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La mémoire de l'esclavage en France, un processus douloureux de mis en forme


par Louis Skipwith
École Nationale Supérieure d'Architecture de Bretagne - Master 2 2021
  

Disponible en mode multipage

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LA MÉMOIRE

DE L'ESCLAVAGE

EN FRANCE,

UN PROCESSUS DOULOUREUX

DE MISE EN FORME

Saint-Malo, la mémoire enchaînée

SKIPWITH Louis

BASTOEN Julien

Mémoire d'initiation à la recherche

2021

La mémoire de l'esclavage en France,
un processus douloureux de mise en forme

Saint-Malo, la mémoire enchaînée

« chaque mémoire libérée

est le premier moment

de toutes les mémoires rassemblées1 »

1. GLISSANT Édouard, Tous les jours de mai... Manifeste pour l'abolition de tous les esclavages, Institut du Tout-monde, 2008

LA MÉMOIRE

DE L'ESCLAVAGE

EN FRANCE,

UN PROCESSUS DOULOUREUX

DE MISE EN FORME

Saint-Malo, la mémoire enchaînée

Mémoire d'initiation à la recherche présenté par SKIPWITH Louis

sous la direction de BASTOEN Julien
année scolaire 2020 - 2021

École Nationale Supérieure d'Architecture de Bretagne
44, Boulevard de Chézy, 35064, Rennes

Fig. 1. Entrave de cheville, fer d'esclave - Musée national de la Marine, Paris

Sommaire

Remerciements Avant-propos Introduction

9

11

13

Chapitre I - L'apparition de la mémoire de l'esclavage et les revendications qui s'ensuivirent

Qu'est-ce que la mémoire ?

Mémoire et Histoire

L'apparition des revendications mémorielles

La mémoire de l'esclavage en France et dans le monde

Une période de réévaluation de l'histoire

18

19

23

25

29

Chapitre II - Saint-Malo, un cas particulier ?

38

41

Saint-Malo : port d'abord, négrier ensuite ? Un manque de patrimoine pas si évident Saint-Malo et ses héros Saint-Malo en marge des récents mouvements de contestation

32

51

Chapitre III - Une difficulté de commémorer malgré les efforts de certains

Le travail d'histoire et ses limites

La « cité corsaire », création d'un mythe Le tourisme et la propagation du mythe Le musée comme vecteur de transmission

56

59

66

69

Conclusion Annexes

Table des illustrations

Bibliographie

6

7

76

79

114

115

8

9

Remerciements

Je tiens en premier lieu à remercier les enseignants qui m'ont accompagné dans la réalisation de ce travail. Tout d'abord Julien Bastoen, mon directeur de mémoire, à qui je dois de précieux conseils quant aux choix réalisés pendant ce semestre, mais également un suivi rigoureux et une volonté de m'emmener à chaque fois un peu plus loin dans mes recherches. Également Anne Bondon qui, bien qu'elle ne m'ait pas suivi ce semestre pour la rédaction de mon mémoire, fut celle qui, la première, m'a initié à cet exercice.

J'aimerais ensuite remercier toutes les personnes qui m'ont aidé, à un moment ou un autre, dans mes recherches sur Saint-Malo, et m'ont permis de comprendre ce qui faisait de cette ville un cas d'étude particulier. D'abord Liliane Roman, qui m'a généreusement offert l'accès au travail minutieux de son défunt mari, dont la portée et l'ampleur m'ont été d'une grande aide. Plus généralement, les membres de la Société d'Histoire et d'Archéologie de l'Arrondissement de Saint-Malo (SHAASM), notamment son président Jean-Luc Blaise et son bibliothécaire Jean-Louis Colliot qui m'ont toujours accueilli avec gentillesse pour répondre à mes questions et avancer avec moi sur le sujet. Enfin, j'aimerais exprimer ma gratitude au conservateur du musée de Saint Malo, Philippe Petout, et surtout à l'adjoint du conservateur, Jean-Philippe Roze, qui m'a très généreusement aidé à saisir toute la portée et l'ambition du futur musée d'histoire maritime de la ville.

Finalement, je remercie mes amis et ma famille pour leur soutien inconditionnel dans ce travail, et notamment ma mère qui a eu la patience et la détermination de me relire, de m'orienter et de m'aider à chaque fois que j'en ai éprouvé le besoin.

Avant-Propos

10

11

J'envisage ce travail comme étant la continuité de mon projet de fin d'études présenté en Juin 2020, réalisé en collaboration avec Jean-Dominique Launay sous la direction de Hervé Perrin, Vincent Gassin et Marie-Pascale Corcuff, et dont le sujet portait sur la réalisation d'un Mémorial de l'Abolition de l'esclavage à Saint-Malo.

Cette étude a donc pour objectif de définir un cadre, mais également d'apporter si ce n'est une légitimité, au moins une justification à ce projet que nous avons réalisé préalablement. J'espère contribuer, par ce travail, à répondre aux questionnements qui subsistent et à combler les vides qui demeurent...

Introduction

13

12

Alors que la mémoire de l'esclavage se déliait progressivement, grâce notamment à l'impulsion donnée par la mémoire de la Shoah, à la détermination prononcée de certains chercheurs, historiens et hommes politiques, et aux actions répétées de certains acteurs, publics comme privés, celle-ci semble néanmoins être arrivée à un point de stagnation. Depuis quelques mois maintenant, les revendications mémorielles liées aux discriminations raciales ainsi que les contestations autour des symboles républicains rappelant l'histoire coloniale se sont exacerbées. Ces contestations sont un phénomène international et s'inscrivent dans la continuité des grands mouvements de revendications nés dans les années 1970-1980. Alors que la question coloniale et son héritage sont de nouveau au centre des débats, certaines villes semblent cependant rester en marge de ces mouvements. Entre méconnaissance de l'histoire, tabous, enjeux politiques et sociaux, et divergences sur le sujet, la mémoire de l'esclavage et de la traite négrière peine toujours à s'émanciper pleinement, et les réponses qui lui sont adressées sont multiples et sources de désaccords.

De nombreux ouvrages, travaux d'études, documentaires et articles de presse ont évoqué la thématique de l'apparition de la mémoire de l'esclavage dans le débat public, de sa genèse ainsi que de son évolution. Dès le début du XXe siècle, certains historiens comme LéonVignols et Gaston Martin1 se sont lancés dans l'analyse de la traite négrière en France et le référencement des expéditions. Ces premières études ont par la suite permis à d'autres chercheurs de compléter le sujet afin d'avoir une connaissance précise de son ampleur et de son importance. On doit notamment à Jean Mettas le référencement complet des expéditions négrières françaises, quand il publia son Répertoire des expéditions négrières2 françaises dans les années 1970, ce qui ouvrit la porte à d'autres historiens qui ont approfondi le sujet de la traite négrière de manière plus locale, comme ce fut le cas avec Olivier Pétré-Grenouilleau pour Nantes3 ou Éric Saugera pour Bordeaux4.

Ces études, qui ont donc permis la compréhension de ce que représentait la traite négrière en France, ont ouvert la porte aux premières revendications mémorielles de la part des minorités françaises noires. Ces revendications ont par la suite été appuyées, reprises, et encouragées par de nombreux auteurs, historiens, et politologues engagés. On retrouve dès les années 1960 Édouard Glissant, aux côtés d'autres auteurs et poètes tels que Aimé Césaire ou Frantz Fanon, qui par leur combat pour la décolonisation, ont permis de définir un courant de pensée, de donner une identité aux personnes issues de l'histoire coloniale. Puis plus récemment, des historiens comme Pap Ndiaye et des politologues tels que Françoise Vergès ont étudié ces grands mouvements de revendication, permettant d'en comprendre les fondements, leurs développements et les multiples formes qu'ils peuvent prendre, ainsi que leur aspirations.

Enfin, de manière plus générale, certains historiens et intellectuels ont théorisé ce qu'est la mémoire et la manière dont elle se met en oeuvre, les formes qu'elle peut adopter ainsi que le lien qu'elle entretient avec l'histoire. Le philosophe français Paul Ricoeur5 a écrit un ouvrage, Mémoire, histoire et oubli, qui fait référence en la matière et qui aborde la mémoire sous tous ses aspects. L'historien

1. MARTIN Gaston, Nantes au XVIIIe siècle : l'ère des négriers, 1931, réédition Karthala, 1993

2. METTAS Jean, Répertoire des expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle, Paris, Société Française d'Histoire d'Outre-Mer, tome I, 1978, et tome II, 1984

3. PÉTRÉ-GRENOUILLEAU Olivier, Nantes au temps des négriers, Paris, Hachette, 1998

4. SAUGERA Éric, Bordeaux, port négrier, Karthala, 1995

5. RICOEUR Paul, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Points, Essais, 2000

Pierre Nora6 a lui théorisé le concept de « lieu de mémoire » à travers trois ouvrages rédigés sous sa direction, et qui permet de mieux comprendre comment la mémoire s'incarne dans l'espace public.

La mémoire de l'esclavage et de la traite négrière en France se libère donc depuis les années 19701980, et est devenue par la suite un sujet politique au tournant des années 1990-2000. Si plus personne n'ignore l'implication de l'état dans le commerce négrier, il revient néanmoins aux municipalités d'en commémorer le souvenir. Prenant progressivement forme dans l'espace public, la mémoire de l'esclavage s'est d'abord incarnée à Nantes, première ville négrière française au XVIIIe siècle, avant d'atteindre d'autres villes françaises dans la foulée. La majorité des villes ayant joué un rôle dans la traite négrière ont aujourd'hui réalisé leur « travail de mémoire », mais le tabou qui entoure la question ne permet pas toujours une pleine émancipation de cette mémoire, en témoigne par exemple le cas de la ville de Saint-Malo. Ainsi, nous pouvons à juste titre nous demander quelles sont les conditions propices à l'émergence d'une mémoire, et quels sont les mécanismes sociaux, politiques et architecturaux nécessaires à sa mise en place dans la ville ?

Il est intéressant de relever le fait que malgré sa place parmi les grandes villes négrières françaises, la participation de Saint-Malo à la traite ne soit pas du tout connue du grand public, à la différence de villes comme Nantes, Bordeaux ou La Rochelle. Cité portuaire ayant marqué de son sceau l'histoire maritime française, la ville attire aujourd'hui des milliers de visiteurs chaque année, les ouvrages qui lui sont dédiés ne manquent pas, et son histoire est relativement bien connue et documentée. Il est donc d'autant plus surprenant que malgré cette grande renommée, et dans un contexte national et international de revendications des mémoires de l'esclavage, la ville semble perpétuer une « loi du silence » et continue de passer inaperçue dans le paysage négrier français.

Bien qu'aucun ouvrage ni aucune étude ne soit consacré à la place de la mémoire dans la ville, plusieurs travaux peuvent nous permettre de comprendre cette absence apparente, ainsi que sa lente reconnaissance et les difficultés de sa mise en oeuvre. Depuis vingt ans maintenant, les historiens malouins se sont attelés à disséquer les archives de la ville afin d'en faire ressortir ce qu'était la réalité de la traite négrière à Saint-Malo. On doit notamment à Alain Roman7 une étude approfondie sur le sujet qui explique en détail tout ce qui se rapporte à la traite négrière à Saint-Malo, depuis le contexte historique et politique général de l'époque jusqu'aux détails des expéditions malouines.

D'autres historiens malouins ont eux analysé l'histoire de Saint-Malo à travers un prisme différent de celui de la traite négrière. L'ami et collègue d'Alain Roman, le professeur André Lespagnol, a par exemple écrit divers ouvrages sur la ville, nous offrant une analyse poussée sur le milieu négociant malouin8, ou encore sur la place que la ville occupait dans les grands courants commerciaux mondiaux. De manière plus générale, la Société d'Histoire et d'Archéologie de l'Arrondissement de Saint-Malo ( SHAASM ), au travers des écrits et conférences de ses adhérents, nous offre la possibilité de mieux comprendre certains aspects de cette histoire négrière malouine.

Enfin, la presse nationale et mondiale a largement couvert les récents mouvements de contestation qui se sont déroulés l'année passée, et bien que Saint-Malo ne soit pratiquement jamais mentionné, ces articles nous permettent de mettre en perspective la réalité malouine avec celles d'autres villes négrières et d'en tirer les conclusions qui s'imposent.

6. NORA Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, I, La République, 1984 ; II, La Nation, 3 vol., 1986

7. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, Paris, Karthala, 2001

8. LESPAGNOL André, Messieurs de Saint-Malo, une élite négociante au temps de Louis XIV, thèse, Saint-Malo, Ancre de Marine, 1990

14

Cette étude a donc pour objectif d'identifier la place de la mémoire de l'esclavage et de la traite

négrière à Saint-Malo, et de comprendre les raisons qui font que sa manifestation apparaît difficile. Pour réaliser ce travail, nous avons d'abord cherché à comprendre de quelle manière sont nées les revendications mémorielles liées à l'esclavage et l'époque coloniale. Pour cela, nous nous sommes grandement inspiré du développement effectué par Emmanuelle Chérel dans son étude du Mémorial de l'Abolition de l'Esclavage de Nantes9, qui pour analyser le contexte dans lequel le mémorial fut construit, est revenue sur les conditions d'apparition de cette mémoire, avant d'en suivre le fil jusqu'au début des années 2010.

Nous avons ensuite lu les ouvrages en lien avec l'histoire malouine dans son ensemble, puis les écrits décrivant plus précisément l'épisode de la traite négrière dans la ville, afin d'en comprendre les tenants et les aboutissants et d'être en capacité de mettre Saint-Malo en perspective avec d'autres villes négrières. L'épilogue de l'ouvrage d'André Lespagnol10 nous a également permis de comprendre de quelle manière Saint-Malo était passé d'une cité portuaire à une cité touristique. Enfin, nous nous sommes intéressé à ce qui a été écrit dans la presse française et internationale sur le sujet de l'esclavage et des revendications qui lui sont liées, de manière à observer et comparer les différentes réponses des autorités face à ces mouvements et d'en tirer des conclusions pour notre cas d'étude.

Finalement, au vu du manque de documents sur la place de la mémoire à Saint-Malo, nous avons du construire notre raisonnement à partir d'entretiens que nous avons réalisés avec plusieurs personnalités de la ville, afin de saisir l'évolution de cette mémoire si difficile. Nous nous sommes ainsi entretenu avec Philippe Petout et Jean-Philippe Roze11, respectivement conservateur et adjoint du conservateur du musée d'histoire de la ville et du patrimoine malouin, afin de comprendre le rôle du musée dans la diffusion de l'histoire négrière à Saint-Malo. Nous avons ensuite eu l'occasion de nous entretenir avec Liliane Roman, veuve de l'historien Alain Roman que nous avons cité plus haut, et qui nous a offert l'accès à une partie de ses archives personnelles et permis de comprendre la portée de son travail et les conditions dans lesquelles il a été réalisé. Dans la continuité, nous avons échangé avec le président de la SHAASM, Jean-Luc Blaise, ainsi que son bibliothécaire, Jean-Louis Colliot, qui nous ont éclairé sur certains détails que nous ne comprenions pas. Enfin, nous nous sommes entretenu avec M. Chaperon, l'ancien président de l'Association Mémoire et Patrimoine Terre-Neuvas qui nous a éclairé sur les difficultés de l'émergence d'une mémoire à Saint-Malo, puis avec Maureen Brugaro 12de l'office du tourisme de la ville qui nous a expliqué la place qu'occupe la traite négrière dans le discours touristique de la ville, et finalement avec Jean Bories, ancien adjoint aux affaires culturelles de la ville, qui nous a donné des clefs de compréhension sur l'aspect politique du sujet.

Afin de structurer notre raisonnement, nous avons décidé d'aborder la question selon trois axes qui doivent nous éclairer sur les raisons qui font que la ville reste, du moins en apparence, en marge des mouvements politiques, sociaux et architecturaux qui semblent aujourd'hui dominants en France et dans le monde. Pour comprendre ce qui fait la complexité de la situation, il faut en premier lieu s'intéresser aux conditions qui ont permis l'émergence d'une mémoire de l'esclavage et de la traite négrière en France. Cela constituera la première partie de cette recherche. Il s'agit alors d'abord de comprendre ce qu'est la mémoire et pourquoi elle est si importante, de mettre en avant ses différences avec l'histoire, et d'en saisir les usages. Puis, nous nous pencherons plus précisément sur la mémoire de l'esclavage et de la traite négrière, nous essaierons de comprendre ses origines et ses inspirations, et nous analyserons les revendications qui en sont issues. Enfin,

9. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, Enjeux et controverses (1998-2012), Rennes, Presse Universitaire de Rennes, 2012

10. LESPAGNOL André, Saint-Malo et la Bretagne dans la première mondialisation, Brest, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, 2019, p. 470

11. Annexe 1 - Entretien avec Jean-Philippe ROZE, adjoint du conservateur du Musée d'Histoire de Saint-Malo

12. Annexe 2 - Échange avec Maureen BRUGARO, pôle patrimoine de l'Office du Tourisme de Saint-Malo

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nous nous intéresserons aux cinquante dernières années qui ont été marquées par une réévaluation puis une réécriture de l'histoire, ou plutôt des histoires, à la fois locales et nationales.

La deuxième partie de ce travail sera plus axée sur notre cas d'étude, Saint-Malo. Il s'agira essentiellement de contextualiser le propos de cette étude, et de mettre en lumière les caractéristiques, à la fois historiques et actuelles, de la ville. Nous ferons d'abord le point sur l'histoire maritime de la ville puis mettrons cette histoire en perspective avec celles des autres grandes villes négrières françaises. Puis nous regarderons de plus près certains des grands hommes malouins qui ont marqué le « siècle négrier » et nous tenterons de comprendre l'héritage qu'ils ont laissé. Enfin, nous analyserons les traces issues de cette époque, ou plutôt leur absence, avant de replacer Saint-Malo dans le contexte récent des revendications mémorielles.

Chapitre I

L'apparition de la mémoire de l'esclavage

et les revendications qui s'ensuivirent

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Finalement, la troisième et dernière partie de ce travail de recherche portera sur l'analyse des raisons qui sont à l'origine de la difficile reconnaissance de l'héritage négrier à Saint-Malo. Nous commencerons par l'analyse du travail d'histoire qui est réalisé depuis deux décennies dans la ville et qui est une condition sine qua non du travail du mémoire. Puis nous nous intéresserons à l'émergence du mythe de « la cité corsaire », les raisons et conditions de sa création ainsi que les conséquences qui découlent d'un tel titre. Nous regarderons ensuite la place de ce mythe dans le discours touristique de la ville et, de manière plus générale, la façon dont un discours touristique s'accorde avec la mémoire d'un épisode tragique. Enfin, nous analyserons la réponse muséographique de la ville, sa responsabilité mais également son évolution, mise en perspective avec celle des grands mouvements mémoriels.

Ce premier chapitre a pour objectif d'établir les notions qui sont à la base de mon raisonnement, et qui sont nécessaires à l'appréhension globale de ce travail. Elle est par nature plus théorique que les parties lui succédant car il faut, pour traiter correctement ce sujet, une compréhension solide des conditions de mise en oeuvre de la mémoire. Nous chercherons d'abord à analyser ce qu'est la mémoire et à identifier les différences entre histoire et mémoire, car si ces deux notions peuvent nous sembler proches, la nuance qui existe entre les deux est déterminante pour comprendre un tabou qui existe depuis près de deux siècles. Nous verrons ensuite dans quel contexte s'est développée la, ou plutôt les mémoires de l'esclavage et de la traite négrière, en France et dans le monde. Nous essaierons de discerner les différentes formes que celles-ci peuvent prendre, mais également les objectifs qu'elles souhaitent atteindre et les conséquences qui en découlent. Enfin, cette première partie reviendra sur la période charnière des premiers bouleversements liés à la mémoire et à ses revendications, pour tenter d'en saisir la complexité et replacer notre cas d'étude, jusque là absent des débats, au centre de celle-ci. Mais avant toute chose, il est impératif que le lecteur comprenne bien le sujet de cette étude. Pour cela, il doit être en mesure de répondre à une question qui peut sembler simple, en apparence anodine, mais dont la portée va définir l'ensemble du travail à venir. Qu'est-ce que la mémoire ?

Qu'est-ce que la mémoire ?

La mémoire est d'abord un concept avec lequel chacun de nous est familier depuis toujours, cela avant même d'en avoir conscience ou de pouvoir s'interroger à son sujet. L'Homme mémorise, il se souvient. C'est une caractéristique inhérente à tous ou presque, et aucun être ne semble en être dépourvu. Tout le monde donc est en théorie capable d'expliquer ce qu'est la mémoire, tout du moins dans sa forme la plus communément admise. Le dictionnaire Le Robert en donne la définition suivante « Faculté de conserver et de rappeler des choses passées et ce qui s'y trouve associé ; l'esprit, en tant qu'il garde le souvenir du passé. »1 (s. d.). Cette définition a le mérite de synthétiser ce qu'est la mémoire pour faciliter la compréhension du concept, mais ne permet pas d'en saisir toutes les nuances.

Le dictionnaire Larousse à l'inverse n'essaye pas de résumer la mémoire en une seule définition courte mais va la définir de différentes manières, selon les multiples applications que celle-ci peut avoir. Ainsi, au sens communément accepté, la mémoire est définie telle que « l'activité biologique et psychique qui permet d'emmagasiner, de conserver et de restituer des informations2 » (s. d.). Cependant, le dictionnaire Larousse donne également une définition de la mémoire au sens d'une compétence (« Aptitude à se souvenir en particulier de certaines choses dans un domaine donné3 ») (s. d.), d'un tout (« Ensemble des faits passés qui reste dans le souvenir des hommes, d'un groupe4 ») (s. d.), ou encore d'une abstraction (« Souvenir qu'on a d'une personne disparue, d'un événement passé ; ce qui, de cette personne, de cet événement restera dans l'esprit des hommes5 ») (s. d.).

On observe donc qu'il est très difficile de cantonner le processus mémoriel à une définition succincte de la mémoire. La mémoire est un phénomène complexe, qui englobe de nombreuses définitions mais aussi de nombreux enjeux. Elle n'est pas qu'un phénomène psychique ou psychologique, la mémoire au sens d'une capacité cognitive n'est d'ailleurs pas d'un grand intérêt pour nous. Mais si nous l'entendons au sens d'un lien

1. Le Robert. (s. d.), Mémoire, dans Dictionnaire en ligne, consulté le 18 Novembre 2020 sur https://dictionnaire.lerobert.com/definition/memoire

2. Larousse. (s. d.), Mémoire, dans Dictionnaire en ligne, consulté le 18 Novembre 2020 sur https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/mé moire/50401

3. Ibid.

4. Ibid.

5. Ibid.

18

avec notre passé, d'un témoin qui se transmet, de quelque chose de présent, c'est là qu'elle devient véritablement passionnante. L'historien Pierre Nora en donne d'ailleurs la définition suivante : « La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants et à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l'amnésie, inconsciente de ses déformations successives, susceptible de longues latences et de soudaines revitalisations6. »

Ainsi, la mémoire est le fondement de toute société, c'est elle qui permet à un groupe social d'adhérer à des rites, de fonctionner selon des coutumes, de transmettre des valeurs et de s'identifier à ses traditions. Mais pour ne pas mourir, la mémoire doit se transmettre car si elle n'était présente que dans l'esprit des hommes, alors elle disparaitrait en même temps que ceux-ci.

Je parle ici de la mémoire au singulier, comme d'un élément unique, un tout, mais il est important de préciser que ce n'est pas le cas. La mémoire n'est pas l'histoire, même si ces deux notions sont relativement proches et se nourrissent l'une et l'autre. L'histoire se veut être une présentation objective des faits, elle se rêve universelle, et appartient à tous mais surtout à personne. La mémoire, elle, est l'interprétation d'un souvenir par des individus. Elle est ce qui les rassemble, et on peut donc écrire qu'il y a autant de mémoires que de groupes d'individus. La mémoire est par nature à la fois plurielle, collective, multiple et surtout individualisée7. Il n'existe donc pas une mémoire mais des mémoires.

Mémoire et Histoire

Il est nécessaire de revenir sur la relation entre histoire et mémoire, tant l'une et l'autre se nourrissent pour avancer. L'histoire constitue, en tant que discipline, l'analyse et l'écriture objective du passé et, en tant que matière, l'ensemble des faits passés. Dans son travail, l'historien utilise tous les moyens qu'il a à sa disposition pour rédiger un récit du passé, en émettant des hypothèses qu'il vérifie en croisant nécessairement ses sources, qui vont de l'archive à la preuve en passant par le témoignage. La mémoire est elle un phénomène physiologique et psychologique complexe8. Elle est individuelle et permet d'ériger des cadres sociaux à l'intérieur desquels les sociétés placent leurs souvenirs. La mémoire permet la relation avec l'autre, le souvenir d'une personne étant le récit qu'elle raconte, et renforce ainsi le sentiment de communauté avec les individus ayant une mémoire similaire9.

Dans son ouvrage La mémoire, l'histoire, l'oubli10, le philosophe Paul Ricoeur explique que le récit mnémonique a d'abord pour objectif la vérité de l'information, mais précise qu'il est construit selon ce que le narrateur pense qu'il est arrivé, de ce que ses auditeurs s'attendent à entendre et de l'idée que le narrateur se fait de lui-même et veut véhiculer. Il insiste sur le fait que les descriptions du souvenir sont souvent trop simples, faisant d'une pensée une image réduite et simplifiée de ce qui avait été perçu avant, et que Jean-Paul Sartre dénonce sous le nom « d'illusion d'immanence11 ». C'est de cette manière que naissent les rumeurs et les légendes.

Toujours selon Paul Ricoeur, le passé et l'avenir n'ont d'existence que dans l'esprit, qui est le seul

6. NORA Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, I, La République, 1984, pp. 24,25

7. Ibid.

8. WEIL-BARAIS Annick (éd.), L'homme cognitif, Paris, Presse Universitaire de France, 2001

9. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.17

10. RICOEUR Paul, La mémoire, l'histoire, l'oubli, op. cit.

11. SARTRE Jean-Paul, L'imaginaire, Paris, Folio, 1986 (1940

19

à pouvoir associer différentes phases du temps. Tout comme la fantaisie, le souvenir est une variante de l'imaginaire, mais comme nous venons de l'écrire, à la différence de celle-ci il vise la vérité. Contrairement à l'historien, le narrateur de ce récit n'use pas de méthodes scientifiques et objectives pour expliquer son propos, il croit en ce qu'il dit et construit son récit autour de l'idée qu'il se fait de ce qu'il s'est passé. On a prouvé depuis longtemps maintenant la faiblesse de certains témoignages pourtant sincères, où le témoin arrangeait son récit selon ses préjugés et ses croyances. Le désir de vérité est toujours altéré par l'intention d'agir sur son interlocuteur, en voulant par exemple lui plaire ou bien lui cacher nos intentions ou nos sentiments. Le « fait brut » appartenant au passé n'existe donc pas dans le réel, chacun l'interprète et lui donne un sens, ce qui fait que la mémoire est12.

« Nous dirions volontiers que chaque mémoire individuelle est un point de vue sur la mémoire collective, que ce point de vue change selon la place que j'y occupe, et que cette place elle-même change suivant les relations que j'entretiens avec d'autres milieux. Il n'est donc pas étonnant que de l'instrument commun, tous ne tire pas le même parti. Cependant lorsqu'on essaie d'expliquer cette diversité, on en revient toujours à une combinaison d'influences qui, toutes, sont de nature sociale13. »

M. Halbwachs, La mémoire collective

L'utilisation de cette mémoire poursuit aujourd'hui trois objectifs. Le premier est d'empêcher la répétition d'un drame par le recours à la mémoire. Ensuite, on estime que les victimes ont un droit moral à demander des réparations symboliques et que l'oubli peut nuire à ce droit. Enfin, la mémoire d'un événement peut être considérée comme faisant partie de l'identité des victimes d'un drame, au risque de les enfermer dans un statut de victime14.

La mémoire, depuis trente ans, est par ailleurs devenue un nouvel objet d'étude des historiens. L'histoire se nourrit de cette mémoire, mais entretient également des rapports complexes avec elle. « La mémoire installe le souvenir dans le sacré, l'histoire l'en débusque. [...] La mémoire s'enracine dans le concret, dans l'espace, le geste, l'image et l'objet. [...] Au coeur de l'histoire, travaille un criticisme destructeur de mémoire spontanée. La mémoire est toujours suspecte à l'histoire dont la mission vraie est de la détruire et de la refouler. Une société qui se vivrait intégralement sous le signe de l'histoire ne connaitrait, en fin de compte, pas plus qu'une société traditionnelle, de lieux où ancrer sa mémoire15. »

À l'inverse, certains historiens et philosophes avertissent contre les dangers de la mémoire et de ses revendications. Si l'histoire peut parfois donner un cadre à la mémoire, il arrive que ce soit la mémoire qui empêche l'histoire16. Dès les années 1990, Tzvetan Todorov pointait du doigt dans Les abus de la mémoire17 les excès des commémorations des drames du XXe siècle qui encourageaient le fait que « avoir été victime vous donne le droit de vous plaindre, de protester et de réclamer. ». Jean-Pierre Rioux montra, lui, que l'histoire est une pensée du passé mais pas une remémoration18, qu'elle conduit à détruire l'idée d'un mythe, et que sa « connaissance permet de dépasser la douleur et les avatars de la mémoire19 ».

12. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p. 17

13. HALBAWCHS Maurice, La mémoire collective, Paris, Presse Universitaire de France, 1968

14. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., pp.14-15

15. NORA Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, I, La République, op. cit., pp. 19-20

16. RIOUX Jean-Pierre, La France perd sa mémoire. Comment un pays démissionne de son histoire, Paris, Perrin, 2006

17. TODOROV Tzvetan, Les abus de la mémoire, Paris, Arléa, 1995

18. RIOUX Jean-Pierre, La France perd sa mémoire. Comment un pays démissionne de son histoire, op. cit.

19. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p. 20

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Cette multiplication des commémorations depuis trente ans a eu pour effet de placer les historiens en porte-à-faux. D'après Didier Guyvar'ch20, elle a poussé les historiens à prendre position par rapport à la demande institutionnelle. Certains ont adopté des positions d'experts, d'autres ont été les initiateurs de commémoration, et certains ont favorisé la mobilisation citoyenne en produisant un récit pour un très large public. Dans leur livre Les usages politiques du passé21, François Hartog et Jacques Revel soulignaient le fait que l'histoire doit de plus en plus négocier avec différentes formes de débat public et l'histoire, souvent, se retrouve prise dans des discussions publiques et des débats dont elle ne peut contrôler la forme. Parmi tous les usages publics que peut avoir l'histoire, ces auteurs en soulignent trois qui sont « l'histoire expertise », « l'histoire témoignage » et la « vague mémorielle », et mettent en avant un aspect commémoratif de la part de minorités sur des sujets d'histoire qui les concernent plus ou moins directement.

Dans son livre consacré à la mémoire22, Paul Ricoeur désigne des situations dans lesquelles la mémoire n'est plus qu'un élément physiologique et psychologique, mais devient un élément pathologique, idéologique et normatif, affirmant par ailleurs que l'excès de mémoire conduit à l'oubli : « Je reste troublé par l'inquiétant spectacle que donne le trop de mémoire ici, le trop d'oubli ailleurs, pour ne rien dire de l'influence des commémorations et des abus de mémoires et d'oublis. » Selon lui, il faut veiller à ce que la distance de la mémoire vis-à-vis des faits historiques ne contribue pas à ce que l'histoire devienne légende, car c'est cette même distance qui participe à l'instrumentalisation politique.

Comme nous le précisions plus haut, la mémoire est individuelle et il arrive donc parfois que la mémoire des uns s'oppose à celle des autres, voire la dénie. En France, la défiance envers une histoire nationale qui intégrerait des mémoires différentes, et parfois opposées, reste grande car l'expression de la mémoire d'une minorité menacerait l'identité collective qui lie les français entre eux23. Paul Ricoeur a construit un système de catégories censé permettre à une société de faire mémoire « de manière apaisée ». Si l'on considère que pour exister, la mémoire nécessite la culpabilité d'autrui, alors son dépassement sollicite le pardon, qui est lui indubitablement lié à la notion de l'oubli. Afin de lui ôter sa dimension culpabilisatrice, le philosophe, qui souhaite éviter la notion d'un « devoir d'oubli », va ainsi opposer au « devoir de mémoire » un « travail de mémoire », construit sur le modèle du « travail de deuil » et qui implique la notion du pardon. C'est ce pardon qui permettrait de réunir le « devoir de mémoire » et l'impossibilité pour la société de « rester en colère contre elle-même ». Selon Paul Ricoeur la « juste mémoire » naît ainsi d'une articulation entre histoire et mémoire afin éviter de demeurer prisonnier du passé.

Ce lien entre mémoire et histoire n'a donc pas toujours été une évidence, et les historiens ont, comme nous l'avons déjà dit, commencé à s'intéresser à la question des mémoires dans les années 1970. Durant cette période apparaît en France un intérêt pour les « lieux de mémoire24 » qui a conduit à s'interroger sur les termes de mémoire et d'histoire. Considérée comme un patrimoine mental individuel et collectif, la mémoire « se caractérise comme l'ensemble des souvenirs qui nourrit les représentations, inspire les actions et assure la cohésion des individus dans une société25 ». Elle a pour objectif d'établir un accord sur les origines et de constituer un lien social. En France, depuis la Révolution, la mémoire est utilisée pour créer une pédagogie républicaine qui va dans le sens des valeurs véhiculées par l'État, et qui entretient l'idée d'un mythe originel.

20. GUYVAR'CH Didier, « La mémoire collective de la recherche à l'enseignement », Cahiers d'histoire immédiate, GRHI, Université de Toulouse, Le Mirail, n°22, automne 2002

21. HARTOG François, REVEL Jacques (dir), Les usages politiques du passé, Paris, Éditions EHESS, 2001

22. RICOEUR Paul, La mémoire, l'histoire, l'oubli, op. cit.

23. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.20

24. Notion développée par Pierre NORA, Les lieux de mémoire, op. cit.

25. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.14

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Un des aspects de la mémoire publique se trouve dans le patrimoine ainsi que dans la commémoration, qui est largement exploitée par les autorités publiques. Cette mémoire est donc commandée et instrumentalisée dans l'objectif de sacraliser un mythe national, ou local, qui serait commun à tous. Un tournant s'opère à ce sujet à la suite de la chute du mur de Berlin, qui marque le passage en France d'une société qui commémorait les « morts pour la France » à une société qui considère également les « morts à cause de la France26 ». Cette période marque aussi le temps où la mémoire de la Shoah et des déportations a commencé à s'émanciper, voyant les commémorations et monuments se multiplier en hommage aux victimes. En parallèle, la société s'est mise à appréhender son histoire non plus à travers ses grands hommes, mais également à travers son peuple et ses victimes27.

Ce n'est qu'en 2005 que la France, à la suite d'une déclaration de Jacques Chirac, alors Président de la République, a reconnu officiellement sa participation et sa responsabilité dans la déportation des juifs pendant la guerre. Cette reconnaissance tardive, 60 ans après la fin du conflit, a été permise grâce à la mémoire de ces évènements ainsi qu'à un travail d'histoire aboutissant à une bien plus large compréhension de la société de l'époque, permettant d'en saisir les nuances. Cette mémoire de la Shoah a permis d'installer le doute dans le mythe républicain dominant28, obligeant ainsi la France à le re-questionner. C'est dans ce contexte que le pays a aussi remis en question son passé colonial, sa participation à la Guerre d'Algérie et l'utilisation de la torture, et finalement sa mémoire de l'esclavage29.

Quoi qu'il en soit, il est impératif de comprendre le fonctionnement de la mémoire, sa construction et ses acteurs, les fonctions qu'elle occupe et son rôle en tant que vecteur de valeurs, et finalement les formes qu'elle peut prendre telles que le devoir, l'occultation ou encore le tabou, si l'on veut être en mesure de comprendre ses manifestations contemporaines. L'exercice du pouvoir politique en démocratie a pour rôle de permettre la vie en communauté, faisant fi des différences de chacun et en prenant en compte la pluralité des identités et des histoires qui la composent afin de maintenir une unité. L'unité recherchée en démocratie nécessite donc la production de représentations collectives et de symboles auxquels chacun peut se rattacher, de lieux qui permettent le partage de connaissance et qui offrent la possibilité de véhiculer histoire et mémoire (écoles, musées), et d'un espace public où chacun serait libre de s'exprimer30. Cet exercice du pouvoir nécessite donc la mémoire, comme le montre Pierre Nora dans son ouvrage Les lieux de mémoire : « Politique aussi, et, peut-être, surtout, si l'on entend par politique un jeu de forces qui transforment la réalité : la mémoire en effet est un cadre plus qu'un contenu, un enjeu toujours disponible, un ensemble de stratégies, un être-là qui vaut moins par ce qu'il est que par ce qu'on en fait. C'est dire ici qu'on touche à la dimension littéraire des lieux de mémoire, dont l'intérêt repose en définitive sur l'art de la mise en scène et l'engagement personnel de l'historien31. »

26. BARCELLINI Serge, « L'État républicain, acteur de la mémoire : des morts pour la France aux morts à cause de la France », in BLANCHARD Pascal, VEYRAT-MASSON Isabelle (dir.) Les Guerres de Mémoires - La France et son histoire, Paris, La Découverte, 2010

27. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.15

28. Concept héritier des Lumières, voir NOIRIEL Gérard, Le creuset français de l'immigration XIXe et XXe siècle, Paris, Seuil, 1998

29. STORA Benjamin, « Entre la France et l'Algérie, le traumatisme (post) colonial des années 2000 » in BLANCHARD Pascal, BERNAULT Florence, BANCEL Nicolas, BOUBEKER Ahmed, MBEMBA Achille, VERGÈS Françoise (dir.), Ruptures postcoloniales, Les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte, 2010, pp. 328-342

30. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.23

31. NORA Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, I, La République, op. cit., p. 26

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L'apparition des revendications mémorielles

Les revendications mémorielles ne sont pas le propre de la France mais sont évidemment un phénomène mondialisé, et la réponse apportée varie énormément selon les pays. Aux États-Unis par exemple, on constate que les minorités, à travers leurs revendications, ont tendance à se victimiser, alors qu'en Italie, des réparations ont été votées à l'égard du peuple Libyen en 2008.

Pour Benjamin Stora, les revendications mémorielles sont liées à « une crise mondiale des idéologies collectives32 » et donc à une crise politique qui a « plongé progressivement les individus dans les refuges de la sphère privée, dans le vécu, et donc dans la mémoire33 ». L'accroissement généralisé des revendications mémorielles a donc pour origine le même problème, i.e. une crise identitaire liée à la mondialisation ainsi qu'une crise idéologique et politique sur la question. Selon Pap Ndiaye, les revendications liées à la mémoire de l'esclavage seraient dues à un écart entre une société qui devient multiculturelle et une capacité limitée à mener une action politique difficile en ce qui concerne la reconnaissance des identités et la lutte contre les discriminations : « Il est outrageusement simpliste de prétendre que les discriminations raciales contemporaines sont dues à l'ancien ordre colonial esclavagiste, toutefois il serait peu honnête de prétendre qu'elles n'ont rien à voir avec lui34 ».

Depuis les premières vagues de migration de l'époque contemporaine, l'identité a changé de statut et n'est plus enracinée dans un lieu35. L'identité des personnes aujourd'hui se mélange et se construit en relation avec d'autres, non plus par rapport à un espace qu'elles auraient partagé mais en rapport à une culture, une histoire et des références qu'elles ont en commun. La mondialisation et un changement dans les relations de pouvoir ont eu pour effet de produire des identités interconnectées36.

Désormais, il s'agit d'identifier la continuité des rapports de domination, même si la comparaison entre la situation coloniale et les situations actuelles est risquée et problématique. C'est l'un des enjeux majeurs des sciences sociales contemporaines, qu'elles prennent en compte les représentations sociales et leurs évolutions / transformations au fil du temps37.

La question mémorielle est devenue un des combats importants de la minorité française noire38. Selon Pap Ndiaye, après avoir rejeté la « mémoire officielle39 », ces minorités auraient utilisé la mémoire et ses enjeux pour affirmer leurs identités et exiger une reconnaissance, mettant au jour les difficultés d'une société en pleine mutation.

Les territoires d'Outre-mer et leurs histoires sont inévitablement liés à l'histoire plus générale de la France. Selon Françoise Vergès, spécialiste en sciences politiques, ces territoires « partagent tous un passé colonial et un présent qui en garde les traces40 » mais qui sont absents de l'histoire nationale et de la problématique post coloniale. Elle écrit que « penser la présence/absence des Outre-mer, c'est penser deux espaces à la fois : le territoire Outre-mer

32. « Benjamin STORA, entretiens avec Thierry LECLÈRE », in La guerre des mémoires - La France face à son passé colonial, Paris, éditions de l'Aube, 2007, p. 40

33. Ibid.

34. NDIAYE Pap, La condition noire - essai sur une minorité française, Paris, Calmann-Lévy, 2008

35. GUPTA Akhil, FERGUSON James, Culture, Power, Places ; Explorations in Critical Anthropology, Durham, Duke University Press, 1977, pp. 33-51

36. APPADURAÏ Arjun, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot et Rivages, 2005

37. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.39

38. NDIAYE Pap, La condition noire - essai sur une minorité française, op. cit., p. 338

39. LOW Setha, LAWRENCE-ZUNIGAS Denise, The Anthropology of Space and Place : Locating Culture, Malden, Massachussets, Blackwell Publishing Company, 2003

40. VERGÈS Françoise, « L'Outre-mer, une survivance de l'utopie coloniale républicaine ? », in BLANCHARD Pascal, BANCEL Nicolas, LEMAIRE Sandrine (dir.), La fracture coloniale - La société française au prisme de l'héritage colonial, Paris, La Découverte, 2005

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et le territoire métropolitain...41 ». Les Outre-mer sont donc un territoire appartenant à l'espace républicain mais qui demeure absent de son histoire.

Dans un entretien accordé au journal M, Le Monde, l'historienne au CNRS et présidente du Comité National pour la Mémoire et l'Histoire de l'Esclavage Myriam Cottias explique que « l'oubli a été posé comme un élément fondateur de la société issue de la servilité, dans l'outre-mer, mais aussi en métropole42 ». Encouragé par les autorités dès 1848 - le gouverneur de la Martinique, Claude Rostoland, recommandait « à chacun l'oubli du passé43 » - le silence qui entoure la question de l'esclavage et de la traite a perduré jusqu'à nos jours.

Initialement rejetés par les élites noires, qui y voyaient un rappel d'un passé douloureux, l'esclavage et son histoire se sont progressivement imposés dans les territoires d'Outre-mer dans les années 1960 et 1970 comme une ressource politique44. Le déplacement de cette histoire et de cette mémoire de l'esclavage vers le territoire métropolitain s'est ensuite opéré dans les années 1990, en même temps que les migrations de populations. Elle y rencontra un autre courant idéologique, celui de la lutte contre les discriminations raciales. Selon Pap Ndiaye, les Antillais chercheraient par-là à transférer sur le terrain de la mémoire des souffrances qui jusque-là n'étaient pas exprimées sur le terrain politique : « cet investissement mémoriel, qui peut s'exprimer n'importe comment et s'appuyer sur des lectures para historiques farfelues est la conséquence d'une situation de domination45. »

Leurs revendications post coloniales, qui consistent en une réinterprétation de l'histoire, sont notamment dues au fait que l'histoire coloniale est toujours extrêmement présente dans notre société et notre réalité. La colonisation, qui a bien évidemment bouleversé les territoires d'Outre-mer par un système de domination, a également marqué le territoire métropolitain tant elle a changé sa conception du monde. Françoise Vergès écrit à ce propos : « La postcolonie ne qualifie pas strictement un régime d'indépendance nationale, mais une situation où perdurent des effets du régime colonial tout en connaissant de nouvelles expériences engendrées par le déclin des productions nationales, l'entrée dans l'espace européen, la mondialisation, l'augmentation du nombre de diplômés, l'émergence de revendications de réparation historique et d'affirmation culturelle46 ». Elle affirme ensuite que l'opposition entre différence culturelle et démocratie est une opposition « opportuniste et idéologique47 », et que toutes les revendications sont empêchées car perçues comme des demandes communautaristes : « Le débat opposant « républicains » rigides aux « communautaristes » essentialistes fait en effet abstraction de l'histoire, les uns soulignant la nécessité d'une abstraction universaliste, les autres celle d'une identité atemporelle mais chaque logique masque des politiques d'exclusion48. » L'historien Benjamin Stora considère, lui, que les français ne sont pas encore passés au-delà de la chute de leur empire et du déclin de leur puissance, et qu'il est trop tôt pour que ces questions soient débattues dans la sérénité : « Le soupçon de « relativisme culturel » est lancé comme une accusation visant à délégitimer toute approche critique. Il ne faut pas porter atteinte aux mythologies nationales. La perte de l'empire a été une grande blessure narcissique du nationalisme français49. »

41. Ibid.

42. CHEMIN Anne, « La traite en héritage », Le Monde, le 23 Avril 2014, https://www.lemonde.fr/societe/article/2014/05/02/la-traite-en-heri tage_4410558_3224.html

43. Ibid.

44. NDIAYE Pap, La condition noire - essai sur une minorité française, op. cit., p. 337-348

45. Ibid., p. 347

46. VERGÈS Françoise, « L'Outre-mer, une survivance de l'utopie coloniale républicaine ? », op. cit., p. 68

47. Ibid., p. 69

48. Ibid.

49. « Benjamin STORA, entretiens avec Thierry LECLÈRE », op. cit., p. 24

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La mémoire de l'esclavage en France et dans le monde

La mémoire de l'esclavage n'est pas liée à un fait récent, les abolitions de la traite et du système esclavagiste ayant eu lieu au XIXe siècle. Pourquoi alors le sujet revient-il si longtemps après ? D'abord, bien que le système esclavagiste ait été aboli il y a longtemps, le système de domination raciale dont il est à l'origine a lui perduré jusqu'au milieu du XXe siècle, et ses conséquences sont toujours visibles aujourd'hui. Ensuite, le chercheur Henry Rousseau a proposé un modèle dans « Le Syndrome de Vichy50 », expliquant qu'avant de s'émanciper, la mémoire traverse différentes phases : d'abord un traumatisme, suivi en général par une phase de refoulement, avant d'arriver à une phase d'anamnèse (le retour de ce qui a été refoulé) caractérisée parfois par l'obsession mémorielle. Bien qu'ils n'aient pas été vérifiés, de nombreux exemples peuvent attester de la pertinence de ce modèle, l'un des plus évidents étant la mémoire de la Shoah.

L'arrivée de ce passé colonial sur le territoire métropolitain est provoquée en grande partie par les politiques migratoires des années 1960-1970. L'immigration s'impose alors dans le débat public lorsque la place des immigrés (venant majoritairement de l'ex empire colonial) est remise en question et que les autorités publiques envisagent de la freiner. Les minorités commencent à s'organiser en associations à partir des années 1980 afin d'appuyer leurs revendications. Ces associations constituent alors une plateforme où les idées peuvent s'échanger et la démocratie s'opérer51. Elles jouent également un rôle de représentation et servent d'intermédiaire entre les citoyens et le pouvoir public.

C'est ensuite au commencement du XXIe siècle que ces questions postcoloniales et raciales ressurgissent, par exemple dans les débats de l'élection présidentielle de 2002 ou avant cela, lorsque la loi sur la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, dite Loi Taubira, fut votée le 21 Mai 2001. Certains sujets, allant de la mémoire de l'esclavage à la laïcité, mais tous renvoyant à l'histoire coloniale française et au mythe républicain, héritier des Lumières, sont ensuite revenus de manière récurrente dans le débat public, s'entremêlant parfois entre eux52.

Des chercheurs et des historiens ont souligné dans le livre La fracture coloniale - La société française au prisme de l'héritage colonial53, un écart flagrant entre le discours républicain et ce qui est fait dans les anciennes colonies. L'ouvrage a la particularité de s'intéresser à ces questions en considérant la persistance d'un regard colonial porté sur les populations immigrées, et dénonce notamment une réécriture « trop timide » de l'histoire de la colonisation de la part de la France. Remarqué, ce livre a également fait l'objet de nombreuses critiques54, dénonçant le fait qu'en mettant le doigt sur les divisions, les auteurs auraient alimenté les conflits communautaires, et simplifié une question en réalité beaucoup plus complexe.

Depuis les années 1970, mais surtout après le 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage en 1998, le nombre d'études concernant la participation à l'esclavage et la question postcoloniale n'a cessé de croître55. Ces analyses postcoloniales ont permis de considérer les formes d'auto-organisation des minorités comme un passage nécessaire. La mandature de Jacques Chirac a également permis de relancer le débat et d'affirmer une volonté d'ouverture vers des cultures marquées par la colonisation, notamment grâce à l'émergence de

50. ROUSSEAU Henry, Le syndrome de Vichy, Paris, Seuil, 1987

51. CUSSET Pierre-Yves, Le lien social, Paris, Armand Collin, 2007

52. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.28

53. BLANCHARD Pascal, BANCEL Nicolas, LEMAIRE Sandrine (dir.), La fracture coloniale - La société française au prisme de l'héritage colonial, op. cit.

54. BLANCHARD Pascal, BANCEL Nicolas, « La fracture coloniale : retour sur une réaction », in Qui a peur du postcolonial ?, Revue Mouvements, n°51, 2007, pp. 40-51

55. BANCEL Nicolas, « L'histoire difficile : esquisse d'une historiographie du fait colonial et postcolonial » in La fracture colonial - La société française au prisme de l'héritage colonial, op. cit.

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Fig. 2. Protestation Black Lives Matters - AFP / Drew Angerer

Fig. 3. Musée du Quai Branly - up-magazine.info

deux projets, le Musée du Quai Branly et la Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration56. Mais un autre évènement marquant du quinquennat, les émeutes dans les banlieues de 2005, va faire se multiplier les études sur l'histoire de l'immigration et faire évoluer la question postcoloniale dans la sphère politique.

En 2007, le gouvernement nouvellement élu décide de la création d'un Ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire. Geste maladroit ou affirmation politique, quoiqu'il en soit cette décision fut vivement critiquée. De nombreuses associations s'opposèrent à sa création, huit universitaires ayant travaillé sur le projet de la Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration en démissionnent en signe de protestation57, et Doudou Diène, rapporteur spécial de l'ONU contre le racisme, a dénoncé une « banalisation du racisme » et une « lecture ethnique et raciale des questions politiques, économiques et sociales et le traitement idéologique et politique de l'immigration comme enjeu sécuritaire et comme une menace à l'identité nationale58. »

La même année, Marie-Claude Smouts exprime dans un autre ouvrage collectif, La situation postcoloniale - Les postcolonials studies dans le débat français59, la nécessité d'un débat collectif sur le postcolonialisme : « La situation postcoloniale est une réalité historique, politique, culturelle et sociale, il convient de l'analyser, comme il convient de revenir sur la complexité du fait colonial et de redonner à chacun sa place dans l'histoire60. » Dans la préface de ce même ouvrage, un anthropologue, Georges Balandier, invitait à se libérer de ses préjugés afin de pouvoir retracer une histoire du postcolonial et d'être capable de mener un débat constructif sur le sujet : « Pour débattre des études postcoloniales, il faut d'abord se libérer des effets de conjecture dominante, retrouver son autonomie de penser...61 » avant de rappeler que le postcolonialisme n'est pas le fait d'une frange de la population mais que tous, sous différents aspects, nous en sommes issus : « Le postcolonial désigne une situation qui est celle, de fait, de tous les contemporains. Nous sommes tous, en des formes différentes, en situation postcoloniale. Parce que la mondialisation nous porte au doute quant à notre identité...62 ».

Les études postcoloniales constituent donc un sujet de recherche qui ne peut plus être éludé, tant il est aujourd'hui présent dans le débat public et que de nombreux groupes se le sont approprié. Ces études doivent servir à penser la question du pluralisme identitaire et social de la France contemporaine. Toujours dans ce même ouvrage, l'historien Benjamin Stora souhaite avancer plus vite sur la question et adjure de déconstruire l'image de domination raciale qui perdure, mettant en avant les dangers d'une telle construction sociale : « c'est dans l'absence de savoir sur ces problèmes que naissent les fantasmes sur ce qu'a été la colonisation, sur le rapport avec le génocide, tous ces termes qui sont utilisés et instrumentalisés63. » et appelle à répondre au « besoin d'histoire » urgent auquel la France fait face afin que certaines personnes ne dévient le débat en pensant que « la politique, c'est la mise en accusation permanente et perpétuelle de l'homme blanc ».

56. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.30

57. « Ministère de l'immigration : première crise, premières démissions », Libération, le 18 Mai 2007

58. Cité par Emmanuelle CHÉREL, Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.31

59. SMOUTS Marie-Claude (dir.), La situation postcoloniale - Les postcolonials studies dans le débat français, Science Po, Paris, Les presses, 2007

60. Ibid., pp. 27-28

61. BALLANDIER Georges, in SMOUTS Marie-Claude (dir.), La situation postcoloniale, op. cit., préface

62. Ibid., p. 24

63. STORA Benjamin, « Un besoin d'histoire », in SMOUTS Marie-Claude (dir.), La situation postcoloniale, op. cit., p. 297

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Une période de réévaluation de l'histoire

En 2001, l'historien Didier Guyvar'ch a fait le récit de la réécriture de l'histoire nantaise64 et soulignait que tout au long du XXe siècle, les recherches sur l'esclavage et la traite ont été épisodiques et éparses. L'un des premiers historiens à s'intéresser l'histoire de la traite négrière fut Léon Vignols, qui au début du siècle dressa un inventaire des expéditions maritimes malouines. Gaston Martin, son contemporain et historien nantais qui participa à faire connaitre cette histoire de la traite, dit d'ailleurs de lui : « L'inventaire qu'il a fait des archives malouines peut être considéré comme le point de départ de la rénovation des études négrières65 ».

En 1931, Gaston Martin publiait son propre ouvrage sur la traite à Nantes, L'ère des négriers66, l'un des premiers du genre. Mais si ce livre permit de faire connaitre le passé négrier de la ville de Nantes, il eut également pour conséquence d'occulter la participation des autres ports à ce commerce en laissant croire au public, involontairement, que ce port fut le seul à pratiquer le trafic négrier67. Quoi qu'il en soit, le travail de Gaston Martin traça la voie pour que d'autres historiens prennent la suite. En revanche, les recherches de Léon Vignols tombèrent dans l'oubli pendant de nombreuses années et ne furent pas le point de départ espéré par Gaston Martin. Le silence, que Didier Guyvar'ch qualifie de « refoulement collectif », et qui entoure la question de l'esclavage jusqu'au dernier quart du XXe siècle, a selon lui « contribué à maintenir la charge morale attribuée à ce passé et à susciter soupçons, méfiances et polémiques dans ses usages68 ».

Les recherches menées par Jean Meyer69 à la fin dans années 1960, et surtout celles de Jean Mettas dans les années 1970, qui a recensé l'ensemble des expéditions négrières du pays dans son ouvrage Répertoire des expéditions négrières françaises70, ont marqué un tournant dans la recherche historique sur l'esclavage et la traite. Après cela, dans les années 1980, de nombreux historiens se sont intéressés à l'histoire maritime et négrière de leur ville, citons Olivier Pétré-Grenouilleau pour Nantes71, Éric Saugera pour Bordeaux72, Jean-Michel Deveau pour La Rochelle73, et un peu plus tard, à partir des années 2000, Alain Roman pour Saint-Malo74. Serge Daget, universitaire et historien nantais, travailla quant à lui sur la traite illégale75, et ses recherches firent avancer la compréhension de la traite négrière de manière fulgurante.

En 1985, à l'occasion du tricentenaire du Code Noir, et un peu plus tard à l'occasion du bicentenaire de la première abolition française de l'esclavage en 1794, est lancé à Nantes un important programme de recherche et de manifestations culturelles appelé Nantes 85 et initié par l'association du même nom. Les expositions sont finalement annulées par la municipalité de droite nouvellement élue, mais réapparurent sous une nouvelle forme au début des années 1990, suite à la victoire socialiste aux élections de 1989, avec la création en 1991 de l'association Les Anneaux de la Mémoire.

64. GUYVAR'CH Didier, « La traite des noirs », in GUYVAR'CH Didier (dir.), La mémoire vive d'une ville - 20 images de Nantes, Nantes-Histoire, Skol Vreizh, 2001, pp. 99-104

65. MARTIN Gaston, Nantes au XVIIIe siècle : l'ère des négriers, op. cit., p. 169

66. Ibid.

67. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 15

68. UYVAR'CH Didier, « La traite des noirs », op. cit., p. 103

69. MEYER Jean, L'armement nantais dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Paris, Sevpen, 1969

70. METTAS Jean, Répertoire des expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle, op. cit.

71. PÉTRÉ-GRENOUILLEAU Olivier, Nantes au temps des négriers, op. cit.

72. SAUGERA Éric, Bordeaux, port négrier, op. cit.

73. DEVEAU Jean-Michel, La traite rochelaise, Paris, Karthala, 1990, réédition Karthala, 2009

74. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit.

75. DAGET Serge, Répertoire des expéditions négrières françaises à la traite illégale (1814-1850), Centre de recherche sur l'histoire du monde atlantique, 1983

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Chapitre II

Saint-Malo, un cas particulier ?

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Cette association, et l'exposition du même nom qu'elle organisa à partir de 1992 au Château des Ducs des Bretagne, marquèrent la première présentation de cette histoire en France métropolitaine, de manière publique et explicite. L'exposition présentait des archives, des documents, des analyses et même des reconstitutions de lieux symboliques tels qu'un bureau d'armateur ou une cabine de capitaine. La muséologie fut travaillée afin d'intéresser un maximum de personnes, et la forte fréquentation de l'évènement traduisit un véritable intérêt de la part d'un cercle de la population qui s'étendait bien au-delà de celui des historiens et des universitaires. Objet politique certes, l'Association des Anneaux de la Mémoire a, à la suite de l'exposition, poursuivit ses recherches et son engagement dans la réécriture de l'histoire nantaise. Cette exposition, parfois considérée comme un point de départ dans l'émergence de l'histoire de la traite dans le débat public, tant elle fut novatrice, médiatisée, et politiquement soutenue, a également eu pour conséquence de révéler à la population nantaise la nécessité d'un lieu consacré de manière pérenne à la mémoire de cette histoire76.

Mais si cet évènement provoqua une avancée rapide de la question mémorielle à Nantes, qui entraina par la suite d'autres villes négrières dans son élan, il eut pour effet de mettre Nantes au centre de l'histoire négrière française. Bien qu'il ait déjà été su depuis longtemps que Nantes occupait la première place des ports négriers français, cela permit à d'autres villes ayant également pris part à la traite de passer inaperçues.

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Les recherches sur la participation de Saint-Malo au commerce négrier n'étaient pas encore abouties à cette époque. Les choses sont différentes aujourd'hui, l'histoire maritime de Saint-Malo est bien connue et sa participation au trafic d'êtres humains n'est plus un secret. Mais est-ce vraiment le cas ?

Il semblerait que la population malouine ne soit, dans la grande majorité, pas du tout au fait du passé négrier de sa ville, et lorsqu'il nous arrive de converser avec des personnes qui en sont informées, la tendance est à minimiser les chiffres et leur importance au regard des villes ayant pris une part plus importante dans ce trafic, avec toujours la même rengaine récurrente : « oui, mais ce n'est pas comme à Nantes77 ! » Les causes de cette méconnaissance, voire parfois de ce déni, bien que l'histoire malouine soit désormais connue et documentée, sont le fruit de nombreuses raisons qui seront le sujet des parties qui vont suivre.

La mémoire de l'esclavage et de la traite négrière est donc un sujet relativement récent, né dans un environnement particulier qui se caractérise à la fois par un contexte colonial touchant à sa fin, des vagues d'immigration, une libération de la parole et un re-questionnement profond de notre histoire et de notre (nos) identité(s).

Apparue dans les anciennes colonies avant d'atteindre la métropole, et notamment la ville de Nantes, cette mémoire de l'esclavage se propage progressivement dans le pays, déchaînant les passions et révélant des craintes. Certains territoires semblent cependant préserver une distance avec le sujet, comme c'est le cas pour Saint-Malo, que les débats et questionnements des dernières décennies ne semble pas avoir affecté outre mesures.

La question coloniale et raciale divise, tant sur le sujet que sur la réponse qu'il faut y apporter. D'abord débattue dans les cercles universitaires et intellectuels, la question s'est progressivement étendue jusqu'à atteindre toutes les couches de la population. Et bien que de nombreuses avancées aient été achevées depuis son apparition il reste encore un long chemin à parcourir avant que celle-ci ne soit pleinement décomplexée, et puisse aboutir à une forme de consensus qui sera à même d'apaiser les passions de tout un chacun.

76. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.45

77. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 289

Chaque ville possède une histoire qui lui est propre, et qui définit par essence la portée de la mémoire que celle-ci souhaite, ou doit, mettre en oeuvre. Comme nous allons le voir, Saint-Malo possède une très riche et vaste histoire maritime, ponctuée d'évènements marquants et parsemée des grands hommes qui l'ont faite. Mais cette histoire malouine, largement revendiquée par la ville et ses admirateurs, ne prend elle justement pas trop de place par rapport à l'histoire globale de l'esclavage aujourd'hui inscrite dans le récit encore plus large de l'histoire de France ? Il sera ici question de comprendre la place qu'a occupée la ville de Saint-Malo dans le paysage négrier français, mais également l'héritage que celui-ci a laissé à la cité malouine. Nous verrons ensuite certains des hommes qui ont façonné cette histoire négrière malouine et dans quelle mesure, ainsi que pourquoi, ils sont aujourd'hui célébrés pour certains et oubliés pour d'autres. Enfin, il sera question de replacer Saint-Malo dans le spectre des mouvements de contestation liés à la mémoire de l'esclavage, ou plus précisément de comprendre pourquoi la ville en est absente.

Saint-Malo : port d'abord, négrier ensuite ? Saint-Malo, cité maritime :

Saint-Malo est une cité bretonne à l'histoire maritime riche et bien connue. Dans les suites de la découverte du Nouveau-Monde, sa renommée commence au siècle XVIe, époque à partir de laquelle la cité va prospérer, notamment dans le commerce maritime. Saint-Malo fut pendant près de trois siècles un « port mondial », et bien que pour la grande majorité des gens la gloire malouine se résume à quelques épisodes largement relayés par la suite, tels que la découverte du Canada par Jacques Cartier ou la prise du Kent par Robert Surcouf, la réalité est celle d'un peuple de marins et de commerçants ayant sillonné les mers du globe.

Située à l'entrée de la Baie du Mont-Saint-Michel, à la frontière entre la Bretagne et la Normandie, la cité malouine occupe une position géographique privilégiée, au carrefour de grandes routes maritimes, ce qui va lui permettre de tirer son épingle du jeu. C'est en effet un point de passage obligé pour les produits de la mer du Nord et de la Baltique, un port intéressant pour les marchandises venant de l'Atlantique et de la Méditerranée ainsi qu'une position stratégique d'un point de vue militaire, car située face à l'Angleterre et aux Iles Anglo-Normandes.

Dès le début du XVIe siècle, les marins de Saint-Malo vont se spécialiser dans deux activités qui vont faire leur richesse : la pêche à la morue, que les marins vendaient en Méditerranée pour en ramener du vin, des huiles et autres produits, et l'exportation de biens manufacturés vers l'Espagne en échange de produits provenant d'Amérique, notamment de l'argent. À la veille du XVIIIe siècle, Saint-Malo s'était hissé en tête du classement des plus gros ports français, l'activité morutière représentant à elle seule 60% des armements de plus de 50 tonneaux et 80% des effectifs de marins1.

Saint-Malo a connu son apogée entre 1690 et 1720. Une « élite négociante2 », selon l'expression d'André Lespagnol, de quelques dizaines de familles s'était constituée et dominait alors le commerce malouin. Pendant cette courte période un peu supérieure à un quart de siècle, ces armateurs fortunés ont su profiter des quelques opportunités qui leur ont été offertes pour asseoir leur domination sur le commerce maritime français.

1. Pour tous les chiffres cités dans cette partie, se référer à ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit.

2. LESPAGNOL André, Messieurs de Saint-Malo, une élite négociante au temps de Louis XIV, op. cit.

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Les guerres interrompent le commerce maritime et sont synonymes de chômage et de pertes pour la majorité des ports. Saint-Malo, pendant cette période de 30 ans, a armé plus de 900 navires corsaires en temps de conflit, ce qui lui a non seulement permis de faire travailler sa main d'oeuvre abondante, mais également d'acquérir des richesses, des marchandises qui lui faisaient défaut et une renommée internationale inspirant la crainte chez ses ennemis - l'Angleterre tenta à plusieurs reprises de détruire la cité - et offrant un récit héroïque qui perdurera jusqu'à aujourd'hui. Il est néanmoins important de préciser que la course (forme de guerre navale exercée par les corsaires) ne fut exercée que pendant les périodes de guerre et ne représenta qu'une petite partie de l'activité économique malouine.

Les deux autres opportunités dont la ville a su profiter pendant cette période furent le commerce en « Mer du Sud » (correspondant à la côte pacifique de l'Empire Espagnol), qui bien qu'illégal à l'époque n'empêcha pas les armateurs français, et surtout les malouins, de faire fortune en rapportant en métropole des minéraux précieux (notamment de l'argent), et l'ouverture de routes commerciales vers l'océan indien, en particulier vers Moka (Arabie saoudite), la Chine et l'Inde. Ces deux dernières activités ont chacune permis aux malouins de doubler, parfois tripler leur investissement d'origine.

En 1720, Saint-Malo est arrivé à l'apogée de sa réussite à tel point que le port, le premier français rappelons-le, est devenu incontournable. Sa population a doublé en un peu plus d'un siècle et plus de la moitié de ses habitants vivent désormais en lien avec les activités maritimes. Son élite négociante, « les Messieurs de Saint-Malo », agrandissent la taille de la ville de plus de 20%, construisent leurs malouinières, que l'on peut comprendre par maison de campagne, un peu plus loin dans les terres et traitent désormais à égalité avec les hommes d'état et les familles les plus importantes du pays3.

À l'aube du XVIIIe siècle, Saint-Malo a tout pour continuer sur sa lancée, tirer profit du trafic colonial montant et conserver sa domination. Ce n'est pourtant pas elle que l'Histoire retiendra comme la ville ayant marqué de son sceau le commerce avec les colonies. En 1717, le coup d'Arica, durant lequel l'Empire Espagnol mit la main sur cinq navires malouins au large de l'actuel Pérou, mit fin au commerce avec la Mer du Sud. Le commerce avec les Indes Orientales est désormais le monopole de la Compagnie de Law, et le Traité d'Utrecht signé en 1713 limita grandement les zones de pêche des marins malouins.

Au même moment commence à se développer sérieusement en Europe le commerce avec les colonies, que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de Traite Transatlantique ou encore Traite Négrière. L'esclavage n'est alors pas quelque chose de nouveau, il est en effet déjà présent ( ou l'a été ) sur la quasi-totalité du globe et ce probablement depuis que l'Homme s'est constitué en civilisation. Ce qui est nouveau en revanche, c'est son ampleur et la manière dont il est mis en place, sous la forme d'un système international et racial, et sous couvert d'une morale.

Saint-Malo et la traite négrière :

La première trace que l'on retrouve de ce système remonte à 1441, soit un demi-siècle avant la découverte du Nouveau-Monde. Ce sont les portugais qui à l'époque, cherchant de nouvelles routes commerciales avec les Indes, longèrent les côtes africaines et comprirent alors rapidement l'intérêt de déplacer des populations humaines afin d'assurer l'exploitation de leurs nouveaux comptoirs sur la côte ( El Mina ) et des îles Atlantiques dont ils ont pris possession ( Cap-Vert, Madère... ). Mais les prémices de ce système, qui ont duré pendant plus

3. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 19

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Fig. 4. Plan et profil de Saint-Malo - Bibliothèque Nationale de France, GED-5430

de 50 ans, sont encore bien loin de l'ampleur, à la fois statistique et géographique, que va atteindre plus tard la Traite des Noirs.

encore mal connue5, d'autant que les marins malouins pouvaient alors compter sur d'autres sources de revenus beaucoup plus fiables et rentables, telles que la course qui était alors à son apogée ou le commerce en Mer du Sud qui assurait un retour sur investissement quasi certain.

L'accélérateur fut évidemment la découverte de l'Amérique. Des espaces infinis s'offraient désormais à l'exploitation, encore fallait-il avoir la main d'oeuvre nécessaire pour le faire. Bien sûr, les conquistadors ne suffisaient pas, ils ont alors dans un premier temps obtenu des autorités royales et papales le droit de faire travailler gratuitement les indigènes « locaux » en échange d'une évangélisation obligatoire. Cela fonctionna un temps, mais rapidement le travail forcé et la propagation des maladies entraînèrent une très forte hausse de la mortalité chez les indigènes. Il fallut donc chercher une autre source de main d'oeuvre abondante, qui fut trouvée sur le continent africain, les Noirs étant alors considérés comme plus résistants.

La forte consommation du sucre en Europe à partir du XVIIe siècle entraina une demande toujours plus grande en main d'oeuvre et vint offrir une « légitimité » à l'utilisation d'êtres humains. La religion et les forces politiques étaient désormais convaincues du bien-fondé de leur entreprise, la logistique nécessaire était facilement accessible et les consommateurs toujours plus nombreux et en demande. Tout était en place pour installer le plus grand réseau commercial de l'époque, d'ailleurs considéré aujourd'hui comme les débuts de la mondialisation. Les proportions de ce trafic devinrent tellement énormes que même les voix dissidentes à la traite humaine plièrent bien souvent face aux arguments commerciaux, car ce n'était bien que cela, du commerce...

Revenons maintenant à nos malouins. Dans un premier temps tournés vers l'Amérique du Nord et la pêche à la morue - cette pratique sera le socle de l'activité malouine pendant trois siècles - à cause du Traité de Tordesillas qui partageait les terres nouvellement découvertes au sud entre les espagnols et les portugais, les malouins « font leurs débuts » dans le commerce négrier dans la première moitié du XVIIe siècle, en même temps que d'autres ports français. Installés durablement en Martinique et en Guadeloupe à partir de 1635, les Français, sous l'impulsion du Cardinal de Richelieu désireux de concurrencer les Hollandais, créèrent des compagnies dans le but d'envoyer des esclaves et d'exploiter les ressources agricoles de ces îles. Louis XIII, d'abord réticent, finit par céder devant les pressions commerciales et surtout religieuses. Différentes compagnies furent donc créées successivement mais connurent un succès pour le moins limité. Colbert décida donc en 1664 de créer la Compagnie des Indes Orientales à qui il concéda l'exclusivité du commerce africain en échange de la promesse d'exporter 2000 Noirs pendant les huit premières années.

C'est à partir de ce moment que nous avons les premières traces fiables de l'activité négrière malouine, mais il est impossible de dresser un portrait d'ensemble car de nombreuses guerres troublèrent le fonctionnement du commerce. La deuxième moitié du XVIIe siècle est relativement calme en comparaison de ce qui suivra au XVIIIe siècle. La Compagnie des Indes Orientales est dissoute en 1672, au profit de la Compagnie du Sénégal, puis de la Compagnie de Guinée, la Compagnie de Saint-Domingue... Bien que ces compagnies aient eu le monopole du commerce africain, l'ampleur de la tâche nécessitait l'emploi d'armateurs privés et de navires particuliers. On retrouve donc la trace d'expéditions malouines pendant cette période, une quinzaine environ, mais cela reste ponctuel et dispersé.

Jusqu'à la paix d'Utrecht, signée en 1713, les malouins apparaissent frileux quant à la participation à ce nouveau commerce qu'est la traite négrière, contrairement aux nantais qui saisissent cette nouvelle opportunité à pleine main. Entre 1707 et 1712, les nantais armèrent plus de 30 navires en partance pour les Antilles contre seulement 4 pour les malouins4. Cela peut s'expliquer par une certaine prudence vis à vis d'une activité

4. DAGET Serge, Répertoire des expéditions négrières françaises à la traite illégale, op. cit., p. 77

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À partir de 1713 donc, les circonstances changent nettement. La paix est signée entre les puissances d'Europe mettant ainsi fin à la course, le commerce en Mer du Sud se stoppera brutalement quatre ans plus tard et la Compagnie Malouine des Indes mettra fin à ses activités peu après. Cette même année, le roi, peu satisfait du monopole des compagnies, décide d'accorder la liberté de commerce aux nantais qui doublèrent, voire triplèrent, le nombre annuel de leurs expéditions (une vingtaine entre 1709 et 1712, 64 entre 1713 et 1716). D'autres ports tentèrent également de se lancer dans ce commerce, une dizaine d'expéditions chacun pour La Rochelle et Le Havre pendant ces trois ans, seulement une pour Saint-Malo. Les malouins sont toujours frileux, mais cela s'explique par leur tentative de remettre sur pied la pêche à la morue, frappée par la perte de Terre-Neuve, et l'exploitation de leur monopole dans l'Océan Indien.

En 1716, le roi accorde par lettre patente le régime de liberté, autrefois réservé à Nantes, aux ports de Rouen, La Rochelle, Bordeaux et Saint-Malo, d'autres ports l'obtiendront par la suite. Cette liberté nouvelle, ainsi que la perte de leurs autres activités, vont encourager les malouins à se lancer pleinement dans le trafic négrier, atteignant le deuxième rang français entre 1717 et 1723 avec 21 expéditions en traite, mais toujours loin derrière Nantes qui expédia 92 navires sur la même période. Après une brève interruption due à la volonté de la Compagnie de Lorient d'exercer son monopole, Saint-Malo envoya 20 autres navires entre 1726 et 1731, puis plus aucun jusqu'en 1738. Cela s'explique par la crise de l'activité portuaire que traversait la ville à cette période. Premier port du royaume en 1680, la ville venait alors d'atteindre son bilan le plus bas depuis plus de 50 ans.

L'activité repartit progressivement par la suite, mais toujours de manière timide, avec seulement 14 navires envoyés entre 1738 et 1744 contre 33 à Bordeaux, 89 à La Rochelle et 180 à Nantes. L'apogée de l'activité malouine survint de 1747 à 1792. Alors que Lorient abandonna pratiquement tout trafic négrier, Saint-Malo envoya 40 navires de 1747 à 1755 contre 46 à Bordeaux, 56 à la Rochelle et plus de 220 à Nantes. À la fin de la Guerre de Sept Ans et le Traité de Paris de 1763, la France connut un véritable « boom » négrier grâce à la prospérité de l'île de Saint-Domingue. Pendant les quinze années qui suivirent, Saint-Malo atteignit le niveau de la Rochelle avec 86 expéditions, Bordeaux (111), Le Havre (131) et Nantes (350) restant en tête du classement. La crise économique de 1770 provoqua un fléchissement de l'activité malouine dans ce domaine, qui peut aussi s'expliquer par la forte concurrence dans ce secteur mais également une réorientation des capitaux malouins vers des expéditions en Inde et en Chine, qui nécessitaient alors de lourds investissements.

La dernière partie du siècle négrier ne sera pas favorable à Saint-Malo qui n'expédia que 32 navires, contre plus de 100 pour Bordeaux, Le Havre et la Rochelle et plus de 300 pour Nantes. À partir de la Révolution française, Saint-Malo n'arma quasiment plus de navires négriers et lorsque que l'interdiction de la traite négrière fut actée en 1815, la ville ne prit quasiment pas part à la traite illégale à la différence de ses concurrents.

Saint-Malo a beaucoup perdu de sa superbe et n'est plus le port incontournable qu'elle était autrefois, sans pour autant être négligeable dans le paysage maritime français. Au bout du compte, avec environ 250 expéditions négrières pour plus de 80.000 captifs déplacés, Saint-Malo se hisse en cinquième position des ports négriers français, derrière Le Havre, La Rochelle, Bordeaux et bien sûr Nantes. À la différence de ces autres

5. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 29

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villes, Saint-Malo ne sut jamais pleinement profiter des opportunités qui lui étaient offertes, probablement à cause de complications locales et de leurs intérêts commerciaux qui se situaient autre part. Le commerce colonial ne fut jamais le socle de l'activité malouine, à la différence de Nantes, le port cherchant à s'imposer dans d'autres domaines tels que la pêche morutière qui rappelons-le, représentait 60% des armements malouins et 80% des emplois maritimes.

Un manque de patrimoine pas si évident

L'une des explications pour l'absence de mémoire de la traite à Saint-Malo viendrait du manque de patrimoine bâti. En 1710, période où le commerce négrier était encore anecdotique à Saint-Malo, les « accroissements » de la ville avaient déjà été réalisés, et il est donc quasiment impossible, à l'intérieur de Saint-Malo Intramuros, d'attribuer la construction de quelque bâtiment que ce soit à l'argent issu de la traite négrière. La seule trace qui nous est parvenue, et encore là certains doutent de sa provenance, est un mascaron (une tête de Noir) présent sur la façade de l'Hôtel Vincent des Bassablons, aujourd'hui le 2, place Guy La Chambre6.

Par la suite, les principaux armateurs négriers, tels Pierre-Jacques Meslé de Grandclos ou René Auguste de Chateaubriand, furent locataires dans Intramuros, ou alors achetèrent des propriétés (châteaux, malouinières...) déjà construites. Peu d'entre eux firent construire à Saint-Malo, et lorsque ce fut le cas, aucune preuve ne permet d'établir un lien avec l'argent de la traite. On peut donc statuer que la traite négrière n'est à l'origine d'aucune construction connue à Saint-Malo, même s'il est plus que probable que l'argent qui en provient ait donné lieu à des aménagements ou d'autres investissements ayant permis par la suite de bâtir.

Nous connaissons en revanche les adresses de certains négriers7 qui, bien qu'ils fussent pour certains en location, avaient leurs bureaux, leurs dépôts, et parfois leurs logements dans Saint-Malo Intramuros. On sait donc par exemple que Pierre Jacques Meslé de Grandclos était locataire de l'immeuble Nouail de la Villegille8, actuellement le 11 Rue de Toulouse et avait des casernes (des emplacements) dans les remparts, le long de l'actuelle rue Jacques Cartier, que René Auguste de Chateaubriand habitait l'Hôtel White (2, Place Chateaubriand) ou encore que François Auguste Magon de la Balue était installé à l'Hôtel d'Asfeld qu'il fit construire.

Sans que l'argent utilisé ne puisse être directement relié à la traite négrière, nous savons également que l'armateur Beauvais Le Fer, qui envoya à perte quatre navires en traite, fit construire entre 1725 et 1737 des maisons de rapport encore visibles au 3, 4 et 5 rue Saint-Philippe. Quelques années après, aux alentours de 1770, Pierre Beaugeard, armateur ( négrier ) richissime qui deviendra plus tard trésorier général des États de Bretagne, acheta dans la même rue le dernier emplacement disponible dans les accroissements et y fit construire son hôtel particulier, aujourd'hui au 2 rue Saint-Philippe. Enfin, pour terminer notre liste (non exhaustive) de bâtiments liés de près ou de loin à la traite négrière à l'intérieur de Saint-Malo Intramuros, nous dirons que Luc Magon de la Balue, qui se lança personnellement dans la traite en 1738, avait ses bureaux dans l'hôtel particulier hérité de son père, Jean Magon de la Lande, au 4 rue de Chateaubriand.

6. ROMAN Alain, « Les représentations de la traite à Saint-Malo ( XVIIIe - XXe siècles ) », Cahier de la Compagnie des Indes, n°9, 2006

7. Les adresses connues d'armateurs nérgiers Saint-Malo sont représentés en Annexe 3

8. voir Annexe 4 - Plans du logement de Meslé de Grandclos, actuellement le 11 rue de Toulouse

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En dehors de Saint-Malo Intramuros, les armateurs négriers possédaient également des propriétés, les célèbres malouinières, mais qui encore une fois furent construites pour la majorité d'entre elles avant l'apogée de la traite. On est en revanche convaincu que certaines de ces propriétés furent achetées grâce à l'argent de la traite, comme la malouinière de la Baronnie, à Saint-Servant, ou le château de Villers Bocage en Normandie, toutes deux possessions de Meslé de Grandclos. Pour d'autres armateurs, le lien n'est pas si évident. Luc Magon de la Balue fini d'achever sa malouinière (la Blinais, plus tard rebaptisé la Balue) en 1719 grâce à l'argent hérité de son père, soit près de vingt ans avant qu'il ne se lance en dans le commerce négrier.

Nous parlerons aussi, bien entendu, du château de Combourg, propriété de René Auguste de Chateaubriand, et que certains associent trop facilement à l'argent de la traite. N'ayant armé aucun navire négrier avant 1761, date de l'achat du domaine, et n'ayant commandé qu'une seule fois un navire négrier dans sa carrière de capitaine, il est clair que l'argent qui lui a été nécessaire pour acheter sa propriété provient uniquement de ses bénéfices en course. Mais il est cependant important de souligner que l'argent qu'il possédait à la base pour armer ses navires en course provenait lui, en partie, de l'argent de la traite. Ce n'était certes qu'une petite partie de l'investissement de départ, et la somme dont on parle ici est bien loin des 370.000 livres nécessaires à l'achat du domaine de Combourg9, mais c'est néanmoins un exemple de plus du fait qu'à cette époque, il était difficile de dissocier les activités et leurs revenus tant celles-ci étaient profondément liées entre elles.

L'historien malouin Alain Roman, qui a également travaillé sur le cas de Chateaubriand, conclura d'ailleurs le sujet de cette manière : « Certes la traite négrière a joué un rôle dans l'apport de M. de Chateaubriand à sa première participation dans l'armement. Mais ce ne fut qu'une petite partie de son investissement. Très vite l'effet cumulatif des bénéfices de la course a effacé l'apport négrier. Décupler sa fortune : seule la course permet d'expliquer ce résultat en trois ans10 ».

La liste des propriétés qui ont appartenu à des armateurs ayant pratiqué la traite négrière n'est évidemment pas complète et mériterait une étude en soi. On pourrait par exemple parler de Robert Surcouf, grand propriétaire terrien mais dont les revenus liés à la traite sont extrêmement flous du fait qu'il l'a pratiquée après son interdiction, donc de manière illégale. De plus, comme nous l'avons déjà dit, les revenus d'un armateur ne sont jamais directement liés à une seule activité, et il est donc extrêmement difficile d'attribuer la construction de tel ou tel édifice aux bénéfices de cette seule activité.

Une autre difficulté que connaît Saint-Malo, à la différence de Nantes ou Bordeaux, vient du fait que la ville fut quasiment détruite à la suite des bombardements de juin 1944. Bien que la ville ait été reconstruite « à l'identique » par l'architecte Louis Arretche, seules les façades des hôtels particuliers correspondent à ce qui existait avant la Seconde Guerre Mondiale. De l'Hôtel White par exemple, où habitait la famille Chateaubriand, il ne reste que les deux colonnes de l'entrée et la façade latérale sur la rue Garengeau11. Il est donc apparemment très difficile pour les malouins d'attribuer une valeur mémorielle aux bâtiments construits ou occupés par des négriers, dans la mesure où se ne sont pas les « originaux ».

Pour Nantes, Olivier Pétré-Grenouilleau écrivait : « Du passé négrier nantais, restent les façades des maisons bourgeoises de l'Île Feydeau. (...) Que ce paysage urbain nous serve de leçon12. » Dans un article intitulé « Nantes, Bordeaux

9. BERGER Guy, « René-Auguste de Chateaubriand, le père de l'auteur des Mémoires d'outre-tombe, a-t-il acquis le Château de Combourg avec l'argent de la traite négrière ? », in L'écho de la SHAASM, n°03, 29 juilet 2020

10. Cité par Guy BERGER, in L'écho de la SHAASM, op. cit., Colloque organisé à Saint-Malo les 13 et 14 septembre 2018 par la Société Chateaubriand, le Souvenir de Chateaubriand (SCAC) et les Amis de la Maison de Chateaubriand (AAMC)

11. ROZE Sylvain, « Hôtel White - Médaillon Chateaubriand - Saint-Malo », e-Monumen, 2011, consulté le 08 Février 2021, https://e-monumen.net/ patrimoine-monumental/hotel-white-medaillon-chateaubriand-saint-malo/

12. PÉTRÉ-GRENOUILLEAU Olivier, Nantes au temps des négriers, op. cit., p.254

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Saint-Malo et ses héros

et la mémoire de l'esclavage13 » paru en 2002, le chercheur en sociologie Stéphane Valognes s'interroge sur les éléments du paysage urbain liés à la traite, à sa mémoire et à leurs usages contemporains : « Ce paysage n'est-il qu'un « résidu », muet et passif ? Ou, a contrario, les usages dont il est l'objet ne le placent-ils pas au centre d'enjeux de mémoire(s), comme révélateur d'aspirations et de temporalités sociales et politiques contradictoires, de la part de groupes sociaux ayant en partie subie la traite transatlantiques sur la longue durée ? ».

Face à ce patrimoine, Nantes et Bordeaux adoptent deux postures différentes. La première assume pleinement aujourd'hui pleinement son héritage, à tel point que les publications à caractère touristique renvoient à ces éléments du paysage urbain nantais : « Il est amusant de détailler ces immeubles d'opulents négociants pour découvrir ici des mascarons, là des balcons galbés élégamment formés14. ». Toujours selon Stéphane Valognes, ces éléments sont donc « systématiquement convoqués pour dire et permettre l'interprétation d'un processus historique aux multiples dimensions. Ces immeubles et ces façades sont quelque part assignés à dire le passé négrier nantais et par extension le passé négrier français ».

À Bordeaux, le rapport à ce patrimoine est plus complexe, et oscille entre le silence et l'allusion. Éric Saugera écrira d'ailleurs à ce sujet : « les façades du XVIIIe siècle ne laissent rien transparaître de l'activité de leurs occupants d'alors : allée de Tourny, elle reflète la prospérité d'une cité qui n'a pas de conflit avec l'histoire15. » Néanmoins, depuis quelques années maintenant, la municipalité de Bordeaux a décidé d'apposer des plaques explicatives sur les rues portant le nom d'armateurs négriers et sur les façades de bâtiments en lien avec la traite, preuve selon Stéphane Valognes que la ville reconnait désormais son patrimoine et utilise, comme à Nantes, son paysage et ses formes urbaines comme support critique de mémoires ou de revendications.

Saint-Malo n'a pas encore ce rapport à son patrimoine, du moins en ce qui concerne la traite négrière. Il est en revanche possible de visiter dans la ville une « demeure corsaire », l'Hôtel d'Asfeld, mais également la maison de Robert Surcouf ou encore celle où est né François René de Chateaubriand. Nous y reviendrons ultérieurement, mais ceci prouve donc que malgré la reconstruction de la ville, les autorités sont capables d'attribuer une valeur mémorielle au patrimoine de la ville, tant que cela sert les intérêts touristiques de celle-ci.

Selon Christine Chivallon, pour que la mémoire s'opère, il faut « l'intervention de la forme urbaine, non pas seulement parce que celle-ci est dotée de l'efficacité de « l'effet de visibilité », mais parce qu'elle permet aussi que s'opère la distanciation temporelle nécessaire entre une actualité voulue harmonieuse et un passé révélé excessivement tourmenté16. ». Sans que cela ne soit flagrant comme c'est le cas à Nantes, et dans une moindre mesure à Bordeaux, la ville de Saint-Malo a donc quelques éléments patrimoniaux à exploiter pour assumer pleinement son passé négrier, encore faut-il qu'elle en ait l'envie...

13. VALOGNES Stéphane, « Nantes, Bordeaux et la mémoire de l'esclavage », Homme & Migration, 2002, pp. 119-123

14. Le Guide Vert - Bretagne, Michelin édition du voyage, 2000, p.285

15. SAUGERA Éric, Bordeaux, port négrier, chronologie, économie, idéologie, XVIIe - XIXe, coédition J&D (Biarritz) / Karthala (Paris), 1995, p. 15

16. CHIVALLON Christine, « Bristol et la mémoire de l'esclavage, changer et confirmer le regard sur la ville », Annales de la recherche urbaine, n°85, Paris, 1999, pp. 100-110

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Pendant le « siècle de la traite », Saint-Malo a compté de nombreux armateurs ayant pris part, entre autres, au trafic d'êtres humains. Sur les quelques 1100 négriers français dénombrés par J-M Deveau17, Saint-Malo en compta au moins 61 (environ 5%). En revanche, tous ne prirent pas part à ce trafic de manière égale, entre autres 24 armateurs n'effectuèrent qu'un seul voyage négrier et seulement 11 en firent plus de cinq18.

Ces armateurs ont parfois au fil des années amassé des fortunes colossales, parfois grâce à l'argent de la traite, et parfois grâce à d'autres armements. De part les associations entre les armateurs malouins, qu'elles soient de nature matrimoniale, financière ou professionnelle, on se rend compte que la traite, au même titre d'ailleurs que la course ou la pêche à la morue, a touché de près ou de loin l'ensemble des grandes familles malouines. Et si cette activité n'a pas nécessairement assuré leur fortune, il y a contribué, comme le prouve le tableau des malouins les plus riches à la veille de la Révolution19.

Il est important de préciser que l'armateur est avant tout un commerçant, avec un capital qu'il doit faire fructifier. Ainsi, la majorité d'entre eux ne se sont pas limités à une seule activité mais ont au contraire cherché à diversifier leurs sources de revenu. Tous les armateurs corsaires n'ont pas nécessairement pratiqué la traite et ceux qui armaient des navires négriers n'ont pas non plus nécessairement pris part à la course. Mais cela restait tout de même une chose fréquente que d'investir son argent là où il serait le plus susceptible d'être vite rentabilisé. À certaines périodes donc, la majorité des armements partaient pour Terre-Neuve et la pêche à la morue, à d'autres, les fonds étaient investis dans des expéditions négrières, et en période de guerre, les armateurs armaient généralement leurs navires pour la course.

Cette polyvalence était d'ailleurs gage de qualité et d'expérience de la part des marins, et toutes ces activités ont un point commun essentiel : la mer20. Au final, peu importe la cargaison du navire ou la destination, ces marins devaient être capable de faire face aux mêmes difficultés, les tempêtes, les longs voyages, la vie à bord, le négoce...

En présentant les mémoires de son ancêtre, le corsaire français Angenard, Didier Delaunay nous dit à son propos : « Si le titre de corsaire est loin de nous déplaire dans nos annales de famille, ce n'est pas sans regret que nous y trouvons celui de négrier. Angenard, de même que la plupart de ses confrères, s'est livré à cet horrible trafic. Il en parle, comme d'une opération commerciale quelconque, avec une indifférence qui dénote la plus parfaite sécurité de conscience. Les nègres, considérés comme une simple marchandise, ne lui inspirent ni horreur, ni compassion21. »

Certains de ces armateurs bénéficient aujourd'hui d'une grande renommée grâce à leurs accomplissements maritimes, militaires ou politiques, c'est le cas par exemple de Robert Surcouf (1773-1827), célébré pour ses faits d'arme, ou Mahé de la Bourdonnais (1699-1753), reconnu pour son accomplissement politique. D'autres sont aujourd'hui dans l'anonymat le plus total malgré leur succès de l'époque, comme Pierre-Jacques Meslé de GrandClos (1728-1806) qui fut l'armateur malouin le plus riche de son temps, le 6e armateur français d'ailleurs, et qui envoya aux Antilles plus d'esclaves que n'importe qui dans la cité.

17. DEVEAU Jean-Michel, La France au temps des négriers, Paris, France-Empire, 1994

18. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 56

19. voir Annexe 5 - Liste des citoyens les plus riches de Saint-Malo en 1790

20. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 274

21. DELAUNAY Didier, Angenard, capitaine de corsaire, Paris, La découvrance, 2007

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Nous allons désormais nous intéresser plus précisément à cinq cas de figure, tous ayant pour point commun d'avoir pris part au commerce négrier, et présentant des profils mais surtout un héritage relativement différents les uns des autres. Outre les trois que nous venons de citer, nous présenterons également la famille Magon, exemple parfait des « Messieurs de Saint-Malo », caractéristique de la réussite de la ville, ainsi que René-Auguste de Chateaubriand, père du célèbre écrivain, et dont la renommée du fils a effacé les griefs contre le père.

en France, mais par la recherche continuelle d'information, la rotation constante du capital, la polyvalence de l'outil de travail (les navires), l'internationalisation du marché et la concentration verticale et horizontale,

préfigure ce que seront les grandes entreprises qui seront à l'origine de la révolution industrielle du XIXe siècle23.

Meslé de Grandclos :

Il est important, je pense, de commencer par le plus grand de tous, Pierre-Jacques Meslé de Grandclos, qui vécut à Saint-Malo au XVIIIe siècle, lorsque la traite négrière était à son apogée. Son ascension fut rapide, d'abord enseigne* à 13 ans sous les ordres de René Auguste de Chateaubriand, père de l'écrivain (nous y reviendrons plus tard), il devient rapidement capitaine à l'âge de 24 ans et après seulement 14 campagnes. Cette ascension à la fonction de capitaine permet un développement financier conséquent grâce à l'intéressement au capital des navires que l'on commande.

Il a 28 ans lorsqu'il devient armateur. La même année éclate la Guerre de Sept ans (1756-1763) qui va lui offrir une chance extraordinaire : il est l'un des deux seuls armateurs corsaires de la ville (avec Chateaubriand) à faire fortune à l'issu du conflit et, grâce à l'argent amassé, monte sa propre maison de commerce qui devient alors rapidement la première de Saint-Malo.

Comme Chateaubriand, il se lance dans la traite à la fin de la guerre en 1763 et constitue rapidement une large flotte ce qui lui permet dès 1765 d'avoir au moins quatre navires négriers opérant plus ou moins simultanément, et d'avoir chaque année deux bateaux filant en droiture* à Saint-Domingue pour chercher les remises. Mais contrairement au père de l'écrivain qui utilisa ses gains pour acheter le domaine de Combourg, l'armateur eut l'intelligence de réinvestir et diversifier ses rentrées d'argent.

Au moment de la liquidation de la société de Chateaubriand en 1779, Meslé de Grandclos a plus de 80 armements derrière lui, dont 25 en Afrique et plus de 15 aux Antilles. Bien que les chiffres dont on dispose pour lui soient moins documentés que pour ceux de Chateaubriand, on estime ses rentrées d'argent dans ce secteur à plus de 10 millions de livres, ce qui lui aurait permis après déduction de l'investissement et des frais, de tirer un bénéfice, au bas mot, de 1,5 millions de livres22.

La seconde partie de la carrière de Meslé de Grandclos va dans le sens de la première. Bien qu'il ait fait fortune grâce à ses armements corsaires pendant la Guerre de Sept ans, il devint plus prudent et ne prit pas part à la Guerre d'Indépendance Américaine* (1775-1783). Pendant la dernière décennie de sa carrière d'armateur, qui prit fin au moment de la Révolution française, il s'attelle à consolider sa fortune et privilégie les rentrées d'argent plus sûres. Il effectue un virage vers le cabotage et les expéditions morutières, et se désintéresse progressivement de la traite, bien que la Guinée et les Antilles comptent chacune une dizaine d'expéditions pendant cette période.

En 30 ans, il arma plus de 160 navires parmi lesquels 35 partirent en traite et 30 firent un voyage aux Antilles et en Guyane, ce qui fait ainsi de lui le plus gros des armateurs négriers malouins et l'un des tout premiers français. L'historien Alain Roman estime que la société de Meslé de Grandclos, sans être la seule

22. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 202

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À la veille de la Révolution, Meslé de Grandclos est plus riche que n'importe qui dans la cité. En 1785, il est le deuxième malouin en termes de capitation derrière La Vieuville et le premier en termes d'industrie devant Magon de la Lande. En 1790, l'addition des différents impôts le place en première position des citoyens actifs24. Opportuniste, il profite de la révolution pour se faire élire en février de la même année avec 24 notables pour seconder la municipalité, mais refusa plus tard de devenir membre du conseil municipal. Il est également désigné par le Conseil permanent avec cinq autres commissaires pour présenter un rapport sur l'abolition de l'esclavage, à laquelle il est fortement opposé.

Même s'il est difficile d'attribuer l'ensemble de sa fortune aux armements négriers, il est essentiel de rappeler que sur l'ensemble de ses 166 armements, plus de la moitié fut consacrée aux « armements exotiques et coloniaux ». On doit cependant nuancer et dire qu'il fit d'abord fortune dans la course et qu'il est évident que la traite ne peut être seule à l'origine d'une telle fortune, bien qu'elle fut un moteur et eut de nombreuses répercussions sur l'industrie textile et métallurgique, sur les chantiers navals et l'emploi.

Au final, Pierre-Jacques Meslé de Grandclos ne construisit jamais rien et ne laissa pratiquement aucune trace dans la mémoire de la ville. Commerçant de génie, il ne s'intéressa que très peu à la vie politique et civile mais fut néanmoins incontournable du fait de l'importance de son entreprise. Il fut donc un acteur majeur de son temps et participa au développement, à la fois du port de Saint-Malo et de l'activité négrière en France.

René Auguste de Chateaubriand :

René Auguste de Chateaubriand est aujourd'hui connu pour être le père du célèbre écrivain, François René de Chateaubriand, considéré comme le père du romantisme. Avant cela, il était surtout un armateur, un négociant et un noble de Saint-Malo. De 10 ans l'ainé de Meslé de Grandclos, René Auguste de Chateaubriand vient d'une famille noble, nombreuse mais désargentée. Il décide à 15 ans de se rendre à Saint-Malo pour tenter sa chance sur les mers, où il deviendra enseigne jusqu'à ses 23 ans.

Il acquiert rapidement une grande expérience de la mer, travaillant sur des navires aussi bien morutiers que négriers, sans oublier les expéditions corsaires. Lors des campagnes de courses 1745-1746, il commande en second avant d'être capturé par les anglais. À son retour de prison à l'âge de 29 ans, il devient enfin capitaine de navire et a sous ses ordres lors de son premier voyage en 1747, son futur ami et négrier Pierre-Jacques Meslé de Grandclos.

Faute de relations à Saint-Malo, il se rend à Nantes où il mène en huit ans trois expéditions à Saint-Domingue et une expédition négrière à bord de l'Apollon de 1754 à 1757. Chateaubriand a désormais une expérience diversifiée et solide, des relations avantageuses et un petit début de fortune estimé à 30.000 livres qui va lui permettre de se lancer en tant qu'armateur.

23. Ibid., p. 200

24. voir Annexe 5 - Liste des citoyens les plus riches de Saint-Malo en 1790

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Fig. 5. Portrait de Pierre-Jacques Meslé de Grandclos - auteur inconnu, 1790

Fig. 6. Lithographie de Robert Surcouf - Lemercier, 1835

Comme Meslé de Grandclos donc, Chateaubriand se lance en course pendant la Guerre de Sept ans où il obtient un succès équivalent à celui de son ami, avec des gains estimés entre 300.000 et 500.000 livres.

un dernier voyage négrier avant de rentrer en métropole, où il débarque à Lorient en 1792. L'année suivante, il devient capitaine corsaire à l'âge de 20 ans. C'est à partir de là que s'écrira la légende de Robert Surcouf.

Mais à la différence de celui-ci qui va réinvestir sa fortune dans ses activités, Chateaubriand va choisir de l'immobiliser en achetant en 1761 le comté de Combourg pour 370.000 livres. À partir de là, il mènera une double carrière de maître quasi féodal d'un vaste domaine terrien et de négociant malouin25.

À son apogée, de 1764 à 1768, il arme cinq ou six navires par an et emploie jusqu'à 294 officiers et marins. À partir de 1770, il se détourne progressivement du négoce pour se concentrer sur la gestion de son domaine et sa participation aux États de Bretagne. Il continue cependant d'envoyer des navires en traite et dans l'océan indien jusqu'en 1776, alors qu'il a définitivement abandonné le cabotage et la grande pêche. Après cela, il se retire définitivement dans son domaine de Combourg, où il mourut dix ans plus tard.

En un quinzaine d'années, il expédia 40 navires commerciaux et fit construire huit bateaux à Saint-Malo. Chateaubriand fut d'avantage un armateur morutier qu'un négrier, alors qu'il envoya 27 bateaux à Terre-Neuve, il n'en expédia que 6 en traite, 6 aux Antilles et un seul en Guyane. La vérité est que Chateaubriand eut une carrière d'armateur plutôt médiocre comme peut l'attester le bilan de ses armements. En 40 voyages, il se trouve en quinzième position des armateurs de son époque, et n'aura dégagé de la totalité de ses voyages qu'un bénéfice d'une centaine de milliers de livres, très loin du succès de Meslé de Grandclos.

La raison en est certainement qu'il passa le plus clair de son temps à s'occuper de son domaine de Combourg et à faire des procès dans l'espoir de maintenir son rang dans la noblesse. Ses méthodes était conservatrices, voire frileuses, et ne lui permettaient donc pas de dégager des bénéfices extravagants comme ceux d'armateurs plus entreprenants26. Ajouté à cela un certain manque de chance, Chateaubriand n'eut certainement pas la carrière dont il avait rêvé et doit la postérité de son nom davantage à l'oeuvre de son fils qu'à la sienne.

Robert Surcouf :

Robert Surcouf est certainement le corsaire français le plus connu d'entre tous. Célébré pour ses exploits militaires en course, tel la prise du Kent en 1800, celui que l'on surnomme le « tigre des 7 mers » n'en était pas moins un armateur comme les autres, qui pratiqua le commerce négrier entre 1815 et 1827, période où celui-ci avait pourtant été suspendu par Louis XVIII, puis interdit par Napoléon.

Né à Saint-Malo en 1773, dans une famille dont le père et l'oncle pratiquent déjà la traite (12 expéditions entre 1747 et 177727), Robert Surcouf s'embarque sur les mers dès l'âge de treize ans. Trois ans plus tard, il embarque sur l'Aurore, un navire marchand en partance pour les Indes pour y faire du commerce d'esclaves. Sur le retour, le navire part chercher des esclaves sur la Corne de l'Afrique, mais fait naufrage dans le Canal de Mozambique, quatre-cents esclaves meurent alors noyés, enchaînés à fond de cale.

Arrivé à Port-Louis, il est promu officier de la marine marchande, et embarque sur un autre navire négrier à destination du Mozambique, le Courrier d'Afrique. Après cela, il est promu de nouveau et effectue

25. SAINT-MLEUX Georges, « Les armements de M. de Chateaubriand », Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, 1919

26. VIGNOLS Léon, Saint-Malo et les Amériques au XVIIIe siècle, dossier n°8 publié en 1999 par le service éducatif des Archives Municipales de Saint-Malo

27. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 58

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Les exploits corsaires ne sont pas notre sujet, mais il nous semble important d'expliquer ce qui a fait par la suite la renommée de ce personnage. En tant que capitaine, il commande successivement cinq navires et totalise, entre 1795 et 1801, puis entre 1807 et 1808, pas moins de 44 prises de guerre. Certaines de ses batailles, où il était seul contre deux, ainsi que certaines de ses prises, telles celles du Triton et du Kent, entreront par la suite dans l'histoire et seront célébrées dans la culture populaire, comme le montre le célèbre tableau de Ambroise-Louis Garneray28.

Après sa première période de course, Surcouf rentre à Saint-Malo où il se marie et devient lui-même armateur. À la reprise des hostilités avec les anglais en 1803, il retourne à ses activités belligérantes, à la fois en tant qu'armateur et capitaine corsaire. Son bilan en tant qu'armateur corsaire est plus mitigé que celui de capitaine. La période 1803-1809 est un franc succès pour le malouin, mais celle qui suivit, 1809-1814, est plus difficile et on estime ses pertes à environ 400.000 francs. Dans l'ensemble, le bilan corsaire de Surcouf reste nettement positif et ses déconvenues n'entacheront que peu son image et sa fortune.

Après l'année 1814, qui marque l'arrêt définitif de plus de deux siècles de course, Surcouf oriente ses activités d'armateur vers les expéditions commerciales. Entre cette date et l'année de sa mort en 1827, Surcouf arma 116 expéditions, dont les deux tiers destinées au cabotage et à la pêche morutière, le reste étant principalement destiné à l'Océan Indien. Parmi ces expéditions, on en compte au moins six de nature négrière, comme l'atteste sa signature sur plusieurs documents explicites. Ayant pratiqué la traite lorsque celle-ci était interdite, Surcouf ne fut néanmoins jamais inquiété par les autorités, probablement parce qu'il menait ses activités de manière très discrète29.

Robert Surcouf est aujourd'hui considéré comme l'un des tout meilleurs marins français et son palmarès militaire n'a jamais été égalé. La traite négrière n'a représenté qu'une infime partie de ses activités d'armateur, même si c'est par cette voie qu'il a été formé au monde de la marine. Au final, il est tout à fait normal que Robert Surcouf soit célébré pour ses exploits corsaires. Il est en revanche plus surprenant que le reste de ses activités ne soit mentionné qu'à demi-mots, voire pas du tout, par ses biographes et ses admirateurs. Si ce n'est pour le travail de quelques-uns, il est très difficile de trouver des informations solides sur les activités en traite de Robert Surcouf. L'historien Alain Roman s'interroge d'ailleurs à ce sujet : « Pensent-ils qu'un corsaire déchoit en pratiquant le commerce ? Ou bien estiment-ils que la participation de Surcouf à la traite illégale nuirait à sa gloire si elle était connue ?30 ». Finalement, bien que nous connaissions le contexte de l'époque ainsi que les exigences de l'activité d'un armateur, on observe que la traite négrière apparait comme un tabou qu'il est préférable de ne pas évoquer, et que toute la gloire d'un héros ne saurait effacer.

Mahé de la Bourdonnais :

Bertrand-François Mahé, sieur de la Bourdonnais, est né à Saint-Malo en 1699 et fut le premier Gouverneur Général des Mascareignes. Il est aujourd'hui considéré comme le celui à l'origine du développement de l'archipel, qui comprend notamment l'Ile de France et l'Ile Bourbon, aujourd'hui l'Ile Maurice et l'Ile de la

28. GARNERAY Ambroise-Louis, Prise du Kent par Survouf, 1850, huile sur toile

29. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 266

30. Ibid., p. 264

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Réunion. Ce développement s'est fait sous l'impulsion de nombreux malouins, qui participèrent activement au peuplement des iles, Mahé de la Bourdonnais ayant notamment organisé le transport et de la vente de captifs

L'histoire se souviendra de Mahé de la Bourdonnais comme un créateur, ainsi qu'un administrateur de génie. Sans attendre la postérité, cet armateur et homme politique jouissait déjà d'une grande renommée

malgaches et africains comme esclaves à l'Ile-de-France et à l'Ile Bourbon, comme l'a très bien montré Jean-Marie Filliot31.

Sur les mers depuis l'âge de 10 ans, Mahé de la Bourdonnais entre au service de la Compagniecfrançaise des Indes Orientales à l'âge de 19 ans. Il devient rapidement capitaine et brille notamment dans la prise de Mahé, sur la côte indienne. Par la suite, il quitte la Compagnie des Indes pour armer ses propres navires dans l'océan Indien, activité qui lui assurera la fortune. À 33 ans, il est nommé Gouverneur général des Mascareignes, alors encore comprises dans le privilège de la Compagnie des Indes de Lorient qui eut le monopole du commerce avec l'Océan Indien jusqu'en 1767.

Désireux de développer les infrastructures et la culture de la canne à sucre sur l'Ile de France, Mahé de la Bourdonnais effectue des aménagements portuaires, développe un système d'adduction d'eau, construit un hôpital, des églises, des routes, il valorise l'agriculture et l'industrie, et crée la première sucrerie de l'ile. Pour ces travaux d'une ampleur considérable, il fallait une main d'oeuvre tout aussi importante, et évidemment les Blancs n'y suffisaient pas.

C'est principalement à l'aide d'une main d'oeuvre servile que Mahé de la Bourdonnais aménage les Mascareignes. Selon ses dires, l'habitant, comprendre ici le colon, est « trop fainéant » et l'utilisation d'esclaves est donc nécessaire. J-M Filliot rapporte également ce propos de la part du malouin : « C'est encore un travail de quinze années à 200 noirs pour avoir dans les iles tous les chemins qui sont nécessaires à la commodité publique32 ».

Lorsque Mahé de la Bourdonnais arrive en 1735, l'Ile de France n'était peuplée que 838 habitants, parmi lesquels 648 étaient des esclaves. Cinq ans après, le nombre d'esclaves était passé à 2612, soit quatre fois plus, tandis que celui des colons (blancs) avait à peine doublé, atteignant 369 personnes. Mais le peuplement des Mascareignes ne peut s'expliquer que par les acheminements officiels de la Compagnie des Indes qui, sous la gouvernance de Mahé de la Bourdonnais, livra un peu moins de 2000 Noirs. J.-M. Filliot estime lui les entrées réelles de Noirs sur l'archipel entre 10000 et 12000 âmes33.

Entre 1727 et 1751, plus de 25.000 esclaves furent importés dans l'ensemble des Mascareignes. On estime que Mahé de la Bourdonnais en fit venir entre 1000 et 1200 par an pendant 10 ans. La fraude et la contrebande ont donc dû être très actives pendant cette période et il est probable que Mahé de la Bourdonnais, qui plaidait pour une « liberté de commerce d' Inde en Inde34 » obtenue en 1741, fut l'un des premiers à en profiter à travers une société qu'il créée et qui arma au moins quatre voyages négriers entre 1742 et 1744.

Après son départ du poste de Gouverneur général des Mascareignes, deux autres malouins, Bouvet de Lozier et René Magon, contribuèrent à l'acquisition d'une bonne partie des 14000 esclaves qui arrivèrent aux Mascareignes entre 1752 et 1766. Lorsque le monopole de la Compagnie des Indes prit fin, c'est près de 50.000 captifs qui avaient été amenés à l'Ile Bourbon et l'Ile de France, principalement sous l'action de gouverneurs provenant de Saint-Malo35.

31. FILLIOT Jean-Marie, La traite des esclaves vers les Mascareignes au XVIIIe siècle, Paris, ORSTOM, 1974

32. Ibid.

33. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 223

34. Ibid., p. 254

35. Ibid. p. 223

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de son vivant, comme le prouve les écrits de Voltaire, son contemporain, à son sujet : « [Il] était, comme les Duquesne, les Bart, les Duguay-Trouin, capable de faire beaucoup avec peu, et aussi intelligent dans le commerce que dans la marine... Cet homme, à la fois négociant et guerrier, vengea l'honneur du pavillon français en Asie36. » Le premier gouverneur des Mascareignes a su se faire une place aux côtés de Surcouf et Jacques Cartier dans le panthéon des héros malouins unanimement célébrés dans la ville.

Famille Magon :

La famille Magon est certainement un des plus beaux exemples de la réussite malouine, et est devenue un véritable symbole de l'apogée de la ville, entre 1680 et 1720. Dans son ouvrage Les Messieurs de Saint-Malo37, André Lespagnol a largement démontré la puissance de cette famille, qui par ses alliances familiales, politiques, financières et internationales, s'est constitué un large réseau assurant sa fortune et sa réussite.

À la mort du patriarche de la famille, Jean Magon de La Lande, qui est considéré comme le premier des négociants malouins au XVIIe siècle, ses fils Francois-Auguste Magon de La Lande et Luc Magon de La Balue, tous deux formés à Cadix comme le voulait l'usage dans les grandes familles négociantes, prirent le contrôle de la maison de commerce familiale. À partir de 1715, ils sont membres du directoire de la Compagnie des Indes de Saint-Malo jusqu'à la disparition de celle-ci en 172038.

Du fait du succès de la famille, les deux frères règnent sur le négoce malouin et il n'est donc pas étonnant de les voir prendre part au commerce négrier, comme ce fut le cas pour la plupart des grands armateurs de l'époque. Luc Magon de La Balue fut le plus prolifique des deux, mais sans détailler les armements de chacun des membres de la famille, on considère que mis ensemble les Magon sont les deuxièmes plus grands armateurs négriers de la ville, avec 22 expéditions entre 1738 et 1777, seulement devancés par Meslé de Grandclos et ses 35 expéditions39.

Il est également intéressant de se pencher sur la part de ce trafic en proportion de l'ensemble des armements effectués. Pour Nicolas Magon de La Lande, neveu de Luc Magon et associé à Nouail de la Villegille, cette part s'élève à 69,5%40 de ses armements, bien plus que pour n'importe quel autre grand armateur de la ville. Cette statistique ne concerne qu'un seul des membres de la famille et ne veut donc pas dire que le commerce négrier était le socle de l'activité familiale (la fortune des Magon était constituée avant l'entrée en traite des malouins), mais elle indique néanmoins que ce trafic représentait bien plus qu'une activité secondaire comme certains peuvent laisser entendre, et pouvait parfois prendre une grande ampleur.

Au final, la famille s'est durablement implantée dans la noblesse locale, puis nationale, certains de ses membres ayant occupé des places de choix dans les hautes sphères du royaume, comme pour le fils de Luc Magon de La Balue, Jean-Baptiste, qui fut l'un des plus grands financiers français de la seconde moitié du XVIIIe siècle et le banquier du compte d'Artois et de nombreux autres aristocrates41.

36. VOLTAIRE, Précis du siècle de Louis XV, Paris, Delangle frères, 1826

37. LESPAGNOL André, Messieurs de Saint-Malo, une élite négociante au temps de Louis XIV, op. cit.

38. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 61

39. voir Annexe 6 - Plus grands armateurs négriers malouins du XVIIIe siècle

40. voir Annexe 7 - Plus grands armateurs malouins sur la période 1756-1792

41. LE BARZIC Ernest, À Saint-Malo les Magons, Édition réimprimée La découvrance, 1974

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La famille a laissé derrière elle un impressionnant patrimoine bâti, certaines des malouinières qu'ils ont construites étant considérées parmi les plus belles d'entre elles. L'hôtel particulier construit par le fils de Nicolas Magon, et indiqué comme « demeure corsaire », est aujourd'hui l'un des plus visités de la ville. L'héritage et l'image qu'ils ont laissés sont donc celui d'un exemple parfait de réussite, une vitrine de ce que pouvait incarner un parfait négociant malouin pendant l'âge d'or de la ville, diversifiant ses investissements et ses relations de manière à faire durablement prospérer son nom et fructifier son capital.

À travers ces cinq cas de figure, ayant pour point commun d'avoir pris part au commerce d'esclaves, mais qui présentent tous des profils et un héritage relativement différents les uns des autres, nous souhaitions mettre en avant le fait que l'histoire peut facilement effacer de ses registres les noms dont elle n'est pas fière. Sur les cinq noms que nous avons présentés, seuls trois sont célébrés dans la ville : Surcouf pour ses exploits militaires, Mahé de la Bourdonnais pour ses accomplissements politiques, et Chateaubriand grâce au succès littéraire de son fils.

Les Magon sont également reconnus dans la ville, mais dans une moindre mesure, et il ne serait pas surprenant si vous n'êtes pas malouin que leur nom vous soit totalement inconnu. Leurs seules activités commerciales n'étant probablement pas suffisantes pour les hisser au rang de héros de la ville, leur postérité vient du fait que la famille fut couronnée de succès pendant plusieurs générations et laissa derrière elle un patrimoine conséquent.

Vient enfin Meslé de Grandclos, qui sans le travail historique et biographique de Alain Roman42, serait encore probablement dans les oubliettes de l'histoire. Plus riche armateur de son temps, citoyen éminent de la ville, il fut un pur commerçant qui ne chercha que le profit tout au long de sa vie. N'ayant jamais rien construit, et ayant en partie bâti sa fortune sur le commerce d'êtres humains, l'histoire a donc décidé qu'il n'était pas bon de se souvenir de lui. On peut supposer sans peine que ce même sort se serait appliqué à René-Auguste de Chateaubriand, armateur au parcours similaire, si son fils n'avait pas fait resplendir le nom de sa famille dans toute la France.

Nous le verrons dans la troisième partie de cette étude, mais le fait que certains grands noms nous soient parvenus alors que d'autres se sont progressivement effacés ne doit absolument rien au hasard. Finalement, les succès que ces hommes ont pu connaitre de leur vivant importent peu dans l'héritage qu'ils laissent derrière eux, car c'est la postérité qui se charge de les juger à travers des prismes qui n'était certainement pas les leurs.

42. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit.,

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Saint-Malo en marge des récents mouvements de contestation

Depuis la mort de George Floyd aux États-Unis le 25 Mai dernier, une vague de contestation et de revendication frappe le monde occidental. La colère était évidemment déjà présente, mais la tragédie, qui vit un homme noir sans défense étouffer à cause d'un policier blanc, fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. En plus des émeutes contre les débordements policiers qui prirent place partout dans le monde, c'est naturellement que cette colère se mut par la suite en un élan iconoclaste visant les symboles d'un système esclavagiste révolu.

Pour certains, cela n'est que la conséquence d'une idéologie héritée de la traite négrière et qui structure les sociétés occidentales depuis lors. Les victimes de cette idéologie seraient la cible d'un racisme systémique, qui s'illustre par exemple par les violences policières, beaucoup plus marquées envers les communautés noires et les minorités. Mais comme le rappelle le dramaturge rwandais Dorcy Rugamba dans un entretien accordé au journal M, Le Monde43, cette idéologie, parfois nommée « White Supremacy », n'est pas faite uniquement de pratiques, c'est également un récit et une série de représentations dont les statues font partie.

Ces représentations d'une époque révolue sont donc devenues le nouveau fer de lance des manifestants antiracistes qui cherchent à faire tomber ces symboles d'une société inégalitaire et d'une histoire dans laquelle ils ne se retrouvent pas. Ce mouvement de contestation touche de nombreuses villes esclavagistes, aux États-Unis comme en Europe, y compris dans une moindre mesure celle qui nous intéresse, Saint-Malo.

Le point de départ fut Bristol, une ville portuaire du sud de l'Angleterre, où la statue d'Edward Colston, marchand d'esclaves ayant vécu au XVIIe siècle et considéré comme bienfaiteur de la ville, fut arrachée et jetée à la mer par des manifestants du mouvement « Black Lives Matter ». Cet acte, considéré comme l'élément déclencheur de la vague de « déboulonnage », et plus largement de contestation des symboles d'une histoire coloniale, qui s'ensuivit dans de nombreux pays, fut appelé un « épisode cathartique44 » par le journal M, Le Monde dans son article du 24 Juillet 2020.

S'ensuivirent des déboulonnages de statues partout dans le monde, parfois sous l'ordre des autorités comme à Richmond ( Virginie ), où le maire noir et démocrate, Levar Stoney, ordonna de retirer la statue du général Lee, héros sudiste et esclavagiste de la Guerre de Sécession, mais souvent de manière illégale comme ce fut le cas à Bristol, et plus tard en France où deux statues de Victor Schoelcher, personnalité politique considérée comme ayant aboli l'esclavage en France le 27 Avril 1848, ont été déboulonnées de manière illégale à Fort-de-France et à Schoelcher, en Martinique45.

Mais ces actions d'une frange de la population ne plaisent évidemment pas à tous et ont tendance à fracturer davantage une société qui l'est déjà. Politiques et personnalités publiques s'élèvent contre ces méthodes, souvent qualifiées de vandalisme. Au lendemain de la chute des statues en Martinique, le président de la République Emmanuel Macron a condamné ces actes avec fermeté dans une allocution télévisée au cours de laquelle il a déclaré : « La République n'effacera aucun nom ou aucune trace de son histoire. Elle n'oubliera aucune de ses

43. RUGAMBA Dorcy, « Déboulonnage de statues, manifestations antiracistes : Ce qui est en train de se jouer est un acte libérateur », propos recueillis par KODJO-GRANDVAUX Séverine, Le Monde, 29 Juin 2020, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/06/28/deboulonnage-de-statues-manifestations-antiracistes-ce-qui-est-en-train-de-se-jouer-est-un-acte-liberateur_6044463_3212.html , consulté le 12 Novembre 2020

44. DUCOURTIEUX Cécile, « À Bristol, une statue tombe, le passé négrier refait surface », Le Monde, 24 Juillet 2020, https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/07/24/a-bristol-une-statue-tombe-le-passe-negrier-refait-surface_6047193_4500055.html, consulté le 12 Novembre 2020

45. Le Monde avec AFP, « Deux statues de Victor Schoelcher brisées par des manifestants en Martinique », Le Monde, 23 Mai 2020, https://www. lemonde.fr/societe/article/2020/05/23/deux-statues-de-victor-sch-lcher-brisees-par-des-manifestants-en-martinique_6040559_3224.html, consulté le 12 Novembre 2020

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oeuvres. Elle ne déboulonnera pas de statue46. ». La ministre des Outres-mer, Annick Girardin avait, elle, déclaré sur twitter : « s'il est permis à tous de questionner l'histoire, cela nécessite un travail méthodique et rigoureux. En aucun cas cela ne doit se faire à travers la destruction de monuments qui incarnent notre mémoire collective47 ».

Bien qu'il ne soit pas du ressort du président de la république, ni d'aucun ministre d'ailleurs, de décider ou non du sort d'une statue, - cela relève de l'autorité des maires - l'approche d'Annick Girardin semble davantage privilégiée par les municipalités concernées. Le maire travailliste (parti de gauche) de Bristol, Marvin Rees, qui est d'origine Jamaïquaine, avait alors déclaré : « Je ne peux pas cautionner les dommages criminels, et la chute de la statue de Colston en est un. Mais je suis aussi le descendant d'Africains kidnappés puis réduits en esclavage à la Jamaïque, et je reconnais la poésie du moment : la statue d'un esclavagiste lancée dans le port où ses bateaux étaient amarrés, cela rappelle tous ces Africains qui ont été jetés par-dessus bord quand ils étaient en route de l'ouest de l'Afrique vers les Caraïbes48. »

Il est intéressant de noter qu'alors que l'ensemble des maires semble dénoncer ces actions, certains, pour la plupart de gauche et parfois noirs ou métis (donc davantage concernés par les questions raciales), relèvent néanmoins le fait qu'il y a là un problème, qui dans la société d'aujourd'hui est devenu trop lourd pour une partie de la population, et qu'il est nécessaire de le résoudre. Certains accusent les militants de vouloir faire disparaitre ces traces de l'histoire, mais il faut souligner le fait que les polémiques qu'ils suscitent ont permis de faire connaitre cette histoire à ceux qui l'ignoraient, ou voulaient l'ignorer.

Le débat qui entoure la question ayant désormais largement dépassé les sphères intellectuelles, c'est donc la réponse apportée à ce problème qui divise. Certains, comme le président Macron, estiment qu'il ne faut effacer aucune trace de l'histoire, mais ce serait oublier que l'histoire n'est pas immuable et que chaque société a fait tomber des symboles pour en ériger de nouveaux. D'autres s'insurgent, comme l'ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault, qu'une statue de Colbert, ministre de Louis XIV considéré comme étant à l'origine du Code Noir, siège toujours devant l'Assemblée Nationale, symbole de notre république49. Mais là encore l'on pourrait rétorquer que de réduire les figures du XVIIe et XVIIIe siècle à leur participation au système esclavagiste reviendrait à effacer les grands noms de l'histoire, de George Washington à Voltaire.

La réponse qui semble aujourd'hui être privilégiée, ou du moins la plus à même de contenter un maximum de personnes, serait la solution pédagogique. Selon Louis-Georges Tin, essayiste et ancien président du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires), les esclavagistes et auteurs de massacres coloniaux doivent être enseignés mais non pas glorifiés, et il déplore que la situation actuelle soit à l'opposé, que cette histoire soit généralement peu enseignée mais énormément glorifiée, par des statues et autres représentations présentes un peu partout dans l'espace public. Il se questionne : « comment faire lorsque les héros des uns sont les bourreaux des autres50 ? » et apporte une réponse qui selon lui se trouve dans le dialogue et la concertation. Il plaide pour que des groupes constitués d'acteurs locaux, d'élus, d'historiens, d'associations et de riverains puissent débattre de ces questions, et pense que les décisions prises au plus près du terrain auront plus de chance de produire un résultat harmonieux qu'une décision assénée depuis l'Elysée.

46. Allocution télévisée du Prédient de la République française Emmanuel Macron, le 14 Juin 2020

47. Twitt de la Ministre des Outres-mer Annick Girardin daté du 23 Mai 2020

48. DUCOURTIEUX Cécile, « À Bristol, une statue tombe, le passé négrier refait surface », op. cit.

49. MARTIN Jean-Clément, « Débaptiser les lieux portant le nom de Colbert : le racisme ne trouvera pas de solution avec des gadgets bricolés », entretien accordé au journal Le Monde, 16 Juin 2020, https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/16/debaptiser-les-lieux-portant-le-nom-de-colbert-le-racisme-ne-trouvera-pas-de-solution-avec-des-gadgets-bricoles_6042982_3232.html, consulté le 12 Novembre 2020

50. TIN Louis-Georges, « Comment faire France lorsque les héros des uns sont les bourreaux des autres ? », tribune dans le journal Le Monde, 22 Juin 2020, https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/22/louis-georges-tin-comment-faire-france-lorsque-les-heros-des-uns-sont-les-bourreaux-des-autres_6043769_3232.html, consulté le 12 Novembre 2020

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Le maire de Bristol, Marvin Rees, adopte un point de vue similaire et a conscience que la figure d'Edward Colston n'est pas entièrement bonne ou mauvaise, mais est beaucoup plus complexe que cela. D'une part enrichi par le commerce d'esclaves, Colston a aussi fait don à la ville d'une énorme partie de sa fortune à sa mort et a contribué à la faire prospérer. Le maire comprend donc la volonté de la population d'exécuter ces actes symboliques mais ne veut pas « occulter les racines économiques et politiques du racisme51 », et bien qu'il considère la statue comme « un affront pour lui et les gens comme lui52 », il a pris la décision de repêcher la statue pour la placer dans un musée, en attendant qu'un groupe d'experts décide de son sort.

Enfin, le dramaturge rwandais Dorcy Rugamba s'oppose au déboulonnage des statues tant que l'histoire esclavagiste et coloniale ne sera pas correctement et largement enseignée en Europe comme en Afrique. Il admet que le fait de comprendre l'Europe coloniale est nécessaire pour comprendre l'Europe d'aujourd'hui. Selon lui, ces événements sont une appropriation de l'histoire par des personnes qui ne s'y reconnaissent pas, et sont par conséquent des actes psychologiquement libérateurs qui sont le fondement de toutes les luttes d'émancipation53.

Saint-Malo ne manque pas de symboles de cette période esclavagiste, depuis les statues de Surcouf et Mahé de la Bourdonnais, jusqu'aux aux noms de rues en passant par certains hôtels particuliers ayant appartenus à ces armateurs. Mais il n'est nulle part, si ce n'est au musée et dans la littérature, fait mention de cette réalité que certains souhaiteraient pourtant voir rétablie.

Pendant cette période de troubles, Saint-Malo a été épargné par la vague de déboulonnage, ce qui ne veut pas dire que la ville est hors d'atteinte de toute contestation. L'année précédente, le 10 mai 2019, journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage, la statue de Robert Surcouf, corsaire et armateur malouin ayant pratiqué la traite, a été vandalisée en étant recouverte de peinture rouge54. Si la statue est toujours présente dans la ville, c'est néanmoins la preuve que sa présence déplait à certains, ne serait-ce qu'une minorité, et que sa symbolique peut être questionnée. Aucun débat public n'a en revanche eu lieu à la suite de cet évènement, comme nous l'a confirmé Jean Bories, délégué à la culture du précédent conseil municipal55.

Sans vouloir, ni même pouvoir, comparer Saint-Malo aux autres villes ayant pratiqué ou subi la traite négrière, il est toutefois intéressant de relever le fait que la ville et ses autorités ne se sont pas penchées sur les causes profondes qui ont poussé des personnes à commettre cet acte de vandalisme, qui s'inscrivait alors vraisemblablement dans un élan national et international de contestation largement diffusé par la presse mondiale. Bien qu'il s'agisse là d'un acte isolé, et apparemment unique dans l'histoire de la ville, celui-ci semble néanmoins symptomatique d'un ressentiment qu'une part de la population a besoin d'exprimer.

La cité bretonne, qui n'a pas un passé principalement basé sur le commerce négrier, ni une démographie comparable à des villes comme Fort-de-France ou même Bristol, apparaît donc en marge des récents mouvements de contestation. Cet acte de vandalisme, qui n'a été relayé que par une poignée de journaux locaux, fait donc l'effet d'un coup d'épée dans l'eau, et il semble aujourd'hui peu probable que la ville questionne les symboles qui lui sont chers, donnant ainsi tout son sens à la phrase de Louis-Georges Tin que nous avons citée plus haut56.

51. DUCOURTIEUX Cécile, « À Bristol, une statue tombe, le passé négrier refait surface », op. cit.

52. Ibid.

53. RUGAMBA Dorcy, « Déboulonnage de statues, manifestations antiracistes : Ce qui est en train de se jouer est un acte libérateur », op. cit.

54. ROBELET Guillaume, « Saint-Malo. La statue du corsaire Surcouf vandalisée », Ouest-France, 10 Mai 2019, https://www.ouest-france.fr/bre tagne/saint-malo-35400/saint-malo-la-statue-du-corsaire-surcouf-vandalisee-6344354, consulté le 26 Janvier 2021

55. Échange téléphonique non enregistré datant du 20 Janvier 2021

56. voir supra. p52. : « Comment faire lorsque les héros des uns sont les bourreaux des autres ? »

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Fig. 7. Statue de Robert Surcouf vandalisée - Philippe Delacotte, 10 Mai 2019

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Chapitre III

Une difficulté de commémorer

malgré les efforts de certains

Ce troisième et ultime chapitre a pour objectif principal de revenir sur le travail qui a été effectué à Saint-Malo depuis plusieurs années et de comprendre les obstacles qu'il reste à franchir pour aboutir à une mémoire de l'esclavage et de la traite négrière pleinement décomplexée. Alors que, comme nous l'avons déjà vu a de multiples reprise, l'histoire malouine de la traite est désormais connue et facilement accessible, comment se fait-il que celle-ci n'ouvre pas la porte aux revendications mémorielles comme cela a pu être le cas dans d'autres villes ? Nous regarderons en premier le travail d'histoire déjà effectué ainsi que sa lente et difficile mise en place. Nous reviendrons ensuite sur ce qui semble être le principal frein à la propagation de cette histoire, empêchant par là même la naissance de la mémoire de cet évènement. Enfin, nous verrons les efforts qui sont toutefois déployés dans la ville pour lever le tabou entourant la question de la traite à Saint-Malo. Nous essaierons d'en comprendre la portée et l'ambition afin d'estimer le travail qu'il reste à accomplir pour que l'histoire négrière soit connue, et reconnue, dans cette ville qui entretient un rapport complexe avec son passé.

Le travail d'histoire et ses limites

Depuis maintenant deux décennies, l'histoire de l'esclavage et de la traite négrière à Saint-Malo est connue et bien documentée, grâce notamment au travail rigoureux de l'historien malouin Alain Roman qui a synthétisé plus de dix années de recherches dans son Saint-Malo au temps des négriers1, ouvrage référence en la matière. Mais cela ne s'est pas fait sans mal tant le sujet a pu être évité, et l'est toujours par moment, dans la littérature malouine.

Dans son Marins de Saint-Malo, publié en 1999, l'écrivain Gilles Avril reprend un article d'Esnoult Le Sénéchal paru en 1932 et écrit à son propos : « S'il faut en croire l'érudit M. Esnoult Le Sénéchal, qui s'est longuement penché sur le trafic du « bois d'ébène » et Saint-Malo, il n'y aurait en tout et pour tout, qu'une douzaine de navires malouins à exporter des esclaves de la côte de Guinée... dix au XVIIe siècle, deux au XVIIIe siècle2. » Nous sommes en effet bien loin du total d'environ 250 expéditions négrières que nous avons évoquées précédemment.

Depuis le début du XXe siècle, plusieurs historiens se sont succédé pour établir un constat des activités négrières de la ville. Léon Vignols est donc le premier d'entre eux qui dressa un inventaire des archives malouines, que Gaston Martin considère, comme nous l'avons expliqué au début de cette étude, comme étant le point de départ du renouveau des études négrières en France3. En 1930, il écrit un article sur La Perle4 dans lequel il compare les conditions de voyage de ce navire avec les quelques 150 autres qu'il avait étudiés précédemment.

Pour réaliser ce travail, Léon Vignols s'est appuyé sur les Archives de l'Amirauté de Saint-Malo, déposées à Brest et à Rennes. Selon Alain Roman, ces documents sont très complets, et mis à part quelques lacunes, les congés de navires et les rapports de capitaines forment une suite presque continue. Il explique aussi que la recherche documentaire est d'une simplicité déconcertante pour celui qui manque de persévérance5. Il existe en effet trois registres pour la période 1706-1739 et pour celle postérieure à 1756 qui donnent une liste chronologique de tous les navires armés à Saint-Malo, avec leurs noms, ceux de leurs capitaines et des armateurs, leurs tonnages, leurs effectifs et même leurs destinations et conditions de retour. Leur consultation

1. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit.,

2. AVRIL Gilles, Marins de Saint-Malo, Édition du Rocher, 1999, p. 63. Cet auteur a puisé cette affirmation dans un article d'Esnoult LE SÉNÉCHAL, paru en 1932 dans les Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne, pp. 197-209

3. voir supra. p29.

4. VIGNOLS Léon, « La campagne négrière de la Perle (1755-1757) et sa réussite extraordinaire », Revue Historique, 1930, pp. 51-78

5. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 35

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était simple, Léon Vignols les obtenait par courrier recommandé, et il est donc surprenant que certains auteurs se soient obstinés à ignorer ces documents pourtant essentiels dans l'étude du commerce maritime malouin.

En 1928, Étienne Dupont se sert du travail de Léon Vignols, qu'il cite à plusieurs reprises, pour dresser un portrait d'une quarantaine de pages sur la traite négrière à Saint-Malo6. Ses sources sont précises et son travail bien mené, mais l'auteur évite soigneusement toute statistique et protège l'anonymat des négociants et capitaines malouins ayant pris part au trafic, de peur de froisser7.

L'historien Georges Saint-Mleux s'est lui concentré sur la carrière de René Auguste de Chateaubriand, d'abord en 1913 dans son « M. de Chateaubriand, armateur8 », puis en 1919 avec « Les armements de M. de Chateaubriand9 ». Il se base pour ces études sur des documents incontestables, les comptes de M. Du Rouvre ainsi que les registres de l'Amirauté et de l'Inscription Maritime, et dresse un inventaire des expéditions que le père de l'écrivain a organisées. Bien que ces travaux soient sérieux, il semble que Georges Saint-Mleux ait néanmoins limité son propos concernant la traite négrière et se soit contenté de constater en quelques lignes, avec regret, que les armements de M. de Chateaubriand à destination des côtes de Guinée aient été consacrés au commerce négrier.

En 1949, le doyen Georges Collas complète le travail de son prédécesseur grâce à l'étude des archives de Combourg10. Dans son ouvrage, il détaille tous les aspects commerciaux, nobiliaires, fonciers et personnels de l'activité de M. de Chateaubriand. Son travail est complet, mais il s'agit là d'une monographie qui ne concerne donc qu'un seul personnage. À cause de cela, l'auteur ne parvient pas à replacer ses conclusions dans le paysage négrier malouin et le sujet n'est donc pas éclairé davantage11.

Enfin, Jean Delumeau a dirigé pendant près de quinze ans, de 1957 à 1970, une grande enquête sur le commerce malouin, dans laquelle 53 de ses étudiants ont dépouillé et analysé les documents de l'Amirauté conservés à Rennes, et qui ont permis d'établir un tableau complet de l'activité portuaire malouine entre 1681 et 1770. Les résultats de cette étude ont été publiés pour la période 1681-172012, mais les trois synthèses réalisées couvrant la période 1681-1770 n'ont malheureusement jamais fait l'objet d'une publication13. Par la suite, le professeur André Lespagnol s'est largement appuyé sur ce travail collectif pour rédiger son Messieurs de Saint-Malo14 dans lequel il fait une analyse complète de l'élite négociante malouine sur la période 1680-1720, mais dans laquelle il n'aborde pas le sujet de la traite négrière, qui était encore quasiment anecdotique en ce temps.

Dans l'ensemble, les ouvrages que nous venons d'évoquer constituent ce qui a été écrit sur la traite négrière à Saint-Malo. Sauf exception, comme celui d'André Lespagnol qui ne consacre que quelques lignes à la traite dans ses ouvrages dont le propos est ailleurs, les malouins et auteurs d'écrits historiques sur la ville ont choisi soit de taire complètement le sujet, soit de l'évoquer rapidement sans avoir recours aux archives

6. DUPONT Étienne, Le vieux Saint-Malo, au pays de la course et de la traite, 1928, pp. 13-19, réédition La découvrance, 1996, 210 p.

7. Ibid. p. 185

8. SAINT-MLEUX Georges, « M. de Chateaubriand, armateur », Annales de la Société d'Hitoire et d'Archéologie de l'arrondissement de Saint-Malo, 1913, pp. 129-165

9. SAINT-MLEUX Georges, « les armements de M. de Chateaubriand », op. cit., pp. 1-14

10. COLLAS Georges, Un cadet de Bretagne au XVIIIe siècle : René Auguste de Chateaubriand, Paris, Nizet, 1949

11. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 12

12. DELUMEAU Jean, Le mouvement du port de Saint-Malo, 1681-1720, Paris, Klincksieck, 1966

13. Il s'agit de trois mémoire de DES, soutenus à l'université de Rennes en 1970 :

- DELAVALLE, FORTIS et LARZUL : Le grand commerce malouin - DUBOCQ et SÉVENO : Saint-Malo et le moyen commerce français - FRESNEL et NÉDELEC : Saint-Malo et le petit cabotage

14. LESPAGNOL André, Messieurs de Saint-Malo, une élite négociante au temps de Louis XIV, op. cit.

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pourtant faciles d'accès, ni aux travaux de leurs contemporains et prédécesseurs15. Les guides et autres ouvrages touristiques de la ville font également l'impasse sur le sujet. Il est en effet beaucoup plus simple pour les auteurs de célébrer les grands exploits malouins, tels la découverte du Canada par Jacques Cartier ou les prises de guerre de Robert Surcouf, que de reconnaitre que la richesse de la ville s'est en partie construite sur le trafic négrier.

Aujourd'hui, le travail d'histoire sur l'esclavage et la traite négrière est en très grande partie réalisée, grâce notamment aux recherches d'Alain Roman comme nous l'avons déjà dit, mais celui-ci ne connaît qu'une notoriété limitée et ce travail ne s'est propagé qu'à l'intérieur d'un cercle restreint d'initiés. Cela est du au fait qu'il n'y a que très peu de personnes qui revendiquent cette histoire dans la ville, et que sans porteurs de mémoire, celle-ci rencontre de nombreuses difficultés à se diffuser. On peut ainsi s'intéresser au cas de la pêche morutière à Saint-Malo, qui jusqu'il y à une quinzaine d'années était quasiment inexistante dans l'imaginaire malouin.

L'Association Mémoire et Patrimoine des Terre-Neuvas, après l'arrêt de la grande pêche en 1992, a tenté de revendiquer cette histoire qui leur était propre. L'association s'est constituée en 2004 et se compose uniquement d'anciens terre-neuviers désireux de conserver et partager le souvenir de leur activité. Après un entretien téléphonique avec l'ancien président de l'association, M. Chaperon16, celui-ci nous a confirmé que le travail de recherche, qui par la suite a abouti à l'ouverture d'un musée et à la réalisation de plusieurs oeuvres cinématographiques, n'était imputable qu'à la détermination des membres de l'association, sans qui ce passé terre-neuvas, encore une fois le socle de l'activité malouine pendant plus de trois siècles, ne serait pas connu ni reconnu dans la « cité corsaire ».

Le travail d'histoire, qui constitue une des conditions préalable au travail de mémoire, peine donc également à exister sans celui-ci. Depuis plus d'un siècle maintenant, quelques historiens et auteurs se sont succédé pour établir un portrait complet des activités de traite à Saint-Malo. Ce travail, qui arrive avec un peu de retard en comparaison des autres grandes villes négrières françaises, doit désormais ouvrir la porte à d'éventuelles revendications et permettre à la mémoire de cet épisode tragique de pleinement s'émanciper dans la ville.

15. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 12

16. Entretien téléphonique non-enregistré avec M. Chaperon, ancien président de l'Association Mémoire et Patrimoine des Terre-Neuvas, daté du 28 Janvier 2021

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La « cité corsaire », construction d'un mythe

Au début de son livre publié en 1931 et consacré aux négriers nantais, Gaston Martin écrivait « Michelet, opposant Saint-Malo à Nantes, affronte dans une belle antithèse « la ville des corsaires et celle des négriers ». L'Histoire a des raisons de se défier de ces constructions trop symétriques : Nantes a eu ses corsaires, comme Saint-Malo ses négriers17 ». Martin a évidemment raison dans son propos, et la nuance qu'il apporte est tout à fait bienvenue. Saint-Malo est aujourd'hui connue du grand public sous son titre de « cité corsaire », et même s'il est vrai que la ville s'est particulièrement illustrée dans ce domaine au cours de son histoire, il ne couvre qu'une toute petite partie de celle-ci ; le titre qui lui est associé est donc, si ce n'est faux, du moins incomplet. Alors, si ce titre n'est pas représentatif de l'histoire maritime de Saint-Malo, comment se fait-il qu'elle soit aujourd'hui connue de tous seulement par cette appellation ?

Saint-Malo fait très certainement partie du panthéon des cités portuaires mythiques, mais la réussite médiatique dont elle bénéficie obscurcit évidemment bien des pans de son histoire, peut-être involontairement, mais de manière à mettre sous le feu des projecteurs ceux lui procurant un engouement touristique et économique. Cette mythologie urbaine, pour reprendre l'expression d'André Lespagnol18, est le résultat d'un long processus que l'on peut retracer jusqu'à la première moitié du XIXe siècle.

La création de ce mythe remonte donc au lendemain de la Révolution française et des guerres de l'Empire, dans un contexte où le pouvoir politique, sous la Monarchie de Juillet, presse activement pour la construction d'une mémoire collective nationale à l'intérieur de laquelle les micro-histoires locales s'emboîtent. Au sein d'une idéologie générale de romantisme historisant, les villes françaises, grandes ou petites, vont construire ou reconstruire leur mémoire collective en mettant en avant héros locaux et heures de gloire. Mais il semblerait que Saint-Malo n'ait pas attendu cette impulsion nationale pour faire elle-même ce travail de mémoire.

Dès les années 1820, au travers d'initiatives individuelles et sous la pression des autorités municipales qui semblent répondre à une demande de la société urbaine, composée des élites et de la population dans son ensemble, un portrait de la ville basé sur ses épisodes illustres (comme la prise de Rio de Janeiro par Duguay-Trouin ou la découverte du Canada par Jacques Cartier), et plus encore sur les grands hommes qui en sont issus, est dressé.

D'abord, des érudits locaux aux profils variés produisent des annales historiographiques qui retracent les hauts faits de l'histoire de Saint-Malo ainsi que des biographies collectives des ses héros19. S'ajoutent à cela d'autres formes de représentation qui viennent accentuer la création de la légende de la ville. En premier lieu vient la sculpture qui, comme dans d'autres grandes villes à cette époque, fait son apparition sur les places publiques pour symboliser les grandes figures de cette histoire nouvellement constituée. Le premier exemple malouin est la statue de Duguay-Trouin, capitaine corsaire sous Louis XIV, érigée dès 1829. S'ensuivit la statue de Chateaubriand en 1875, puis celles de Jacques Cartier et Robert Surcouf qui prirent place sur les remparts au début du XXe siècle20.

17. MARTIN Gaston, Nantes au XVIIIe siècle : l'ère des négriers, op. cit.,

18. LESPAGNOL André, Saint-Malo et la Bretagne dans la première mondialisation, op. cit., p. 470

19. Abbé MANET, Biographie des Malouins célèbres, Rennes, 1824 ; CUNAT Charles, Saint-Malo illustré par ses marins, Paris, 1857 ; ROBIDOU Bertrand, Histoire et panorama d'un beau pays, Dinan, Imprimerie Bazouge, 1853

20. LESPAGNOL André, Saint-Malo et la Bretagne dans la première mondialisation, op. cit.

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Après la sculpture vint la peinture, grâce aux commandes que la municipalité de Saint-Malo a passées entre 1835 et 1840, sous la Monarchie de Juillet, pour décorer les salons de l'Hôtel de Ville. Vinrent d'abord quatre tableaux représentant des évènements marquants de l'histoire de la ville, tels la découverte du Canada ou l'attaque de la ville par la « machine infernale » des anglais. S'ensuivit une dizaine de portraits d'hommes illustres, composés aussi bien de marins que d'écrivains et d'intellectuels, de corsaires ou d'explorateurs, ayant tous marqué l'histoire malouine, à l'exception de Chateaubriand qui, encore vivant, avait préféré léguer un portrait à sa mort. Ces portraits sont réunis dans une salle de l'Hôtel de Ville, qui fut baptisée directement la « Salle des Grands Hommes », et qui représente parfaitement cette dynamique d'élaboration d'une représentation héroïque du passé malouin.

Ces représentations artistiques du passé de la ville mettent dans un grand et même panier de nombreuses figures qui n'ont pas nécessairement à voir les unes avec les autres, au point de, selon André Lespagnol, de faire apparaitre Saint-Malo comme la « Cité des Grands Hommes » dans l'imaginaire collectif, à la fois local et national. C'est la première représentation mythique de la ville, et cette représentation a pu s'ancrer facilement et durablement dans le réel grâce à deux évènements marquants pour le peuple malouin qui ont encadré cette période et qui ont apporté une profondeur sociale à cette construction. Il s'agit de la mort de Robert Surcouf en 1827 et celle de François-René de Chateaubriand en 1848.

Chacun des ces évènements a mobilisé des foules gigantesques, mues dans une émotion sincère et liées par un sentiment d'appartenance à la cité. Il va de soi que de telles funérailles furent évidemment scénarisées pour servir cette nouvelle image de berceau des grands hommes que la ville était en train de se construire. Charles Cunat, témoin oculaire de la scène et biographe de Robert Surcouf nous les décrit de cette manière : « Il fallut faire traverser au cercueil le bras de mer qui sépare les deux villes {Saint-Servan et Saint-Malo}, où les vaisseaux qui y avaient ancré avaient mis en signe de deuil leur pavillon à mi-mât. Quatre bateaux occupés par le Clergé précédaient l'embarcation tendue de noir portant les dépouilles mortelles du défunt, qui était remorquée et suivie par plus de 50 canots. Les quais étaient couverts par une quantité considérable de spectateurs, accourus de tous les points de l'arrondissement à l'annonce du trépas, qui contemplaient ce triste et imposant cortège. Ce fut au milieu de ce concours immense que la bière parcourut les lieux mêmes qui furent témoins des essais de sa jeunesse. Il était réservé à ce marin fameux de recevoir les honneurs funèbres sur l'élément même qui fut le théâtre de ses nombreux exploits21. »

Les funérailles de Chateaubriand, mort deux décennies plus tard, n'en furent pas moins grandioses. Mort dans la plus grande indifférence à Paris, son cercueil fut ramené à Saint-Malo et transporté en procession au milieu d'une foule immense, à travers la grève, depuis la cathédrale jusqu'à l'îlot du Grand-Bé, où il avait lui même choisi d'être enterré, face à la mer.

Ces grandes manifestations capables de rassembler un peuple autour d'un souvenir commun seront par la suite prolongées dans les décennies qui suivirent, avec les inaugurations officielles des statues de « Grands Hommes », puis les commémorations anniversaires de leur mort, dont celle de Chateaubriand, cinquante ans après sa mort (1898), fut la première. C'est au travers de ces évènements que se construira, puis se maintiendra, une mémoire collective de la cité, partagée et relayée par une grande part de la population se sentant fière d'hériter de ce passé, qui fut bien entendu sélectionné et héroïsé, mais qui tranche par contraste avec la réalité apparemment médiocre de l'époque22.

Le problème d'une telle représentation du passé, qui met l'accent sur quelques épisodes marquants, quelques grands hommes et quelques grands faits, bref qui se concentre sur une vision de « l'essentiel », chose

21. CUNAT Charles, Histoire de Robert Surcouf, capitaine de corsaire, Paris, 1842, p. 269

22. LESPAGNOL André, Saint-Malo et la Bretagne dans la première mondialisation, op. cit., p. 473

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qui n'est pas surprenante pour l'époque d'ailleurs, est d'occulter par là même ce qui avait fait l'importance historique de cette ville, sa richesse et sa prospérité, voire à certain égard le socle de son identité. Nous parlons là bien sûr de la pêche terre-neuvienne, que nous avons déjà évoquée de nombreuses fois, et qui fut le fondement de l'activité du port pendant près de quatre siècles, mais nous entendons par là également le rôle de premier plan qu'a joué la ville dans différents trafics maritimes honorables, comme celui de l'Océan Indien par exemple, ou celui de la Mer du Sud peut-être plus discutable, mais également le rôle qu'elle a joué dans des trafics beaucoup moins glorieux telle la Traite Négrière, qui a cette époque était déjà vivement critiquée et fortement remise en question (rappelons que la première abolition de l'esclavage date de 1794 et la seconde de 1848).

Cette occultation des pans principaux de l'histoire de Saint-Malo a également eu pour conséquence de faire disparaitre certains noms, parmi lesquels une majorité des élites négociantes qui pendant plusieurs siècles a fait prospérer la ville et propagé l'identité malouine à travers les mers du globe, les « Messieurs de Saint-Malo » pour reprendre l'expression de Colbert. Ainsi, on ne retrouve les Magon, Le Fer, Danycan... qu'entre les lignes des pages d'histoire bien que ces familles aient participé pendant plusieurs générations à faire « rayonner » la ville en dehors de ses frontières. Dans son livre, Saint-Malo et la Bretagne dans la première mondialisation, l'historien André Lespagnol fait ainsi une comparaison tout à fait pertinente et révélatrice : « Imaginons l'histoire d'Augsbourg sans les Fugger ou celle de Détroit sans Henry Ford23 ! »

Il est évident que cette reconstruction d'un passé glorieux est emprunt de nostalgie pour une époque bientôt révolue. Charles Cunat écrivait ainsi dans son avant-propos : « Le temps fuit... bientôt on oubliera la physionomie belliqueuse de l'antique cité d'Aaron... Mais qui conservera le souvenir de ces vieux malouins enfants de leur rocher, si redoutés à la guerre24. ». Les choix qui ont été faits lors de cette construction historique, qu'ils aient été faits consciemment ou non, sont symptomatiques du contexte idéologique de l'époque. Mais s'ils ont été tant appuyés et si soigneusement sélectionnés, au risque de réduire la grandeur de la ville à quelques épisodes glorieux, c'est bien que cette construction historique devait compenser un présent beaucoup moins exaltant, au moment d'une conjoncture difficile pour la ville entre les années 1820 et 1860, qui voyait progressivement disparaitre ces activités qui avaient jadis fait sa renommée (course, Indes et Amérique espagnole), et qui révélait l'incapacité du port à s'adapter à la modernité de l'époque et l'apparition de nouvelles technologies comme la machine à vapeur, le reléguant de fait au rang de port de pêche et port régional25.

À l'aube du XXe siècle, cette nostalgie n'avait toujours pas disparu dans la cité malouine. Dans son Saint-Malo historique de 1902, Édouard Prampain écrivait : « De la ville militaire, de la forteresse redoutable la paix a fait une place insignifiante..., du port de corsaires un port d'armements pour la grande pêche... Restent les souvenirs. Si les choses ont leurs larmes, elles ont aussi leur fierté26. » On observe donc que cet imaginaire de la cité belligérante avait déjà fait son chemin dans l'esprit des malouins, la grande pêche ayant toujours été le socle de l'activité portuaire avait été reléguée au second plan, et la course, des apartés dans l'histoire répondant aux besoins de la guerre, fut placée sur le devant de la scène.

Cette histoire mythique, bien que solidement implantée et largement partagée, va cependant évoluer légèrement pendant le cours du siècle suivant, passant d'une simplification de l'histoire en une succession d'épisodes grandioses, à une image unique et porteuse de la « cité corsaire ». On peut se demander ce qui

23. Ibid., p. 474

24. CUNAT Charles, Histoire de Robert Surcouf, capitaine de corsaire, op. cit., p. 2

25. LESPAGNOL André, Saint-Malo et la Bretagne dans la première mondialisation, op. cit., p. 475

26. PRAMPAIN Édouard, Saint-Malo Historique, Amiens, Piteux, 1902

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a poussé cette histoire à évoluer ainsi, quel en était l'intérêt, quel rôle va jouer cette nouvelle image de « cité corsaire » dans l'environnement économique, social et culturel de la ville ?

Il faut d'abord dire qu'il y a une continuité avec la première mythologie urbaine constituée au début du XIXe siècle, et que l'on retrouvera tout au long du XXe siècle au travers d'un processus de préservation de la mémoire collective prenant la forme de commémorations qui vont ponctuer la vie sociale des malouins, comme ce fut le cas pour chaque centenaire ou cinquantenaire de la naissance, ou de la mort, d'un de ces héros malouins, entraînant à chaque fois un cycle de célébrations dans la ville27.

Le premier exemple fut celui du cinquantenaire de la mort de Chateaubriand, en 1898, qui entraina une série de discours devant sa statue érigé en 1875, un défilé en ville, puis un banquet suivi d'un bal à l'Hôtel de Ville. Toujours dans cette idée de perpétuation de la mémoire, la tradition d'inauguration de statues, accompagnée bien sûr par une série de manifestations publiques, a elle aussi continué tout au long du XXe siècle, commençant par une statue monumentale de Jacques Cartier, installée en 1905 face à l'océan, sur le bastion de la Hollande. S'ensuivit celle de Robert Surcouf face à l'Angleterre (la statue fut d'ailleurs tournée ultérieurement afin que le sabre du corsaire pointe dans la direction de l'ennemi de toujours), une seconde de Duguay-Trouin (la première ayant été détruite en 1944) et pour finir une statue de Mahé de la Bourdonnais installée dans les années 1980.

Cette continuité avec le passé s'est aussi farouchement exprimée lors de la reconstruction de la ville après les bombardements de 1944, lorsque les malouins, emmenés par leur maire Guy La Chambre, ont réussi à obtenir de l'État la reconstruction « à l'identique » du Saint-Malo Intramuros. La ville fut en réalité reconstruite par Louis Arretche pour donner une impression d'authenticité, le mot de « pastiche » étant souvent revenu lors de nos recherches, et pour reconstituer le tissu urbain du Saint-Malo du XVIIIe siècle. Le béton a cependant bien souvent remplacé la pierre de taille, les rues ont été élargies pour répondre aux normes de sécurité et d'hygiène, et les intérieurs des hôtels particuliers n'ont bien souvent plus rien à voir avec ce qu'ils étaient. Mais la ceinture de remparts, le château, la cathédrale furent conservés, les façades reproduites à l'identique et finalement l'image et le décor de la ville ancienne furent ressuscités, offrant aux malouins, et plus encore aux visiteurs, l'idée d'une continuité physique avec le passé. Chose intéressante s'il en est, Saint-Malo fut la seule ville de la façade atlantique détruite pendant la guerre à avoir été reconstruite selon son image d'origine, preuve de l'attachement de la population à son passé et sa représentation28.

Malgré cette continuité apparente avec la mythologie du XIXe siècle, cette image de la ville des « Grands Hommes » a commencé à basculer vers celle de la « Cité Corsaire » dès l'année 1894, lorsqu'un publiciste malouin, Eugène Herpin, produisit une brochure destinée au grand public, mettant en avant les charmes du pays malouin et la richesse de son histoire, et utilisant pour la première fois la formule-choc : « Saint-Malo, la cité corsaire29 ». Cette formule allait rapidement s'imposer par la suite, caractérisant désormais la cité malouine. Elle fut reprise en 1902 par Édouard Prampain dans l'avant-propos de son Saint-Malo historique30, puis bien sûr par son inventeur qui l'utilisera en sous titre de son livre Histoire de la ville de Saint-Malo31, qu'il publiera en 1927, avant d'être utilisée dans la quasi-totalité des ouvrages, guides touristiques, journaux et brochures évoquant la ville. Cette formule s'imposa également à la télévision, comme ce fut le cas par exemple lors des épisodes de l'émission

27. LESPAGNOL André, Saint-Malo et la Bretagne dans la première mondialisation, op. cit., p. 476

28. Ibid., p. 477

29. HERPIN Eugène, La côte d'Émeraude, Rennes, 1894, p. 75

30. PRAMPAIN Édouard, Saint-Malo Historique, op. cit., p. 3

31. HERPIN Eugène, Histoire de la ville de Saint-Malo, La découvrance, 1927

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« Thalassa » qui vint de nombreuses fois à Saint-Malo32.

Cette image de la « cité corsaire » s'appuie bien évidemment sur une réalité historique largement répandue au sein de la population, comme on a pu le voir avec la « sélection » des héros de la ville au siècle précédant, dans laquelle les corsaires avaient une part non-négligeable, ou bien même dans le palmarès des marins malouins réalisé par Charles Cunat33 dans lequel les corsaires sont omniprésents. Cette image est encore aujourd'hui largement propagée par des acteurs locaux comme en témoigne par exemple l'Association des Descendants de Capitaines Corsaires qui s'attelle à effectuer des travaux généalogiques, des conférences ou autres événements à la gloire de leurs ancêtres.

Le succès de ce mythe ne s'explique pas seulement par l'adhésion de la population malouine à l'idée romanesque d'un glorieux passé belligérant. D'abord destinée aux habitants de Saint-Malo, cette mythologie urbaine s'est par la suite tournée vers l'extérieur en devenant un argument économique, accompagnant l'essor touristique de la ville et de la région en leur permettant de se démarquer dans un secteur, le tourisme balnéaire de masse, où la concurrence est rude et l'image primordiale. Une chance pour Saint-Malo fut également que ce mythe de la « cité corsaire », par sa simplicité, répond à l'imaginaire d'un public nourri depuis longtemps aux références du cinéma hollywoodien et de la bande dessinée, valorisant cet univers fantasmé de corsaires, flibustiers et pirates34.

Grâce à la création de ce mythe, qui s'est constitué il y a près de deux siècles et a évolué depuis, Saint-Malo a réussi à s'offrir un label extrêmement efficace sur la marché touristique, d'autant plus que celui-ci peut s'appuyer sur des éléments historiques solides, ainsi qu'un décor architectural « d'époque » et des mises en scène et reconstitutions d'évènements ou de navires qui ajoutent au folklore de la ville. Alors que vient de fermer le dernier chantier naval de la ville il y a un peu plus d'un an, cette mythologie urbaine qui caractérise désormais Saint-Malo est devenue une, si ce n'est la composante fondamentale de l'activité commerciale de la ville.

32. LESPAGNOL André, Saint-Malo et la Bretagne dans la première mondialisation, op. cit., p. 478

33. Ibid., Palmarès évoqué par André LESPAGNOL, nous n'avons cependant pas réussi à le retrouver

34. Ibid., p. 479

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Fig. 8. Funérailles de M. Chateaubriand - estampe - Benoist Félix, Milieu du XIXe siècle, 40.6cm x 53.1cm

Le tourisme et la propagation du mythe

Au cours de cette étude, nous nous sommes intéressé au discours touristique de la ville de Saint-Malo et au poids que celui-ci représente dans les conditions de propagation de la mémoire. Nous ne nous attarderons pas ici sur le rôle du musée, qui fera l'objet d'une autre partie, mais nous analyserons plutôt un échange avec Maureen Brugaro35, du pôle patrimoine et visites guidées de l'Office du Tourisme de Saint-Malo.

Durant de notre entretien, nous nous sommes donc interrogé sur la place de l'esclavage et de la traite négrière dans le discours proposé aux touristes, afin de savoir si cette histoire négrière malouine est véhiculée de manière objective et décomplexée, ou au contraire si elle est occultée et minimisée, que ce soit de manière volontaire ou non. Nos questions portaient sur différents aspects de la dimension touristique de la ville, allant de la connaissance des guides aux potentielles futures activités proposées, et sur les raisons qui poussent, ou non, à aborder un tel sujet.

Notre première interrogation a été de savoir si oui, et à quel point, les employés de l'Office du Tourisme connaissaient ce pan de l'histoire malouine. Sans réelle surprise, au vu du travail d'histoire déjà réalisé dans la ville, madame Brugaro nous a indiqué que l'histoire négrière de la ville était globalement connue des guides touristiques, elle-même étant historienne et ayant travaillé sur une famille de marins, armateurs et négriers, au cours de ses études. Sans pouvoir rentrer dans les spécificités du sujet, les guides touristiques de Saint-Malo semblent donc néanmoins au fait de l'histoire de leur ville dans sa globalité, et semblent tout à fait apte, a priori, à en parler.

Sachant cela, nous nous sommes ensuite demandé si les guides touristiques, étant donc parfaitement capables d'évoquer et de développer le sujet, le faisaient au cours de leurs visites. Sans réelle surprise là nonplus, il nous a été confirmé que le sujet était vraiment peu abordé lors des tours de la ville. Il semblerait que dans l'ensemble, les guides n'évoquent pas le sujet de la traite négrière et que, lorsqu'ils le font, cela se fait en cinq minutes sur des visites qui durent généralement une heure et quarante-cinq minutes, trop peu pour aborder le sujet en profondeur donc. La raison à cela, avancée par l'Office du Tourisme, est que Saint-Malo n'est « que » le cinquième port négrier français, loin derrière des villes comme Nantes ou Bordeaux. Rappelons toutefois que si Nantes est loin en tête de ce triste classement avec plus de 1700 expéditions négrières, Bordeaux et ses quelques 500 expéditions se trouve donc de fait plus proche en termes de statistiques de Saint-Malo et ses 250 expéditions.

Si l'on questionne ensuite les raisons apparentes de cette absence dans le discours touristique, on nous répond d'abord que c'est un sujet qui n'est pas simple à aborder, ce qui s'entend évidemment, mais ne justifie rien. L'autre argument, récurrent, réside dans les chiffres. Saint-Malo n'a jamais fait de la traite négrière son activité principale, et les guides privilégieraient donc d'autres aspects du commerce maritime malouin ayant occupé une place plus importante dans l'activité de la ville pour leurs visites. Mais là encore nous pouvons rappeler que la mémoire des Terres-neuvas, qui fut le socle de l'activité malouine pendant plus de trois siècles36, n'existe à proprement parler que depuis 2004 et qu'elle était vraisemblablement tue avant cela37. Les chiffres ne semblent donc pas être la seule raison qui justifie l'absence de la traite négrière dans le programme touristique de la ville.

35. voir Annexe 2 - Échange avec Maureen Brugaro

36. voir supra. p. 32

37. voir supra. p. 58

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Puis, lorsque l'on demande si cet épisode est présenté de manière objective ou bien si son importance est minimisée, la réponse que nous recevons est la suivante : « Saint-Malo est une cité corsaire et même si les armateurs malouins ont pratiqué la Traite, leur gloire vient plutôt de leur exploits corsaires et des fortunes amassées grâce à la Compagnie des Indes et les voyages vers les Indes et la Chine, voire l'Amérique du Sud. » Il est bien sûr évident que la « gloire » du peuple malouin ne provient pas du trafic d'êtres humains. Il va également de soi que ces récits d'exploits militaires glorieux et de voyages lointains, qui sont libres de tous tabou, sont bien plus vendeurs que celui de la traite négrière, mais est-ce vraiment là l'objectif de présenter un tel discours ?

La question de la rentabilité a évidemment son importance dans une économie touristique. Selon Jean-Louis Colliot, bibliothécaire de la SHAASM, Saint-Malo ne possède plus qu'un seul bateau armé pour la grande pêche. Son économie est donc aujourd'hui majoritairement basée sur le tourisme, et le discours proposé se doit donc de respecter les attentes des personnes venant visiter la « cité corsaire ». Preuve en est, l'Office du Tourisme de la ville avait tenté de proposer des visites guidées autour des villas balnéaires de la Plage du Sillon, et cela n'avait pas pris auprès des visiteurs.

Il serait cependant naïf de croire que l'apparente légèreté d'un sujet tel que les villas balnéaires exerce un poids similaire à celui de la traite négrière. Si le sujet peut faire peur, il est cependant connu que le tourisme mémoriel possède un potentiel économique non négligeable. Il est néanmoins compréhensible que le fait d'aborder un sujet aussi lourd puisse effrayer, non pas le potentiel touriste qui, s'il choisit cette visite, est désireux d'en connaître les dessous, mais surtout les autorités et instances de la ville qui prendraient alors le risque de s'exposer à des critiques de la part de certains, et qui souhaiteraient dans l'idéal pouvoir les éviter.

Au cours de notre échange, l'Office du Tourisme nous a confirmé qu'elle n'avait jamais reçu de demande pour réaliser un circuit mémoriel, comme cela a pu être le cas à Paris avec le « colonial tour » proposé par le CRAN38, mais également aucune pression de la part de qui que ce soit pour éviter le sujet. L'Office du Tourisme n'a toutefois pas prévu de réaliser un tel projet par elle-même malgré l'impulsion donnée par d'autres villes ( Bordeaux, La Rochelle... ), et aucune connexion n'est non plus prévue avec le futur musée d'histoire maritime de la ville. Les guides sont toutefois entièrement libres d'aborder le sujet, mais cela se fait généralement à la demande du groupe.

Il existe toutefois un début d'offre touristique allant dans ce sens. Si aucune reconstitution complète de bureau d'armateur n'a été réalisée, comme cela a pu être le cas à Nantes pendant l'exposition des Anneaux de la Mémoire par exemple, le navire Étoile du Roy a aménagé la cabine du capitaine, la malouinière de La Chipaudière propose de consulter un registre d'armateur, et d'autres encore proposent de « toucher » des objets tels que des armes ou des coffres équipés de cachettes.

En revanche, en ce qui concerne les visites du patrimoine en lien avec la traite, et malgré le manque évident de celui-ci dans la ville, l'Office du Tourisme ne propose aucune explication pour des lieux qui sont aujourd'hui connus pour avoir été occupés ou habités par des armateurs négriers. L'exemple le plus parlant est certainement celui de l'Hôtel d'Asfeld, construit par la famille Magon qui fut l'une des principales familles négociantes de la ville, mais également l'une des plus prolifiques dans le commerce négrier. Lors des visites de cet hôtel particulier, il est proposé d'entrer dans une « demeure corsaire », et l'explication quant à la participation de la famille au trafic transatlantique n'est fournie que pour des groupes constitués qui en font la demande, et que très rarement pour des particuliers. Les propriétaires actuels ont néanmoins fait installer six statues dans

38. BÉGUIN François, « Un « colonial tour » dans les rues de la capitale », Le Monde, 14 Février 2013, https://www.lemonde.fr/societe/ar ticle/2013/02/14/un-colonial-tour-dans-les-rues-de-paris_1833026_3224.html, consulté le 12 Novembre 2020

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la cour d'honneur pour symboliser les grandes routes maritimes du XVIIIe siècle, et l'une d'elle représente une africaine enchainée, preuve que les propriétaires ont conscience de ce passé négrier et ne désirent pas s'en cacher.

Enfin, lorsque que l'on questionne l'Office du Tourisme sur la nécessité d'enseigner l'histoire négrière dans la ville, celle-ci admet volontiers que la traite est encore trop peu évoquée et qu'il reste encore beaucoup de travail. Elle reconnait que cette histoire doit être enseignée, mais sans en faire un point noir, ni un point principal de l'histoire de la ville d'ailleurs, car « ce n'est pas ce que l'on retient en premier », avançant par ailleurs que Saint-Malo est avant tout une cité corsaire et que la traite négrière ne fait pas partie des priorités de visites. Lorsqu'interrogée sur la place que prend le titre de « cité corsaire », l'Office du Tourisme le trouve donc parfaitement justifié, admettant à demi-mots que celui-ci prend peut-être un peu trop de place par rapport à l'histoire de la ville, mais que cela est entièrement compréhensible au vu de la gloire qu'il rapporte et donc du potentiel touristique qu'il génère.

Nous pouvons donc conclure de cet entretien que le discours touristique de la ville n'aide que très peu à la propagation de la mémoire de l'esclavage, mais que cela s'explique davantage par une nécessité économique et un besoin de répondre aux attentes des touristes que par une véritable honte de ce passé. Nous pouvons toutefois observer le poids du mythe de la « cité corsaire » qui occupe une place prépondérante dans l'offre touristique proposée aux visiteurs, et qui a pour conséquence, involontaire sûrement mais sans que cela ne semble déranger quiconque, d'empêcher la mémoire de l'esclavage et de la traite négrière à Saint-Malo. Il reste donc encore du chemin avant que cette mémoire ne soit pleinement décomplexée et puisse être abordée sans que cela ne nuise au fort potentiel touriste de la ville.

Le musée comme vecteur de transmission

Le comité « Pour la mémoire de l'esclavage » a remis en 2005 un rapport au Premier ministre soulignant le manque de visibilité des collections nationales concernant l'esclavage et la traite négrière, ainsi que l'absence d'un inventaire sur le sujet39. Avec le soutien du ministre, le comité put se rapprocher de la direction des musées de France afin de lancer une enquête nationale. Celle-ci révéla plusieurs points intéressants, le premier d'entre eux étant que les musées bretons semblaient particulièrement dépourvus de collections sur le sujet de l'esclavage et de la traite. L'étude questionnait également la manière dont était exposée cette histoire, encore une fois les musées bretons étaient pointés du doigt, une majorité de leurs collections demeurant en réserve et le thème de l'esclavage n'étant jamais abordé pour lui-même.

Sur l'ensemble des ports bretons ayant participé à la traite, seuls trois présentent des objets en lien avec cette histoire dans leurs collections, il s'agit de Nantes, Lorient et Saint-Malo. Il est facilement compréhensible que des ports comme Vannes, Brest ou Morlaix, n'ayant joué qu'un faible rôle dans le trafic négrier, n'aient pas de collection en lien avec cette histoire. En ce qui concerne Lorient et Saint-Malo, cette absence manifeste de l'histoire de l'esclavage au sein de leurs musées d'histoire est plus difficilement explicable40. Dans son étude, le comité fait un autre constat, concernant cette fois les expositions temporaires sur le thème de la traite : sur l'ensemble des expositions réalisées entre 1985 et 2005, soit 90 au total, seulement six prirent place en Bretagne. Fait plus évocateur encore, sur ces six expositions temporaires, quatre furent organisées à Nantes, une à Lorient de trois jours seulement, et une à l'Abbaye de Daoulas, qui concernait d'ailleurs davantage le culte vaudou que l'esclavage.

Alors comment expliquer cette faible représentation dans les établissements bretons, compte tenu de la forte participation de la région à ce trafic ?

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Nantes, un premier pas dans l'exposition de la traite :

Nous allons d'abord étudier le cas nantais, qui occupe bien sûr une place particulière. Avec plus de 500 oeuvres, objets et documents en lien direct avec l'esclavage et la traite, le Château des Ducs de Bretagne est le musée français qui compte la collection la plus complète sur le sujet. On doit bien souvent cela aux personnes en charge des collections, dont le travail a défini le propos du musée. Cette accumulation d'objets a également des visées politiques et mémorielles évidentes, mais nous y reviendrons.

À partir de 1928, à l'ouverture du musée de Salorges à Nantes, et jusqu'en 1945, 269 objets et documents en lien avec l'histoire de la traite sont acquis. Il s'agit alors essentiellement d'archives mentionnant des expéditions nantaises, des propriétés aux Antilles et des correspondances entre armateurs. Ce fond d'archive constitue encore aujourd'hui un des points forts de la muséographie nantaise. Dans le même temps des cartes et ouvrages anciens sont rassemblés, comme une édition du Code noir ou des cartes des côtes d'Afrique par exemple, ainsi que des documents concernant les idées abolitionnistes du XIXe siècle.

Jusqu'en 1943, date du bombardement du musée de Salorges, l'accent était mis sur la prospérité économique de la ville. Ainsi, la traite était présentée comme un système économique antérieur à la colonisation,

39. COMITÉ POUR LA MÉMOIRE DE L'ESCLAVAGE, « Mémoire de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions. Rapport à Monsieur le Premier Ministre », 2005

40. GUALDÉ Krystel, « La traite et l'esclavage dans les collections publiques en Bretagne et à Nantes », Cahier de la Compagnie des Indes, n° 9, 2006

qui participa à l'enrichissement et au développement de la ville. Aucun jugement ni enjeu, moral ou éthique, n'entrait alors en considération.

Les objets ont tous pu être sauvés de la destruction, mais jusqu'à la moitié des années 1970, ils disparaissent des salles d'exposition et ne sont plus évoqués. Dans un contexte de remise en question coloniale, il n'était plus si évident de conserver le même propos que jadis, d'autant plus que la ville devant se reconstruire à la fin de la guerre, la question de se forger une nouvelle image faisait débat. Grâce aux études menées à cette époque, une prise de conscience s'opère finalement dans la ville et en 1976, sous l'impulsion de l'Association des Amis du Musée de Salorges, la collection refait surface dans le nouveau Musée du Château des Ducs de Bretagne et demeurera inchangée jusqu'au début des années 1990 et l'apparition des Anneaux de la mémoire, que nous avons déjà évoquée.

L'exposition du même nom qui eut lieu au Château des Ducs de Bretagne marqua un tournant car ce fut la première sur le territoire nationale à être entièrement consacrée à l'esclavage et la traite. Elle rencontra un énorme succès populaire, puisque appuyée et soutenue par la municipalité qui en fait un enjeu politique fortement symbolique au moment des élections41. Ce succès est également dû à une manière innovante de présenter, qui fait appel au pathos des spectateurs grâce aux procédés scénographiques utilisés, tel un entrepont de navire négrier reconstitué pour l'occasion.

Il est néanmoins nécessaire de préciser que bien que l'exposition ait rencontré un franc succès, aucun objet ou document ne fut acquis pour l'occasion. L'exposition n'aborde pas non plus le sujet dans son ensemble, laissant par exemple de côté la traite illégale, et a eu pour conséquence d'isoler la traite dans l'histoire nantaise du XVIIIe et XIXe siècle. La collection, acquise à l'origine pour illustrer le commerce de la ville et son développement, a perdu de son contexte. À la suite de l'exposition, le musée de Nantes est identifié pendant quelques années comme un grand réservoir d'objets liés à la traite, ceux-ci représentant plus de 40% des demandes de prêts pendant cette période42.

Ce regain d'intérêt de la part des français et de leur hommes politiques n'est que momentané, il est de nouveau très vite oublié lorsque l'exposition ne fait plus la une de l'actualité et que le cent-cinquantenaire de l'abolition est passé. Au-delà de ce qui a été évoqué plus haut, l'exposition des Anneaux de la mémoire a également eu pour conséquence d'attirer l'attention sur Nantes, offrant ainsi la possibilité à d'autres ports ayant pratiqué la traite de passer relativement inaperçus aux yeux des français43.

Le cas malouin :

L'histoire de la traite négrière et de l'esclavage n'a pas toujours été un tabou à Saint-Malo et était parfaitement illustrée au lendemain de la guerre. En 1950 s'ouvrent les portes du Musée d'Histoire de Saint-Malo, et seulement deux ans plus tard le conservateur de l'époque fait des démarches pour acquérir des entraves, un fusil de traite, un portrait d'armateur... Au total, une dizaine d'objets sont acquis pour tracer le portrait du Saint-Malo négrier, mais l'effort s'essouffle rapidement et les acquisitions cessent avant le début des années 1960.

Les objets sont toujours exposés au musée, dans une petite salle au troisième étage du donjon, consacrée

41. GUALDÉ Krystel, « La traite et l'esclavage dans les collections publiques en Bretagne et à Nantes », op. cit.

42. Ibid.

43. Ibid.

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au XVIIe et XVIIIe siècle, mais aucun propos didactique n'accompagne la présentation ce qui laisse le visiteur seul interprète. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, un changement s'opère et Saint-Malo se revendique presque exclusivement comme « la cité corsaire », ce changement ne laissant quasiment aucune place à la traite et son histoire, et ces objets ayant l'air d'être détachés du propos général du musée, et n'être plus que des curiosités parmi les expositions44.

Aujourd'hui, un nouveau Musée d'Histoire Maritime va voir le jour à Saint-Malo. Le musée est contesté en tant que tel mais je ne m'attarderai ici que sur le contenu et l'ambition de son projet socioculturel, que j'ai eu l'occasion d'évoquer avec Jean-Philippe Roze, adjoint du conservateur du musée45. Au cours de notre entretien, M. Roze m'a affirmé que d'un point de vue muséographique, la traite et son histoire n'ont jamais été un sujet tabou, en atteste la permanence de la présence des objets en lien avec le sujet, même si cela est contestable comme nous venons de le voir, et que lui-même la juge limitée.

En poste au musée depuis une quinzaine d'année, M. Roze participa à l'élaboration de la programmation et de son nouveau projet scientifique46. Selon lui, l'ancien concept du musée a pu être inspiré par le mythe du héros malouin, qu'il soit dans la course, la science ou la littérature, ce qui semble en cohérence avec l'image que la ville donne, et souhaite donner, d'elle même. Trouvant que cette stratégie ne correspondait plus aux recherches historiques et n'était plus dans l'ère du temps, Philipe Petout, le conservateur, et J-P Roze étaient désireux d'en changer pour basculer vers une stratégie de valorisation et de diffusion culturelle. Cette volonté de changement n'est en revanche pas due à quelconque volonté politique, au contraire de Nantes qui avait fait de l'exposition de la traite un cheval de bataille, même si le programme scientifique du futur musée a été questionné, puis validé par la municipalité. Alors que la mémoire de l'esclavage de ne se matérialise pas dans la ville, faire figurer ce thème au moins dans l'exposition permanente du futur Musée d'Histoire Maritime apparait donc comme une « position équilibrée ».

L'esclavage et la traite négrière seront donc un sujet présent au sein de la collection permanente du musée, qui sera organisée autour de quatre séquences, selon une vision périodique de l'histoire. Estimant que dans la période actuelle, aborder le sujet de la traite était une nécessité, au même titre que n'importe quel autre armement malouin de la même époque, le cabinet scientifique a décidé de doter le musée d'un «cabinet-monde«, c'est-à-dire un îlot au coeur de l'exposition permanente, consacré uniquement au sujet de la traite. Cette refonte du musée est en grande partie due à des fouilles d'archéologie sous-marine menées pendant dix ans, et qui ont permis de faire surgir un patrimoine scientifique encore inédit pour Saint-Malo, composé de vêtements, de chaussures, et d'autres objets du quotidien des marins. Parmi les différentes acquisitions que le musée cherche à faire se trouvent également des perles, des défenses d'éléphants et d'autres objets en lien avec les marchandises de traite, également issus de l'archéologie sous-marine, et que le musée souhaiterait obtenir auprès du musée de Saint-Brieuc. Enfin, des cartes, de nouvelles entraves provenant des anciennes colonies, et d'autres objets provenant du musée du Quai Branly devraient venir compléter la collection autour de la traite.

Le programme scientifique du musée de Saint-Malo a été réalisé en étroite collaboration avec des historiens locaux, tels André Lespagnol, représentant en quelques sortes la caution de la recherche historique la plus actualisée, et Alain Roman, de manière plus informelle mais obligatoire étant donné son expertise sur le sujet. D'autres personnes présentes dans le milieu depuis plusieurs années, comme la conservatrice du Musée des Indes Orientales de Lorient, Brigitte Nicolas, ont également participé de manière à offrir un discours

44. Ibid.

45. voir Annexe 1 - Entretien avec J.-P. ROZE

46. voir Annexe 8 - Extrait du Programme Muséographique du Musée d'histoire de Saint-Malo

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sourcé et étayé sur le sujet. En 2011 s'est tenu un colloque « Exposer l'esclavage : méthodologie et pratique » qui présente notamment trois stratégies. Parmi elles, il y a deux stratégies mémorielles, l'une basée sur la représentation physique sur site, l'autre sur les témoignages. La troisième stratégie est celle de la périodisation, c'est cette stratégie qui a été utilisée dans les musées de Nantes et de Bordeaux, et qui le sera également dans le nouveau musée d'histoire maritime de Saint-Malo. L'adjoint du conservateur justifie ce choix, que certains peuvent trouver froid car en apparence dénué d'un caractère humanisé, par le fait que cette stratégie de périodisation s'appliquera aux autres «cabinets-monde«, et fera donc écho au discours général du futur musée.

Enfin, nous pourrions souligner le fait qu'alors qu'une séquence est consacrée à l'ensemble des armements malouins, la traite y compris, les corsaires ont eux le droit à un espace à part, la dernière séquence du musée qui leur est entièrement dédiée47, et qui participera donc logiquement à la propagation de l'image de la « cité corsaire ». Il est toutefois nécessaire de nuancer le propos, car bien qu'un espace soit spécifiquement destiné aux corsaires, la présentation de personnages tels que Robert Surcouf ou Chateaubriand père ne fera pas l'impasse sur leurs activités négrières.

La ville de Saint-Malo abordera donc explicitement le sujet de l'esclavage et de la traite dans son nouveau musée d'histoire maritime. Bien que la présentation historiée de faits ne constitue pas une mémoire à proprement parler, elle représente un premier pas en ce sens. Saint-Malo n'a ni la même histoire négrière que Nantes, ni les caractéristiques qui ont permis à la ville de décomplexer son lourd passé ( associations, pôles universitaires, municipalité ouverte à la question... ). Sans prendre trop de distance par rapport à l'image mythifiée et idéalisée de la « cité corsaire », ce qui peut se comprendre par la nécessité de répondre à une demande touristique, Saint-Malo affiche désormais l'ambition de présenter son riche passé maritime dans toute sa complexité, et de s'assumer davantage comme un port aux multiples facettes.

Et en Bretagne ? :

À Lorient, le Musée de la Compagnie des Indes a pendant longtemps présenté le sujet de la traite de manière très brève. Jusqu'en 1992, une seule vitrine se chargeait d'exposer le sujet, plus de manière à l'évoquer qu'à l'approfondir. À la suite de l'exposition des Anneaux de la Mémoire, un projet d'exposition temporaire est alors à l'étude grâce au conservateur de l'époque, Louis Mezin, qui souhaite changer la manière de présenter le sujet et entame un travail avec des historiens africains. L'arrivée d'un nouveau conservateur, Brigitte Nicolas, et une exposition en 2006 sur le thème des comptoirs africains changent cependant les choses pour le musée qui décide alors de nouvelles acquisitions (essentiellement des gravures) pour illustrer la thématique.

À l'instar de Saint-Malo, les habitants de Lorient connaissent très peu la participation de leur ville, au travers de la Compagnie des Indes Orientales, à la traite négrière. Cette méconnaissance du sujet, ainsi que le peu d'engagement politique local, jusqu'à l'organisation du colloque « Lorient, la Bretagne et la Traite » en 2006 par Brigitte Nicolas, n'a pas encouragé l'émergence d'une mémoire dans la ville, ni une demande de la part de la population pour une histoire plus documentée à l'intérieur du musée.

Comme pour Saint-Malo, cette demande est venue de la part des conservateurs qui souhaitaient faire de la traite négrière, non plus quelque chose de brièvement évoqué mais un sujet à part entière, évoqué de manière objective et sourcé, de manière à présenter dans sa globalité l'histoire de la Compagnie des Indes Orientales. Après le colloque, le musée a donc commencé une politique d'acquisition d'objets et a dédié un espace complet au sujet. Désormais, le musée s'associe à la Fondation pour la Mémoire de l'Esclavage pour

47. voir Annexe 8 - Extrait du Programme Muséographique du Musée d'histoire de Saint-Malo

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diverses expositions, comme celles organisées à la suite de la journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage, le 10 Mai 2020, où pendant une semaine, chaque journée a été dédiée à un aspect différent de la traite. Le tabou a donc laissé la place à l'histoire et le musée assume aujourd'hui pleinement son rôle de « gardien de toutes les histoires48. »

Enfin, concernant Rennes et le musée de Bretagne, l'institution ne dispose que de très peu d'éléments pour illustrer la traite négrière. En salle, une seule maquette du navire l'Aurore permet d'évoquer le sujet, et d'autres objets présents au musée évoquent le lien entre la Bretagne et les anciennes colonies, tels un meuble de port en bois d'acajou, quelques gravures et des documents d'archives. Globalement, le sujet est donc très peu représenté au vu de la place qu'a occupé la traite négrière dans l'histoire bretonne

À l'exception de Nantes, on observe que les thèmes de l'esclavage et de la traite sont globalement sous-représentés dans les collections bretonnes en proportion de l'implication de la région dans ce trafic. En comparaison, la Normandie possède plus de pièces dans ce domaine, alors que sa participation à la traite fut moindre.

Depuis 1992 et les Anneaux de la Mémoire, la ville de Nantes a néanmoins réussi à générer un élan qui a permis à d'autres musées d'exposer l'esclavage sans que cela ne soit un tabou insurmontable, comme le montre le cas de Lorient, et plus récemment celui de Saint-Malo. Mais cet élan a inspiré davantage des conservateurs de musée concernés que des municipalités, et le rôle dominant qu'a joué la ville de Nantes a pu avoir tendance à exempter, pendant un temps, les autres musées de faire le même effort.

48. GUALDÉ Krystel, « La traite et l'esclavage dans les collections publiques en Bretagne et à Nantes », op. cit.

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Fig. 9. Maquette numérique du future Musée d'Histoire Maritime de Saint-Malo - Atelier Kengo Kuma

Conclusion

À une époque marquée par des revendications mémorielles exacerbées et toujours plus polémiques, la mémoire de l'esclavage et de la traite négrière en France peine toutefois à se défaire entièrement de ses tabous, comme l'illustre parfaitement le cas de Saint-Malo.

Née dans un contexte de profonde remise en question, sous la pression d'associations ne se retrouvant pas dans le mythe républicain dominant et revendiquant une histoire différente de celle qui leur était jusque là imposée, cette mémoire de l'esclavage est parfois en proie à de vives critiques, certains ne jugeant pas utile, voir même malsain, de ramener au premier plan ce sujet si douloureux pour tous.

Depuis vingt ans maintenant, Saint-Malo effectue le même travail d'histoire que Nantes a commencé dans les années 1980, grâce notamment aux travaux rigoureux de quelques passionnés et à la détermination de certains de ne pas occulter cette histoire. Mais à la différence de grandes métropoles comme Nantes et Bordeaux, ce travail d'histoire n'aboutit pour l'instant pas sur un travail de mémoire.

En rappelant que le travail de mémoire, qui se fait selon le même principe que celui de deuil, suit un cheminement bien précis, on pourrait émettre l'hypothèse que la mémoire à Saint-Malo et le travail qui y est associé ne sont pas encore arrivés à leurs termes. Mais, si c'est là une explication plausible au manque de mémoire dans la ville, ce n'est pas non plus la seule raison qui empêche cette mémoire de se libérer complètement.

Un des arguments les plus importants pour expliquer ce manque provient du poids de l'image et du mythe de la « cité corsaire », que seul Saint-Malo a connu parmi les grandes villes négrières françaises. Devenu l'argument de vente principal de la ville, ce mythe, et la place qu'il occupe dans l'imaginaire collectif de la population, a permis involontairement et indirectement à l'histoire de l'esclavage et de la traite de passer inaperçue. n'est pas « idéale » pour faire avancer les choses dans ce sens. Cela se constate d'ailleurs par le fait que, à la différence de toutes les autres villes concernées par la question, jamais une association ne s'est constituée à Saint-Malo pour exprimer des revendications ou une volonté de changement à ce sujet.

Quoi qu'il en soit, certaines personnes tentent de rétablir cette histoire depuis de nombreuses années déjà, et il est tout naturel de souligner et saluer ces efforts. De nombreux historiens et passionnés d'histoire s'efforcent, à travers des écrits et des prises de parole, de propager et faire connaître cette histoire de la traite malouine. La ville va également se doter prochainement d'un nouveau musée d'histoire maritime, et les personnes en charge de celui-ci affichent une volonté certaine de partager ce récit. On peut donc en conclure que même si la route est encore longue pour Saint-Malo, le processus est aujourd'hui bien enclenché et doit désormais prendre le temps d'aboutir.

Il reste de nombreux sujets à explorer et aborder pour compléter ce travail, comme par exemple une enquête d'opinion au sein de la population qui nous permettrait de connaître l'avis des habitants de la ville sur le sujet, ou encore une étude de l'enseignement de l'histoire dans la ville pour comprendre les ambitions et les limites de celui-ci. Si la situation sanitaire nous l'avait permis, nous aurions pu également approfondir l'analyse du patrimoine de la ville, véritable sujet en soi.

Ce mémoire de recherche constitue donc davantage une sorte d'état des lieux de la situation mémorielle à Saint-Malo qu'une analyse aboutie et définitive de l'état de cette mémoire dans la ville. Comme nous venons de le dire, le processus est désormais en route et de nombreuses conditions sont réunies, sans pour autant qu'elles le soient toutes, pour permettre à la mémoire de l'esclavage et de la traite de se libérer de ses tabous à Saint-Malo.

Il serait intéressant de poursuivre cette étude dans le futur, une fois la situation sanitaire revenue à la normale et la construction du nouveau musée terminée, pour étudier l'impact de celui-ci sur le sujet. Ce travail mériterait également d'être complété à différentes temporalités, et nous serions notamment curieux de voir où en sera la mémoire de l'esclavage dans la ville une fois les vagues de revendications suffisamment loin pour être étudiée avec recul. Ce mémoire ouvre donc la porte à quiconque voudrait prolonger le sujet...

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L'absence de patrimoine provenant directement de l'époque de la traite n'aide pas non plus à éveiller la conscience des malouins par rapport à ce problème. Comme le précise Christine Chivallon, il faut « l'intervention de la forme urbaine1 » pour que la mémoire s'opère, c'est ce qui a notamment permis à d'autres villes négrières de prendre le recul nécessaire et surmonter les tabous entourant la question. Nous pourrions également évoquer le manque de structures universitaires dans la ville, contrairement aux grandes métropoles précédemment citées, élément pourtant essentiel pour qui veut faire avancer les débats et pousser la réflexion sur ces sujets.

Mais toutes les raisons que nous venons de citer n'auraient certainement pas suffi à empêcher la mémoire de l'esclavage de s'émanciper à Saint-Malo, si celle-ci avait été activement portée par une frange de la population désireuse de changer les choses ou par un projet politique soucieux de rétablir cette histoire trop longtemps tue, comme ce fut le cas à Nantes par exemple.

Ville à tendance conservatrice depuis de nombreuses années, alors que ce combat est traditionnellement celui des socialistes, l'agenda politique de la ville n'a, du moins en apparence, pas pour priorité de faire de ce passé un élément de mémoire. De plus, la population de la ville, se reconnaissant dans ce mythe républicain,

1. CHIVALLON Christine, « Bristol et la mémoire de l'esclavage, changer et confirmer le regard sur la ville », op. cit.

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ANNEXES

Sommaire des annexes

Annexe 1. - Entretien avec J.-P. Roze, adjoint du conservateur du Musée d'histoire de Saint-Malo

Annexe 2. - Échange avec Maureen Brugaro du pôle patrimoine de l'Office du Tourisme de Saint-Malo

p. 82

p. 88

Annexe 3. - Adresses connues d'armateurs nérgiers dans Saint-Malo Intramuros

p. 92

Annexe 4. - Plans et coupe du logement de Meslé de Grandclos, actuellement le 11 rue de Toulouse

p. 94

Annexe 6. - Les 11 plus grands armateurs négriers malouins du XVIIIe siècle

Annexe 5. - Les 13 Malouins les plus riches en 1790

p. 99

p. 100

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Annexe 7. - Les plus grands armateurs malouins 1756-1792

 

p. 101

Annexe 8. - Extrait du Programme Muséographique

p. 102

Annexes 1. - Entretien avec J.-P. Roze, adjoint du

conservateur du Musée d'histoire de Saint-Malo

Comment était présentée la traite dans le musée d'histoire de St-Malo avant la conception du nouveau musée ?

Le musée se partageait entre le donjon du château et la tour Solidor, qui appartenait à la même institution labellisée «Musée de France». La tour Solidor présentait l'histoire des voyages long-courriers et de la découverte du passage du Cap Horn, en revanche le donjon présentait l'histoire des corsaires, l'histoire de la ville et il y avait une vitrine depuis 1952 sur la traite des Africains qui a été nourrie précocement par des achats ou des dons, même un dépôt de l'ancien Musée national des arts et traditions populaires (actuel MuCEM). Il s'agissait d'entraves ou de fers dits «négriers», de fusils ou bracelets dits «de traite», au total une dizaine de numéros, qui étaient symboliques puisqu'elles ne provenaient pas de St-Malo et étaient donc exposées à titre d'évocation. Je (J-P Roze) suis arrivé il y a 15 ans et cela n'avait pas trop bougé, il n'y avait pas vraiment eu d'acquisitions supplémentaires, ni de recherches plus approfondies de la part du musée sur cette thématique. Une gravure représentant le transport des captifs a été largement publiée, ce qui a permis de laisser le musée dans ce réseau là, mais il s'agissait tout de même d'une parenthèse, existante, mais très limitée.

Au moment de la refonte du musée, nous avons de manière objective, sans vision mémorielle mais plus dans une «stratégie de périodisation» (comme le déclare Christine Chivallon, directrice de recherche au CNRS), pour nous il n'y avait même pas de questions.

Dans le nouveau discours muséographique, qui prendra place dans le nouveau MHM, y a-t-il eu une évolution dans le discours tenu, dans la présentation des faits, dans les acquisitions d'objets... ?

Oui, comme nous considérions que cette thématique devait être abordée, il a été programmé un « cabinet-monde », c'est-à-dire un îlot dans l'exposition permanente qui va être dédié à cette thématique de la traite. A ce moment là l'examen du fonds était presque sans appel : les entraves de par leur facture, leur matérialité et leur provenance semblaient plus symboliser la mise aux fers que la captivité des esclaves à bord ; aucune documentation n'était suffisamment probante, donc nous avons cherché comment nourrir cette thématique en requérant des dépôts, auprès du Musée du Quai Branly par exemple où il y a des entraves qui proviendraient des anciennes colonies (recherche en cours). Une acquisition d'une carte des côtes d'Angole, que j'ai pu mener, s'est aussi produite en 2020 grâce à la veille d'un site d'un spécialiste américain. Le musée avait déjà une carte des côtes de Guinée et d'autres pistes nous amènent à nous tourner vers le Musée de Saint-Brieuc qui conservent des éléments archéologiques liés à cette thématique. Il y a une épave, l'épave des Poulains, qui a été fouillée dans les années 80 et où ont été retrouvées des défenses d'éléphants, des perles de verres... donc des éléments qui ont tendance à trahir le sujet, bien qu'à ce jour ne soit encore identifiée l'origine du navire.

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Ce discours présente donc des faits historiques de manière objective, y a-t-il une part de mémoire de la traite ou bien ce n'est pas le rôle du musée ?

C'est une question intéressante, j'ai sur mon bureau les actes du colloque international organisé en 2011 et qui s'intitulait «Exposer l'esclavage : méthodologies et pratiques».

Dans ce colloque, il y a 3 stratégies de présentées : la stratégie de périodisation, comme je le disais précédemment, et c'est la conception muséographique qui a été validée, c'est une vision historique sur la base des archives, de statistiques. C'est une vision un peu froide certes, qui peut-être critiquée, notamment parce qu'elle ne semble pas revêtir un caractère humanisé et se constituer sur des témoignages, mais c'est un parti assumé aussi par le Conseil scientifique. C'est le cas du Musée d'histoire du château des ducs de Bretagne de Nantes, le cas de musée de Bordeaux aussi. Il y a aussi la stratégie mémorielle qui est plus liée à une représentation physique sur le site, une autre stratégie mémorielle qui est liée aux témoignages, pour laquelle la parole est donnée aux descendants, aux acteurs de la recherche scientifique ou culturelle d'origine africaine ou antillaise.

La stratégie de périodisation, cette vision statistique et historique, fait écho au discours général dans le futur musée et elle s'appliquera aussi pour les autres «cabinets-monde» (la pêche à Terre-Neuve, le marché espagnol, les Indes orientales). En revanche, j'utilise plus prudemment aujourd'hui l'expression «traite des Africains», car les lectures faites et la compréhension du sujet offrent une vigilance qu'il faut savoir appliquer dans la formulation comme dans la rédaction des textes. Depuis 10 ans, nous parlions de «traite négrière» ou de «traite des noirs», avec la conscience objective, je le crois, du sujet, mais les mots sont apparus d'un coup très déshumanisés. Ces expressions doivent être révoquer, il me semble, puisque nous savons quelles étaient ces communautés d'esclaves, quels étaient les comptoirs de vente. L'aspect chronologique ou l'aspect statistique ne peuvent suffire lorsqu'il s'agit de déportations et de phénomènes de ce type.

En lien avec la politique nationale de reconnaissance de la traite, est-ce qu'il y a des directives nationales qui ont été mises en place ?

Il n'y a pas eu de directives, suite à 2011, à ce colloque et aux autres événements programmés, des circulaires ont été transmises notamment pour permettre d'identifier des sections muséographiques consacrées à cette thématique ou de comptabiliser les biens s'y rattachant. Il y a une Fondation pour la mémoire de l'esclavage créée en 2017, qui est une sorte d'entité intellectuelle et référente. En tant que musée dépositaire de cette histoire, et comme il a été convenu avec le Conseil scientifique, nous pensons qu'une fois le discours muséographique stabilisé (cartels, textes, scénographie), il sera légitime de le soumettre aux membres de cette Fondation. Il existe toutefois une dimension fortement politique dans ce sujet qui transparaît aussi au niveau des collectivités territoriales et des villes - l'ancien premier ministre et maire de Nantes, J.-M. Ayrault, est actuellement le président de la Fondation. Le programme du futur musée a été souvent questionné, nous directement ou par voie de presse, parfois en conseil municipal. Cela n'a jamais été sujet à polémique, puisque nous savions que l'exposition permanente traiterait de la traite des Africains et que des collections existaient. Il faudrait être naïf toutefois pour ne pas sentir certaines tentatives d'instrumentalisation politique, mais cela ne nous concerne pas.

Lorsque j'ai réalisé mon projet l'année dernière, j'avais l'impression qu'il y avait des réticences à nous donner des informations, du moins c'était extrêmement prudent dans la manière de nous répondre. On avait l'impression que les autorités municipales ou portuaires n'avaient pas envie que ce passé négrier se sache ou se découvre. Donc là, à l'inverse vous me dites qu'il y avait des pressions municipales pour que ce soit exposé dans le musée ?

Et concernant les personnalités politiques telles que Mahé de la Bourdonnais ?

Cela renvoie à une autre question propre aux musées : nous sommes contraints dans nos espaces et il faut savoir parfois réserver un thème ou un sujet pour des expositions temporaires. C'est a priori le cas de Mahé de La Bourdonnais, car c'est un beau sujet et un sujet complexe qui permet d'aborder le commerce maritime, sa structuration et la colonisation, ainsi que les relations avec les Indes, la côte du Mozambique et l'Arabie.

La question renvoie à des réalités culturelles et politiques plutôt classiques : l'effort de mémoire sur le sujet a été a priori plutôt conduit par des adeptes à la doctrine socialiste ou de gauche. La problématique qui pourrait davantage nous surprendre et nous questionner, c'est la matérialisation de cette histoire dans la ville en effet. La perspective de faire figurer ce thème au moins dans l'exposition permanente du futur Musée d'Histoire Maritime est apparue déjà comme une position équilibrée.

Est-ce qu'il y a des comptes-rendus de conseils municipaux, des procès verbaux, des écrits de vos réunions entre la municipalité et le musée qui serait accessibles ?

Les délibérations des conseils municipaux sont des documents accessibles, mais il serait surprenant qu'on y rentre dans le détail. J'imagine que l'intitulé de la section muséographique pourrait figurer quand même dans quelques documents officiels.

Le programme scientifique détaillé reste par contre la base et comme il a été annexé lors des différentes phases du projet aux documents émis par la Ville de Saint-Malo, c'est en quelque sorte le «juge de paix».

J'ai une dernière question concernant le musée, au sujet des héros locaux controversés tels que Surcouf ou Chateaubriand père, comment se fait la présentation de ces personnages ?

En résumé, le programme est né de l'archéologie sous-marine et des découvertes en baie de Saint-Malo des années 2000. Elles ont révélé la vie des hommes embarqués. Nous n'étions pas dans le mythe du héros avec cet énorme fonds patrimonial mis au jour. L'ancien concept du musée pourrait avoir été en partie inspiré par cette mythologie dans les domaines de la course, de l'exploration, de la littérature, etc. Sauf que le programme scientifique validé par le ministère et la Ville a clairement défini une autre stratégie de valorisation et diffusion culturelle que nous trouvions plus dans l'ère du temps, convergente avec les recherches universitaires ou scientifiques et avec la vision de l'histoire du moment. L'objectif est simplement de s'appuyer sur les collections comme tout musée. Le portrait de Robert Surcouf en armateur figurera aux côtés d'un portrait d'un des plus grands armateurs négriers malouins, Meslé de Grand-Clos, actuellement conservé au Musée d'Avranches. Les cartels traduiront simplement la réalité historique à cet endroit de l'exposition. On sera limité par une seule chose, c'est le principe du musée, on sera limité par le nombre de signes, le nombre de phrases que l'on pourra mettre pour que ce soit lisible. Il me semble qu'il n'existe aucun frein ou aucun obstacle à l'objectivité. En 1974 il y a eu une exposition ici sur Surcouf, il n'y avait que deux lignes sur ses activités négrières. Les ouvrages par leur silence en disent long et il est plutôt rare de lire plusieurs lignes sur la traite des Africains dans les parutions de la première moitié du 20e siècle ayant pour sujet Saint-Malo. C'est le travail expert d'Alain Roman qui a définitivement réveillé les consciences (un ouvrage de synthèse est paru en 2003).

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Vous avez parlé de travail d'historien, je voulais savoir si dans la conception du projet scientifique et culturel, vous aviez travaillé en collaboration avec les historiens locaux tels qu'Alain Roman et André Lespagnol ?

Pas dans le projet à la base parce que c'est plus un travail interne mais dans la programmation, lorsqu'elle a été lancée, il a fallu selon les coutumes des musées réunir un Conseil scientifique et André Lespagnol a été évidemment contacté très vite. On l'avait contacté depuis longtemps, on a travaillé de façon très régulière avec lui, il était en quelque sorte le représentant universitaire indiscutable et la . Nous avons aussi échangé avec Alain Romain étant donné son expertise. C'est donc naturellement que le sujet des la traite a été abordé en séances du Conseil scientifique, il y a eu de vrais discussions sur la vision muséographique et le discours scientifique à tenir et de vrais compromissions à envisager parce qu'un musée ne pourrait être un ouvrage universitaire.

Nous avons parlé d'histoire mais est-ce qu'il y a des porteurs de mémoire qui se revendiquent à St-Malo, qui prennent les devants pour faire changer les choses ?

Sur l'aspect mémoriel et sur l'effort que la ville devrait faire, il n'a que les éléments qui se trouvent dans la presse, à ma connaissance. Il existe un «geste mémoriel» intéressant qui ne se rapproche pas du sujet, mais qui pourrait donner à réflexion : un cairn a été inauguré à Saint-Malo en 2013 (suite à l'inauguration à Saint-Pierre-et-Miquelon d'un autre monument) à la mémoire des cinq siècles de pêche morutière. La question est de savoir s'il s'agissait d'une bonne matérialisation, d'un témoignage suffisant et approprié ; mais je dirais que ce n'est pas de l'ordre des musées et que nous ne sommes pas spécialistes de la stratégie mémorielle.

Concernant le patrimoine de la traite maintenant, quelle forme prend-il ? Est-ce qu'il se manifeste par des statues, des noms de rues, les malouinières... ? Comment la reconstruction de la ville après 1944 s'est faite et selon quelle volonté ?

Je vous transmettrai cet article qui figure dans un Cahier de la Compagnie des Indes intitulé «Lorient, la Bretagne et la traite» (2006). Je ne suis pas un grand spécialiste de l'urbanisme mais il semblerait que lorsque St-Malo se lance dans la traite négrière, après les années 1710 ( et il va y avoir plutôt des grands armements dans la deuxième moitié du XVIIIe ), les hôtels particuliers de Intra-Muros sont déjà construits. Donc ça veut dire que l'argent pour permettre les accroissements, comme cela est appelé, provient surtout du commerce avec l'Espagne et des voyages à la mer du Sud (Chili, Pérou). C'est une réalité historique, les grandes fortunes qui se sont bâti leurs hôtels particuliers et leurs malouinières sont des fortunes qui ne sont pas réellement nées de la traite, qui sont antérieures. Après les bombardements et la destruction de la ville historique à 80%, le concept architectural se concentre sur la silhouette. Les architectes de la reconstruction, dont Louis Arretche, visent sans doute une impression générale dans leurs travaux - on reconstruit des îlots, on évoque par des façades et des élévations un caractère ancien. Il ne semble pas aujourd'hui que la vision restitutive et archéologique

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a été possible et privilégiée. A Saint-Malo, nous sommes loin des hôtels particuliers de Nantes et de toute façon, à cette époque, la question est de reloger les habitants et de tourner la page sinistre de la guerre. Une chose semble témoigner quand même de l'histoire de la traite dans l'urbanisme, c'est un mascaron (identifié comme une tête africaine) qui figure au-dessus d'une grande-porte en bois de l'un des hôtels qui fait face à la porte principale (Saint-Vincent). Hormis cela, la reconstruction n'a rien provoqué, ni d'ailleurs extra-muros, et aucune trace matérielle et patrimoniale ne semble pouvoir être associé à notre sujet. Les consciences au lendemain de la guerre ne sont évidemment pas portés sur cette question.

Concernant les traces secondaires ? St-Malo n'ayant pas le même arrière pays que Nantes, ils devaient bien entreposer les marchandises quelque part ?

Eh bien non, c'est ça justement la complexité du cas malouin, il n'y a pas ce phénomène d'arrière pays ou d'entrepôts et de stockage qui a été développé à St-Malo. St-Malo n'a jamais eu d'entrepôts, je parle là de constructions durables et pérennes, ils ont eu dans leurs caves, dans les malouinières, des éléments de stockage, mais pour résumer les marchandises n'étaient pas écoulées à St-Malo. Quand les malouins vont faire le commerce des toiles bretonnes, le commerce de l'argent, le commerce des esclaves africains, ils vont souvent revenir et s'arrêter soit sur Nantes, soit sur Lorient, soit sur le Havre ou sur Bordeaux et voire même aux Pays-Bas. Par exemple, le sucre et l'indigo rentreront dans le marché français sans forcément passer par le port de Saint-Malo. C'est toute l'histoire d'un régime de droits et d'exonérations de la monarchie et d'un savoir-faire d'armateurs-négociants dont il s'agit ici. Matériellement, les retombées de la traite des Africains ne se voient pas comme les autres ou encore moins que les autres. Certes, il doit y avoir des indices dans les achats fonciers de tel ou tel armateur, Meslé de Grand-Clos par exemple, mais c'est assez opaque quand on ne s'y intéresse pas.

Il n'y a donc pas eu de politique de cacher les traces, c'est simplement qu'il n'y en a quasiment jamais eu ?

C'est en quelque sorte cela. Vous évoquiez les statues précédemment et c'est un sujet d'actualités justement qui pourrait être mis en perspective par rapport à notre sujet. Quelle statue incarne ce passé ? Quel texte est inséré au piédestal ? Vous connaissez sans doute la réponse : à l'heure du réflexe commémoratif, l'objectivité est rarement invoquée.

Si on évoque «l'occultation« des traces, est-ce propre à St-Malo ou est-ce que cela participe de la politique de l'oubli qui a été mise en place à l'abolition de la traite dans toute la France ?

Des documentaires sont récemment parus sur ARTE et en quatre épisodes, à charge pour certains critiques, le sujet de l'occultation a été abordé. Ce problème dépasse largement la France, on le voit en Angleterre comme on voit de grands efforts aussi produits (à Liverpool ou Birmingham). Ces documentaires ont mis la lumière sur plusieurs choses, et une qui me semble essentielle, les conséquences économiques favorables de la traite pour les monarchies européennes. Et la relation existante entre une tasse en porcelaine chinoise arrosée d'un café ou d'un ingrédient sucré avec la surproduction des colonies et l'esclavage. Forcément, l'occultation a existé car il n'était pas si facile de comprendre la liaison entre les choses.

Nantes a fait le choix de dissocier son musée de son mémorial, Bordeaux a décidé de mettre des plaques explicatives sur les noms de rues et les statues, il est intéressant de voir les différentes approches des villes sur

86

cette thématique.

C'est vrai, il y a deux façons d'habiter la ville avec ce sujet, c'est soit par le mémorial, la position de Nantes je la trouvais très réussie, mais celle de Bordeaux pourrait être aussi très intéressante pour St-Malo.

Est-ce qu'on peut trouver des preuves de cette «occultation« ?

L'article d'Alain Roman (2006) renvoie à cette préoccupation d'occultation. La preuve de la dissimulation elle est induite, elle n'est pas explicite. C'est en filigrane, en observant un cartel de statue, vous comprenez sur quelles parties de la biographie du personnage représenté a été posé le projecteur. Il pourrait être intéressant d'initier des échanges avec les descendants et se demander s'ils conservent des traces jusqu'alors intentionnellement dissimulées, ou interroger les acteurs culturels des Malouinières pour savoir s'ils font référence à la question. Alain Roman avait un regard très critique du point de vue sociologique et objectif. Il avait des éléments pour en tout cas.

Pensez-vous que la création du mémorial de Nantes, et les colloques qui avaient eu lieu ont changé quelque chose dans la politique de St-Malo ?

Non pas du tout, je pense que les gens intéressés par le sujet se sont satisfaits de l'intention et du geste, mais Nantes est une métropole et une ville universitaire, le contexte est forcément différent. Il ne me semble pas qu'au moment de l'ouverture du mémorial de Nantes, il y a eu des échos du côté de Saint-Malo à l'époque. Récemment, les choses auraient tendance à prendre une nouvelle tournure comme nous en parlions précédemment.

On va donc avoir un nouveau Musée d'Histoire Maritime à St-Malo, qu'est-ce qui a motivé la construction de ce nouveau musée ?

A la base, c'est une refondation du programme muséographique. Ensuite il y a eu des fouilles archéologiques pendant 10 ans qui ont fait surgir un nouveau patrimoine scientifique inédit pour St-Malo. Ce projet n'est pas né d'une volonté hors-sol, c'est un constat de professionnels qui a conclu que le musée devait changer de peau pour l'avenir de ses collections et la valorisation de ses missions.

Pourquoi avoir choisi ce musée plutôt qu'une autre proposition étant donné qu'il est aujourd'hui controversé ?

Faisant parti de la commission d'analyse, l'équipe du musée, le conservateur et moi-même, nous avons consulté plus de 130 candidatures avec des grosses pointures... Il a fallu arriver à une shortlist de 4. Donc l'analyse s'est faite d'un point de vue fonctionnel. Evidemment que j'avais un avis esthétique mais celui-là je le gardais pour moi. Cette analyse a permis de pointer des dépassements probables de coûts, des impossibilités ou des incohérences formelles, des dysfonctionnements ou des complexités, des gestions problématiques en termes de flux de visiteur, de croisements ou de mouvements de collections, etc.

Il y a eu une vraie réalité chez Kuma, c'est qu'il a proposé des volumes avec des latitudes d'organisation intérieure qui sont très intéressantes pour un musée, ce qui n'était pas le cas chez Aires Mateus par exemple.

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Annexes 2. - Échange avec Maureen Brugaro du pôle

patrimoine de l'Office du Tourisme de Saint-Malo

Que savez vous à titre personnel de l'histoire négrière de la ville ? ( ampleur, impact économique, nom célèbre ayant pris part au trafic... )

Étant historienne, je maîtrise correctement le sujet, ainsi que mes collègues guides. j'ai pris une famille de marins, armateurs et négriers comme sujet de mémoire en M2 Histoire

Ce pan de l'histoire est-il enseigné par vos guides lors des visites guidées de la ville que vous proposez ? - Si tel est le cas, de quelle manière abordez-vous le sujet ?

Le sujet est très peu abordé. Certains guides ne consacrent pas de temps dans leurs visites à la traite, car le timing est trop juste pour parler de la Traite. D'autres guides, évoquent rapidement la traite (environ 5 mn sur une visite de 1h45). Sachant que Saint-Malo n'était que le 5ème Port négrier, au 18ème siècle, très loin derrière Nantes et Bordeaux avec un commerce lié à l'esclavage représentant seulement environ 5% de l'ensemble de la Traite Française.

Si ce n'est pas le cas, seriez-vous susceptible, par la suite, de l'évoquer pendant vos visites guidées ? Et si non, quelles seraient les raisons pour lesquelles vous ne voudriez pas de le faire ?

Ce n'est pas un sujet facile à aborder. Les chiffres de la Traite ne sont pas aussi importants que ceux des autres marchandises telles que les étoffes, le café...

Avez-vous déjà reçu des propositions/demandes, de la part d'autorités ou de particuliers, afin de proposer une offre de ce genre ?

Nous n'avons jamais été sollicités pour effectuer ce type de commentaires lors des visites guidées. Cependant certains historiens locaux et quelques politiques souhaiteraient qu'un espace soit consacré à la traite au coeur du futur musée maritime (actuellement en construction).

À l'inverse, avez-vous déjà reçu des demandes / pressions pour ne pas évoquer cette histoire ?

Non, pas de pressions, ni de demandes expresses de ne pas en parler. Le sujet est noyé dans la Grande Histoire et Saint-Malo ne peut pas être considéré comme un port négrier.

À votre connaissance, cette partie de l'histoire de Saint-Malo a-t-elle déjà été évoquée dans des guides touristiques consacrés à la ville ? ( livres / brochures / sites internet )

Le sujet est abordé et bien documenté sur le site internet Infobretagne.fr. Certains ouvrages récents évoquent le sujet, mais pas les guides touristiques. Le livre de référence est «Saint-Malo, au temps des négriers» de A.Roman. mais il reste le seul ouvrage consacré à la Traite à Saint-Malo

Si c'est le cas, trouvez-vous qu'elle soit présentée de manière objective ou qu'elle soit minimisée ? Si ce n'est pas le cas, comment pourrait-on expliquer cette absence ?

Saint-Malo est une cité corsaire et même si les armateurs malouins ont pratiqué la Traite, leur gloire vient plutôt de leur exploits corsaires et des fortunes amassées grâce à la Compagnie des Indes et les voyages vers les Indes et la Chine, voire l'Amérique du Sud. D'autre part, les corsaires sont en quelque sorte la vitrine de Saint-Malo. Nous avons essayé de proposer des visites guidées autour des villas balnéaire de la Plage du Sillon, et le produit n'a pas pris auprès de nos visiteurs.

Lors des visites guidées, pensez-vous présenter une image « vendeuse » de la ville ? Si c'est le cas, cela se fait-il au détriment de ses « parts d'ombre » ?

Nos visites guidées proposent une image vendeuse de Saint-Malo. La traite ne fait pas partie des

sujets abordés, ou alors durant 5 minutes environ sur une visite de 1h45. C'est plus par manque de temps lors des visites organisées que par ignorance. Les Corsaires et le passé glorieux de Saint-Malo et du siècle d'or attire les foules et le sujet est suffisamment illustré pour ne pas évoquer la traite. Mais d'autres sujets ne sont pas abordés ou insuffisamment, tels que l'histoire des bains de mer...

À titre personnel, pensez-vous que l'enseignement de l'histoire de l'esclavage à Saint-Malo serait une bonne chose pour la ville, ou qu'au contraire cela nuirait à son image ?

Personnellement, je pense que ce sujet devrait être abordé dans l'enseignements de la ville, mais sans en faire un point noir de Saint-Malo. En parler, faire connaitre, savoir que Saint-Malo était le 5ème Port Négrier de France au 18ème siècle est important, mais il ne s'agit pas d'en faire le point principal de l'histoire de Saint-Malo. Et surtout, il faut toujours remettre les faits dans leur contexte historique. Les négriers ne sont pas perçus de la même façon au 18ème siècle et au 21ème siècle.

Le nouveau Musée d'Histoire Maritime de la ville est actuellement en projet et va exposer cette partie de l'histoire de la ville de manière objective, au même titre que les autres armements de l'époque. Cela va forcément augmenter la connaissance des malouins sur le sujet, et peut-être attiser leur curiosité. Je me demande donc si vous avez, pour le futur, prévu quoi que ce soit en lien avec le musée et l'histoire qui y est présentée ?

89

88

A ce jour, aucun lien n'est prévu entre les services de l'Office de Tourisme et la ville. Cependant, un service patrimoine est en cours de mise en place à l'Office et la Ville travaille à l'obtention du label VPAH actuellement.

J'ai conscience que le patrimoine bâti en lien avec la traite est manque à Saint-Malo, toutefois nous connaissons aujourd'hui certaines malouinières et hôtels particuliers d'Intra muros où des armateurs négriers avaient leurs bureaux ou leurs logements. Pensez-vous qu'il serait possible, à terme, de proposer des circuits mémoriels comme le font déjà certaines villes ? ( Bordeaux, Le Havre, Bristol...)

plan nature, Saint-Malo est le Spot où il faut être durant les grandes marées. la Traite ne fait pas partie des priorités de visite.

Pour le moment, il est encore trop tôt pour prévoir ce genre de circuits mémoriels.

Serait-il selon vous possible, à terme encore une fois, de proposer comme l'a fait Nantes la reconstitution d'un bureau d'armateur dans l'un de ces hôtels particuliers ?

Ce genre de choses existe déjà, mais pas des bureaux complets. La Chipaudière propose de «consulter» un registre de commerce. une autre propose de «toucher» des objets tels que des armes, des coffres équipés de cachette, le navire étoile du Roy a aménagé la cabine du capitaine... mais il reste encore beaucoup de travail... La Traite est encore trop peu évoquée pour le moment.

Lors des visites de l'Hôtel d'Asfeld, il est indiqué demeure de corsaire. La famille Magon fut également une des principales familles négrières de la ville. Cette partie de leur histoire est-elle évoquée lors des visites de l'établissement ? Si ce n'est pas le cas, pourquoi ne pas l'évoquer ?

À votre connaissance, y a-t-il déjà eu des discussions ou des débats au sein de la direction touristique de la ville pour savoir s'il était bon ou non de proposer une offre touristique en lien avec la mémoire de l'esclavage ? Si c'est le cas, quelle a été l'issue de ces discussions ?

D'après certains articles de journaux, quelques politiques de Saint-Malo souhaitent faire installer une plaque commémorative rappelant le rôle joué par une vingtaine d'armateurs malouins dans la traite, et aussi faire en sorte que le futur musée maritime possède un espace dédié à ce passé.

Pour finir, pensez-vous que le titre de « cité corsaire » soit justifié pour la ville, où prend-il trop de place par rapport à l'histoire maritime de la ville dans son ensemble ?

Je pense que le titre de Cité corsaire est tout à fait justifié. peut-être prend t-il un peu de place par rapport à l'histoire maritime globale de la ville, mais il en est de même pour d'autres villes comme Cancale, qui ne parle que des huîtres et des terre-neuvas, alors que son histoire est beaucoup plus riche. Après, il est difficile de parler de tous les sujets dans une ville au passé très riche comme Saint-Malo.

91

90

Les propriétaires évoquent le sujet pour des groupes constitués qui en font la demande. Pour des particuliers, il est plus compliqué de se focaliser sur ce sujet, sachant encore une fois que la Traite ne représente que 5% des échanges commerciaux. Cependant, les propriétaires actuels ont fait installer 6 statues dans la cour d'honneur afin de représenter les grands routes maritimes du 18è siècle et les marchandises transportées : on y retrouve la statue d'une Africaine enchaînée, mais aussi un Asiatique pour les porcelaines de Chine, un mineur Péruvien pour l'argent, un Indien de Pondichéry pour les épices et les étoffes, un Arabe Yéménite pour le café et une Espagnole pour Cadix. Donc Saint-Malo, port négrier est bien entré dans les mémoires, mais «un tout petit port négrier«.

Plus généralement, certains héros malouins ont joué un rôle dans le trafic négrier (Surcouf, Chateaubriand père, Mahé de la Bourdonnais). Lorsque vous évoquez ces grands personnages, leur participation à la traite est-elle précisée et contextualisée ?

Chateaubriand est un écrivain célèbre et dont le père était propriétaire du château de Combourg. Surcouf est un célèbre corsaire et Mahé de la Bourdonnais un homme politique. Le côté «négrier» est évoqué, mais c'est un sujet sur lequel on ne s'attarde pas, toujours pour les raisons évoquées plus haut. Certains guides évoquent le côté négrier de Surcouf, et de Chateaubriand père, car cela fait partie de l'histoire malouine. Mais Saint-Malo n'est pas au même rang que Nantes.

De manière générale, pensez-vous que cette histoire soit bien connue des malouins et des touristes ? Si ce n'est pas le cas, pourquoi en est-il ainsi ?

La traite fait partie de l'histoire malouine, mais ce n'est pas ce que l'on retient en premier. Saint-Malo est avant tout une cité corsaire, marquée par de grands noms de la Course, et également par la Grande Pêche. Sur le

Annexes 3. - Adresses connues d'armateurs nérgiers

dans Saint-Malo Intramuros

Luc Magon de la Balue 4 rue Chateaubriand

Chateaubriand Hôtel White

2 rue Chateaubriand

Meslé de Grandclos Casernes

rue Jacques Cartier

François Auguste Magon de la Balue Hotel Asfeld

Meslé de Grandclos

immeuble Nouail de la Villegille 11 rue de Toulouse

Pierre Beaugeard 2 rue St Philipe

5

4

3

2

11

4

2

Mairie de Saint-Malo

Office du tourisme

Beauvais le Fer 3,4,5 rue St Philipe

92

Fig. 10. Médaillon sur la porte de l'Hôtel White, où vécut M. de Chateaubriand

Fig. 11. Façade de l'Hôtel d'Asfeld - Office du Tourisme de Saint-Malo

93

Annexes 4. - Plans et coupe du logement de Meslé de

Grandclos, actuellement le 11 rue de Toulouse

94

95

Coupe transversal du 11 rue de Toulouse - archives personnelles d'Alain Roman

Plan de rez-de-chaussée du 11 rue de Toulouse - archives personnelles d'Alain Roman

96

97

Plan de troisième étage du 11 rue de Toulouse - archives personnelles d'Alain Roman

98

Annexes 5. - Les 13 Malouins les plus riches en 1790

(chiffres donnés en livres)

99

 
 

Capitation

Industrie

1/20

Total

*

Meslé de Grandclos

1000

156

37,10

1 193,10

*

Le Breton de Blessin

373

43,10

388,05

804,15

 

Dupuy Fromy père

444

108

166,10

718,10

*

La Lande Magon fils

450

120

125

695

*

Quentin

532

126

-

658

*

Mennais Robert fils

320

81

170

571

 

Eon père

267

-

283

550

*

Magon de La Blinais

444

84

-

528

*

Magon de La Villehuchet père

266

18

239

523

 

Fournier Dumanoir

106,10

12

368,15

487,05

 

Grassinais père

232

-

250

482

*

Blaise de Maisonneuve

222

90

166

478

*

Grande Rivière

25

-

444,03

496,03

Tableau tiré du livre de ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 205, réalisé d'après les Archives Municpales de Saint-Malo, liste des citoyens actifs

 
 

Contribution

Revenu estimé

 

Henriette Moreau de La Primerais

18 892

75 568

*

Meslé de Grandclos

12 150

48 600

 

Cortois de Pressigny (l'évêque)

8 406,12

33 626,08

*

Charles Quentin

7 200

28 800

*

Enfants Nouail de La Villegille

6 317,13

25 270,12

 

Filles Ribretière

6 060

24 240

*

Madelaine Banchereau Vve

Quentin

6 000

24 000

*

La Lande Magon fils

5 500

22 000

 

Dame Vincent Vve Magon

5 100

20 440

*

Le Breton de Blessin

4 656

18 624

 

Dame Roubaud Vve Le Fer de La Saudre

4620

18 480

*

Robert des Saudrais

4 008

16 032

*

Magon de La Blinais

3 900

15 600

Tableau tiré du livre de ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 205, réalisé d'après les Archives Municpales de Saint-Malo, contribution patriotique fixée au quart du revenu annuel

Note : Les astérisques désignent les contribuables ayant plus ou moins participé à la traité négrière

Annexes 6. - Les 11 plus grands armateurs négriers

malouins du XVIIIe siècle

Noms

Nombre d'expéditions

Périodes d'armement

 

Meslé de Grandclos

35

1763-1792

 

Famille Magon

22

1738-1777

dont 16 voyages après

1763 en association avec Nouail de La Villegille

Beaugeard

12

1763-1777

 

Surcouf

12

1747-1777

1 seul voyage après 1763

Le Breton de Blessin et Dessaudrais Sébire

8

1763-1777

 

Pottier de La Houssaye

8

1763-1792

 

La Fontaine Le Bonhomme

6

1747-1777

en deux générations

Chateaubriand

6

1763-1777

 

Leyritz

5

1747-1777

 

Marion

5

1781-1792

plus 6 hors de Saint-Malo

Briand des Huperies

5

1738-1744

 

Tableau tiré du livre de ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 58

100

Annexes 7. - Les plus grands armateurs malouins

1756-1792

Noms (les négriers sont soulignés)

Période
d'activité

Nombre
d'armements

Moyenne annuelle

% Pêche

% Cabotage

% c.
exotique
et colonial

Dupuy Fromy

1763-1792

353

11,7

75,6

22,1

0,3

Meslé de Grandclos

1757-1792

166

4,6

22,2

20,9

51,2

 

Pottier

1757-1792

163

4,5

38,7

23,9

32,5

 

Dubois

1775-1792

122

6,7

35,2

32

13,9

 

Despechers Guillemaut

1756-1792

117

3,1

85,5

10,2

3,4

Deshaies Coquelin

1760-1792

109

3,3

71,6

20,2

2,7

Blaise de Maisonneuve

1767-1792

86

3,3

53,5

40,7

5,8

 

Fichet Desjardins

1765-1792

82

2,89

75,3

14,8

6,2

 

Caneva

1771-1792

76

3,45

76,3

13,1

2,6

Robert de La Mennais

1756-1792

69

1,86

63,8

17,4

1,5

Beaugeard et Desegray

1756-1789

65

1,9

21,5

32,3

37

 

Saint Marc

1756-1784

59

2

54,2

20,3

15,2

 

Surcouf

1756-1782

56

2,07

60,7

10,7

19,6

 

Le Breton de Blessin et

1756-1774

50

2,63

34

12

48

Dessaudrais Sébire

Chateaubriand

1759-1775

49

2,8

57,4

2,12

29,78

 

La Lande Magon et

1761-1783

36

1,56

8,3

16,7

69,5

Nouail de La Villegille

Harrington

1780-1792

34

2,61

73,5

2,9

17,6

 

Tableau tiré du livre de ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers, op. cit., p. 59

101

Annexes 8. - Extrait du Programme Muséographique

VILLE DE SAINT-MALO

MUSEE D'HISTOIRE MARITIME-- Programme muséographique détaillé

FG/FSIYM --18.000

16.03.2018

IL2 1 ARBORESCENCE GÉNÉRALE DU PARCOURS DE VISITE

PROGRAMMATION

VILLE DE SAINT MALO

MUSEE D'HISTOIRE MARITIME

PROGRAMME MUSÉOGRAPHICUE DETAILLÉ

FG/FSIYM/ 18-000

18.03.2018

103

Le parcours de visite sera décomposé en 4 séquences principales, elles-mêmes décomposées en sections et îlots. Cette trame de parcours n'est pas a entendre comme des espaces clos mais comme des ensembles muséographiques cohérents et faisant sens, porteurs d'une thématique et/ou d'un contenu scientifique précis.

SEQUENCE O. « LES GENS DE MER »

SEQUENCE 1. SAINT-MALO D'HIER A AUJOURD'HUI

1.1. Environnement naturel, anthropologie maritime

1.1.1. Environnement naturel

1.1.2. Constructions et activités humaines

1.2. Activités littorales et nautiques (19e-20e siècles)

1.2.1. Tourisme : des bains de mer aux bains de foule

1.2.2. Nautisme, une nouvelle maîtrise des mers

1.3. Saint-Malo, « fameux port de mer N

1.3.1. Une vocation maritime ancienne (-1er-4e siècles)

1.3.2. L'aménagement portuaire au fil du temps (16e-20e siècles)

1.3.3. La société maritime : travailler à terre pour la mer

1.4. Trafics du 19e â aujourd'hui

1.4.1. La grande pêche (19e-20e siècles)

1.4.1.1 Contexte et réglementations

1.4.1.2. Des terre-neuviers à chaloupes aux terre-neuviers à doris

1.4.1.3. Les chalutiers de 1920 à nos jours

1.4.2. Le cabotage et les circuits de proximité

1.4.3. Les trafics contemporains

SEQUENCE 2. LE PATRIMOINE SOUS-MARIN ET MARITIME

2.1. Des trésors engloutis - perspective scientifique et richesse patrimoniale

2.2. Panorama d'un patrimoine immergé et métamorphosé

SEQUENCE 3. GRAND COMMERCE ET ROUTES MARITIMES (16E-20E SIECLES)

3.1. Le négociant-armateur

3.1.1. L'espace du négociant-armateur du 18e siècle

3.1.2. Galerie des armateurs

3.2. L'économie morutière (16e-18e siècles)

3.2.1. Terre-Neuve, Saint-Pierre et les bancs

3.2.1.1. Approche géographique

3.2.1.2. Les armements morutiers

3.2.2. Le temps de la morue sèche

3.2.2.1 La pêche â la côte

3.2.2.2 La préparation du poisson

3.2.3. La commercialisation de la morue sèche

3.2.3.1 Les routes de livraison

3.2.3.2 Les parts et les marchandises de retour

3.2.4. La morue verte

3.3. L'économie toilière et le marché espagnol (16e-18e siècles)

3.3.1. La route des toiles

3.3.1.1. [les toiles bretonnes aux marchandises du Levant

3.3.1.2. La place marchande de Cadix

3.3.2. La mer du Sud, eldorado des Malouins

3.3.2.1. L'argent du Pérou et les marchandises américaines

3.3.2.2. Contrebande et compagnies de commerce

p.12

3.4. Les nouveaux débouchés (17e-18e siècles)

#311 AUBRY & GUIGUET Programmation

171 13, rue de Mont-Louls - 75011 Paris - tel : 01 43 67 37 50 -fax : 01 43 67 3B 50 - ma II : contact@aubry-guiguet-pragrammation.com

AUBRY & GUIGUET Programmation

13, rue de Mont-Louis - 75011 Paris - tel : 01 43 67 37 50 - fax : 01 43 67 36 50 mail : contact®aubry-guiguet-programmatIon.corn

VILLE DE SAINT-MALO FG/FS/YM --18.000

MUSEE D'HISTOIRE MARITIME-- Programme muséographique détaillé 16.03.2018

VILLE DE SAINT-MALO

MUSEE D'HISTOIRE MARITIME -- Programme muséographique détalllé

FG/FS/YM -- 18.000

16.03.2018

p.13

3.4.1. La traite des noirs

3.4.1.1. L'armement négrier

3.4.1.2. La troque des nègres

3.4.2. Le commerce des Indes orientales

3.4.2.1. La Compagnie des Indes Orientales de Saint-Malo

3.4.2.2. La traite du café

3.4.2.3. Les Indes et la Chine

3.5. Les routes maritimes, cartographie de synthèse

SEQUENCE 4. GUERRE SUR MER, LE TEMPS DES CORSAIRES (16E-19E SIECLES)

L'armement corsaire

4.1.1. Pirates ou corsaires, cadre historique

4.1.2. Navires et équipages corsaires...

4.2. Le combat en mer

4.2.1. Les moyens d'attaque

4.2.1.1. Les armes de bord et la petite artillerie

4.2.1.2. Le puits à boulets

4.2.1.3. La batterie de canon

4.2.2. L'abordage

4.2.2.1. La prise du Kent

4.2.3. Après le combat

4.2.3.1. Les prises

4.2.3.2. Les prisonniers et les pontons

4.3. Les héros corsaires, de la réalité au mythe

4.3.1. René Duguay-Trouin, corsaire sous Louis XIV

4.3.2. Robert Surcouf, corsaire sous l'Empire

SEQUENCE TRANSVERSALE. LA VIE À BORD

T1. Habillement et effets personnels T1.1 Les matelots du 18e siècle T1.2. Les terre-neuvas

T2. La santé des équipages

T2.1. Hygiène et médecine à bord

T2.2. Dévotion religieuse et pratiques cultuelles

T3. Entretenir le navire : métiers et travaux de bord

T3.1. La charpenterie

T3.2. Le calfatage

T3.3. La voilerie

T3.4. L'entretien courant

T4. Occuper le navire

T4.1. Soutes et cale...

T4.2. Architecture navale et aménagements de bord... T4.3. Gréement, du haubanage au collier de mât...

T5. Nourrir l'équipage

T5.1. Les vivres embarqués

T5.2. La cambuse

T5.3. Le repas des équipages, la table de l'état-major

T6. Temps libre et loisirs

TE.1. Le tabac

TE.2. L'art du couteau

TE.3. Les distractions (coutumes, musique, jeux)

/PA AUBRY & GUIGUET Programmation

1:1 13, rue de Mont-Louls - 75011 Paris - tel : 01 43 67 37 50 -fax : 01 43 67 36 50 - mall : contact@autry-guiguet-pragrammation.cem

ZOOM D'APPROFONDISSEMENT 1.

105

104

Exploration & découvertes : Le rôle des malouins dans l'exploration du Monde

ZOOM D'APPROFONDISSEMENT 2.

L'art de la navigation : Connaissance et pratique des instruments nautiques

11.3 / PRINCIPES GÉNÉRAUX

11.3.1 1 Un parcours séquencé

L'aventure mythique

:*

i L aven tura con teniporaiht. a venture scienNrique!

·
·
·
·
· yi

3.5 les routes maritimes cartographie de synthèse

ntramuros

9assin Augoy trauin

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MALO D'HIER A

AUJOURD'HUI

1.4 Trafics du
19e A
aujourd'hui

SEQUENCE 2. PATFI MOI NE SOUS-MARIN ET MARITIME

3.7 L'économie morutière

3.3 L'économie
toilière et le
marché
espagnol

3.4 Les
nouveaux
débauchés

us

s1r fa pan et Fra

1.3 St Maly,
"fameux port
de mer"

2.1. Des trésu, , engloutis

. es activltés littorales et naut. ues

2.2 Panorama
d'un patrimoine
Immergé et
métamorphosé

4.1

'armement corsaire

4.3 Le héros
corsaire de la
réalité au
mythe

4.2 Le combat en mer

Vur sur fnfra ras

irri~fiffir/7 ri/r~rrr/~r~~i~rr!/f~r~~i~rrjlrri~ii~ili~{~~~f //f~

t#alertes "panoramiquas" d'approfondissement

41,

L.'a ventu re huma one

Le parcours de visite est composé de 4 séquences principales qui, bien qu'ayant des identités propres participent de la même aventure historique :

- Séquence 1 : Saint-Malo d'hier à aujourd'hui

- Séquence 2 : Patrimoine sous-marin et maritime

- Séquence 3 : Grand commerce et routes maritimes Séquence 4 : La guerre de course

Si un parcours linéaire est possible, le visiteur pourra cibler l'une ou l'autre des séquences en fonction de ses envies. Ce parcours devra permettre aux visiteurs familiers du musée de revenir plus facilement et de ne visiter qu'une partie.

p.14

Le musée sera pensé autant comme un espace de transmission que de contemplation ou de rêverie avec un rythme de parcours qui accompagnera les visiteurs tout au long de leur découverte avec :

AUBRY & GUIGUET Programmation

13, rua de Mont-Louis - 75011 Paris - tel : 01 43 67 37 50 - fax : 01 43 67 36 50 - mall : contacte aubry-guiguet-programmatlon.com

VILLE DE SAINT-MALO FOEIFS/YM --18.000

MUSEE D'HISTOIRE MARITIME --Programme muséographique détaillé 16.03.2018

VILLE DE SAINT-MALO

MUSEE D'HISTOIRE MARITIME -- Programme muséographique aetal.le

F6/FSNM --16.000

16.03.2018

11.3.2 / Un langage muséographique assumé

L'aventure c ,nfemporalla. aventure scientifique;

L'aventure mythique

304, GD COMMERCE ET ROUTES MARmMESl GUERRE DE COURSE

· MERIOUE DO NORO

Nigarbol A mafe,


·

EUROPE

Boum,

DISPOS/TU CARTOGRAPHIQUE INTERACTIF

Vue sur intra

r~,

Gaierles "pancramlques" d'approforrdlssernent

M1

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Bass ta Dugay Trauiri Manche

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·


·

SOUS-MARIN ET MARITIME

L ~ ventwe huitaine

Des regroupements d'objets et de témoignages maritimes autour de la vie à bord

Des développements de récits (une aventure humaine avant tout)

Des focus (des éléments d'architecture navale au gré du parcours, une exploration des

itinéraires fréquentés).

Le parcours sera également l'occasion de mener un dialogue constant avec le site :

Galeries panoramiques

Belvédère

Points de vue dans le parcours mettant en relation plusieurs éléments du discours scientifique

Lien avec l'environnement urbain et naturel (une continuité du musée à ciel ouvert) : bassin, ville intra-muros, activité portuaire, ..-

Le rythme du parcours reposera également sur la mise en oeuvre d'espaces d'approfondissement et/ou de détente permettant de s'extraire du flux :

Salons d'approfondissement conçu également pour être des lieux d'attente, de pause ou de concentration (la contemplation étant possible dans les autres espaces)

Aller plus loin

Se retrouver (espace de temporisation)

La médiation sera pensée sous toutes ses formes (muséographique, graphique, architecturale, technique, organisationnelle, etc.) pour répondre à des contraintes spécifiques :

Touristes (français et étrangers) : traduction

Familles : hiérarchisation des informations pour une médiation auprès des plus jeunes Groupes (scolaires ou non) : des circulations adaptées et des supports de médiation pour les groupes

Spécialistes : des espaces d'approfondissement dans le parcours et la possibilité d'aller plus loin, notamment avec le centre de documentation et de recherche

Néophytes

Malouins : une lecture de la ville et de son histoire

-> Collections antiques

-> Pistolets é silex concrétionnés

MEDIATION
EXPLORATOIRE

-> Portrait de Robert-Charles Surcouf -> Modèle-réduit du Sans-Peur

-> Articles du chirurgien de marine

Fils conducteurs <Anthropologie de fa mer

-> Fusil de traite français -> Barre de justice anglaise -> Squelette d'un singe magot -. Statue de Duguay-Trouin -> Globe terrestre de Desnos

Cabinet d'armateur

-> L'administration marchande et corsaire - L'art de naviguer

-> Les explorateurs

DISPOSITIF
DE SYNTHESE

-> St Malo, fameux port de mer

Fouilles et exploration <-

-> Grand commerce, routes maritimes et course

L'abordage du Kent

DISPOSITIF IMMERSIF

p.15

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13, rue de Mont-Louis - 75011 Paris - tel : 01 43 67 37 50 - tax 01 43 67 38 50 - mall : contacteaubry-gulguet-programmation.com

106

ogt AUBRY & GUIGUET Programmation

~V 13, rue de Mont-Louis - 75011 Paris - tel 01 43 67 37 50 - lax 01 43 67 36 50 - mail : conlacteaubry-gulguei-programmatIon.cam p.16

107

IH 3 i SFQUFNCF 3. GRAND COMMFRCF FT ROUTFS MARITIMFS (16F-70T SIEC. LES)

VILLE DE SAINT-MALO

MUSEE D'HISTOIRE MARITIME --Programme muséographique détaillé

FG/FSIYM -- 16.000

16.03.2018

VILLE DE SAINT-MALO FGIFSIYM -- 18.000

Mt1SEE D'HISTOIRE MARITIME --Programme muséographique détaillé 16.03.2018

Séquence 3 : Le grand commerce et les routes maritimes A la découverte du monde

Trésor monétaire de piastres Globe Desnos Combat en traie (atlas maritime)

ARGUMENT GÉNÉRAL

A travers les récits héroïques ou les commémorations historiques, le pan le plus important et le plus incroyable de l'histoire maritime malouine a fini par être oublié. Si le port de Saint-Malo a été promu au rang de port du Monde, si l'expérience nautique d'ici est attestée depuis longtemps, si la popularité malouine a traversé les mers, c'est bien le fait d'une activité commerciale maritime multiséculaire, plus ou moins réussie au cours des temps et dont les succès ont marqué le marine française, à la fois humainement et géographiquement...

Les qualificatifs de cité corsaire, de cité des grands hommes, s'ils reflètent des réalités concrètes, ne suffiront jamais à eux seuls à caractériser l'histoire malouine dans son développement le plus large possible et à en donner par conséquent une approche globale. Le premier participe d'une vision romantique et trop restrictive qui fait oublier l'économie qui le sous-tend : l'activité corsaire n'étant ni plus ni moins que le prolongement en temps de guerre de l'armement marchand dont il reprend toutes les méthodes (constitution de sociétés d'actionnaires, intéressement aux bénéfices, etc...). Le second a la sécheresse d'un catalogue d'individualités fortes qui ne prend sens que le si le milieu ambiant qu'elles ont illustré est lui-même restitué.

C'est donc bien dans sa dimension d'économie marchande que l'histoire maritime malouine trouve sa place légitime et son rang : celui d'avoir été l'un des trois premiers ports français à la fin du règne de Louis XIV, l'un des plus dynamiques et des plus audacieux dans la conquête de routes commerciales, toujours plus lointaines et sources d'enrichissements. On ne saurait oublier que ses écrivains les plus célèbres avaient été des fils de négociants-armateurs, ceux qu'on appelait les u Messieurs de Saint-Malo « sans lesquels rien n'aurait été possible.

Mais ce sont aussi des équipages expérimentés, des techniciens de la marine à la voile et des longs voyages dont le vie quotidienne peut aujourd'hui se décrire plus concrètement grâce eu mobilier archéologique retrouvé confronte aux ressources de l'iconographie et des récits maritimes.

Cette vie quotidienne s'inscrit clans l'espace des longs voyages sur toutes les mers. La première de ces destinations, celle qui eut aussi la plus longue permanence dans l'histoire maritime malouine (cinq siècles) fut Terre-Neuve. La période faste du commerce maritime malouin est marquée tout d'abord par les réalités moins connues de la pêche sédentaire. La morue devient avant tout pour les armateurs

p.54

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108

malouins un produit commercial d'échanges à succès qui leur permet de fréquenter durablement des côtes méditerranéennes et d'en rapporter d'autres denrées destinées à le revente.

L'activité marchande malouine ne s'est pas réduite pour autant à l'armement terre-neuvier : le rôle de Saint-Malo comme principal port exportateur des toiles bretonnes aux 1 7e-18e siècles vers le sud de l'Europe (Cadix), l'Amérique espagnole, les opportunités de la « Mer du Sud « avec les fabuleuses cargaisons de retour de l'argent du Pérou, la traite négrière, la traite du café, le rôle des Malouins dans les compagnies de commerce, les Indes, la Chine sont autant de destinations, de routes commerciales qui se complètent, se superposent et permettent aux Malouins de tisser un vaste réseau de relations à travers le monde qui seront synthétisées sur un planisphère interactif renvoyant aux différentes sous-séquences explicatives et permettant au public de bien visualiser la dimension mondiale du port malouin à son apogée et les raisons qui portent encore sa renommée.

DESCRIPTION ET PRESCRIPTION D'AMÉNAGEMENT OU D'AMBIANCE

Cette troisième séquence permet de passer du monde confiné, riche, mais mystérieux du sous-marin, pour naviguer sur toutes les mers à la recherche destinations qui - au cours des temps modernes essentiellement - ont fait la renommée maritime de Saint-Malo et de son pays. Il s'agira .' d'embarquer « les visiteurs à travers les mers et les océans.

Un dispositif cartographique dynamique permettra de suivre les routes maritimes en direction de tous les continents, d'accompagner les équipages dans leur périple autour du monde. Le public pourra suivre l'itinéraire depuis le dispositif central en direction des différentes thématiques et destinations : Terre-Neuve, les ports de la Méditerranée, l'Afrique, l'Amérique des Antilles au Pérou, l'Arabie et les Indes orientales...

Pour chacune d'entre-elles, un espace s'appuyant sur des présentations de marchandises type, une iconographie riche représentant les ports et comptoirs, leur environnement, les autochtones et habitants, la provenance des marchandises et quelques objets emblématiques, sera conçu permettant d'approfondir les principes du commerce : la nature des échanges, le descriptif du voyage, les caractéristiques des armements.

L'espace de travail du négociant-armateur fera l'objet d'une évocation. Elle permettra de saisir son rôle irremplaçable et fondateur dans l'armement des bateaux et dans la vente des cargaisons. On retrouvera ici tout son espace de travail bureaucratique. Ce cabinet sera à l'interface entre la séquence sur le commerce et celle sur la course : les mêmes négociants pouvant, selon les opportunités, armer des navires marchands ou des navires corsaires. L'existence d'une galerie de portraits, finalement très sélective, pourra être compléter par un référencement aléatoire de noms de négociants-armateurs toute chronologie confondue.

p.55

~i~ AUBRY & GUIGUET Programmation

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109

VILLE DE SAINT-MALO F6/FSIYM -- 18,000

MUSEE D'HISTOIRE MARITIME -- Programme muséographique détaillé 16.03.2018

111.3.4 / Les nouveaux débouchés (17e-18e siècles) (#3.4) .4 la Côte de la Traite et aux Indes

VILLE DE SAINT-MALO

MUSEE D'HISTOIRE MARITIME -- Programme muséographique détaillé

111.3.1.b / Galerie des armateurs(#3.1.2)

Messieurs de Saint-Malo

FGIFSIYM -- 18.000

16.03.2018

· 1601 : première expédition du Corbin et du Croissant vers les Indes Orientales (Sumatra) ;

· 1 61 6 : expédition du Saint-Louis et du Saint-Michel, premier contact en Inde (Pondichéry) ;

· 1665 : première association avec la Compagnie des Indes Orientales ;

· 16 70 : premier armement pour l'Afrique ;

· 1675 : armement du Saint-François-d'Assise pour Pondichéry ;

· 1679-1683 : armements pour la Compagnie des Indes ;

· 1687 : 1 ère mention d'un navire malouin livrant des noirs aux Antilles ;

· 1698-1701 : première expédition commerciale française â la Mer du Sud par fe cap Horn ;

· 1706 : ler traité avec la Compagnie des Indes Orientales pour le commerce du café de Moka

· 1712 : interdiction par le roi des voyages â la Mer du Sud ;

· 1 713 : traité d'Utrecht ;

· 1 71 5 : constitution d'une Compagnie des Indes orientales de Saint-Malo ;

· 1 716 : obtention du privilège pour l'armement négrier ;

· 1708-1719: 26 expéditions pour l'océan indien ;

· 1719 fin du monopole malouin dans le commerce asiatique, création d'une nouvelle Compagnie des Indes ;

· 1735 : création de Port-Louis par Mahé de La Bourdonnais ;

· 1737 : bombardement de Moka et reprise en main du comptoir à l'aide d'un convoi malouin parti de Pondichéry ;

· 1746 : La Bourdonnais prend Madras aux Anglais ;

· 175111753: 2e port négrier

Les représentations de négociants-armateurs malouins sont devenues assez rares alors que les inventaires du 18e siècle le signaient. Il existe pourtant dans les collections muséales et privées des portraits précieux de différents acteurs du dynamisme commercial et portuaire de Saint-Malo : une peinture de Robert Levrac-Tournières représentant la famille Moreau de Maupertuis sur lequel sont figurés René Moreau de Maupertuis qui fut capitaine corsaire et député de Saint-Malo au Conseil du Commerce de Paris, un portrait de l'armateur Pierre Jacques Meslé de Grand-Clos qui fut l'un des plus importants de Saint-Malo dans la seconde moitié du 18e siècle, un portrait anonyme mais très véridique de Robert Surcouf vers l'âge de 50 ans, assis devant une table de travail tenant un compas è cartes, un portrait également anonyme d'Augustin Thomas des Essarts, président de la Chambre de Commerce et maire de Saint-Malo de 1808 è 1815.

 

Désignation des e objets

Mariaux

Dimensions

Recommandation de présentation

Appuis

documentaires

3.2.2

Portrait de Robert- Charles Surcouf

Toile, bois, plâtre

H. 105 cm, L. 89 cm

Normes climatiques

 

3.2.2

Portrait de Françoise Pitot

Toile, bois, plâtre

H. 106 cm, L. 89 cm

Normes climatiques

 

3.2.2

Portrait de Robert Surcouf en armateur

Toile, bois, plâtre

H. 70 cm, L. 52 cm

Normes climatiques

 

3.2.2

Portrait de Pierre Jacques Mesle de Grand-plos (A ACQUÉRIR)

Toile, bois, plâtre

 

Normes climatiques

Musée d'Avranches

3.2.2

Peinture de Robert Levrac-Tourières représentant la famille Moreau de Maupertuis (A ACQUÉRIR)

Toile. bois, plâtre

 

Narines climatiques

Musée des Beaux-arts de Nantes

3.2.2

Portefeuille en maroquin de Magon de.la Lande (A ACQUÉRIR]

Cuir, tissu

 

Narines climatiques

Musée des Tissus de Lyon

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13, rue de Mont-Louts - 75011 Paris - tel : 01 43 67 37 50 - fax : 01 43 67 38 50 - mail : cantact(aubry-gulguet-pragrammatlon.cam

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VILLE DE SAINT-MALO FGJFSNM -- 18.000

MIJSEE D'HISTOIRE MARITIME -- Programme muséograprtique détaillé 16.03.2018

VILLE DE SAINT-MALO FGJFS/YM -- 18.000

MLISEE D'HISTOIRE MARITIME --Programme muséograpliique détaillé 16.03.2018

111.3.4. a / La traite des noirs (#3.4.1.)

3.4.1 .1 . L'armement négrier

3.4.1.2. La « troque des nègres N

Au cours du 180 siècle, le sucre devenu un produit moteur de l'économie atlantique est au coeur d'un commerce triangulaire entre l'Europe, les côtes africaines et les comptoirs des Antilles que se sont partagées les principales puissances européennes. La traite des noirs sert à alimenter les plantations antillaises qui nécessitent une main d'oeuvre de plus en plus nombreuses. La Sénégambie est le portail du commerce du bois d'ébène, mais les capitaines négriers vont glisser progressivement des zones littorales atlantiques vers les deltas du sud et le Mozambique. Les Malouins ne sont pas des habitués des côtes africaines et manquent d'expériences et de contacts sur place (s'ils pratiquent la traite des noirs, ils s'engagent aussi alternativement pour Terre-Neuve ou la course) ; preuve en est avec 14 voyages sur 42 échoués entre 1719 et 1738. Les navires malouins font majoritairement escale dans les comptoirs de la Côte d'Angole (Gabon, Congo, Angola), de la Côte sous le vent (golfe de Guinée) et de la Côte du vent (Côte d'ivoire, Sierra Leone) sans trop fréquenter les positions plus septentrionales ou plus orientales.

Le troc est codifié selon les sites d'approvisionnement et le marché, Un noir s'échange contre un assortiment de marchandises : à la Côte d'Angola par exemple, un captif se traite pour un paquet d'une quinzaine de marchandises, Une cargaison de base dont le port de Saint-Male ne peut disposer sans participer â d'autres circuits commerciaux comprend des armes (de gros fusils et mousquets de traite), des pièces textiles (indiennes, bretonnes, françaises), des produits métallurgiques (des couteaux flamands, des bassins et chaudrons de cuivre grands et petits, des plats et pots d'étain, des barres de fer), de l'alcool (vin, eau-de-vie) et de la pacotille. Les négriers sont des navires de moyens tonnages qu'il faut aménager en construisant et équipant le parc des captifs, lesquels ne seront pas mis aux fers nécessairement. L'entassement est une nécessité financière : un 250 tonneaux offre une capacité de 600 noirs. La moyenne est de quatre individus au mètre carré. Cette promiscuité qui aggrave les conditions de captivité déjà très pénibles s'ajoute aux problèmes traditionnels de la vie à bord (alimentation, maladie, révolte) et quelques distractions (tabac, danse, chant) sont censées y remédier. Le taux de mortalité sur les navires malouins atteint 8% contre 14% en moyenne française. La durée de traversée pour atteindre les Antilles dépend du port de départ : 46 à 60 leurs de la Côte d'Angole. Les deux sites de vente les plus recensés pour les Malouins sont Saint-Domingue et la Martinique. Une fois amarré, la vente des noirs annoncée et effectuée à bord ou à terre, le navire reprend sa forme d'origine et charge Sucre, Café, Indigo, Coton.

Parmi les 14 autres ports ayant participé à ce commerce, Saint-Malo se situe au 5e rang français des armements négriers : environ 250 expéditions sur un siècle et demi, 80 000 captifs transportés, soit 6,5 % de la traite négrière française. Deux grandes périodes d'armements sont identifiées, l'une au début du 180 siècle et l'autre dans la seconde moitié du même siècle. La première génération (Le Fer de Beauvais, Magon de La Balue, René-Auguste de Chateaubriand, Mesié de Granclos) est encouragée par la monarchie et subit aussi le contrecoup du traité d'Utrecht, elle arme en moyenne 2 expéditions par année (18 armements entre 1669 et 1713, 55 armements entre 1717 et 1744). La deuxième génération (Surcouf, Robert de La Mennais, Meslé de Grandolos, Beaugeard) arme parfois

p.67

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112

 

Désignation des objets

3.4.1.1

Modèle réduit d'un négrier IA

 

ACQUERIR --

 

OPTION NEL)

3.4.1.1

Gravure de Ourse!

 

Pretextat, Transport des nègres dans les colonies

3.4.1.1

Carte générale des castes de Guinée

 
 

3.4.1.2

Entrave double a chaîne

3.4.1.2

Barre de justice

 

''WI'

3.4.1.2

Collier de force

3.4.1.2

Bracelet de force

3.4.1.2

2 entraves à cadenas

3.4.1.2

Fusil de traite nTowern

3.4.1.2

Fusil de traite n Charleville

3.4.1.2

Bracelets de traite,

3

3.4.1.2

Dinanderie. pichets, lot (OPTIONNEL)

3.4.1.2

Verroterie (A

 

ACQUÉRIR)

3.4.1.2

Défenses d'éléphant ({A

 

ACQUÉRIR)

3.4.1.112

Gravures des comptojrs [A

 

ACQUERIR)

3.4.1,2

Echantiilon de produits antillais

 

(indigo, sucre, coton)

 

ACQUÉRIR)

plus de 4 expéditions par an et atteint aussi des records (10 expéditions en 1751) rapprochant alors Saint-Malo de Bordeaux et de La Rochelle ; c'est une période de « boom colonial «. L'activité se ralentit nettement à l'orée du 198 siècle et peu avant l'abolition de l'esclavage par Napoléon. Les Malouins ne persistent pas dans cette activité, parce qu'ils privilégient les armements traditionnels (pêche à Terre-Neuve et commerce des toiles) qu'ils maîtrisent parfaitement, parce que l'ouverture du commerce indien détourne beaucoup de capitaux, mais aussi parce qu'il semble que Saint-Malo ne dispose pas des mêmes atouts que les autres ports en termes d'entreposage et de débouchés pour les denrées coloniales.

L. 93 cm, D. 9,5cm

Fer forgé

L. 50 cm, I, 33 cm

Fer forgé

L. 30,5 cm, 1. 27 cm

Fer forgé

L. 46 cru, I. 20 cm

Fer forgé

H. 12 cm, L. 13 cm, P. 10 cm

Fer forgé

L. 170 cm, I. 20cm, Ep. 7cm

Bois, fer

L. 152 cm, I. 18cm, Ep. 8 cm

Bois, fer

L. 8,5 cm, I. 7,5 cm (max.)

Bronze

H. 30 cm, D. 20 cm (max.)

[tain

Verre

DRASSM

Papier

Reproduction

Recommandation dePpi~rs

présentation documentaires

H. 25 cm, L. 33 cm

Original, rotation des oeuvres, normes d'éclairage ou reproduction

Papier

H. 60 cm, L. 93 Cm

Original, rotation des oeuvres, normes d'éclairage ou reproduction

Papier

DRASSM

Matériaux

Dimensions

p.68

AUBRY & GUIGUET Programmalion

' F 13, rue de Mont-Louis - 75011 Paris - tel :0143 67 37 50 -fax : 01 43 67 38 50 - mall : contact@aubry-gulguet-programrnatlon.com

113

Tables des illustrations

114

115

Figure 1. Entrave de cheville, fer d'esclave - Musée national de la Marine, Paris disponible sur : http://mnm.webmuseo.com/ws/musee-national-marine/app/ collection/record/9892

Figure 2. Protestation Black Lives Matters - AFP / Drew Angerer

disponible sur : https://www.leparisien.fr/international/mort-de-georges-floyd-la-planete-entiere-se-mobilise-contre-le-racisme-06-06-2020-8331138.php

Figure 3. Musée du Quai Branly - up-magazine.info

disponible sur : https://up-magazine.info/actus-bref/34507-prix-de-these-2020-musee-du-quai-branly-jacques-chirac/

BIBLIOGRAPHIE

Figure 4. Plan et profil de Saint-Malo - Bibliothèque nationale de France, GED-5430 disponible sur : http://bcd.bzh/becedia/fr/la-republique-de-saint-malo-1590-1594

Figure 5. Portrait de Pierre-Jacques Meslé de Grandclos - auteur inconnu, 1790

disponible sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Jacques_Meslé_de_Grandclos

Figure 6. Lythographie de Robert Surcouf - Lemercier, 1835

disponible sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Surcouf

Figure 7. Statue de Robert Surcouf vandalisée - Philippe Delacotte, 10 Mai 2019

disponible sur : https://www.letelegramme.fr/ille-et-vilaine/saint-malo/robert-surcouf-sa-statue-aspergee-de-peinture-rouge-10-05-2019-12280224.php

Figure 8. Funérailles de M. Chateaubriand - estampe - Benoist Félix, Milieu du XIXe siècle, 40.6cm x 53.1cm disponible sur : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo114292

Figure 9. Maquette numérique du future Musée d'Histoire Maritime de Saint-Malo - Atelier Kengo Kuma disponible sur : https://www.amc-archi.com/photos/kengo-kuma-projectiles-et-l-atelier-herve-audibert-reunis-pour-le-musee-d-histoire-maritime-de-saint-malo,9055/musee-d-histoire-maritime-d.4

Figure 10. Médaillon sur la porte de l'Hôtel White, où vécut M. de Chateaubriand, archive personnelle

Figure 11. Façade de l'Hôtel d'Asfeld - Office du Tourisme de Saint-Malo

disponible sur : https://www.saint-malo-tourisme.com/a-voir-a-faire/culture-et-patrimoine/ musees/demeure-de-corsaire-hotel-magon-de-la-lande-1567523

· · Archives personnelles de Alain Roman, fond Meslé de Grandclos

Sources primaires

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- CHEMIN Anne, « La traite en héritage », Le Monde, le 23 Avril 2014, https://www.lemonde.fr/ societe/article/2014/05/02/la-traite-en-heritage_4410558_3224.html, consulté le 12 Novembre 2020

- DUCOURTIEUX Cécile, « À Bristol, une statue tombe, le passé négrier refait surface », Le Monde, 24 Juillet 2020, https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/07/24/a-bristol-une-statue-tombe-le-passe-negrier-refait-surface_6047193_4500055.html, consulté le 12 Novembre 2020

- Le Monde avec AFP, « Deux statues de Victor Schoelcher brisées par des manifestants en Martinique», Le Monde, 23 Mai 2020, https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/05/23/deux-statues-de-victor-sch-lcher-brisees-par-des-manifestants-en-martinique_6040559_3224.html, consulté le 12 Novembre 2020

- MARTIN Jean-Clément, « Débaptiser les lieux portant le nom de Colbert : le racisme ne trouvera pas de solution avec des gadgets bricolés », entretien accordé au journal Le Monde, 16 Juin 2020, https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/16/debaptiser-les-lieux-portant-le-nom-de-colbert-le-racisme-ne-trouvera-pas-de-solution-avec-des-gadgets-bricoles_6042982_3232.html, consulté le 12 Novembre 2020

- ROBELET Guillaume, « Saint-Malo. La statue du corsaire Surcouf vandalisée », Ouest-France, 10 Mai 2019, https://www.ouest-france.fr/bretagne/saint-malo-35400/saint-malo-la-statue-du-corsaire-surcouf-vandalisee-6344354, consulté le 26 Janvier 2021

- RUGAMBA Dorcy, « Déboulonnage de statues, manifestations antiracistes : Ce qui est en train de se jouer est un acte libérateur », propos recueillis par KODJO-GRANDVAUX Séverine, Le Monde, 29 Juin 2020, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/06/28/deboulonnage-de-statues-manifestations-antiracistes-ce-qui-est-en-train-de-se-jouer-est-un-acte-liberateur_6044463_3212. html, consulté le 12 Novembre 2020

- TIN Louis-Georges, «Comment faire France lorsque les héros des uns sont les bourreaux des autres?», tribune dans le journal Le Monde, 22 Juin 2020, https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/22/ louis-georges-tin-comment-faire-france-lorsque-les-heros-des-uns-sont-les-bourreaux-des-autres_ 6043769_3232.html, consulté le 12 Novembre 2020

- « Ministère de l'immigration : première crise, premières démissions », Libération, le 18 Mai 2007

· Entretiens :

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- Entretien avec Jean-Philippe Roze, adjoint du conservateur au Musée d'histoire de Saint-Malo

- Échange avec Maureen Brugaro, pôle patrimoine, visites guidées, Office du Tourisme de Saint-Malo

- Entretien avec Jean-Louis Colliot, bibliothécaire de la SHAASM

- Entretien avec Liliane Roman, non transcrit

- Entretien téléphonique avec Jean Bories, ancien délégué à la culture de la municipalité de Saint-

Malo, non transcrit

- Entretien téléphonique avec M. Chaperon, ancien président de l'Association Mémoire et

Patrimoine des Terre-Neuvas, non transcrit

CUSSET Pierre-Yves, Le lien social, Paris, Armand Collin, 2007

Sources secondaires

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe