comparé à la logique pédagogique. Aujourd'hui, les programmes universitaires d'échanges en Europe, tel Erasmus, sont de véritables vecteurs d'union entre les citoyens ressortissants de chaque Etat membre de l'Union européenne.

241. Lever l'obstacle de la naissance d'un droit commun européen c'est alors concilier les spécificités culturelles. Pour cela, l'Europe doit faire fructifier son remarquable patrimoine, s'ouvrir et profiter d'apports juridiques nouveaux. Chaque Etat membre devrait avoir pour volonté de s'enrichir des droits civils voisins, s'inspirer des forces de chaque législation pour parvenir à un meilleur droit, un droit civil européen. Il est une chance d'appartenir à un système juridique tel que l'Union européenne, les Etats membres doivent approfondir ces liens et tendre à une culture commune au travers d'une harmonisation de leurs droits, ce qui permettrait d'asseoir ce projet ambitieux qu'est l'élaboration d'un Code civil européen.

242. Dès lors, accepter un droit civil européen commun reviendrait-il, pour les Etats membres, à abandonner leur propre droit ? Dans le cadre d'une harmonisation et au regard des développements précédent, l'on peut répondre négativement à cette question : harmoniser c'est concilier. Cependant, dans le cadre d'une unification et non plus d'une harmonisation du droit civil européen, une réponse positive à cette même question doit être apportée. Pour cette raison et bien d'autres, l'unification de l'ensemble du droit civil européen souffre ainsi d'une difficile, voire impossible, mise en oeuvre.

Section 2 - L'unification du droit civil européen

243. L'unification du droit civil européen induit la réunification des politiques civiles des Etats membres de l'Union européenne. Cette unification est confrontée à de tels obstacles qu'elle rend utopique l'idée même d'un Code civil européen (1). Pour autant, s'avouer

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vaincu est inenvisageable, c'est pour cette raison qu'une unification progressive de l'ensemble du droit civil européen apparaît comme la solution réaliste (2).

§1 Ð L'utopique Code civil européen

244. L'utopie de l'idée selon laquelle il conviendrait d'élaborer rapidement un Code civil européen tient à deux éléments. D'une part, à l'absence de base juridique mise à disposition par l'Union européenne, il s'agit alors d'obstacles techniques (A). D'autre part, ces obstacles techniques s'allient à un obstacle de taille : la politique. En effet, une entreprise de codification est par nature, colorée politiquement (B).

A Ð Les modalités techniques d'une unification

245. L'idée selon laquelle la codification européenne ne se fera pas en quelques années n'est plus à démontrer : les enjeux sont tels qu'il convient d'élaborer un travail de qualité irréprochable, afin d'asseoir la légitimité d'un nouveau Code. C'est le propre de toute entreprise d'unification du droit que de constituer un réel progrès, une avancée. Actuellement, ce projet d'unification de l'ensemble du droit européen se heurte à plusieurs obstacles, le principal réside dans l'absence de base juridique susceptible de fonder un Code civil européen, Code civil européen qui reste alors une utopie.

246. La question qu'il convient inévitablement de se poser, lorsque l'on envisage l'unification du droit civil européen, est celle de la compétence des Etats membres. Les traités européens actuels sont muets sur l'existence d'une base juridique pour l'adoption d'un Code civil européen, pire, pour certains auteurs « il n'existe aucune nécessité d'en prévoir une299 ». Il existe des difficultés inhérentes à la base juridique du Code civil européen, les obstacles intrinsèques sont alors bien réels. Pour codifier, une assise juridique doit être déterminée300, assise juridique qui permettrait à l'entreprise de codification de revêtir une légitimité.

247. Pourtant, la problématique de la base juridique est très souvent ignorée. En effet, certains constatent l'existence d'un texte fondateur d'une codification, d'autres considèrent le débat stérile, pour les derniers « le moment, venu, la compétence sera aisément établie au

299 B. Fauvarque-Cossson, « Faut-il un Code civil européen ? », art. préc.

300 Sur cette question de la base juridique en droit communautaire, voir B. Peter, « La base juridique des actes en droit communautaire », R.M.C.U.E. 1994, page 324.

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profit de l'Europe301 ». En réalité, l'argument est évincé car il est complexe, c'est cette complexité qui rend utopique l'élaboration d'un Code civil européen. En effet, il faut composer avec le système communautaire qui est spécifique au regard de notre système normatif national.

248. Seule une compétence d'attribution est dévolue au législateur communautaire, en vertu des principes de subsidiarité302, de spécialité et de proportionnalité303. Il ne peut ainsi exercer ses fonctions que dans le cadre des dispositions prévues par les traités, et ces principes proscrivent une lecture extensive des textes européens invoqués au soutien de l'unification du droit civil européen. Pour simplifier, le champ d'action de la compétence communautaire ne cesse de diminuer. Sur quel fondement textuel doit-on alors asseoir l'intervention communautaire ?

249. Les textes, les fondements, suggérés pour appuyer l'intervention des institutions européennes pour l'élaboration d'une unification des législations sont principalement les articles 94 et 95 du traité des communautés européennes (TCE). Ces textes constituent pour certains les « pivots de la réalisation du marché intérieur304 », mais une unification du droit civil européen ne doit pas trouver son fondement dans un seul argument économique. La base juridique proposée est alors fragile. En effet il s'agit de textes incitant à un rapprochement des législations, définition d'une harmonisation et non d'une unification. L'article 94 CE ne permettrait donc qu'une harmonisation. Il convient dès lors de l'écarter au profit de l'article 95 qui pourrait conduire à une véritable unification.

250. Cet article 95 octroie au Conseil la possibilité d'arrêter, à la majorité qualifiée, « les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur ». Une fois de plus, l'argument est fragile : cet article revêt un caractère subsidiaire par rapport à l'article 94 (« par dérogation à l'article 94 CE et sauf si le présent traité n'en dispose autrement, les dispositions suivantes s'appliquent pour la réalisation des objectifs énoncés à l'article 14 »). Cet article ne peut, de toute évidence, justifier

301 B. Fauvarque-Cossson, « Faut-il un Code civil européen ? », art. préc.

302 Art. 5, al 2, TCE « la Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le traité ».

303 Art. 5, al 3, TCE « l'action de la Communauté n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent Traité ».

304 P. Malinvaud, « Réponse hors délai à la Commission européenne : à propos d'un code européen des contrats », D. 2002, chronique, p. 2544.

305 Pour un détail des arguments voir S. Nadeau, Codifier le droit civil européen, ouvr. préc.

306 G. Cornu, « Un Code civil n'est pas un instrument communautaire », art. préc., page 351.

307 R. Cabrillac, « L'avenir du Code civil », J.CP G. 2004, I, n°121, p. 549.

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l'intervention communautaire sur l'ensemble du droit civil européen, ce n'est ainsi pas la base juridique appropriée. S'agissant du fondement textuel sur lequel il convient de s'appuyer, pléthore de possibilités sont envisagées par la doctrine et les institutions européennes305. L'on peut citer par exemple les articles 65 et 308 CE, également les articles 11, 11A du traité CE s'agissant d'un recours à une coopération renforcée ou enfin les articles 17 et 18 CE à propos d'une réelle citoyenneté européenne. Ce grand nombre d'arguments textuels avancés constituent la preuve de la fragilité voire de l'absence de base juridique d'une codification civile européenne. La solution consiste alors dans la révision des traités européens, révision qui aurait pour objectif d'étendre les pouvoirs de la Communauté.

251. Cependant, cette absence de socle juridique, de base juridique pour asseoir la légitimité d'une unification du droit civil européen constitue t'elle le véritable obstacle ? Au premier abord, la réponse semble être positive, notamment au regard des développements précédents. En réalité, le véritable obstacle à l'unification trouve sa source dans le défaut de volonté politique commune.

B - L'obstacle au Code civil européen : l'absence d'une volonté politique commune

252. L'obstacle majeur au Code civil européen résiderait dans l'existence même du Code civil français, plus précisément dans le symbole de ce dernier. De fait, pour certains auteurs il n'est pas question d'envisager un Code civil européen car cela touche à la souveraineté du droit français. En tant que « monument306 » le Code civil serait alors intouchable et de par sa valeur symbolique, l'on ne pourrait l'abroger au profit d'une unification du droit civil européen matérialisée dans un Code.

253. Il apparaît évident qu'une codification accompagne l'unification et non l'inverse : la création d'une véritable nation européenne doit intervenir avant même l'élaboration d'un Code civil européen307. Cela se vérifie avec l'exemple français : le Code civil de 1804 est venu achever le processus d'homogénéisation entamé depuis le Moyen Age. Sur la codification, il apparaît également que la coexistence des Codes des Etats membres avec le

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Code civil européen ne sera pas sans poser problème. Si l'on se place du point de vue du Code civil français, une « ineffectivité308 » de ce dernier est à craindre.

254. La dimension symbolique du Code civil n'est pas à elle seule, l'obstacle à la construction d'un Code civil européen, elle va de pair avec la dimension politique. L'unification du droit civil européen constitue-t-elle une étape de la construction européenne ? Si oui, quelle est la volonté des Etats membres ? Plus spécifiquement, existe-t-il une volonté politique des Etats membres de l'Union européenne à l'élaboration d'un Code civil européen ? En effet, derrière cette question d'unification du droit civil européen se cache implicitement la destinée même de l'Union européenne, de l'Europe. L'unification du droit de cette dernière, au travers l'élaboration du Code civil européen serait ainsi pour la France, un moyen de restaurer sa vigueur sur la scène juridique internationale, du moins sur la scène juridique européenne.

255. Le constat est sans appel : codifier, c'est faire de la politique309. Au sens du droit de l'Union européenne, l'on voit mal comment un Code civil européen pourrait être le symbole d'un pouvoir normateur autonome, en raison de la construction intrinsèque de l'Union : la réunion d'Etats membres. Politiquement, l'Union européenne est ainsi « un objet politique non identifié310 », mais cette nature pourrait constituer sa force.

256. La question qu'il convient de se poser est alors la suivante : qui soutient le projet du Code civil européen ? La réponse est unanime : ceux favorables à une Europe fédérale c'est-à-dire une « Europe construite sur le modèle fédéral allemand qui suppose la dissolution des Etats nations et leur éclatement en un certain nombre de régions311 ». Cependant, de cette définition l'on comprend que le fédéralisme n'impose pas l'unification du droit civil, au contraire, ce modèle laisse à chaque état le sort de leur propres règles de droit civil. Les opposants au Code civil européen prônent à l'inverse une fédération d'Etats-nations, Etats-nations dans lesquels chacun des peuples constituant l'Europe conserverait sa législation civile donc son identité312. Dans ce contexte, il apparaît clair que n'est pas neutre, politiquement, un projet d'un Code civil européen. La véritable dimension de l'unification de

308 R. Cabrillac, ibidem.

309 Pour J.-F. Niort, codifier est un acte éminemment politique, in « Le Code civil dans la mêlée politique et sociale - Regards sur deux siècles de lecture d'un symbole national », RTD Civ., 2005, p. 259.

310 S. Nadaud, ouvr. préc., p. 230.

311 Y. Lequette, « D'une célébration à l'autre (1904-2004) », in 1804-2004, Le Code civil : un passé un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 32. Sur cette question voir également Y. Lequette, « Vers un Code civil européen ? », Pouvoirs n°107, Le Code civil, p. 116.

312 G. Cornu, « Un Code civil n'est pas un instrument communautaire », art. préc.

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droit civil européen s'explique ainsi : « derrière l'entreprise d'unification et de rationalisation du droit que constitue une codification peut se dissimuler une « tentative d'hégémonie »313 ». Malheureusement, l'Union européenne est dépourvue de base juridique pour l'unification de son droit civil, son emprise ne peut ainsi pas passer par l'imposition d'un Code civil européen aux Etats membres. Ce serait faire une « politique du fait accompli314 ».

257. L'absence de volonté politique pour l'élaboration d'un Code civil européen doit être combiné avec l'absence de nécessité politique. Le propos est grave, la voie de l'instrument communautaire est fermée pour l'élaboration d'un Code civil européen c'est-à-dire pour l'unification de ce droit.

258. Au-delà de la vigueur des justifications invoquées, l'absence de base juridique et de volonté politique commune pourrait conduire à exclure l'idée même d'une unification du droit civil européen. Cependant, l'on ne peut ignorer l'internationalisation mais surtout l'européanisation du droit, qui rend nécessaire une unification du droit européen. Il est légitime alors de rechercher, avec un regard objectif, la meilleure méthode à suivre pour conduire, à terme, à l'élaboration d'une unification réussie, matérialisée dans un Code.

§2 - L'ambition réaliste d'une unification progressive

259. Les obstacles politiques et juridiques à l'élaboration d'un Code civil européen sont tels que l'idée d'une unification du droit privé européen semble vouer à l'échec. Malgré le pessimiste ambiant, il convient d'envisager la véritable solution à la perte de rayonnement et au vieillissement de notre Code civil français. Cette solution consiste en une unification progressive de l'ensemble du droit civil européen (A). Malgré la vigueur des arguments en faveur de cette solution, doit être envisagée une solution médiane, plus réaliste, à savoir l'unification du droit européen des contrats (B).

A - L'unification progressive de l'ensemble du droit civil européen

260. Un droit civil européen unifié est justifié juridiquement dans la mesure où l'unification est porteuse de nombreuses qualités substantielles. Ces arguments en faveur d'une unification doivent être étudiés, étude qui constitue la preuve que l'unification est la solution. En premier lieu, l'unification est, sans conteste, source de cohérence. En effet, à

313 R. Cabrillac, Les Codifications, ouvr. préc., p. 138.

314 Y. Lequette, art. préc., Pouvoirs, 2007, p. 121.

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l'inverse de l'harmonisation, qui n'a pas de vision globale du droit civil européen, l'unification serait source de modernisation. L'unification est donc vecteur de modernité, mais surtout de sécurité juridique : l'unification des règles de droit permet de faire l'économie des règles de conflits de lois autrement dit de l'application du droit international privé. Enfin et surtout, l'unification est, comme son nom l'indique, source d'unité. Ces arguments n'emportent pas acceptation chez de nombreux auteurs, qui remettent chacune de ces idées en question315. Pourtant, l'unification du droit civil européen constitue une des seules voies possibles à l'élaboration d'un Code civil européen, autrement dit la codification postule de l'unification et non de l'harmonisation.

261. Il est nécessaire voire obligatoire d'inventer une dynamique propre à la codification européenne, c'est-à-dire de créer une manière originale de codifier le droit civil européen. Avant d'envisager ce qu'il faut faire, il convient d'éliminer ce qu'il ne faut pas faire, à savoir une codification nationale du droit civil européen. La raison est simple : si l'on veut créer un ordre juridique européen, du moins en matière civile, il ne faut pas incorporer le droit européen aux droits nationaux puisque cela serait synonyme de nombreuses dissemblances. De plus, si cette codification avait lieu, elle le serait sur le mode d'une codification à droit constant, méthode de codification dont nous avons rappelé à maintes reprises son inefficacité. En éliminant cette codification, la voie de la réforme est ouverte : la codification à l'échelle de l'Union européenne s'impose. Mais par quel biais ?

262. On a pu parler d'une codification « transfigurée » 316 c'est-à-dire d'une codification qui serait transformée tout en étant améliorée. L'Union européenne souffre d'un besoin codificateur, codification qui serait la source d'un droit civil européen cohérent. Cependant, il faut réformer et non retranscrire. Autrement dit, seule une réforme du droit civil européen conduirait à une rationalisation317 de celui-ci. Il faut, en effet, combler les lacunes et les incohérences. Surtout, un droit civil européen matérialisé dans un code serait symbole d'une sécurité juridique et d'une accessibilité au droit. Plus encore, un Code civil européen rapprocherait les citoyens pour qui un code serait synonyme d'un droit civil européen

315 Voir sur ce point B. Fauvarque cosson, art. préc.

316 S. Nadeau, ouvr. préc., p. 279.

317 Sur cette idée de « rationalisation » du droit, voir C.-A. Morand, « Elément de légistique formelle et matérielle », in Légistique formelle et matérielle, PUAM, 1999, p. 25 et s.

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démocratique318. L'Union européenne doit donc entreprendre une nouvelle codification, adaptée à ses besoins. Elle dispose de nombreuses possibilités.

263. La codification est donc la solution, mais que codifier ? Cette question est celle de l'étendue de l'unification. La voie à privilégier est celle de l'unification progressive du droit civil européen. Le terme unification est préférée à celui d'harmonisation car harmoniser c'est équilibrer, concilier, coordonner, autrement dit laisser une grande marge de manoeuvre aux Etats membres. Or, là n'est pas la perspective d'un Code civil européen, il faut donc unifier et non harmoniser.

264. Unifier certes, mais progressivement. Il est nécessaire d'unifier l'ensemble des matières du droit civil européen, mais cela ne peut se faire rapidement. C'est pour cette raison que le droit patrimonial, le droit des contrats ainsi que l'ensemble des matières civiles doivent être englobés dans l'entreprise d'unification. Cependant, celle-ci doit être mise en place en priorité dans les matières qui le nécessitent, par exemple en droit des contrats et droit des sûretés : l'unification doit être menée en priorité « dans les domaines où la pratique exerce déjà une puissante fonction unificatrice (É) et où l'impact culturel n'est pas trop fort »319.

265. Cette unification devra alors être instrumentalisée par le biais d'un code, code qui devrait revêtir un haut niveau de précision mais surtout une réelle force obligatoire. D'une part, cela passe alors par de grands principes généraux, principes qui nécessiteront une interprétation de la part de la Cour de justice de l'Union européenne, compétente lorsque ces principes et leur interprétation conduira à des résultats différents en fonction de chaque juridiction nationale. D'autre part, la force obligatoire de ce code devra être effective, tant à l'égard des parties que des Etats membres. Deux obstacles seront à soulever : l'ignorance et la méfiance. L'ignorance devra être résolue par une large diffusion du Code civil européen. La méfiance, engendrée par la création d'un droit anational, original, dont on ne connaît ni la portée ni l'interprétation, sera plus difficile à combattre. La seule solution, et non des moindres, c'est le temps d'adaptation.

318 Le code « rapproche l'homme de son droit », P. Malaurie et P. Morvan, Introduction générale au droit, Défrénois, 2004, n°118 et 123.

319 B. Fauvarque-Cosson, art. préc.

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266. D'autres solutions ou modalités sont envisagées par la doctrine320, mais elles ne convainquent pas puisqu'édictées au regard d'une justification économique et non d'une vision globale du droit civil européen. Il est nécessaire d'envisager l'unification européenne au moyen d'un code avec force obligatoire, code qui s'intégrerait dans l'ordre juridique de chaque législation nationale. Ce code doit donc être rédigé, dans ce contexte il ne peut l'être aisément. Pour cette raison, certains préconisent la création d'un institut européen321, institut qui serait évidemment indépendant et composé d'une multitude de représentants, praticiens, juges, avocats, professeurs etc. Un tel projet, qu'est celui du Code civil européen, ne doit pas être mené dans la précipitation.

267. L'avenir de l'Union européenne est incertain et ne repose pas sur de solides bases. De ce constat, il convient de se réjouir de l'oeuvre de codification déjà entreprise322. Cette codification européenne existe aujourd'hui, sous la forme de projets avancés, à savoir un Code européen des contrats.

B - L'unification du droit européen des contrats comme solution médiane

268. Il n'est plus à démontrer qu'une unification du droit européen est nécessaire, mais cette entreprise comporte de nombreux obstacles, difficiles à surmonter. Pour autant, notre Code civil ne rayonne plus sur la scène internationale, il convient alors d'envisager une solution médiane à l'unification du droit européen, à savoir l'unification du droit européen des contrats.

269. L'idée d'un Code européen des contrats fait face à tous les obstacles rencontrés : il est justifié économiquement, et la création d'une culture juridique commune n'est pas nécessaire. Cette idée est celle de la Commission européenne qui, au travers de communications, a souhaité mettre en place une unification du droit européen des contrats323. Ces communications donnent un nouvel élan au projet. Dans sa première communication, en

320 Voir notamment J. Huet, « Nous faut-il un « euro » droit civil ? », D, 2002, p. 2611. Sur ces modalités envisageables, elles sont selon lui au nombre de quatre et applicables au regard d'une unification du droit civil européen des contrats : « offrir aux agents économiques un modèle de droit des contrats et des suretés, reconnu au niveau européen ; (É) que les règles uniformes adoptées soient proposées comme modèle aux législateurs nationaux ; (É) prévoir des règles uniformes s'incorporant aux droits nationaux, mais applicables uniquement aux opérations trans-européennes ; (É) réaliser une uniformisation des droits internes des Etats membres, dans les matières considérées, afin d'éviter à une entreprise d'avoir affaire à deux sortes de droits. ».

321 B. Fauvarque-Cosson, art. préc.

322 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du bicentenaire, ouvr. préc., p. 119.

323 En juillet 2001, la Commission a lancé une consultation publique sur l'opportunité de mettre en place un droit européen des contrats, Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant le droit européen des contrats, JOCE, 13 septembre 2001, C 255/1.

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juillet 2001, la Commission européenne réfléchit aux options concevables mais surtout aux dysfonctionnements du marché intérieur dus à l'inexistence de règles communes aux contrats.

270. Une fois encore, une unification et non une harmonisation est envisagée, la seconde solution étant gage de « désharmonisation »324. Le droit des obligations des Etats membres a été affecté, à plusieurs reprises, de politiques sectorielles d'harmonisation, qui ont montré leurs limites et leurs effets néfastes325. Les effets d'une harmonisation sont donc limités, il s'agit de changements en surfaces et non d'une véritable évolution. Une unification du droit européen des obligations est alors vitale, encore plus lorsque l'on précise que ce droit des contrats est, en Europe, un droit fondamentalement éclaté, entre une dizaine de systèmes. Cette diversité est, pour certains domaines, source de richesse. En matière de droit des contrats, ce n'est pas le cas, il n'est pas envisageable que des éléments centraux tels que la formation du contrat, les clauses, la bonne foi, les effets du contrat soient régis par les droits nationaux à l'heure d'une Europe du marché et des consommateurs.

271. L'idée même d'un Code européen des contrats suscite, en grande partie, les mêmes critiques que celle d'un Code civil européen. Une des principales critiques demeure l'argument culturel, mais également la nature même des droits nationaux. En effet, la conciliation entre Common Law et Civil Law peut sembler impossible. Cependant, le conflit se cristallise sur l'idée même d'une unification : pourquoi unifier, gommer les différences ? Pour les tenants de cette thèse, il conviendrait d'accepter, de se réjouir de la diversité et d'agir en vue de mieux la gérer326. Enfin, l'argument économique est tout de même invoqué, bien que nous doutions ici de sa légitimité, tant il paraît logique qu'un droit unique conduirait pour le moins, à réduire les coûts de transaction.

272. Les arguments en faveur d'un Code européen des contrats semblent alors plus convaincants, d'abord parce qu'avant même de constituer des arguments, il s'agit d'un simple constat : les échanges en Europe sont entravés par la diversité des droits nationaux. L'aboutissement à un véritable marché unique en Europe ne peut se faire sans droit unifié, un Code européen des contrats est alors la solution. Il n'est pas superflu de rappeler que cette unification du droit européen, même limité au droit des obligations, nécessitera du temps, mais n'est pas utopique. Un code commun des contrats, applicable à tous les pays de l'Union

324 C. Witz, Plaidoyer pour une code européen des obligations, D. 2000, p. 79.

325 Par exemple, la directive européenne sur la responsabilité du fait des produits défectueux, qui nuit à la lisibilité du droit français.

326 A.-J. Arnaud, Pour une pensée juridique européenne, PUF, 1991, spéc. p. 241 s.

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européenne, constituerait un outil de qualité pour confectionner un contrat, les diversités culturelles et linguistiques ne peuvent ainsi être invoquées, il s'agit ici d'un « faux-débat », de « faux-arguments » dans le seul but d'objecter à une unification.

273. Une fois la nécessité d'un Code européen des contrats démontrée, il convient de déterminer son contenu, sa forme, son application. Ce possible code devrait-il être l'unique contenu de règles applicables au contrat ou devrait-il coexister avec les codes nationaux ? Si l'on envisage la cohabitation de deux types de règles, des complications évidentes apparaitraient, et cette idée n'est pas compatible avec l'idée d'une véritable unification. Il faut alors, et le constat est rude, mettre à l'écart les droits nationaux. Cette mise à l'écart serait en effet la seule à garantir l'effectivité d'un Code européen des contrats. Enfin, le terme « contrat » est à étudier. En effet, il n'est pas synonyme « d'obligations ». Si l'on unifie les règles contractuelles, une unification des règles en matière de responsabilité délictuelle est également nécessaire. S'agissant des contrats spéciaux, l'unification semble inévitable. Il convient ainsi d'envisager un Code européen des obligations et non d'un Code européen des contrats. Certes l'ambition est plus grande, mais l'effectivité de la réforme en dépend.

274. Cette réflexion sur le droit civil européen des obligations doit également être l'occasion de s'interroge sur notre droit des obligations en droit interne327. En France, cette matière est quasi inerte et ne reflète plus l'état de notre droit positif. Pour autant, aujourd'hui le progrès est immense au plan interne au regard de l'avant-projet de réforme du droit des contrats. La question à poser est la suivante : est-ce une étape vers un Code européen des obligations328 ? L'espoir est permis.

275. La véritable solution médiane est ainsi la suivante : un Code européen des obligations, obligatoire pour les parties et les Etats membres, se substituant aux droits nationaux et couvrant tant les relations intracommunautaires que les relations internes329. La tache semble ardue, presque insurmontable. Mais l'unification du droit européen des obligations est nécessaire. Cette unification va de pair avec une volonté politique forte, une adhésion des gouvernements et des citoyens. Il est limpide que l'unité juridique en Europe se fera, du moins en ce qui concerne la matière contractuelle, cependant elle ne pourra se réaliser

327 J. Huet, art. préc., p. 2611.

328 C. Witz, art. préc., p. 79.

329 Voir sur ce point B. Fauvarque-Cosson, art. préc., note 41.

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qu'avec du temps, beaucoup de temps et avec comme base une culture juridique européenne. Cette dernière reste aujourd'hui à construire.

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CONCLUSION GENERALE

276. De cette étude qui consiste à confronter le monument historique qu'est le Code civil, à la nécessité de le réformer, que faut-il retenir ? Des éléments de réponse ont pu démontrer plusieurs aspects que revêt aujourd'hui le Code civil. Cette position inconfortable dans laquelle il se trouve a alors conduit à envisager la façon de le réformer. Contrairement à d'autres330, nous pensons que le Code civil ne correspond plus à ce que l'on attend d'un Code aujourd'hui.

277. A la question « Pourquoi réformer le Code civil », la principale réponse ne pouvait être que la suivante : afin de remédier à ces défauts, de combler ses lacunes. Toute entreprise de codification a pour but premier de simplifier la loi et de la rendre accessible à tous. Or, le code civil est devenu si complexe, en raison d'une inflation législative, d'un immobilisme, qu'il ne revêt plus aujourd'hui une nature de code, mais de recueils de lois civiles. Un recueil de lois civiles complexe, qui n'a pas su être simplifié puisque la réforme d'ensemble n'est pas l'axe d'action principal du législateur français. Complexe, mais aussi vieillissante, l'oeuvre n'est plus aujourd'hui qu'un lieu de mémoire. Son idéologie, son langage, sa forme et son fond sont aujourd'hui dépassés au regard de la réalité sociale. Le juge civil, normalement bouche de la loi, est alors devenu en l'espace de deux siècles, maitre du Code civil. Sans réforme, cette complexité et cette obsolescence perdureront, à l'heure ou apparaît vitale une simplification et modernisation de notre droit civil.

278. Remédier aux défauts certes, mais également l'adapter à l'Europe : un tel argument constitue l'enjeu majeur d'une réforme. Cette réforme est rendue nécessaire en raison de la domination des sources internationales sur les sources internes. La prolifération et surtout la dispersion de ces sources rendent nécessaire une réforme du Code civil. A l'heure de la montée en puissance des droits de l'homme, l'existence même du Code est remise en cause. En effet, les droits de l'homme, droits fondamentaux par excellence, le sont plus encore que ceux de l'ordre civil dont le Code en est l'expression. Notre Code civil actuel n'a plus sa place dans un monde ou l'affirmation de tels droits subjectifs permet la régulation sociale. Il n'a plus sa place non en raison de l'émergence d'un véritable ordre communautaire, d'une Europe du commerce dont la législation rend le Code civil inadapté. Un « Code civil

330 L. Vogel, art. préc., in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 170.

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des français » puisqu'il s'agit de cela aujourd'hui, n'a plus sa place à l'heure de la construction européenne.

279. Ainsi, la réforme du Code civil n'a pu être envisagée qu'à travers deux voies. D'une part, une recodification civile conduite au plan national. Celle-ci, afin de prospérer, devra recouvrir des qualités techniques exceptionnelles, résulter d'une forte volonté politique et d'un consensus démocratique. Malgré cela, la question de la « forme de la réforme » n'est pas à négliger. Qu'elle soit partielle ou globale, la recodification civile au plan national devra nécessairement prend la forme d'une innovation. En effet, recodifier à droit constant serait un mal supplémentaire pour le droit civil français, déjà affaibli.

D'autre part, la réforme du Code civil a pu et doit être envisagée au regard d'une codification européenne. Cela suppose bien sûr une révision des valeurs qui animent l'ordre européen. Les difficultés de recodification interne et d'incohérence que cela pourrait engendrer sont telles que l'élaboration d'un Code civil européen constitue le remède à tous les maux : un droit unique qui supprimerait toutes les entraves. Le développement d'une identité juridique européenne est nécessaire et pourrait conduire à unifier le droit civil européen. Cependant, là encore, les obstacles sont nombreux.

280. Le coeur même du débat, au delà de s'interroger sur « pourquoi et comment » faut-il réformer le Code civil, a alors relevé du non-dit. Le terme de « réforme » fait peur car le Code civil est « symbole d'unité », du moins sa représentation. En effet, derrière la question du maintien, ou de l'abandon du Code civil, c'est la destinée de la France, plus encore, de l'Europe qui est posée331. « Masse de granit » jetée par le Napoléon Bonaparte sur le sol de la France pour conforter la nation332, le Code civil en tant qu'objet constitue alors un obstacle de taille à la réforme, un obstacle de poids face à la nécessité d'une unification européenne.

281. Beaucoup, à travers le débat de la réforme du Code civil, qu'elle soit nationale ou européenne, sentent que c'est le coeur même du système juridique français qui est en cause. Cependant, que la réforme prenne la forme d'une réforme nationale ou qu'elle soit édifiée au niveau européen, l'action est entre les mains des politiques. Tout au long de cette étude, notre volonté a été de démontrer la nécessité de la réforme, sans nier les obstacles. Malgré cela, le pessimisme règne en maître à l'heure où réformer demande une union politique incontestée et

331 Y. Lequette, art. préc., 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 31.

332 J.-L. Halpérin, L'impossible Code civil, PUF, 1992, p. 265.

Réformer le Code civil 107

touche au défaut majeur de la France, son conservatisme. L'ambition de notre étude était pourtant de s'y refuser.

Réformer le Code civil 108

BIBLIOGRAPHIE

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II - THESES

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III - ARTICLES ETUDES ET CHRONIQUES

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Réformer le Code civil 110

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IV Ð JURISPRUDENCE

A Ð Cour de cassation

Ch. Req, 15 juin 1892, D. 1892, p. 596

Civ., 7 juin 1901, S. 1902. 1. 513, note Wahl

Ch. Mixte, 24 mai 1975, D. 1975. 497, concl. Touffait, G.A. n°2, p.15, obs. F. Terré et Y.

Lequette

Civ. 2e, 19 novembre 1986, Bull. 1986 II N° 172 p. 116.

Ass. Plén., 11 déc. 1992, JCP 1993. II. 21991, concl. Jéol, note Mémeteau

B Ð Cour européenne des droits de l'homme

CEDH, 26 avril 1976, Sunday Times c/ Royaume-Uni, série A, n° 30, Rec. p. 31, § 49 C.E.D.H. 30 janvier 1998, Parti communiste unifié de Turquie c. Turquie, Rec. 1998-1/1 C.E.D.H. 28 octobre 1999, Zielinski, Pradal, Gonzales et autres c. France

C.E.D.H. 1er février 2000, Mazurek c. France, Recueil des arrêts et décisions 2000-II/ 1 ; JCP 2000. II. 10286, note Gouttenoire-Cornut et Sudre ; RTD Civ. 2000. 311, obs. Hauser ; RTD Civ. 2000. 429, obs. Marguénaud ; RTD Civ. 2000. 601, obs. Patarin

C.E.D.H. 19 septembre 2000, Gnahoré c. France, Recueil des arrêtés et décisions 2000-IX/ 407 ; D. 2001. 725, note Rolin

C.E.D.H. 13 février, 2003, Odièvre c. France, RTD Civ. 2003. 375, obs. Marguénaud

C Ð Autres juridictions

C.J.C.E. 25 avril 2002, D. 2002. 2462, note Ch. Larroumet

C.J.C.E. C-148/02 Carlos Garcia Avello contre Etat belge Recueil 2003 p I-16613

V - AUTRES REFERENCES

Guide de légistique, 2007, Légifrance. Dictionnaire Larousse.

Réformer le Code civil 113

INDEX ALPHABETIQUE

(les numéros renvoient aux paragraphes ; ceux en gras à une série de paragraphes)

A

Avant-projet : 19, 89, 168, 274

B

Base juridique : 244, 256 BGB : 166

C

Capitalisme : 55, 60

Chartes des droits fondamentaux : 112, 237

Citoyenneté : 250

Codification : 2, 40, 55, 87, 96, 135, 140, 150, 161, 178, 186, 207, 215, 224, 232, 239, 244,

253, 261, 277

Common Law : 69, 232, 238, 271

Compétences : 127, 144, 230, 246

Constitution

- Civile : 6, 11, 24, 34, 67, 74, 146, 180, 203, 214.

- Politique : 13, 24, 62

Contenant : 16, 32, 67, 98, 193, 201

Convention européenne des droits de l'homme : 94, 97, 100, 115

Corpus : 28, 60, 139, 211

Cour de justice de l'Union européenne : 96, 130, 226, 265

Coûts : 271

Culture : 14, 17, 154, 164, 229, 235, 269

D

Décodification : 36, 40, 140, 188, 199, 202

Démocratie : 66, 170, 194, 213, 262, 279

Directives : 125, 136, 233

Diversité : 12, 133, 232, 270

Droit

- Droit civil : 22, 28, 34, 44, 63, 83, 88, 121, 132, 166, 181, 192, 202, 208, 216, 234,

243, 252

- Droit de la consommation : 137, 188

- Droit de la propriété intellectuelle : 39

- Droit de la responsabilité civile : 19, 39, 75, 81, 88, 127, 233, 273

- Droit des biens : 19, 39, 55, 70, 88

- Droit des contrats : 55, 82, 89, 141, 168, 182, 201, 225, 264, 270

- Droit des contrats spéciaux : 39, 273

- Droit des obligations : 19, 39, 55, 126, 168, 270

- Droit des personnes et de la famille : 38, 65, 126, 142, 211, 234

Réformer le Code civil 114

- Droit des suretés : 3, 19, 233, 264

Droit constant : 140, 186, 261, 279

Droit international privé : 227, 260

Droit transitoire : 159

Droits de l'homme : 93, 100, 108, 115, 120, 278

Droits spéciaux : 33, 138, 160, 188, 204

E

Economie : 66, 70, 79, 86, 122, 142, 157, 182, 211, 229, 249, 260 Européanisation : 66, 92, 123, 132, 140, 150, 189, 215

F

Fondamentalisation : 103, 113, 123, 147

H

Harmonisation : 126, 216, 229, 259, 270 Hiérarchie des normes : 113, 143,

I

Individualisme : 65

Inflation législative : 43, 277

Innovation : 4, 50, 61, 90, 186, 192, 206, 279 Internationalisation : 140, 258

L

Langues : 238

M

Mayotte : 160

Mondialisation : 66, 132

Modernisation : 5, 20, 77, 87, 261, 277

O

Ordonnance : 9, 56, 89, 138, 159, 180 Ordre public : 63

P

Parlement européen : 224, 255 Principes Unidroit : 145

Réformer le Code civil 115

Proportionnalité : 112, 248

R

Recodification : 4, 90, 136, 147, 150, 179, 191, 202, 279 Recueils : 2, 4, 9, 28, 34, 44, 75, 92, 202, 277 Règlements : 9, 55, 63, 84, 118, 125, 159

Réhabilitation : 5, 214

Révision : 5, 18, 55, 150, 156, 179, 194, 201, 250, 279

S

Simplification : 20, 172, 190, 209, 248, 277

Sécurité juridique : 27, 42, 117, 157, 172, 182, 197, 205, 260

Socialisme : 55, 60

Souveraineté : 10, 84, 123, 169, 173, 252

Subsidiarité : 248

T

Titre préliminaire : 8, 12, 116

Tradition juridique : 14, 125, 167, 186, 232 Transactions : 231

U

Unification : 239, 242, 251, 268, 260 Uniformisation : 144

V

Volonté politique : 8, 170, 177, 183, 201, 213, 251, 275

Réformer le Code civil 116

TABLE DES MATIERES DETAILLEE

Liste des abréviations 3

INTRODUCTION 5

§1 - Sens de l'étude : le Code civil, une oeuvre historique 8

§2 - Objet de l'étude : le Code civil, une oeuvre dépassée 10

§3 - Finalité de l'étude : le Code civil, une oeuvre à réformer 12

Première partie : Pourquoi réformer le Code civil ? 15

CHAPITRE 1 - REMEDIER AUX DEFAUTS 16

Section 1 - La complexité 16

§1 - L'absence d'unité du Code civil 16

A - Un recueil de droit civil plus qu'une oeuvre cohérente 16

B - L'éclatement du droit civil hors du droit civil 19

§2 - L'absence de sécurité juridique conférée par le Code 22

A - Une inflation législative source d'instabilité 22

B - Un immobilisme source de complexité 25

Section 2 - Le vieillissement 27

§1 - La constatation d'une désuétude 27

A - Une oeuvre de compromis entre capitalisme et socialisme 28

B - Une oeuvre désuète par ses notions et sa forme 30

§2 - L'intégration des créations prétoriennes : remède ou danger ? 33

A - Un droit civil aux mains du juge : une jurisprudence normative 33

B - Les solutions au vieillissement : la modernisation 36

CHAPITRE 2 - ADAPTER À L'EUROPE 39

Section 1 - A l'Europe des droits de l'Homme 39

§1 - L'avenir du droit civil : les droits de l'Homme 39

A - Une frontière étanche entre droits civils et droits fondamentaux 40

B - Une incompatibilité en pratique : la subjectivisation du droit positif 42

§2 - La perte de légitimité du Code civil du fait de la prédominance du

juge européen 45

A - Une subordination du Code civil à la jurisprudence de la Cour

européenne 45

B - L'interprétation du Code civil aux mains du juge européen 47

Réformer le Code civil 117

Section 2 - A l'Europe du commerce 51

§1 - Un Code civil désharmonisé par son Européanisation 51

A - La législation européenne cause de modification du Code civil 51

B - L'harmonisation européenne cause de l'atteinte à la souveraineté du

Code civil 54

§2 - Les solutions à la désharmonisation du droit civil français 56

A - Le Code civil entre intérêt et indifférence pour le droit européen 57

B - L'avenir du Code civil face à l'internationalisation du droit 59

Deuxième partie : Comment réformer le Code civil ? 62

CHAPITRE 1 - LES TECHNIQUES CLASSIQUES DE REFORME 63

Section 1 - La science de la réforme 63

§1 - La réforme du Code civil : une question de légistique 63

A - Les détails techniques d'une codification réussie 64

B - Une codification réussie au moyen d'une acculturation 67

§2 - La réforme du Code civil : une question politique 69

A - Nécessité d'une loi démocratique 70

B - Nécessité d'une volonté politique 72

Section 2 - La forme de la réforme 75

§1 - Interrogation sur le maintien d'une codification 75

A - Inefficacité d'une codification à droit constant 75

B - Nécessité d'une codification-innovation 77

§2 - Les difficultés techniques d'une réforme du Code civil 79

A - Une réforme partielle gage de décodification 79

B - Une réforme globale gage de réussite 81

CHAPITRE 2 - LES TECHNIQUES MODERNES DE REFORME 85

Section 1 - L'harmonisation du droit civil européen 86

§1 - Une harmonisation amorcée 86

A - Le Code civil européen : une oeuvre doctrinale 86

B - Le Code civil européen : une oeuvre institutionnelle 87

§2 - Une harmonisation inachevée 89

A - La création d'une union économique 89

B - La création d'une culture juridique commune 91

Réformer le Code civil 118

Section 2 - L'unification du droit civil européen 93

§1 - L'utopique Code civil européen 94

A - Les modalités techniques d'une unification 94

B - L'obstacle au Code civil européen : l'absence d'une volonté

politique commune 96

§2 - L'ambition réaliste d'une unification progressive 98

A - L'unification progressive de l'ensemble du droit civil européen 98

B - L'unification du droit européen des contrats comme

solution médiane 101

CONCLUSION GENERALE 105

BIBLIOGRAPHIE 107

Index alphabétique 112






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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery