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Esthétique picaresque et satire sociale dans l'histoire de Gil Blas de Santillane d'Alain-René Lesage et Onitsha de JM-G Le Clézio


par Mathias Steve EKEUH
Université de Douala - Master 2 2017
  

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Chapitre 1 : MODES DE RÉSISTANCE DU BAS SOCIAL

Comme nous le savons déjà le picaresque est une esthétique marxiste. Et ce marxisme qui fait partie intégrante de sa vision du monde lui confère un rôle révolutionnaire. Ceci dit, le picaresque est par essence un genre voulant refaire l'histoire de l'humanité à travers bien entendu sa vision du monde. Si l'on s'en tient à cette modalité de révolution, le picaresque devient donc un mode de Résistance ; résistance dans le temps, résistance dans l'espace. Cette résistance s'exprime d'ailleurs à travers son caractère subversif lié à la satire des moeurs sociales.

Toutefois, il incombe de cerner la notion de Résistance dans le picaresque. Ainsi, on comprend avec François Marcot (1997 : 21) que la Résistance peut se percevoir comme :

Un combat volontaire et clandestin contre l'occupant ou ses collaborateurs afin de libérer le pays. Résister, c'est agir. [...1 la Résistance est une action. Comme mouvement social, la résistance [...1 revêt toute son ampleur quand elle se structure et quand elle se donne une visibilité identitaire sous forme d'organisations porteuses de valeur.

De ce qui précède, on constate que la Résistance est synonyme de la volonté de changer le monde, de le voir autrement car les institutions sont suffisamment mal structurées pour créer un climat de justice social. La Résistance est à la fois révolution et changement. Ici on note aux critères du picaresque dans la mesure où ce dernier divinise les mêmes actions, celui de se soulever, de révolutionner la vision du monde centralisée sur la dichotomie entre les classes sociales créant un climat d'injustice sociale totale. Vu que le picaresque est une réaction contre la bipolarisation de la société ayant engendré que de misères et de peines de la couche vulnérable, on comprend dès lors qu'il obéit à un imaginaire de Résistance. Aussi bien en France que dans le reste du monde, il devient toute une autre histoire de mentalité.

1. Virulence et subversion comme déconstruction de l'idéologie dominante

Si une chose caractérise le genre et l'esprit picaresque, c'est bien entendu le verbe de son discours. Il se dit satirique à travers la virulence de ces mots. « Virulence » de l'adjectif « virulent » et qui vient du bas latin « Virulentus » signifie littéralement tour à tour « virus » et « poison ». De cette étymologie, nous voyons dans « virulence » ce qui est nocif, violent et surtout essentiellement agressif voire mordante. Ainsi, les mots qui dénotent la satire dans le picaresque doivent être suffisamment mordants pour lui attribuer une valeur considérable. C'est la raison pour laquelle dans son ouvrage intitulé Mauvais genre : la satire littéraire

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moderne, Duval Sophie (2008 : 5) oriente l'écriture de la satire dans le registre des mauvais genres et déclare :

Mauvais genre que celui de la satire, qui se délecte de travers, de vices et de folies, qui dénigre, dégrade et démolit, qui s'adonne aux attaques féroces, aux dénonciations sarcastiques et aux flétrissures railleuses, qui se complait à outrepasser les tabous, à recourir aux coups les plus bas et à se rire du bon goût.

On voit ici la valeur discursive de la satire dans le picaresque. Elle s'engage uniquement dans la sélection des mots les plus redoutablement triviaux. Le langage de la satire est centré sur la stricte représentation des moeurs de la société qui se matérialise par une violence verbale. De ce fait, par le biais du comique, il engendre de la polémique lorsqu'il fait la peinture acerbe des personnages et de leurs actions. Ceci s'observe dans le Gil Blas de Santillane lorsque le narrateur fait la description des personnages rencontrés durant ses aventures comme dans ce cas précis avec le personnage Annibal :

D'abord que je fus à Madrid, j'établis mon domicile dans un hôtel garni où demeurait, entre autres personnes, un vieux capitaine qui, des extrémités de la Castille Nouvelle, était venu solliciter à la cour une pension qu'il croyait n'avoir que trop méritée. Il s'appelait don Annibal de Chinchilla. Ce ne fut pas sans étonnement que je le vis pour la première fois. C'était un homme de soixante ans, d'une taille gigantesque et d'une maigreur extraordinaire. Il portait une épaisse moustache qui s'élevait en serpentant des deux côtés jusqu'aux tempes. Outre qu'il lui manquait un bras et une jambe, il avait la place d'un oeil couverte d'un large emplâtre à de taffetas vert, et son visage en plusieurs endroits paraissait balafré. A cela près, il était fait comme un autre. De plus, il ne manquait pas d'esprit, et moins encore de gravité. Il poussait la morale jusqu'au scrupule et se piquait surtout d'être délicat sur le point d'honneur. (LGBS, 409)

On remarque dans cet extrait la manière dont Lesage organise ses mots. Ces mots qui font l'unanimité de ce récit sont bien entendu très virulents. Mêlant gradation et périphrases hyperboliques - homme de soixante de dix ans, d'une taille gigantesque et d'une maigreur extraordinaire - Les observations faites par Lesage, à travers ses multiples descriptions sur l'ensemble de ses personnages confirment la verve caricaturale qui anime cette plume satirique. Le choix des mots est important et la manière de les agencer pour en former un discours trivial et amer est ce qui confère au picaresque une esthétique particulière. Cette esthétique est avant tout une praxis. Une praxis qui a longtemps animé l'écriture des libellistes. Puisqu'en effet, les libelles sont la forme virulente de la satire. Très prisée entre XVIe-XVIIIe siècle, la littérature libelliste s'est constituée autour des grands classiques comme Mathurin Régnier, Agrippa d'Aubigné, Boileau ou encore Montesquieu. Avec leur côté injurieux vu la rudesse des mots employés, dénonciateur des écarts en politique, les libelles peuvent être considérés comme la forme exclusive d'une vraie satire. Par extension dans le domaine de la littérature, beaucoup d'oeuvres littéraires se sont constituées en de

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véritables libelles jusqu'à nos jours. Ainsi tout comme le libelle, l'oeuvre littéraire satirique prend parti, avant toute chose. La raison de l'oeuvre, son but, est d'exprimer l'indignation ou la raillerie, de réformer le monde, de corriger les hommes. Ainsi le satiriste n'est pas toujours un artiste ; il est aussi un partisan, un militant, un moraliste. Il se jette dans la bataille que l'auteur comique se borne à observer et à dépeindre. Il arrive cependant que sans avoir d'intention sociale ou morale l'artiste fait une oeuvre satirique par la simple peinture d'une réalité haïssable, honteuse, blâmable par elle-même. Et les textes de notre corpus peuvent être considérés comme tels car ils sont l'exemple adéquat d'une critique amère des problèmes et moeurs de leur temps.

Dans Onitsha, les mots qu'emploie Le Clézio pour décrire les méfaits de la guerre connue par la ville d'Onitsha et presque tout le secteur de la baie de Biafra ne laissent personne indifférente. Les souvenirs de Fintan sont exprimés d'une façon douloureuse et les mots employés à cet effet rendent encore la situation plus satirique :

Fintan ne peut pas oublier le regard des enfants affamés, ni les jeunes garçons couchés dans les herbes, du côté d'Owerri, du côté d'Omerun, là où il courait autrefois, pieds nus sur la terre durcie. Il ne peut pas oublier l'explosion qui a détruit en un instant la colonne des camions qui apportait des armes vers Onitsha, le 25 Mars 1968. Il ne peut pas oublier cette femme calcinée dans une jeep, sa main crispée vers le ciel blanc. Il ne peut pas oublier les noms des pipelines, Ugheli Field, Nun river, Ignita, Apara, Afam, Korokovo. Il ne peut pas oublier ce nom terrible : Kwashiorkor. (Onitsha, 272)

On présente dans cet extrait des souvenirs d'une Onitsha en proie à la guerre qui a fait des milliers de morts et de déplacés. Cette guerre qui a visé le processus de la décolonisation de cette ville du Nigéria a été sanglante. Ce fut une grande révolution et ayant vécu cette horreur, Fintan ne peut cesser de penser à ses milliers de Noirs qui ont subis l'atrocité de ces émeutes, conséquence de leurs revendications. La reprise « il ne peut pas oublier » met en exergue ici la mémoire, une mémoire qui continue à dénoncer les méfaits du colonialisme et le deuil que ce dernier a orchestré à Onitsha. Fintan ne supporte pas l'esprit colonialiste et refuse de partager la marginalité dont les colons ont couvert les Noirs. Puisqu'en fin de compte cela ne cause que souffrance et guerre comme Fintan affirme lui-même :

La guerre efface les souvenirs, elle dévore les plaines d'herbes, les ravins, les maisons des villages, et même les noms qu'il a connus. (Onitsha, 274)

Plus loin, on remarque que cette verve virulente, cette subversion du langage s'inscrit dans tous les genres satiriques. Que ce soit dans le pamphlet, la parodie ou encore le burlesque auxquels notre corpus s'identifie d'une manière ou d'une autre, la symbolique du langage est bien entendu liée à son esthétique, à la manière dont les mots sont agencés. C'est pourquoi le

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langage qui fait la substance même du genre satirique s'observe dans une certaine mesure à travers ses invariants thématiques : marques boursoufflées du sujet de l'énonciation, pathos de l'outragé sans spécialité, sans autre légitimité que son rapport à une vérité paradoxale enfouie et évidente, que l'adversaire a travestie. Ainsi, d'après Bleton (1985 : 444) le langage satirique du picaresque aussi prophétique que soit-il :

Doit redonner aux mots leur vrai sens, aux imposteurs leur véritable identité, le tout sur fond de pessimisme intégral, puisqu'il est toujours déjà trop tard, que le complot pernicieux a suffisamment perverti les valeurs pour que son rapport privilégié à la vérité signe l'isolement définitif du pamphlétaire. Le manichéisme sémantique tend à donner la plus grande extension à l'écart entre notion formant paradigme, blanc et noir doivent être irréconciliables, bien et mal parfaitement identifiés, le poudroiement des phénomènes ramené par l'amalgame à une cause cryptique et diabolique.

Ainsi, la virulence des mots est considérée comme un mode de résistance et se réclame par essence le symbole de toute écriture satirique. Elle fait la particularité aussi bien du pamphlet, de la parodie, du libelle, du burlesque que du picaresque. Se réclamant comme symbole, ces mots satiristes font l'unanimité et relèvent généralement de la symbolique des imaginaires très répandus chez les auteurs français à travers des siècles. C'est pourquoi depuis la Renaissance, les littératures se sont penchées sur cette esthétique pour prendre en compte les problèmes de l'existence. L'esprit picaresque qu'incarne la satire à travers la virulence de ses mots est ce qui a poussé nos auteurs à s'opposer à un moment donné aux idéologies cannibales qui ne profitent qu'à une caste de personne. Lesage oriente ses écrits dans la caricature des moeurs du XVIIIe siècle engendrées par l'instauration des classes et du pouvoir exclusivement monarchique. Le Clézio pour sa part vise l'idéologie du colonialisme tout en exposant les horreurs de l'exploitation abusive de l'homme noir par l'homme blanc. Ces mots étalent au grand jour la mesquinerie du climat colonial, la discrimination raciale et sociale.

2. L'esprit de satire et l'érection de l'agentivité (agency)

La satire est une modalité primordiale qui confère au picaresque toutes ses lettres de noblesse. La satire à travers les auteurs est fondée d'abord sur la notion d'intentionnalité puisqu'ici ceux-ci ont une obligation morale et sociétale de participer à la vie sociale des individus. Dès lors que ces derniers sont freinés par les multiples discriminations, les auteurs doivent se mouvoir pour trouver des solutions idoines à l'établissement d'une justice sociale. C'est donc dans ce sens que la satire se réclame l'imaginaire de nos différents auteurs du corpus. Ils trouvent que le monde dans lequel ils évoluent est suffisamment lugubre pour que leur action satirique soit considérée comme pleinement légitime pour venir à bout des souffrances que vit

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le bas social. La pauvreté que vit cette couche vulnérable la transforme et la rend encore plus amère face à la vie. Dans le passage qui suit, le lieutenant des brigands se retrouve face à la souffrance d'une enfance qu'il aurait voulu vivre autrement. La condition miséreuse de sa famille a rendu ses parents détestables :

Mon père était un boucher de Tolède. Il passait, avec justice, pour le plus grand brutal de la ville, et ma mère n'avait pas un naturel plus doux. Ils me fouettaient dans mon enfance comme à l'envi l'un de l'autre. J'en recevais tous les jours mille coups. La moindre faute que je commettais était suivie des plus rudes châtiments. J'avais beau demander grâce les larmes aux yeux et protester que je me repentais de ce que j'avais fait, on ne me pardonnait rien, et le plus souvent on me frappait sans raison. Quand mon père me battait, ma mère, comme s'il ne s'en fût pas bien acquitté, se mettait de la partie, au lieu d'intercéder pour moi. Ces traitements m'inspirèrent tant d'aversion pour la maison paternelle, que je la quittai avant que j'eusse atteint ma quatorzième année. (LGBS, 20)

On voit à travers cet extrait comment le gout de la satire du mode de vie du bas social semble prend à coeur l'écriture de Lesage. Ce dernier nous présente à travers la décadence de la vie de son personnage, les multiples problèmes auxquels sont confrontés les individus du bas social et à quoi leurs enfants doivent passer et vivre. L'inexistence de la classe sociale aurait permis à ces derniers de vivre autrement, dans de condition plus acceptable. La satire de Lesage vient donc ici nous montrer comment elle parait importante pour exprimer une classe en proie à moult malheurs existentiels. L'esprit de satire est donc ici un symbole d'imaginaire.

Chez Le Clézio, cet esprit de satire s'exprime aussi à travers sa volonté de vouloir changer le monde, à son intention de s'opposer au colonialisme sur le continent africain. L'environnement dans lequel les Noirs évoluent est fait de promiscuité et de discrimination. Les Noirs ne sont pas considérés comme des hommes à part entière. Ainsi à travers l'extrait ci-dessous :

A Cotonou, Maou et Fintan avaient marché sur la longue digue qui coupait les vagues. Dans le port, il y avait beaucoup de cargos entrain de décharger. Plus loin, les barques des pécheurs, entourées de pélicans. [...] Fintan refusait de porter un chapeau. Ses cheveux châtains, raides et coupés droit sur le front, lui faisaient comme un casque. [...] Il faisait une chaleur torride dès les premières heures du jour. Sur les quais, les dockers entassaient les caisses de marchandises et préparaient celles qu'on allait embarquer, les cotons, les secs d'arachide. (Onitsha, 54)

Les Noirs dans cet extrait sont des esclaves, ils sont appelés bien entendu à des métiers plus avilissants à l'instar d'être « docker » comme mentionné dans le passage. La vie en Afrique n'est pas aisée, rien qu'un océan de mal-être causé par un vécu quotidien miséreux. Chez Le Clézio, la satire n'est pas anodine, elle va au-delà d'un simple fait formel, de l'écriture. Cette satire transcende l'imagination et se réclame être en réalité une position brutale sur le réel dans la mesure où les auteurs veulent agir et s'affirmer.

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Ces deux auteurs exigent à travers le corpus une vision du monde, celle de ne jamais se taire devant une horreur qui met en jeu la vie des individus. Ceci dit, les images et schèmes textuels satiriques que Lesage et Le Clézio mettent en exergue dans notre corpus, nous font part de leur désir volontaire de changer la réalité des choses, de le rendre d'une manière ou d'une autre plus supportable. Ils veulent guérir la société du mal-être auquel elle s'identifie et souhaitent sortir une bonne fois pour toute du voûte de l'enfermement qu'est le quotidien du bas social. A ce titre, nous aboutissons à la dimension active de la satire qui nous permet d'ouvrir le champ d'analyse de l'agentivité28.

Du terme anglais agency, théorie appliquée en sciences humaines et sociales et aujourd'hui dans le domaine des études littéraires, la notion d'agentivité est définie par Véronique Lord (2012 : 19) comme :

La capacité d'agir en fonction de ses propres intérêts [...], ce qui implique de s'autodéterminer, de prendre des décisions et d'agir de manière autonome [...]. Elle suppose la possibilité d'effectuer des changements dans trois registres: la conscience individuelle, la vie personnelle et la société [...], et éventuellement de faire un lien entre expérience personnelle et réalité collective, entre malaise ou souffrance vécus sur le plan individuel et oppression par les institutions sociales et politiques [...].

A partir de cet essai de définition, on note que l'agentivité ou encore agency renvoie alors à une puissance d'agir qui n'est pas une détermination inhérente au sujet, plus ou moins certifiée, mais le fait d'un individu ou plusieurs qui se désignent comme des sujets sur une scène d'interpellation marquant la forte présence d'un pouvoir dominant. Ainsi, on comprendra également avec Albert Bandura (2004) que l'agentivité se conçoit également comme « cette capacité humaine à influer intentionnellement sur le cours de sa vie et de des actions » (9). En ce sens, les différents auteurs à travers leur esprit de satire se représentent comme des « agents actifs » dans la mesure où leur intention est de mettre en place des plans d'actions afin de remédier aux problèmes du bas social. C'est pourquoi Durandi (2004: 453) trouve que:

Agency is here understood as the property of those entities (i) that have some degree of control over their own behavior, (ii) whose actions in the world affect other entities'(and sometimes their own), and (iii) whose actions are the object of evaluation (e.g. interms of their responsibility for a given outcome).

Cet auteur étend l'idée selon laquelle nos auteurs du corpus sont ici considérés comme des sujets sociaux. Ils doivent cependant opérer des choix29 et prévoir des projets d'actions30.

28 De l'anglais Agency.

29 Ici on fait référence à l'intention

De ce qui précède, on note en priorité la question de la volonté et de l'intention chez nos auteurs. Pour eux si le bas social est en proie aux multiples problèmes de l'existence et bien c'est à cause du fait qu'il soit considéré comme une classe inférieure. Cette dernière est marginalisé et laissé au dépourvu en ce sens qu'elle est obligée d'utiliser les moyens immoraux pour se faire une place respectable dans la société. Il se retrouve donc dans l'obligation morale de riposter face à ces différentes scènes. On remarque que cette volonté et cette intention de changer les choses à tout prix se réclament l'essentiel de l'écriture de Lesage comme vous pouvez le remarquer à travers l'extrait suivant où « Gil Blas se met dans le goût du théâtre et s'abandonne aux délices de la vie comique » :

Je voyais des actrices et des acteurs que les applaudissements avaient gâtés, et qui, se considérant comme des objets d'admiration, s'imaginaient faire grâce au public lorsqu'ils jouaient. J'étais choqué de leurs défauts j mais par malheur je trouvai un peu trop à mon gré leur façon de vivre, et je me plongeai dans la débauche. Comment aurais-je pu m'en défendre ? Tous les discours que j'entendais parmi eux étaient pernicieux pour la jeunesse, et je ne voyais rien qui ne contribuât à me corrompre. Quand je n'aurais pas su ce qui se passait chez Casilda, chez Constance et chez les autres comédiennes, la maison d'Arsénie toute seule n'était que trop capable de me perdre. Outre les vieux seigneurs dont j'ai parlé, il y venait des petits-maîtres, des enfants de famille, que les usuriers mettaient en état de faire de la dépense ; et quelquefois on y recevait aussi des traitants, qui, bien loin d'être payés comme dans leurs assemblées pour leur droit de présence, payaient là pour avoir droit d'être présents. (LGBS, 196)

Le milieu des comédiens est mis à nu par Lesage dans le passage ci-dessus. Leurs déboires et leurs différentes mascarades pour tromper la Noblesse s'avèrent avantageuses. La vie de débauche est ce qui caractérise ce groupe d'individu. Et ils utilisent leurs atouts de séducteurs véreux pour accéder à la fortune. Ainsi, on remarque une présence satirique. Cette satire relève de la volonté intentionnelle de dire les choses telles qu'elles sont même si la censure reste réelle en ce qui concerne l'Histoire de la période. Lesage montre enfin la couleur des choses, ce que vit la basse classe31, de quoi elle se nourrit et par quels moyens. Cet auteur se révèle alors un agent actif pour mettre un terme définitif à aux discriminations sociétales par le biais de son esprit satirique.

L'écriture Le clézienne à travers Onitsha ne reste pas muette dans cette aventure satirique. Cet auteur révèle également son intentionnalité de mettre fin à l'injustice sociale causé par la montée d'un capitalisme triomphant. Il s'insurge contre le colonialisme et revendique l'humanité du Noir. L'extrait suivant l'explicite indéniablement :

30 Il s'agit ici de la pensée anticipatrice (anticipation) qui permet de supposer les résultats de nos actes et d'anticiper les évènements.

31 Plus particulièrement le bas social, confère le chapitre 2 de la première partie du présent mémoire.

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Sur les quais de Dakar, il n'y avait que les barils d'huile, et l'odeur jusqu'au centre du ciel. [...] il y avait le grincement du mât, les cris des dockers. Dakar résonnait du bruit des camions, des voix d'enfants, des postes de radio. Le ciel était rempli de cris. Et l'odeur ne cessait jamais [...] ; c'était donc cela, l'Afrique, cette ville chaude et violente, le ciel jaune où la lumière battait comme un pouls secret. [...] la forteresse maudite où les esclaves attendaient leur voyage vers l'enfer. Au centre des cellules, il y avait une rigole pour laisser couler l'urine. Aux murs, les anneaux où on accrochait les chaînes. C'était donc cela l'Afrique, cette ombre chargée de douleur, cette odeur de sueur au fond des geôles, cette odeur de mort. (Onitsha, 39)

Ce fragment met en scène le regard de Le Clézio sur le continent africain. Les Noirs, personnes du bas social, sont victimes de l'oppression exercée sur eux par la colonisation occidentale. Ce sont des esclaves, des sous-hommes abandonnés à leur triste sort. On note une ville comme Dakar32 en plein croissance économique sous le joug du colonialisme. On note également la misère opulente du Noir à travers cette description péjorative. Ceci dit, Le Clézio présente ici son intentionnalité d'aider l'humanité, surtout le Noir à se mouvoir, à prendre position face aux situations de déséquilibre social. Pour ce fait, l'auteur prend cette action sur lui et revendique une société de justice et d'égalité. Cependant, on note une idée anticipatrice découlant d'une pareille prise de position, ce sont les répercussions positives et révolutionnaires qui pourront changer la vie du Noir. Ici le Noir doit faire face à ses oppressions afin de se projeter dans le futur.

De ce qui précède, on note, à travers ces deux auteurs du corpus, une agentivité collective33 dans la mesure où il tente d'atteindre des buts communs. Celui de faire la satire de la société afin d'espérer délivrer le bas social du joug d'enfermement dans lequel la division sociale l'a enfermé. Le bas social compte bien entendu sur l'intervention des auteurs pour contribuer à la réalisation des buts auxquels il aspire intimement. Dans ce cas, on conclut que les auteurs ont des intentions communes et chacun contribue à la concrétisation de ses dernières.

3. Le picaresque comme expression d'une identité commune

La pratique d'une esthétique littéraire est probablement liée à une vision de la vie commune à un groupe d'individus particulier comme à une société et généralement à partir de l'histoire, de l'évolution et de la construction de celle-ci à travers les âges. Pour ce fait, nous remarquons dans nos textes, une prédominance des motifs liés à l'esthétique picaresque et nous pensons que l'une des raisons qui pousse nos auteurs à écrire sous un joug satirique est forcément et consciemment liée à la notion d'identité. Et qui parle d'identité ici, fait appel

32 La capitale du Sénégal, pays de l'Afrique de l'ouest.

33 Elle met en évidence la coordination de l'effort des auteurs.

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sans aucun doute à sa forme collective. Le picaresque est donc une forme d'identité collective dans la mesure où il anime le corpus.

De prime abord, les sociologues et les psychosociologues ont tenté d'apporter des définitions se résumant en quelques mots à la notion d'identité. Ainsi pour M. Castra (2012 : 72) l'identité peut être perçue comme « l'ensemble des caractéristiques et des attributs qui font qu'un individu ou un groupe se perçoit comme une entité spécifique et qu'il soit perçu comme tel par les autres ». Il faut noter que ce concept doit être appréhendé à l'articulation de plusieurs instances sociales, qu'elles soient individuelles ou collectives. Cependant, en nous concentrant sur l'identité collective comme l'une des formes de l'identité, on convient qu'elle trouve son origine dans les formes identitaires communautaires où les sentiments d'appartenance sont particulièrement forts (culture, nation, ethnie...) et les formes identitaires sociétaires qui renvoient à des collectifs, à des liens sociaux provisoires (famille, travail, religion, etc.). Puisqu'en effet et comme le dit Freund (1979 : 78):

Il n'y a d'identité collective que sur la base de la conscience de particularismes. [...] Il y a identité collective parce que les membres s'identifient à quelque chose de commun, c'est à dire le même qui constitue ce quelque chose de commun n'est pas une similitude totale, mais partielle. Ce qui cimente une identité collective c'est à la fois la représentation commune que les membres se font des objectifs ou des raisons constitutives d'un groupement et la reconnaissance mutuelle de tous dans cette représentation, sinon l'identité ne peut se former ou, si elle existait déjà, il se produit une crise de l'identité.

De cet extrait, on peut en déduire l'esthétique picaresque qui anime les textes du corpus. Ils s'opposent sans aucun doute à la misère sociétale qui touche une classe sociale particulière et revendique, à travers des caricatures exacerbées, une société plus morale. Cette revendication commune est en effet l'expression d'une identité collective dont partagent ces auteurs. Puisqu'avant tout comme l'affirme Wittorski (2008 : 196) « la notion d'identité collective est une intention sociale, venant des groupes de personnes qui cherchent à revendiquer une place et à se reconnaitre dans l'espace social ».

L'histoire Gil Blas de Santillane et Onitsha sont deux textes exclusivement très éloignés, situés tous les deux à l'extrémité des temps moderne et contemporain. Mais malgré cela, ils laissent entendre une même voix. Les voix, les paroles de leur auteur se font ressentir d'une façon unique comme s'il s'agissait d'un même discours. À partir de ce discours se laisse entendre une identité collective qui anime les textes du corpus. Ainsi on observe chez ces auteurs une vision de la vie, ils partagent sans aucun doute une même idéologie. Puisqu'ils prennent sur eux le devoir de perpétuer le picaresque en littérature. Ainsi le devoir de

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censurer, tourner en ridicule, les vices, les passions déréglées, les sottises des hommes se retrouve donc l'identité même de tout récit picaresque.

Par ailleurs, si l'on part du principe selon lequel « la constitution d'une identité collective pour un groupe semble répondre d'abord au besoin de se défendre vis-à-vis des contraintes qui lui sont imposées, mais aussi de revendiquer une définition autonome de son propre projet d'existence et enfin d'être reconnu dans l'espace social » (Wittorski, 2008 :196), l'esthétique picaresque se constitue donc véritablement en une identité collective dans la mesure où elle intervient dans tous les événements et prend la défense de la liberté d'esprit contre l'autorité, de la libre humanité contre l'asservissement social. Le picaresque à travers ses diverses formes satiriques exprimées par la raillerie, la moquerie, l'ironie cinglante, le rire vengeur, a dû, à travers des siècles d'écriture littéraire, se revendiquer comme l'arme du faible contre le puissant.

En addition, Bryndis Gunnarsdottir (2009 : 4) pour sa part ajoute que la satire, ici en référence au picaresque, se situe également aux confins des problèmes de la société qu'elle tente de résoudre par le biais de sa verve dénonciatrice. Pour ce faire, il déclare :

In order to discuss sensitive contempory social issues many authors use the form of satire. It gives them the freedom to raise questions about serious matters that people may find difficult to discuss because of their serious nature. Discussing issues with humour and irony can take the sharpest sting out of the issue and make it easier to figure out and find a solution to. Satire can also be effective in catching people's attention since it often shocks and stirs things up. Therefore i believe that the use of satire can be helpful when serious social matters and tabus are being discussed.

On comprend que l'identité collective s'exprime dans l'esthétique picaresque à travers la satire lorsque cette dernière devient l'aiguille qui pique et fait se dégonfler les outres énormes de la sottise. Et comme le mentionne Cohen Edouard, elle est le « chétif insecte » qui déclare la guerre au lion. Elle cloue au pilori les faux grands hommes, les pitres malfaisants qui empoisonnent le monde de leur imposture, l'accablent de leurs dogmes et tiennent sous leur puissance les foules fanatiques et abruties. Elle montre le gâtisme maître du monde, la débauche législatrice de la vertu, la friponnerie dirigeant les affaires, la forfaiture distribuant la justice, le proxénétisme patronnant les bonnes moeurs. Elle sème le rire, vengeur de la solennelle imbécillité pontifiante. C'est elle qui souffle dans les roseaux que Midas a des oreilles d'âne. Elle est nécessaire à l'humanité contre les fausses « élites » qui ne doivent leur prééminence qu'à leur insanité. Elle est la justice immanente qui remet en place le monde à l'envers où le coquin triomphe. Cette idée se voit majestueusement dans notre corpus. Ainsi dans Onitsha Le Clézio met en relief le personnage de Maou portant le flambeau de la

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révolte. Elle s'investit avec ardeur pour faire le portrait de l'environnement oppressant de la colonie anglaise, la ville d'Onitsha :

Elle se souvenait, elle avait tellement espéré cette nouvelle vie, Onitsha, ce monde inconnu, où rien ne ressemblerait à ce qu'elle avait vécu, ni les choses, ni les gens, ni les odeurs, ni même la couleur du ciel et le goût de l'eau. C'était à cause du filtre peut-être, le grand cylindre de porcelaine blanche qu'Elijah emplissait chaque matin avec l'eau du puits, et qui sortait si fine et blanche par le robinet de laiton. Puis elle était tombée malade, elle avait cru qu'elle allait mourir de fièvre et de diarrhées, et de maintenant le filtre lui faisait horreur, l'eau était si fade, elle rêvait de fontaines, de ruisseaux glacés, comme à Saint-Martin. (Onitsha, 74)

Maou a cru découvrir une belle terre, elle a rêvé d'une vie plus spéciale près de son Geoffrey ; mais hélas, la vérité est qu'elle ne rencontre que d'amères désillusions. Son regard des uses et coutumes du terroir, surtout le comportement des gestionnaires de l'administration coloniale c'est-à-dire Gérard Simpson et son clan d'administrateurs véreux et sans scrupules, la rend triste. A cause de son amour pour Geoffrey, elle veut rester et souhaite en même temps étaler au grand jour les insanités que sont les moeurs coloniales. Malgré les méthodes peu persuasives de Geoffrey pour qu'elle ferme une bonne fois sa bouche et qu'elle cesse de causer des problèmes, Maou va en guerre contre le D.O Gérald Simpson, contre Sabines Rhodes, contre le Resident Rally. Elle prend son courage et leur jette en plein visage leurs comportements malsains et deshumanisants dans leurs rapports avec les colonisés noirs.

Dans l'histoire de Gil Blas de santillane, cette satire s'identifie, bien entendu, à travers son côté comique outré. Une note d'indignation réelle est présente dans la mesure où l'auteur se borne à faire une représentation impersonnelle de son sujet en y mêlant une attaque, une critique, une raillerie mais aussi une intention morale et surtout réformatrice. Lesage, par le biais de son talent de satiriste, exprime son indignation par un rire moqueur, la raillerie y est dans toute sa splendeur et il cherche avant tout à réformer le monde, à corriger les moeurs des hommes. C'est pourquoi, le Gil Blas de Santillane se borne à faire des observations et à dépeindre simplement une réalité haïssable, honteuse, blâmable par elle-même. Ce cas s'observe bien évidemment dans le chapitre de « Gil Blas continue d'exercer la médecine avec autant de succès que de capacité. Aventure de la bague retrouvée ». Camille et sa mère avaient abusé de la gentillesse de Gil Blas et s'étaient emparées par ruse « la bague de ce dernier. Il retrouva la bague et choisit de jouer à son tour des deux voleuses. Mais le plus important dans ce passage est la manière dont Gil Blas joue le rôle du substitut du Docteur Sangrado :

Au sortir d'une maison où je venais de voir un poète qui avait la frénésie, je rencontrai dans la rue une vieille femme qui m'aborda pour me demander si j'étais

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médecin. Je lui répondis que oui. Cela étant, reprit-elle, je vous supplie très humblement de venir avec moi. Ma nièce est malade depuis hier, et j'ignore quelle est sa maladie. Je suivis la vieille, qui me conduisit à sa maison, et me fit entrer dans une chambre assez propre, où je vis une personne alitée. Je m'approchai d'elle pour l'observer. D'abord ses traits me frappèrent ; et, après l'avoir envisagée quelques moments, je reconnus, à n'en pouvoir douter, que c'était l'aventurière qui avait si bien fait le rôle de Camille. Pour elle, il ne me parut point qu'elle me remît, soit qu'elle fût accablée de son mal, soit que mon habit de médecin me rendît méconnaissable à ses yeux. Je lui pris le bras pour lui tâter le pouls ; et j'aperçus ma bague à son doigt. Je fus terriblement ému à la vue d'un bien dont j'étais en droit de me saisir ; et j'eus grande envie de faire un effort pour le reprendre ; mais considérant que ces femmes se mettraient à crier, et que don Raphaël ou quelque autre défenseur du beau sexe pourrait accourir à leurs cris, je me gardai de céder à la tentation. Je songeai qu'il valait mieux dissimuler, et consulter là-dessus Fabrice. Je m'arrêtai à ce dernier parti. Cependant, la vieille me pressait de lui apprendre de quel mal sa nièce était atteinte. Je ne fus pas assez sot pour avouer que je n'en savais rien. Au contraire, je fis le capable, et, copiant mon maître, je dis gravement que le mal provenait de ce que la malade ne transpirait point ; qu'il fallait par conséquent se hâter de la saigner, parce que la saignée était le substitut naturel de la transpiration ; et j'ordonnai aussi de l'eau chaude, pour faite les choses suivant nos règles. (LGBS, 93)

Ce récit comique, teinté de sarcasmes, met en exergue une société où tout le monde est fripon. On assiste à une anarchie totale, personne ne respecte rien. Le médecin, incarné ici par Gil Blas, ne maitrise rien du domaine de la médecine. Il n'a jamais fait une école de médecine, ni reçu une formation essentielle pour faire « saigner » les malades. Il invente des méthodes pour soigner ses patients. Ses patients sont des ignorants, mais aussi des voleurs qui veulent qu'on leur porte assistance. Ce passage est en vérité un cri de colère pour Lesage qui dénonce les us et moeurs d'une société corrompue jusqu'à l'âme. On dénote à travers ce récit humoristique, une satire violente des comportements des hommes.

Au vu des extraits précédents tirés des deux textes du corpus, on note que le picaresque par le biais d'une satire spécialisée anime les deux textes. Ces ouvrages se veulent caricaturaux, dans la mesure où ils nous font le portrait des environnements sociaux des héros, ce qu'ils ont à affronter comme moeurs corrompues des hommes. Tout compte fait, force est de constater qu'une identité commune prend corps dans les deux ouvrages du corpus. Cette identité commune liée à l'esthétisation du picaro nait du constat que les deux textes se mettent à faire de la satire, à dénoncer les travers sociaux des hommes avec indignation et visant un seul objectif : celui de la correction de l'esprit. En gardant sa tradition gréco-romaine avec Juvénal, Perse ou Horace, et sa tradition classique avec Marot, Boileau ou encore Aubigné, l'esprit satirique présent dans le corpus cherche à instruire et à toucher. C'est pourquoi l'objectif se double d'une méthode : les auteurs cherchent l'amusement, ils font rire de leur verbe. Ici tous les procédés du comique : mouvement dialogué, monologue grotesque, portrait

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caricatural, anecdotes intercalées, jeux de mots et quiproquos sont mis en exergue pour exprimer une identité collective.

En définitive, ce chapitre nous a instruits sur les différents modes de Résistance qu'emploie le bas social pour faire face aux multiples problèmes dont il est au centre. A travers la virulence des mots, l'érection de l'agence et le picaresque pris comme une identité commune par des auteurs, on constate que le bas social s'arme effectivement pour résister aux diverses oppressions qu'il subit quotidiennement. Le picaresque devient donc le canal d'expression du bas social dans la mesure où il met en scène les difficultés auxquelles font face les déshérités, la couche vulnérable de la société. De ce fait, le picaresque se revendique être définitivement une vision du monde.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon