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La politique du tourisme durable en France: avancées et limites

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par Fanny Fonteyraud
Université Panthéon Sorbonne - Master 2 Droit du tourisme 2018
  

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Partie 2. Les avancées en faveur du tourisme

durable et les limites pratiques à son

développement

Le tourisme durable est aujourd'hui en pleine expansion. Bien qu'il ait fait son apparition depuis de nombreuse années, cette forme de tourisme a souffert d'un manque d'intérêt de la part des pouvoirs publics et d'une certaine hésitation dans la prise de décisions. Face à cette politique touristique confuse, le droit mou pris a le relais et a permis au tourisme durable de s'épanouir et d'être reconnu, notamment grâce aux initiatives privées mais aussi à sa portée internationale. Cette reconnaissance engendre désormais de nombreux effets positifs, en termes de protection environnementale, de développement socio-culturel et de retombées économiques.

Toutefois, dans le contexte actuel, le tourisme durable se confronte à de nombreux freins. Si l'on exclut le tourisme de masse qui existe toujours, notamment dans certaines régions du monde telles que les destinations balnéaires et insulaires, destinations phares du low-cost, le tourisme durable fait face à de nombreuses critiques qui tendent à discréditer cette forme de tourisme.

Bien que la soft law concoure honorablement au développement du tourisme durable, grâce aux entités internationales et communautaires et à certains acteurs privés faisant valoir les valeurs durables du tourisme (section 1), le tourisme durable n'est pas encore très pratiqué car marginal et peu connu, souffrant même parfois d'une image négative (section 2).

Section 1. Le tourisme durable impulsé par la soft law et les initiatives privées

Face au bilan très négatif du tourisme de masse sur l'ensemble des trois valeurs, environnementale, socioculturelle et économique, et à l'hésitation des pouvoirs publics, on retrouve un grand nombre d'initiatives prises à une autre échelle. La soft law aspire en effet à venir combler les carences des textes et des actions menées par les autorités publiques. En pratique, ce droit mou met aussi en place des textes et des actions. Bien que ceux-ci ne revêtent pas le même caractère juridique que les textes officiels et la plupart des actions menées sous l'égide de l'État, c'est-à-dire un caractère contraignant, ils semblent toutefois efficaces.

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C'est au niveau international et communautaire que la soft law démontre une importance majeure (A). Les acteurs privés participent également à son essor par la mise en place de chartes ou de codes, mais aussi la réalisation de projets en faveur du tourisme durable (B).

A. La dimension internationale et communautaire de la soft law

En premier lieu, il convient de s'intéresser à la définition de la soft law. Dans le dictionnaire du droit international publié sous la direction de Jean Salmon, la soft law représente « des règles dont la valeur normative serait limitée soit parce que les instruments qui les contiennent ne seraient pas juridiquement obligatoires, soit parce que les dispositions en cause, bien que figurant dans un instrument contraignant, ne créeraient pas d'obligation de droit positif, ou ne créeraient que des obligations peu contraignantes »95. Par soft law il convient « d'entendre, non pas le vide absolu de droit, mais une baisse plus ou moins considérable de la pression juridique »96. Il s'agirait ainsi de « jalons normatifs »97. Concernant le tourisme durable, la soft law a non seulement vocation à pallier les lacunes des normes juridiques mais aussi à influencer le droit dans son application et son interprétation.

L'efficacité de la soft law réside d'abord dans sa dimension internationale. Elle a ce rôle de guide reconnu à travers le monde, en partie grâce à l'Organisation Mondiale du Tourisme (OMT). L'OMT est une institution faisant partie de l'Organisations des Nations Unies (ONU) chargée de promouvoir le tourisme responsable, durable et accessible à tous, tout en veillant à la bonne croissance économique, au bon développement des populations locales et au respect de la durabilité environnementale98. Sous l'égide de l'ONU, l'OMT a ainsi développé un rôle politique non négligeable pour la défense des intérêts touristiques des États membres. A l'heure actuelle, 158 États sont membres de l'OMT. Toutefois, certains grands pays touristiques tels que les États-Unis ou le Royaume Uni n'en font pas partie tandis que d'autres, moins touristiques ou émergents, en sont membres comme certains pays du Golfe ou des pays du continent Africain99. Il existe également six États membres associés et des membres affiliés. L'OMT agit de différentes manières et met un point d'honneur au développement du tourisme durable, responsable ou encore éthique. L'objectif est « d'appuyer les politiques et les pratiques compatibles avec un tourisme durable, c'est-à-dire les politiques faisant un usage optimal des ressources environnementales, respectant le caractère socioculturel authentique des communautés d'accueil et assurant des retombées socioéconomiques pour tous »100. L'OMT est véritablement au service du développement du tourisme durable. En ce sens, les Nations Unies ont proclamé l'année 2017 comme « l'année internationale du tourisme

95 Jean Salmon, Dictionnaire de droit international public, Bruylant, 2001

96 Jean Carbonnier, Flexible droit « Pour une sociologie du droit sans rigueur », LGDJ, 10e édition, 2011

97 Alain Pellet, Les raisons du développement du soft law en droit international : choix ou nécessité ?, LGDJ/Lextenso, 2018

98 Cf. < www.unwto.org >

99 Laurence Jegouzo, Le droit du tourisme, 2018

100 Cf. < www.unwto.org >

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durable pour le développement ». Cette résolution adoptée le 22 décembre 2015101 constate « l'importance attachée au tourisme international, en particulier à la proclamation d'une année internationale du tourisme durable pour le développement, pour ce qui est de favoriser la compréhension entre tous les peuples, de faire mieux connaitre le riche héritage des différentes civilisations et de faire davantage apprécier les valeurs inhérentes aux différentes cultures, contribuant ainsi à renforcer la paix dans le monde »102.

Cette décision fait directement écho au célèbre Sommet de la Terre, une conférence organisée tous les dix ans par les Nations Unies dans le but de réfléchir à de nouvelles politiques de développement durable. Le Sommet de la Terre de Rio de 1992 est devenu une référence historique, en ce qu'il a permis la création de l'Agenda 21 rassemblant plus de 2 500 recommandations concrètes pour traverser le 21ème siècle dans une démarche écologique et responsable. Depuis, c'est une véritable lutte pour le développement durable et contre le réchauffement climatique qui a été mise en oeuvre. Vingt ans plus tard, lors de la Conférence Rio + 20 sur le développement durable en 2012, on reconnaît qu'un « tourisme bien conçu et bien organisé » peut contribuer au développement durable103.

De surcroît, l'OMT encourage l'application du Code mondial d'éthique du tourisme104 à la fois pour multiplier les bienfaits du tourisme sur l'environnement, la société et l'économie, et pour limiter au maximum ses effets négatifs. Adopté en 1999 par l'Assemblée générale de l'OMT, le Code mondial d'éthique du tourisme établit à travers dix articles un véritable cadre de référence en faveur du développement durable et responsable du tourisme dans notre société moderne. Avec ce texte, l'OMT a pris l'engagement de promouvoir le tourisme durable dans le monde et à destination de tous les acteurs : les autorités publiques, les institutions, les professionnels du tourisme, les associations, mais aussi les touristes105. Le dixième article est consacré à la mise en oeuvre des principes énoncés par le code. Il est prévu un contrôle de l'application effective des principes mais aussi et surtout un mécanisme de règlement d'éventuels litiges confiés à un organisme tiers, le Comité mondial d'éthique du tourisme106.

Malgré le contrôle de l'application effective prévu à l'article 10, le code fait face à de multiples critiques portant sur son caractère non contraignant qui au fond n'engage que très peu les signataires107. Au surplus, il est reproché à l'OMT et à ce code une certaine contradiction entre leurs objectifs. En effet, il peut sembler paradoxal de favoriser d'un côté le développement durable à travers le tourisme et d'un autre côté, de vouloir développer le tourisme pur et tout ce qu'il implique (infrastructures d'accueil, transports aériens etc.). Le développement du

101 Résolution 70/193 adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU le 22 décembre 2015

102 OMT, Les Nations Unies proclament 2017 Année internationale du tourisme durable pour le développement, décembre 2015

103 GEO, Agenda 21, un programme responsable et écologique pour le 21ème siècle, janvier 2017

104 OMT, Code Mondial d'Éthique du Tourisme, pour un tourisme responsable, 1999

105 Cf. < ethics.unwto.org >

106 Ibid. OMT, article 10, 1999

107 Nadège Chabloz, Vers une éthique du tourisme ?, Revue Autrepart, 2006

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tourisme en tant que tel est inévitablement facteur d'effets néfastes pour l'environnement, l'économie et la société. Cependant, la volonté de l'OMT à travers le Code mondial d'éthique du tourisme a au moins le mérite de véhiculer des idées en faveur d'un tourisme plus durable et ainsi de susciter une prise de conscience collective au bénéfice de la nature et de l'Homme108. En dépit des critiques, les actions mises en oeuvre par l'OMT au niveau national ont de l'influence sur tous les acteurs du tourisme, à commencer par les États. Ces derniers ont le choix de suivre ou non les principes établis par l'OMT, mais en tout état de cause, l'adhésion à cet organisme prouve bien qu'il y a une volonté certaine de s'orienter vers un tourisme plus durable et respectueux.

Dans une autre mesure, l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) agit aussi en faveur du tourisme durable au niveau international. L'organisation, dont la devise est « des politiques meilleures pour une vie meilleure », a été initialement fondée en 1948, au départ au sein de l'Europe, pour mettre en place le plan Marshall. L'OCDE constitue aujourd'hui un cadre international privilégié pour une meilleure harmonisation des politiques économiques des États membres. Elle contribue également au bon fonctionnement de l'économie mondiale, notamment en stimulant et en harmonisant les efforts de ses membres en faveur du bien-être économique et social mondial. Globalement, l'OCDE se tourne de plus en plus vers des stratégies de croissance verte, respectueuses de l'environnement et promeut l'innovation afin d'encourager de nouvelles sources de croissance109. A l'aide du comité du tourisme, l'un des premiers comités constitués en 1948, l'OCDE veut promouvoir, dans le secteur du tourisme, le passage à une consommation et à une production durable permettant de contribuer à la viabilité des destinations, d'associer les communautés locales et de leur bénéficier, de créer des emplois et de favoriser le développement110.

Toutefois, la politique menée par l'OCDE fait l'objet de controverses, en raison notamment d'une conception économique jugée trop libérale et de la promotion excessive du libre-échange et de la concurrence. En effet, il semble difficile d'encourager une gestion durable du tourisme d'une part et la libéralisation touristique d'autre part.

Par ailleurs, l'OCDE joue un rôle important grâce à des études et publications mais aussi au moyen d'actes juridiques. Néanmoins, bien que certains actes, tels que les accords internationaux ou les décisions, revêtent un caractère contraignant pour les États membres, la plupart des instruments juridiques de l'OCDE n'ont pas de portée obligatoire. A titre d'illustration, l'organisation compte à ce jour 172 recommandations, 25 décisions et 9 accords internationaux.

En tout état de cause et malgré les critiques, tout porte à croire que les États réalisent la nécessité de changer les habitudes de consommation touristique, faute de quoi le tourisme

108 Bernadette Ducret, L'éthique dans le tourisme. La nécessité d'un engagement politique des États, Cahiers Espaces, n° 67, p. 52, 2000

109 Cf. < www.ocde.org >

110 Laurence Jegouzo, Le droit du tourisme, 2018

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pourrait un jour mener à sa propre perte. Rappelons à ce titre que « l'un des paradoxes du tourisme d'aujourd'hui est de tuer ce dont il vit, en véritable parasite mondophage »111.

Parallèlement à la dimension internationale, l'Union Européenne (UE), outre la construction de normes juridiques contraignantes, est également créatrice de soft law.

Au niveau européen comme au niveau national, le tourisme en tant que secteur économique à part entière a longtemps été mis à l'écart. Le Traité de Rome112 et le Traité de Maastricht113 ne s'intéressaient pas au tourisme et laissaient la compétence aux États membres. Ce n'est que le 13 décembre 2007 lors de la signature du Traité de Lisbonne114 que l'Union Européenne se voit reconnaître des prérogatives concernant le tourisme. En effet, l'article 195 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) octroie à l'Union une compétence d'appui et d'accompagnement des États membres dans leurs politiques touristiques, en accord avec le principe de subsidiarité :

« 1. L'Union complète l'action des États membres dans le secteur du tourisme, notamment en promouvant la compétitivité des entreprises de l'Union dans ce secteur.

À cette fin, l'action de l'Union vise :

a) à encourager la création d'un environnement favorable au développement des entreprises dans ce secteur ;

b) à favoriser la coopération entre États membres, notamment par l'échange des bonnes pratiques.

2. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures particulières destinées à compléter les actions menées dans les États membres afin de réaliser les objectifs visés au présent article, à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres. »115

C'est le seul article relatif au tourisme dans le TFUE. On voit bien que le rôle législatif de l'Union Européenne au niveau touristique est léger et qu'il est laissé au bénéfice des États membres qui décident eux-mêmes de la politique qu'ils souhaitent mener. Conséquemment, l'Union a développé son influence en matière soft law. Depuis plusieurs années, l'Union Européenne oeuvre en faveur du tourisme durable à l'aide de mesures non contraignantes mais qui conscientisent progressivement les États membres et leurs ressortissants. Le réchauffement climatique fait ainsi partie des thématiques politiques de l'Union, en raison notamment du nombre toujours plus croissant de touristes sur son territoire et donc de vols aériens au sein

111 Rodolphe Christin, Manuel de l'anti-tourisme, 2018

112 Traité de Rome, instituant la Communauté économique européenne, du 25 mars 1957

113 Traité de Maastricht sur l'Union européenne, du 7 février 1992

114 Traité de Lisbonne, modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, du 13 décembre 2007

115 Titre XXII « tourisme », article 195 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne

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de l'espace européen. En effet, les déplacements touristiques participent activement aux émissions de gaz à effet de serre, faisant ainsi l'objet d'une problématique de taille.

En accord avec les principes du tourisme durable, la Commission a adopté le 19 octobre 2007, une communication appelée « un agenda pour le tourisme européen durable et compétitif » soulignant la nécessité de promouvoir le tourisme durable, puis le 30 juin 2010, une communication concernant un nouveau cadre politique pour le tourisme européen, préconisant également un tourisme durable, responsable et de qualité116.

Outre ces initiatives, l'Union Européenne oriente les politiques nationales vers un tourisme plus durable grâce à d'autres outils. C'est le cas par exemple de la Charte européenne du tourisme durable dans les espaces protégés (CETD)117. Née en 1995 sous l'impulsion de la Fédération Europarc118, suite au Sommet de Rio en 1992, elle vise à encourager les bonnes pratiques pour la protection des espaces et la gestion durable du tourisme. La CEDT a été élaborée au moyen d'une expérimentation conduite par une dizaine de parcs pilotes en Europe et rédigée avec l'aide du comité de pilotage européen représentants des organismes touristiques et oeuvrant pour l'environnement. Cette charte reprend à son compte, les principes du développement durable appliqués au tourisme dans les espaces protégés et déclinés dans les trois domaines environnemental, socio-culturel et économique, avec comme stratégie globale, l'implication de tous les acteurs du tourisme dans le cadre de multi partenariats119.

Dans le même sens que la CEDT, l'Écolabel Européen, initié dès 1992 par la Commission Européenne120, est reconnu dans tous les pays de l'UE et attribué pour une période de 5 ans. Les critères, à destination des hébergements touristiques, portent principalement sur les impacts en eau, énergies, déchets, substances chimiques et sur des critères de management environnemental. En France, près de 115 établissements sont certifiés par l'Écolabel Européen. A titre de comparaison, les Pays Bas comptent 5 établissements certifiés, l'Autriche en compte 48, l'Italie en compte 172 etc.121

Enfin, les principes du tourisme durable sont pris en compte au sein de l'organisation du concours EDEN122. Par le biais d'une charte, le concours contribue à une meilleure prise en compte de ces critères malgré une absence de force obligatoire. L'acronyme EDEN désigne les destinations européennes d'excellence ayant manifesté la volonté de s'ouvrir à un développement plus durable du tourisme123. Il s'agit d'un projet mis en place dans le cadre de

116 CESE, Tourisme et développement durable, 2014, p. 238

117 Cf. < www.e-unwto.org/doi/pdf/10.18111/unwtodeclarations.1995.21.14.1 >

118 Cf. < www.europarc.org/network/ >

119 Laurence Jegouzo, Le droit du tourisme, 2018

120 Règlement (CEE) N°880/92 du 23 mars 1992, remplacé par le Règlement (CE) N°66/2010 du 25 nov. 2009

121 Cf. < www.ec.europa.eu/ecat/hotels-campsites/en >

122 European Destinations of Excellence (destinations européennes d'excellence)

123 Cf. < www.atout-france.fr/content/le-reseau-eden >

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l'Union Européenne, par lequel des concours nationaux sont organisés chaque année et débouchent sur la sélection d'une destination d'excellence touristique dans chaque pays participant, encourageant ainsi le développement du tourisme durable.

Les objectifs sont les suivants :

- Améliorer la visibilité des destinations touristiques d'excellence européennes émergentes, et notamment les moins connues ;

- Faire connaître la diversité et la qualité du tourisme en Europe ;

- Promouvoir tous les pays et toutes les régions d'Europe notamment celles ayant une action forte pour promouvoir le tourisme durable ;

- Lutter contre le phénomène des hautes et basses saisons, rééquilibrer le flux des touristes et l'orienter vers de nouvelles destinations ;

- Récompenser le tourisme durable ;

- Créer une plate-forme pour l'échange des bonnes pratiques au niveau européen ; - Encourager la mise en réseau des destinations récompensées124.

En 2018, le réseau EDEN compte près de 160 destinations lauréates et plus de 450 destinations primées dans toute l'Europe. En France, 7 destinations lauréates ont été désignées et 23 autres destinations ont été récompensées, selon Atout France, permettant, au moyen d'outils non contraignants et conscientisants, d'impulser le tourisme durable en France.

Tandis que les entités internationales et communautaires s'accordent à développer des normes juridiques souvent non contraignantes ou des dispositifs spécifiques tels que des codes ou chartes, des acteurs privés apportent leur concours à la diffusion des valeurs du tourisme durable.

B. Les acteurs privés, créateurs de droit mou

Nombre d'acteurs privés, dans le cadre associatif, partenarial ou à titre individuel, mettent en oeuvre des actions positives en faveur du développement durable dans leur fonctionnement et leur organisation. Ces initiatives visent à moraliser et conscientiser le comportement des voyagistes, des touristes, mais aussi des gouvernements. Parmi ces acteurs, on peut mentionner les associations ou organisations non gouvernementales (ONG), des réseaux et des collectifs ou encore des entreprises du secteur touristique. C'est en partie au moyen d'actions menées par cette variété d'acteurs, que la soft law du tourisme durable s'enrichie davantage au fil des années. A tel point, qu'il est parfois difficile de s'y retrouver en matière de labels, chartes, certifications etc.

124 Laurence Jegouzo, Le droit du tourisme, 2018

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Une des premières associations à avoir oeuvré pour le développement du tourisme durable, est l'association Agir pour un Tourisme Responsable (ATR), en 2004125. Au moment de sa création, ATR réunissait les principaux voyagistes du tourisme d'aventures, qui avaient pour but d'améliorer l'impact de leur activité sur la nature et les populations. Progressivement, le réseau s'est élargi à d'autres opérateurs spécialistes et même généralistes tels que TUI ou Club Med. A ce jour, l'association regroupe une trentaine de membres dont une dizaine ayant obtenu le label ATR. En effet, l'association a mis en place un label, se définissant autour de trois grands axes : transparence, partenariat et cohérence. A travers ce système de labélisation, ATR a pu développer une méthode d'évaluation de l'engagement des voyagistes souhaitant non seulement agir pour un tourisme responsable mais aussi faire la démonstration de leur engagement. Notons que depuis 2016, le label est certifié par ECOCERT Environnement. L'association ATR diffuse également les principes du tourisme durable à travers la Charte éthique du voyageur126. Cette dernière édicte des conseils à destination des voyageurs, avant, pendant et après le voyage, dans le but de promouvoir le respect de la nature, des hommes et de leur culture et dont la devise est : « Seule l'empreinte de nos pas doit rester derrière nous, laissons le meilleur des souvenirs à nos hôtes ».

A côté d'ATR, on retrouve l'Association pour le Tourisme Équitable et Solidaire (ATES) qui consiste en un réseau de spécialistes du tourisme équitable et solidaire. Créée en 2006, l'association regroupe des voyagistes, des opérateurs du tourisme ainsi que des membres associés, tous engagés pour faire du voyage un levier de développement et de solidarité internationale127. Comme ATR, l'ATES compte une trentaine de membres, possède un label et a mis en place une Charte du Tourisme Équitable et Solidaire. L'association, reconnue au niveau national et international, repose sur trois grands piliers : le commerce équitable, la solidarité internationale et l'utilité socio-économique. En France, sa mission est surtout de sensibiliser le public, puisque les français voyagent de plus en plus vers des pays en voie de développement ou du tiers monde et qu'il importe désormais de réduire l'impact que l'on a sur la nature, les peuples et leur culture. Le label ATES « Garantie Tourisme Équitable et Solidaire » permet une évaluation des pratiques des opérateurs et de leurs partenaires à travers plus de 50 critères. L'objectif de ce label est de démontrer aux clients que les voyages proposés par les opérateurs membres sont en adéquation avec les engagements pris dans le cadre de la charte d'ATES.

Enfin, on peut mentionner l'association Acteurs du Tourisme Durable (ATD), créée en 2011 par un collectif de journalistes français engagés afin d'accompagner et de soutenir les professionnels du tourisme engagés dans une démarche de développement durable128. L'association a notamment pour missions de :

125 Cf. < www.tourisme-responsable.org >

126 ATR, Charte Éthique du Voyageur, depuis 1996

127 Cf. < www.tourismesolidaire.org >

128 Cf. < www.tourisme-durable.org >

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- Fédérer l'ensemble des professionnels du tourisme et ainsi de favoriser les synergies dans le sens du progrès durable ;

- Promouvoir les valeurs du tourisme durable et récompenser les acteurs engagés ;

- Informer les professionnels sur les bonnes pratiques et les enjeux du tourisme durable.

ATD regroupe un grand nombre de membres dont les réseaux ATR et ATES, mais aussi des voyagistes tels que Club Med, des offices de tourisme, des comités régionaux de tourisme etc. Cette association ne délivre pas de certification ni de label, il s'agit d'une démarche de progrès continue entre professionnels. Divers évènements sont également organisés afin de promouvoir le développement durable du tourisme, tels que les Universités du tourisme durable ou encore les Palmes du tourisme durable (créées en partenariat avec le magazine TourMag). A ce titre, depuis 2017, les Palmes du tourisme durable récompensent les acteurs du tourisme engagés dans une démarche de tourisme durable. Le concours est ainsi ouvert aux acteurs des catégories suivantes : mobilité ; voyagistes ; hébergements ; loisirs ; territoires et destinations. Les candidatures sont reçues entre mai et octobre. Parmi celles-ci, un jury est chargé d'effectuer une première sélection. Enfin, le public désigne un lauréat dans chaque catégorie.

A titre d'illustration, le gîte touristique breton « La Belle Verte » a reçu la palme dans la catégorie hébergement, lors de la première édition129 : le gîte propose deux écolodges semi enterrés dotés d'un toit végétal et parfaitement autonomes d'un point de vue énergétique. Dans une démarche « zéro impact », le site produit de l'électricité et de l'eau chaude grâce à l'énergie solaire et est équipé d'un système de phyto-épuration pour l'assainissement écologique des eaux usées. Dans la catégorie territoire et destination, la palme a été attribuée au réseau Grands Sites de France, pour son projet innovant « Escapade nature sans voiture », mettant à l'honneur des modes de déplacements écologiques, en faveur d'un tourisme plus durable, pour découvrir d'une autre manière les paysages et le patrimoine français130. Cette initiative permet de promouvoir les bonnes pratiques du tourisme durable auprès de tous les professionnels du secteur touristique et de faire du tourisme durable une aspiration commune.

Outre les réseaux associatifs, il existe d'autres labels permettant de faire valoir les principes du tourisme durable, en France mais aussi à travers le monde. Ces labels, toujours d'initiative privée, sont très nombreux. Parmi ceux-ci, on peut citer par exemple le label international Clef Verte mis en place par la Fondation pour l'Éducation à l'Environnement, et qui accompagne les hébergeurs et les restaurateurs depuis près de 20 ans, sur les critères de gestion environnementale131. Ces critères portent sur la gestion de l'eau et de l'énergie, le traitement des déchets, les achats responsables, la sensibilisation du personnel et des clients etc. Depuis

129 TourMag, Palmes du Tourisme Durable : découvrez les 6 lauréats 2017, 12 décembre 2017

130 Cf. < www.ecolodge-labelleverte.fr/demarche-ecologique/ >

131 Cf. < www.laclefverte.org/le-label/présentation/ >

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2017, la liste de critères a été élargie aux questions de parité et d'emploi, mais aussi du gaspillage alimentaire, de la réduction de produits carnés, du bio, le but étant d'orienter progressivement les professionnels vers de nouveaux enjeux.

Pavillon bleu est également un label d'initiative privée et comme Clef Verte, il est reconnu au niveau international. Créé en 1985, le Pavillon Bleu valorise les communes mais aussi les ports de plaisance menant une politique touristique durable. Les ports de plaisance labellisés oeuvrent pour la protection de l'environnement et du milieu marin, aussi les plaisanciers ont accès à des aires de récupération des eaux usées des bateaux et des zones de récupération des déchets spéciaux. Quant aux communes labélisées, le but est de limiter les impacts de la fréquentation touristique par l'installation d'équipements spécifiques en bord de mer, mais aussi l'organisation d'activités de sensibilisation à l'environnement à destination de tous132. C'est l'exemple du port de La Rochelle, en Charente Maritime, qui a mis en place « l'opération pontons »133 par laquelle des associations livrent des informations et des conseils pour une conduite écoresponsable dans les ports de plaisance (sensibilisation au tri des déchets, au traitement des eaux usées etc.).

Aux côtés de ces labels, toujours plus nombreux, de grandes sociétés touristiques internationales se lancent dans le tourisme durable. Pour se distinguer, elles n'hésitent pas à créer leurs propres labels. Si les gestes et actions sont louables, il s'agit bien trop souvent d'opérations marketing mises en place dans le but de séduire les clients, qui sont de plus en plus sensibles à cette cause. L'offre s'adapte en effet à la demande. C'est pourquoi il est important de se renseigner sur les enseignes et les valeurs qu'elles portent avant l'achat.

Le leader européen de l'hôtellerie AccorHotels ou encore la plateforme de réservation Airbnb, dont la régulation fait actuellement couler beaucoup d'encre, sont deux exemples de sociétés privées oeuvrant pour le tourisme durable.

AccorHotels est une entreprise touristique pionnière en matière de développement durable et son engagement s'est concrétisé en 2012 lors du lancement du projet « Planet 21 ». Articulé autour de 21 objectifs, ce programme est dédié à la mise en place d'actions effectives pour une prise de conscience à tous les niveaux. Depuis 2016, un nouveau chapitre de Planet 21 s'est ouvert concernant les enjeux pour 2020.

132 Cf. < www.pavillonbleu.org/l-of-feee/le-pavillon-bleu.html >

133 Cf. < www.pavillonbleu.org >

42

Le programme Planet 21 s'articule autour de six piliers dont l'hôtel est le coeur :

Source : AccorHotels, 2016-2020.134

En ce sens, AccorHotels a mis en place une Charte éthique depuis 2015 dans laquelle l'hôtelier s'engage notamment à maîtriser les consommations d'énergie de ses hôtels et réduire les émissions de CO2, privilégier les énergies renouvelables pour les nouvelles constructions ou rénovations afin de limiter l'empreinte sur l'environnement, préserver les ressources en eau et maîtriser l'impact des rejets d'eau usée, réduire la quantité de matières premières utilisées en limitant les emballages et en privilégiant les matériaux recyclés ou recyclables, sensibiliser et informer les clients par le déploiement d'une signalétique dans les hôtels etc135. Enfin, grâce à toutes ces mesures, AccorHotels travaille en collaboration avec des structures locales sur des projets d'agroforesterie, dans le cadre de « Plant for the Planet ». Le leader de l'hôtellerie est très engagé sur la voie du tourisme durable et n'hésite pas à étendre son influence sur tous les fronts, aussi bien à l'égard de l'environnement, que des êtres humains, pour un impact positif et durable.

Parallèlement aux actions menées par le groupe AccorHotels, la plateforme Airbnb s'est également emparé de la question du tourisme durable et tente ainsi de faire taire les critiques à son encontre. Il est de bon augure pour la plateforme de démontrer qu'elle peut devenir un véritable acteur pour la défense des communautés et de l'environnement. En effet, le 17 avril 2018, Airbnb a lancé un service dédié au tourisme responsable (« Office of Healthy Tourism »), pour un tourisme plus sain face aux effets néfastes toujours plus importants du tourisme de masse136. Selon la plateforme, on trouve une quantité de logements hors des zones

134 Cf. < www.press.accorhotels.group/planet21-dossier-de-presse/les-engagements-a-2020/ >

135 AccorHotels, Charte Éthique et Responsabilité Sociétale d'Entreprise, novembre 2015

136 Airbnb, Airbnb launches OHT, 17 avril 2018

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touristiques permettant ainsi un désengorgement des centres-villes. D'ailleurs, qu'il s'agisse d'un logement en centre-ville ou non, les hôtes n'hésitent pas à recommander des lieux d'intérêt situés dans le même quartier, facilitant ainsi la promotion des commerces de proximité. Airbnb signale également que 88 % des hôtes intègrent des pratiques écologiques dans leur activité et que 66 % des voyageurs affirment que les avantages écologiques du partage de logement ont joué un rôle important pour eux137.

A ce propos, une étude publiée en mars 2017 par la société établissait des comparaisons entre le logement chez l'habitant et en hôtellerie. L'étude révèle qu'en Europe, le recours à Airbnb plutôt aurait permis d'éviter l'équivalent des émissions de 1,6 million de voitures, tout en économisant l'énergie de 566 000 logements et l'eau de 9 000 piscines olympiques138.

Source : Airbnb, mars 2017

Toutefois, selon Guillaume Cromer139, « d'un point de vue marketing, cette étude est très rusée. Elle consiste à tirer parti d'un état de fait ». A l'évidence, la plateforme se contente principalement d'attirer les voyageurs déjà convertis à ce type de tourisme et sensibles à la cause écologique. Contrairement à des hôteliers comme AccorHotels, Airbnb ne sensibilise pas franchement140. Par sa politique en matière de tourisme durable, AccorHotels est en mesure d'engager un processus de sensibilisation auprès de divers acteurs tels que ses collaborateurs, partenaires ou fournisseurs, la clientèle mais aussi les communautés locales. La comparaison n'est pas vraiment convaincante, mais il importe de souligner tout de même qu'en pratique, l'environnement est impacté à une échelle plus réduite par ce type de location.

Pourtant, en dépit de ce point, les valeurs du tourisme durable n'en sont pas moins affectées. Si l'on prend l'exemple de villes européennes telles que Barcelone où le tourisme de masse est toujours un véritable fléau, c'est en partie du fait d'Airbnb que les touristes continuent

137 Cf. < www.airbnbcitizen.com/data/#/ >

138 Airbnb, rapport du 10 mars 2017

139 Guillaume Cromer, Président d'Acteurs du Tourisme Durable (ATD), depuis 2014 et gérant du cabinet ID-Tourism, depuis 2012.

140 Amélie Mougey, Airbnb se rêve en écotouriste, article pour Terra Eco n°62, novembre 2014

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d'affluer. En effet, souvent moins onéreux que les hôtels et de plus en plus attractifs, le grand nombre de logements proposés à la location participe au dépeuplement des centres-villes au profit des touristes et de ce fait, influe sur l'envolée des prix des loyers et des coûts de la vie en général. Comme nous l'avons étudié précédemment, ces conséquences sont dramatiques pour les habitants, qui désormais, n'hésitent plus à faire entendre leur mécontentement à l'aide d'actions parfois radicales.

Face aux avancées générées à grande échelle au moyen de la soft law internationale et communautaire, mais aussi à l'aide d'acteurs privés associatifs ou professionnels, de multiples limites freinent le bon développement du tourisme durable.

Section 2. Les freins et les limites au développement du tourisme durable

Le développement du tourisme durable fait en effet face à de nombreux obstacles. Si aujourd'hui ce type de tourisme s'amplifie c'est parce que l'on fait face à une époque charnière, où le tourisme doit être pensé de manière pérenne pour la sauvegarde de l'environnement, des populations et de la société elle-même. Il y a désormais une sérieuse nécessité de changer les habitudes de consommation touristique, faute de quoi le tourisme pourrait un jour mener à sa propre perte. Comme nous l'avons exposé précédemment, un tourisme trop intense participe au phénomène de réchauffement climatique, engendre pollution et destruction de la faune et la flore, entraine une altération des sites historiques et culturels, provoque des inégalités sociales et une précarisation de l'emploi etc. En conséquence, les acteurs publics, privés, nationaux ou internationaux se sont tourner vers de nouvelles stratégies, de nouvelles mesures et dispositifs, afin de trouver un équilibre entre valorisation et préservation des territoires et des personnes.

Toutes ces mesures permettent d'éveiller les consciences sur la nécessité d'un tourisme plus durable et plus largement, d'un mode de vie plus sain ; même si certaines décisions critiquables démontrent parfois une régression dans des secteurs autres que celui du tourisme... Ces préoccupations liées au développement du tourisme durable varient au gré de la couverture médiatique et de l'actualité, notamment via les réseaux sociaux qui sont de bons vecteurs de communication, et on voit qu'aujourd'hui les questions d'ordre écologique sont relayées un peu partout autour du globe : les individus semblent de plus en plus sensibles à ces causes et veulent impacter le moins possible la planète et ses habitants.

Toutefois, le tourisme durable demeure marginal. C'est une notion floue et il n'est pas encore très pratiqué par les touristes français (A). En effet, beaucoup sont en faveur d'un tourisme plus respectueux mais peu passent à l'action du fait de nombreux préjugés (B). En outre, son développement est entravé par ce qu'on appelle le « greenwashing » (C).

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A. Un mode de tourisme marginal et méconnu

Si le tourisme en tant que tel peut être facilement défini puisque bien connu des sociétés occidentales où il se pratique aisément, le tourisme durable peine encore à se clarifier et par conséquent, à se démarquer parmi le grand nombre d'offres proposées sur le marché. La méconnaissance du tourisme durable voire l'ignorance de son existence représente un véritable frein à la consommation touristique.

Le principe même de tourisme durable fait l'objet de nombreuses définitions, le rendant approximatif aux yeux des individus. En effet, autour de cette notion, on retrouve une multitude d'autres termes tels que le tourisme responsable, le tourisme social, le tourisme solidaire, le tourisme équitable, l'éco-tourisme etc. Bien que ces types de tourismes visent tous la même finalité, à savoir la remise en question de la pratique touristique actuelle et un plus grand respect pour la nature et les êtres vivants, il est difficile d'y voir clair dans ce vaste paysage lorsqu'on est un touriste lambda. Selon une étude Atout France réalisée en 2009, seul 28 % des Français seulement connaissent l'expression « tourisme durable »141 tandis que les termes « tourisme responsable », plus utilisés par les voyagistes, sont mieux introduits dans l'esprit du public. En 2009, 69 % des touristes français déclaraient connaître cette expression142. En 2012, ils étaient 84% à avoir entendu parler d'au moins un des termes attachés au concept du tourisme durable tels que l'éco-tourisme, le tourisme équitable, le tourisme solidaire etc.)143. Cependant, les deux enquêtes citées révèlent que les touristes ne voient pas très bien ce que recouvrent ces termes. Ces nombreux termes utilisés entrainent des difficultés de compréhension quant aux nuances entres les notions, qui bien que très liées, ne sont pas hermétiques les unes par rapport aux autres.

Source : Acteurs du Tourisme Durable (ATD) 144

141 Atout France - Altéa, Demande des clientèles en tourisme durable : enquête qualitative, 2009

142 TNS Sofres - Voyages-sncf.com, Les Français et le tourisme responsable, 2007 - 2010

143 Harris Interactive pour Voyages-sncf.com et Routard.com, sondage dans le cadre des Trophées du Tourisme Responsable, 2012 (enquête réalisée en ligne du 6 au 10 septembre 2012 sur un échantillon de 1959 individus)

144 Bernard Schéou, La pyramide des tourismes, Du tourisme durable au tourisme équitable, quelle éthique pour le tourisme de demain ?, 2009

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Cette pyramide, dont la base repose sur le tourisme durable montre la pluralité des termes existants, afférents tous au tourisme alternatif. Si chacun est relatif à des principes bien précis comme nous avons pu le remarquer en introduction, les définitions sont souvent différentes d'un organisme à un autre, il est donc complexe pour les touristes d'y voir clair. Ces derniers associent encore massivement le tourisme durable à l'environnement et à l'écologie uniquement, pensant que ce type de vacances se pratique surtout dans des parcs naturels ou des régions préservées. Si cela n'est pas totalement erroné, le tourisme durable se pratique en réalité à tous les niveaux et à tout moment, et cela même durant un séjour basique : il est en effet possible de réduire son empreinte par de petits gestes où que l'on soit dans le monde. Beaucoup de touristes pensent encore que le tourisme durable est une contrainte incompatible avec les vacances.

Par ailleurs, si la plupart des touristes français sont capables de définir globalement le tourisme responsable, une bonne partie confond ce type de tourisme avec les voyages humanitaires ou le bénévolat à l'étranger145. Le tourisme humanitaire et le tourisme durable ne sont pas deux notions antinomiques en ce que les valeurs défendues sont similaires, mais en pratique, ces deux types de tourismes comportent des différences.

L'expression « tourisme humanitaire » est majoritairement comprise par les touristes comme du « volontourisme », du bénévolat à l'étranger. Le terme « humanitaire » renvoi en réalité à une aide d'urgence, comme par exemple, le fait d'envoyer des médecins pour dispenser des soins après une épidémie, d'apporter des vivres aux survivants d'une catastrophe naturelle etc. Dans ces cas-là, les individus ne sont pas des touristes mais des personnes qualifiées pour intervenir telles que des médecins, infirmiers etc.

Le volontourisme en revanche, propose aux participants sur la base du volontariat, d'aider les populations et les communautés en difficulté à s'orienter vers un meilleur développement local, tout en voyageant et découvrant de nouvelles cultures146. De plus en plus d'organismes se lancent dans la commercialisation de ce type de séjours, proposant des façons différentes de voyager, tout en aidant les communautés. Toutefois, le volontourisme est très critiqué : beaucoup d'organismes font du profit sur le dos des pays les plus pauvres mais aussi des bénévoles qui allouent bien souvent des sommes conséquentes. Ainsi, si en théorie les séjours humanitaires à l'étranger semblent partager les valeurs du tourisme durable, en pratique ce n'est pas toujours la même chose.

Cette confusion entre le tourisme durable et le tourisme humanitaire est très fréquente dans l'esprit des individus, représentant un obstacle à son développement. Pourtant, la compréhension progresse et les touristes sont en demande d'informations sur ce sujet. Selon l'étude Atout France, 90 % des personnes interrogées souhaitent être mieux informées par le biais de reportages, de guides touristiques etc.147

145 Atout France, Tourisme et développement durable, 2011, p. 33

146 Cf. < www.aidehumanitaire.org/tourisme-humanitaire/ >

147 Op. cit. Étude TNS Sofres - Voyages-sncf.com

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L'information passe également par les labels, marques, certifications etc. Or, la pluralité de labels existant n'oriente pas toujours les touristes vers une bonne compréhension de l'offre. En règle générale, les labels du tourisme durable ont une notoriété assez faible, hormis les labels nationaux officiels tels que les Parcs Nationaux de France, qui bénéficient d'une reconnaissance plutôt forte de la part des touristes. Ayant un impact prioritaire dans la réassurance des voyageurs, les labels sont pourtant très importants parce qu'ils permettent de rendre la démarche durable plus crédible. La pluralité et la faible notoriété des labels augmentent les risques de confusion pour les touristes et participent ainsi à freiner l'essor du tourisme durable148.

De surcroit, l'insuffisance d'une offre repérable et accessible joue aussi un rôle dans la limite au développement du tourisme durable. En effet, il existe plusieurs voyagistes spécialisés dans le tourisme durable mais ces derniers ne sont pas nécessairement connus du grand public. En parallèle, des opérateurs de tourisme généralistes commercialisent des séjours responsables mais l'offre n'a pas toujours été mise en avant. Toutefois, depuis quelques années, le tourisme durable sort peu à peu de l'ombre et devient une nécessité, comme évoqué ci-avant. On voit ainsi émerger de plus en plus d'offres de ce type, accompagnées de stratégies marketing élaborées pour les mettre en lumière. Si le tourisme durable n'est pas encore une notion bien connue, confondue avec d'autres types de tourismes, et qu'il peine à se démarquer c'est en partie la faute des voyagistes eux-mêmes. Les touristes ne savent pas toujours où et quoi chercher. Pour le tourisme durable, 31 % des voyageurs seulement estiment l'offre accessible et facile à trouver, selon Atout France149. Les voyagistes font désormais beaucoup de publicité et mettent en avant leur engagement pour cette forme de tourisme, mais longtemps le tourisme durable est resté sur le banc de touche, ce qui n'a pas aidé à sa reconnaissance et son développement. On peut ainsi penser que c'est un moyen pour les grandes enseignes d'accroitre leur chiffre d'affaires, parce que le tourisme durable est maintenant très en vogue auprès des touristes.

B. Le tourisme durable : beaucoup de croyants mais peu de pratiquants

Le développement du tourisme durable est également paralysé par l'attitude même des touristes. Si les gestes se multiplient dans une optique plus durable et responsable, il y a indéniablement un décalage entre la volonté d'agir et l'action en elle-même, faisant ainsi ressortir un certain manque d'intérêt de la part des touristes pour le tourisme durable. En effet, en 2012 seul un Français sur cinq déclare avoir déjà fait au moins un voyage responsable ce qui est une très faible proportion150. En 2009, selon l'étude Atout France, 4% des interrogés avaient déjà pratiqué le tourisme durable151.

148 Atout France, Tourisme et développement durable, 2011, p. 41

149 Id. p. 40

150 Op. cit. Harris Interactive pour Voyages-sncf.com et Routard.com

151 Op. cit. Atout France - Altéa

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Pourtant, dans les études citées par Atout France, une majorité de personnes interrogées est prête à privilégier un tourisme plus durable :

- 68 % des Français sont prêts à privilégier une destination en faveur de l'écologie ;

- 86 % sont prêts à adopter un comportement éco-consommateur sur le lieu de séjour ; - 68 % sont prêts à opter pour un mode de transport moins polluant ;

- 56 % sont prêts à privilégier un hébergement disposant d'un écolabel152.

En 2018, selon une étude Booking.com, 68 % des voyageurs internationaux comptent séjourner dans un hébergement écoresponsable, révélant une hausse de l'intérêt pour les hébergements respectueux de l'environnement et plus généralement pour le tourisme durable au niveau international153.

On est amené à se poser la question de savoir pourquoi existe-t-il un tel engouement, mais si peu de résultat ? Le tourisme durable est maintenant très en vogue auprès des touristes à l'image d'un mode de vie plus sain d'une manière plus générale au regard de la conjoncture économique et politique des dernières années. En effet, les questions d'ordre écologique, relatives au respect de l'environnement, de la nature mais aussi aux conséquences du réchauffement climatique sont au coeur des préoccupations de nombreux français : « la prise de conscience s'accroît, les connaissances progressent et les inquiétudes se renforcent »154. Cette prise de conscience des problèmes environnementaux causés par l'activité humaine, dont le tourisme, s'accompagne d'une remise en question des modes de vie. En effet, on observe depuis plusieurs années que certaines pratiques de consommation plus écologiques se développent telles que le « bio », le commerce équitable et solidaire, le recours aux producteurs locaux, les gestes écocitoyens etc. C'est pourquoi aujourd'hui dans la même lignée, le tourisme durable prend de l'ampleur. Les touristes se sentent de plus en plus concernés par les enjeux environnementaux et sont prêts à voyager plus responsable.

Toutefois, les études ont montré que si beaucoup se disent prêts à faire du tourisme durable et trouve la démarche attractive, en pratique peu de touristes passent à l'acte. Ce fossé entre la volonté et la pratique s'explique notamment par ce que nous avons expliqué plus haut concernant une méconnaissance du tourisme durable et un accès difficile à l'information, mais se justifie également par une image parfois négative de ce type de tourisme.

Si l'intérêt pour le tourisme responsable semble réel, il demeure néanmoins des préjugés empêchant la pratique de ce type de voyages et ralentissant son développement. Selon Atout France, le critère de durabilité peut être vu comme une contrainte et se place ainsi derrière d'autres éléments juges plus importants par les touristes comme le prix, la qualité, le confort etc. Le fait d'être en vacances accroît le sentiment de contrainte dans le fait de consommer durablement et beaucoup de touristes ne semblent pas vouloir pas se préoccuper de l'impact

152 Eurobaromètre - Commission européenne, Attitudes des citoyens européens vis- à-vis de l'environnement, 2008

153 Enquête réalisée à la demande de Booking.com, de février à mars 2018 sur 12 134 individus

154 ADEME, La lettre stratégie n°55, février 2018, p. 1 et 2

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qu'ils ont sur l'environnement pendant ce laps de temps155. Pour beaucoup, ces gestes ne seraient pas d'une grande utilité et ils n'y voient pas d'intérêt. En effet, si l'on compare avec les autres industries polluantes, le tourisme peut sembler beaucoup moins néfaste en termes de nuisances sur la nature, les populations, l'économie. Il est difficile pour un touriste de mesurer l'importance de son impact lorsqu'il voyage. Pourtant, l'incidence du tourisme et en particulier de masse, tel qu'il est pratiqué en majorité aujourd'hui, est très négative à tous les niveaux, comme nous l'avons illustré en première partie. Les individus sondés dans l'étude Atout France considèrent que leur impact est minime et par exemple, dans le cas où ils choisiraient de voyager de manière durable, les avions décolleraient et pollueraient malgré tout. Ainsi, qu'ils consomment mieux ou non, cela n'aurait pas d'impact156.

Ce manque d'intérêt de la part des touristes est également accentué par d'autres facteurs, notamment l'image d'un tourisme très coûteux. Le prix demeure un élément très important dans l'acte de consommation. Les touristes imaginent en effet qu'un séjour ou une prestation touristique dans le cadre du tourisme durable est inévitablement plus onéreux qu'un séjour ou une prestation touristique classique selon Atout France. La première raison évoquée est le coût réel de production du séjour qui est perçu comme plus élevé que pour un séjour classique et la seconde est le risque d'abus sur le prix de vente de la part des voyagistes157.

Le tourisme durable et plus généralement le développement durable est facilement assimilé à la rareté et la préciosité des matériaux et des produits utilisés dans l'esprit des individus. Ce sont des préjugés très récurrents. A titre d'illustration, 71% des Français estiment que l'offre actuelle de tourisme responsable est chère, et 53% estiment que cela revient plus cher de voyager responsable158. Par exemple, il n'est pas rare de penser que des panneaux solaires sont plus onéreux qu'une chaudière ou qu'un ballon d'eau chaude. De même, les excursions prévues lors d'un voyage durable dans des endroits reculés ou au contact des populations locales sont perçues comme plus atypiques ou authentiques et conséquemment plus coûteuses que les excursions d'un voyage classique. Les touristes pensent également que le tourisme durable se pratique dans des pays lointains. Partant, ils sont persuadés que le coût du voyage sera beaucoup plus cher que pour un séjour dans un pays plus proche.

Or, les touristes oublient bien souvent qu'une politique respectueuse de l'environnement s'inscrit sur le long terme. La temporalité est donc un élément important à prendre en compte. S'il peut être entendu que le tourisme durable coûte plus cher que le tourisme classique, il est nécessaire de le penser sur le long terme. Ainsi après retour sur investissement des sommes initialement dépensées pour une démarche plus durable, par un hôtelier par exemple, il sera plus facile de faire des économies : une approche durable vise le recyclage, l'usage de produits moins polluants, une consommation plus basse en énergie ou en eau, une plus large réduction

155 Atout France, Tourisme et développement durable, 2011, p. 39

156 Id. p. 40

157 Id. p. 44

158 Op. cit. Harris Interactive pour Voyages-sncf.com et Routard.com

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des déchets etc. Sur le long terme, les économies réalisées permettent aux professionnels d'absorber les investissements. Ces actions mènent ainsi nécessairement vers une réduction des coûts et une optimisation des ressources permettant ainsi d'améliorer la qualité du service et même la possibilité de réinvestir pour une démarche encore plus durable et respectueuse de l'environnement.

Par ailleurs, si les touristes démontrent un réel engouement pour le tourisme durable mais ne passent pas toujours à l'action, il convient de relever qu'il existe également un clivage géographique en termes d'achats responsables. Les Français ne consomment pas de la même manière que les Allemands, les Britanniques ou encore les Scandinaves. C'est ce qu'affirme Atout France : comme pour la consommation générale, les voyageurs allemands et britanniques ont des modes de consommation prenant davantage en compte le tourisme durable. Dans l'étude d'Atout France GMV Conseil, 17 % des Allemands et des Britanniques venant en France déclaraient avoir déjà acheté des prestations ou services relevant du domaine du tourisme durable contre 2 % seulement pour les Français159.

Le développement du tourisme durable est actuellement en pleine croissance, mais les comportements des touristes dans leurs modes de consommation paralysent cette progression, du fait notamment d'un manque d'information mais aussi d'idées reçues résistantes et pourtant fausses. Le tourisme durable n'est pas inutile car chaque geste compte, même le plus infime ; le tourisme durable peut à la fois se pratiquer à l'autre bout du monde comme très proche de chez soi ; le tourisme durable n'est pas incompatible avec la notion de plaisir, il est possible de profiter de ses vacances tout en agissant de façon respectueuse envers la nature et les populations ; enfin, le tourisme durable n'est pas plus cher si l'on s'adresse à de bons et sérieux voyagistes réellement engagés.

C. Le greenwashing ou le faux tourisme durable

Si les idées reçues concernant le prix sont si ancrées dans les esprits, c'est en partie parce que les touristes redoutent d'être trompés ou escroqués. En effet, il n'est pas rare dans les stratégies marketing de voir que derrière une façade engagée, ce sont en réalité les intérêts privés qui priment. Bon nombre d'entreprises, tout secteur confondu, se servent des modes et des comportements des consommateurs pour mettre en place des actions de communication destinées à les attirer, quitte à tromper, à mentir ou à changer légèrement la réalité. Dans le tourisme, les voyagistes ne dérogent pas à cette règle, notamment en matière de tourisme durable. Si cette forme de tourisme est au coeur des préoccupations des touristes, désormais de plus en plus sensibles à la cause environnementale, il faut en effet s'attendre à des abus de la part des opérateurs de voyages. C'est ce qu'on appelle le greenwashing.

159 Atout France, Tourisme et développement durable, 2011, p.35

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Selon l'ADEME, le greenwashing ou en français « l'éco-blanchiment », consiste pour une entreprise à orienter ses actions marketing et sa communication vers un positionnement écologique. On utilise ce terme pour définir un message publicitaire vantant les bienfaits environnementaux d'un produit, abusant ou utilisant à mauvais escient l'argument durable. C'est également souvent le fait de grandes multinationales qui, de par leurs activités, polluent la nature et l'environnement. Afin de redorer leur image de marque, ces entreprises dépensent des sommes importantes dans la communication pour « blanchir » leur image, allant même jusqu'à changer leur identité visuelle, c'est pourquoi on parle de greenwashing160. Dans un guide anti-greenwashing161, l'ADEME montre plusieurs exemples et signes permettant de reconnaître des pratiques de greenwashing. Ces méthodes consistent en l'usage excessif et trompeur du mot « vert », des visuels ou logos de couleur verte, la création de labels non officiels voire fictifs, des engagements environnementaux sans lendemain, des argumentaires mensongers des publicitaires pour mieux vendre des produits n'ayant souvent aucun lien avec l'écologie etc. Une étude réalisée par Terra Choice décrypte les « pêchés de la mascarade écologique »162 :

- Compromis caché : le produit est qualifié de vert mais pas les composantes ;

- Absence de preuve : les prétentions ne peuvent être étayées par une documentation facilement accessible ;

- Imprécision : les propos communiqués sont volontairement flous ;

- Non pertinence : communication sur l'absence d'un composant déjà interdit par la loi ; - Affabulation : utilisation de faux labels ;

- Moindre des deux maux : l'argument écologique ne supprime pas les impacts négatifs des produits ou services commercialisés.

En somme, le développement durable consiste en un simple alibi dans les stratégies de communication des entreprises, perçues par les touristes comme opportunistes et uniquement préoccupées par des considérations de rentabilité économique.

En matière de tourisme, les voyagistes sont également amateurs de greenwashing. Dans les faits, il s'agit souvent de professionnels désireux de « surfer sur la vague », le tourisme durable étant en vogue depuis quelques années.

Alors que l'année 2017 a été élue année du tourisme durable par l'OMT163, des critiques ont été émises concernant le greenwashing pratiqué par divers acteurs du tourisme. L'année 2017 a ainsi permis à nombre d'entre eux de faire valoir leur engagement en termes écologiques auprès du grand public et même de mettre en place de nouvelles actions en ce sens. La compagnie aérienne nationale Air France par exemple, s'engage comme acteur du tourisme durable. Afin de sensibiliser ses passagers, la compagnie publie des articles au sein d'Air

160 Cf. < www.greenwashing.fr/definition.html >

161 ADEME, Guide anti-greenwashing, 2012

162 Terra Choice, Les pêchés de la mascarade écologique, 2010

163 Cf. < www.unwto.org >

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France Magazine, diffuse des courts métrages sur le tourisme responsable, soutient de nombreux projets humanitaires, sociaux ou de préservation de la nature164 etc. Air France prévoit également de réduire ses dépenses en carburant et les émissions de CO2 au moyen de nouveaux appareils Airbus et Boeing. Pourtant, la société a été au coeur de polémiques. En 2013, Air France a été sur la liste des finalistes pour un prix très particulier, le prix Pinocchio, dans la catégorie de « l'entreprise ayant mené la campagne de communication la plus abusive et trompeuse au regard de ses activités réelles ». Le prix Pinocchio est organisé par des ONG écologistes et l'association Les Amis de la Terre, et attribué aux entreprises dont les activités nuisent à l'environnement et aux populations. Air France avait financé un programme de lutte contre la déforestation à Madagascar. Mais en réalité, ce sont des zones forestières entières qui ont été confisquées aux populations, contraintes alors de se déplacer. De surcroit, une milice a même été créée pour surveiller les villageois qui voudraient cultiver sur ces zones pour se nourrir165. Ces agissements pourtant louables au départ démontrent parfaitement en quoi consiste le greenwashing dans le secteur du tourisme.

En 2010, c'est la SNCF qui a remporté un prix Pinocchio, pour une publicité prônant une émission de « 0% de CO2. Ou presque ». Finalement, cette campagne s'est révélée trompeuse et mensongère. En effet, les termes utilisés dans le slogan induisaient le consommateur en erreur tout simplement parce qu'atteindre 0% de CO2 est impossible : en France, on utilise majoritairement l'énergie nucléaire pour la production d'électricité, engendrant inévitablement des émissions de CO2166.

Un autre exemple frappant est celui de Center Parcs qui fonde son discours commercial sur des pratiques respectueuses de l'environnement. Selon l'opérateur, grâce à des domaines situés en plein coeur de la nature, le développement durable fait partie intégrante de ses priorités. A l'occasion de la Journée de la Terre, le 22 avril 2018, Center Parc a mis en avant ses engagements et ses actions pour l'environnement : réduction de la consommation en eau et en énergie, recyclage des déchets, énergie solaire etc.167 Pour autant, les pratiques du groupe sèment la discorde, notamment en Isère où le projet de construction d'un nouveau centre pose problème. En pratique, ce projet est contesté par différents groupes militants en raison de la destruction de 250 hectares de forêt, très riches en sources d'eau, zones humides et espèces protégées, ce qui contredit totalement le discours commercial de l'entreprise. Par ailleurs, Center Parcs s'appuie sur une certification européenne, la norme ISO 14.001 pour prouver son engagement durable. Or, l'entreprise décide elle-même des objectifs à atteindre, ce qui ne représente pas vraiment une garantie168. En dépit des efforts pour réduire la consommation en eau ou en énergie, pour préserver la biodiversité, le groupe Center Parcs est loin d'être un exemple. Les infrastructures et plus précisément les piscines des centres

164 Cf. < https://corporate.airfrance.com/fr/actualite/air-france-sengage-pour-le-tourisme-durable >

165 L'Écho Touristique, Air France nominée pour le prix Pinocchio sur le greenwashing, 16 octobre 2013

166 Id.

167 Cf. < https://magazine.centerparcs.fr/nature/journee-de-la-terre >

168 Reporterre, Center Parcs au banc d'essai écolo. Verdict : roi de l'écoblanchiment, 2016

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sont de véritables gouffres à eau et énergie. Il s'agit en réalité, non pas de préserver la nature, mais de la détruire pour construire une mise en scène, faisant croire aux touristes par une parure de labels ou des publicités trompeuses que l'impact écologique est minime et maîtrisé. Cet exemple est typique d'une démarche de greenwashing.

Tous ces exemples de mascarades écologiques pratiquées par les entreprises du secteur touristique sont des freins très lourds au développement du tourisme durable. Cette pratique fallacieuse a pour effet de désinformer les touristes, qui sont désormais beaucoup plus méfiants voire réfractaires à consommer de manière plus durable. A force de discours trompeurs et de publicités mensongères, ils se protègent des arnaques en tout genre et peuvent se désintéresser totalement de la démarche. C'est pour cette raison que l'argument du prix trop élevé est invoqué par les touristes, qui ont peur d'être dupés. De plus, ces pratiques discréditent les efforts de sensibilisation et les actions menées par d'autres acteurs publics ou privés, oeuvrant véritablement pour la cause écologique. A ce titre, il est intéressant de s'interroger sur la nécessité du marketing écologique. Le marketing semble incompatible avec l'éthique du tourisme durable, en particulier si l'on s'attache aux dérives telles que le greenwashing. Pourtant, il est nécessaire pour une entreprise de communiquer sur sa démarche et son engagement en matière durable, puisque paradoxalement, c'est le seul moyen d'atteindre les touristes, aussi bien les adeptes du tourisme durable que les novices. Comme tout outil, le marketing doit être utilisé de façon transparente afin d'obtenir la confiance des touristes, qui de plus en plus sensibles, sont prêts à pratiquer un tourisme en phase avec l'environnement, les populations et la société.

L'essor du tourisme durable ces dernières années est remarquable. Grâce aux actions des pouvoirs publics mais aussi des acteurs privés, la prise de conscience est massive, face aux désastres causés par un tourisme trop intense et tous les effets catastrophiques qu'il a engendré. Avec 1,8 milliard d'arrivées de touristes internationaux prévus par l'OMT pour 2030, il est plus que nécessaire de changer nos habitudes touristiques et tendre vers une limitation de notre impact sur la planète.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams