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Le caractère supranational de la banque centrale européenne au sein du mécanisme de surveillance unique.


par Thibault Fava
Université Paris-Dauphine - Master 2 droit des affaires 2015
  

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Le Caractère supranational de la Banque centrale européenne au sein du Mécanisme de surveillance unique

Mémoire sous la direction du professeur Claudie Boiteau

Master 214 Paris-Dauphine
Année 2014-2015

1

Thibault Fava

2

SOMMAIRE

INTRODUCTION 3

PARTIE I : L'EFFACEMENT DES AUTORITÉS NATIONALES DANS LE CADRE DES

COMPÉTENCES EXCLUSIVES DE LA BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE 21
Section 1 : La modestie du rôle des autorités nationales lors de l'accès à l'exercice de l'activité

bancaire 21

I. L'Impossibilité dommageable pour les autorités nationales de délivrer l'agrément

indépendamment d'une décision de la BCE 22

II. L'interaction inéquitable entre les autorités nationales et la Banque centrale

européenne dans le cadre de la procédure de retrait d'agrément 28
Section 2 : L'emprise de la Banque centrale européenne sur d'autres aspects de la surveillance

prudentielle 34

I. La curieuse compétence spécifique de la BCE en matière d'acquisitions de

participations qualifiées 35

II. Le caractère peu lisible de la compétence exclusive de la Banque centrale européenne

dans le cadre de la liberté d'établissement 39
PARTIE II : LA FONCTION DYNAMIQUE DES AUTORITÉS NATIONALES DANS

L'ORGANISATION COURANTE DU MÉCANISME DE SURVEILLANCE UNIQUE 44
Section 1: Un rôle d'assistance primordial des autorités nationales dans la surveillance

prudentielle directe exercée par la BCE 44

I. Un pouvoir supranational de la BCE lui permettant d'exercer une surveillance directe

sur certains établissements de crédit 44

II. Le concours nécessaire des autorités nationales dans le cadre de la surveillance

prudentielle directe 51
Section 2 : Un fort pouvoir d'intervention de la Banque centrale européenne restreignant le principe d'une surveillance directe de certains établissements de crédit par les autorités

nationales 58

I. Une possibilité à priori étendue pour les autorités nationales d'exercer une surveillance

directe des établissements de crédit 58

II. L'influence potentiellement décisive de la Banque centrale européenne sur la

supervision des établissements « moins importants » 64

CONCLUSION 70

Bibliographie 71

3

Introduction

Les autorités nationales de régulation bancaire de la zone euro, avec la mise en place du Mécanisme de surveillance unique, vont perdre leur compétence de surveillance directe sur plusieurs établissements de crédit. Le coeur du sujet sera de présenter l'interaction entre la Banque centrale européenne (BCE) et les autorités nationales dans le fonctionnement de ce mécanisme de supervision unique. Mais avant d'analyser cette question, il est nécessaire d'aborder quelques points préalables à l'étude principale. La mise en place du Mécanisme de surveillance unique n'affectera pas seulement les autorités nationales qui en font partie. Ses conséquences se feront tout d'abord ressentir au sein même de la BCE, puis, en second lieu, sur les autres institutions de l'Union européenne ayant des compétences en matière bancaire. Ainsi l'introduction consistera en une brève présentation de l'Union bancaire suivie des problématiques liées à la séparation des missions de surveillance prudentielle et de celles en matière de politique monétaire. Enfin, il faudra également aborder les conséquences du Mécanisme de surveillance unique sur l'Autorité bancaire européenne.

Présentation de l'Union bancaire

Le traité de Rome du 25 mars 1957 ne se préoccupait absolument pas du droit bancaire. Il ne comprenait aucune disposition à cet égard. Ce n'est qu'au début des années 1970 qu'apparaîtront les premières directives européennes relatives au droit bancaire, notamment la directive 73/183/CEE du 28 juin 1973 concernant la suppression des restrictions aux libertés d'établissement et de prestation de services dans le secteur des services bancaires ou encore la directive 89/646/CEE du 15 décembre 1989 portant sur la reconnaissance mutuelle des agréments bancaires. Cela va permettre à une banque de créer une succursale dans toute la Communauté. À partir de là, les États commencent à perdre leur souveraineté sur le droit bancaire.

Le 30 mai 2012, la commission européenne attire l'attention sur la création d'une union bancaire. Cependant, le Parlement européen avait déjà demandé, par une résolution du 13 avril 2000, qu'une institution européenne soit en charge de la surveillance directe des établissements financiers.

L'Union bancaire marque la volonté d'intégrer davantage la surveillance bancaire. Cette dernière se fonde sur trois piliers : un mécanisme de surveillance unique, un mécanisme de résolution unique et un système de garantie des dépôts. L'un des objectifs de cette Union est d'atténuer le lien entre la dette publique et privée. Cela permettra en effet de mieux surveiller les établissements de crédit afin que les contribuables n'aient pas à supporter les conséquences de leurs éventuelles défaillances.

4

L'Union bancaire devra surmonter les déstabilisations liées à la crise financière. Elle a été créée afin de sauvegarder la stabilité financière.

Il est certain que cette Union Bancaire aura pour conséquence une perte de souveraineté des États membres. Jusqu'aujourd'hui, bien que les normes bancaires soient largement issues des institutions européennes, chaque autorité nationale était libre dans l'application de ces règles. Les traditions de chaque État membre font apparaître de grandes différences en termes d'interprétation du Droit en général. Désormais la régulation bancaire s'effectuera au niveau européen selon des méthodes précises qui laisseront moins de liberté d'adaptation aux autorités nationales.

L'Union Bancaire sera régie par un règlement unique applicable à tous les Etats membres qui permettra d'établir des normes similaires. Ce règlement est déjà pour partie entré en vigueur mais il devra être complété au cours des années à venir. Ces règles concernent avant tout les exigences de fonds propres, la protection des déposants, et la résolution des banques défaillantes. Les piliers de l'Union bancaire serviront à ce que « le corpus réglementaire unique pour les services financiers s'applique de la même manière aux établissements de crédit de tous les Etats membres ».1 En effet, la seule harmonisation des règles ne supprime pas la possibilité qu'ont les autorités d'interpréter le droit à leur avantage et ainsi de réduire la qualité de la supervision européenne.

La présentation du Mécanisme de surveillance unique sera suivie de celle du Mécanisme de résolution unique ainsi que du système de garantie des dépôts.

Le Mécanisme de surveillance unique : premier pilier de l'union bancaire

Le premier pilier de l'Union bancaire, entré en vigueur le 4 novembre 2014, est le Mécanisme de Surveillance Unique (MSU) ; sa création se fonde sur l'article 127 point 6 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) qui dispose : « Le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale à l'unanimité, et après consultation du Parlement européen et de la Banque centrale européenne, peut confier à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit et autres établissements financiers, à l'exceptions des entreprises d'assurance ».

Cet article permet de confier à la BCE des fonctions relatives au contrôle prudentiel des banques. Sur

1Considérant 32 du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013

5

ce fondement sera adopté le règlement UE n°1024/2013 du 15 octobre 2013 (règlement MSU) confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit.

L'article premier de ce règlement rappelle les raisons de la création du MSU, à savoir « contribuer à la sécurité et à la solidité des établissements de crédit et à la stabilité du système financier au sein de l'Union et dans chaque Etat membre ». Le guide relatif à la surveillance bancaire paru en septembre 20142 énonce encore plus clairement les trois principaux objectifs du MSU ; garantir la sauvegarde et la solidité du système bancaire européen, accroître l'intégration et la stabilité financières et assurer une surveillance cohérente. Le règlement de 2013 voit même le MSU comme capable de « jeter les bases de la reprise économique »3

Le règlement MSU définit le Mécanisme de surveillance unique comme « le système de surveillance financière composé de la BCE et des autorités compétentes nationales des Etats membres participants »4. Il est d'ores et déjà opportun de préciser que le MSU est un mécanisme qui n'est pas seulement lié aux institutions européennes mais qui comprend également les autorités nationales en son sein. Il serait erroné de voir le MSU comme émanant uniquement de la Banque centrale européenne. Il conviendra donc de distinguer la fonction de surveillance prudentielle de la BCE et le Mécanisme de surveillance unique qui est composé de la Banque centrale mais également des autorités nationales des États membres.

Le fait que la Banque centrale devienne l'autorité de supervision offrira une meilleure application des règles au sein des États participants tout d'abord parce que cela permettra une surveillance plus neutre se détachant des considérations nationales5. Cela devrait également mettre un terme à la pratique consistant à tirer avantage des différences en termes d'application des règles harmonisées et de contrôles par les différentes autorités nationales . En effet, certaines autorités étaient plus aux moins intrusives, contrôlaient plus ou moins souvent les établissements de crédit6. Néanmoins, certains Etats ne participeront pas au MSU, la Grande-Bretagne par exemple, connue pour son autorité de régulation permissive. Les établissements de crédit continueront donc à bénéficier de certaines différences entre États participants et non-participants. De plus, certains domaines de la régulation bancaire demeureront aux mains des Etats membres (lutte contre le blanchiment d'argent par exemple). Pour

2Guide relatif à la Surveillance bancaire (septembre 2014)

3Considérant 2 du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013

4Article 2(9) du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013

5The single supervisory mechanism or «SSM«, part one of the Banking Union by Eddy Wymeersch

6L'Unione Bancaria Europea Intervento di Carmelo Barbagallo

6

tous ces sujets, subsisteront des divergences juridiques.

Le règlement de 2013 n'était pas suffisant car les questions de répartition des compétences entre autorités nationales et Banque Centrale Européenne n'étaient pas assez précisées. C'est la raison pour laquelle a été pris le règlement du 16 avril 2014 établissant le cadre de la coopération au sein du mécanisme de surveillance unique entre la BCE, les autorités compétentes nationales et les autorités désignées nationales (« règlement-cadre MSU »).

L'organe de la BCE s'occupant de la surveillance prudentielle est le conseil de surveillance prudentielle dont Mme Danièle Nouy a été nommée présidente le 16 décembre 2013.

Selon Mario Draghi, le Mécanisme de surveillance unique est « né de l'engagement des Etats européens d'accélérer l'intégration ; un engagement dont les racines sont liées à nos idéaux de paix, de sécurité et qui transcendent nos différences nationales respectives »7.

Pour le ministre allemand des finances, Wolfang Schäuble ; « les autorités purement nationales ne peuvent plus surveiller de manière suffisante les grandes banques transfrontalières ». Il s'est ainsi félicité de la prise en charge, par la BCE de la surveillances des grands établissements financiers européens8.

Le président du Parlement européen, Martin Schultz pense que la mise en place d'un mécanisme de surveillance unique impliquant la Banque Centrale Européenne (BCE) est une étape cruciale de la création de l'Union bancaire. Il est, selon lui, fondamental d'unifier la supervision des banques européennes au vu du fait que les marchés financiers sont transfrontaliers9.

Le MSU est également très lié au Mécanisme européen de stabilité (MES) puisqu'il était convenu depuis 2012 que le MES aurait la possibilité de recapitaliser directement les banques, après une décision ordinaire, lorsqu'un mécanisme de surveillance unique impliquant la BCE aura été créé.

Le 8 décembre 2014, le conseil des gouverneurs du mécanisme européen de stabilité a adopté l'instrument de recapitalisation directe des banques10. Auparavant, le MES ne pouvait prêter de l'argent qu'à l'État de l'établissement de crédit concerné.

7Europe's pursuit of 'a more perfect Union' Lecture by Mario Draghi, President of the ECB

8 http://www.allemagne.diplo.de/Vertretung/frankreich/fr/ pr/nq/2014-11/2014-11-05-bce-pm.html
9Schulz on the Single Supervisory Mechanism Brussels- 04-11-2014

10Revue Banque n°779 numéro double 779-780 : Rétrospective 2014-Prospective 2015

7

Deux autres piliers qui seront analysés successivement sont au coeur de l'Union bancaire.

Un Mécanisme de résolution unique et un Système de garantie des dépôts

Le mécanisme de surveillance unique n'est pas le seul pilier de l'Union bancaire, il devrait y avoir également un mécanisme de résolution unique ainsi qu'un système de garantie des dépôts.

Le mécanisme de résolution unique (MRU) devrait concerner les mêmes établissements de crédit que le MSU. Le mécanisme entrera en jeu si, malgré la supervision unique, une banque faisait faillite. Le MRU assurera une résolution efficace. Il devrait comporter un Conseil de résolution unique pour la gestion des procédures de résolution des banques ainsi qu'un Fonds de résolution unique dont le financement serait assuré par le secteur bancaire. Il entrera en vigueur à partir de 2016. Il a déjà fait l'objet d'un règlement européen du 15 juillet 2014 (806/2014) établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d'investissement dans le cadre d'un mécanisme de résolution unique et d'un Fonds de résolution bancaire unique. Le 19 décembre 2014, le Conseil a nommé les membres permanents du Conseil de résolution11.

L'autre pilier concerne la garantie des dépôts à hauteur de 100 000 euros en cas de faillite bancaire. Ce pilier permettra d'éviter les retraits massifs de dépôts et d'empêcher leurs effets néfastes sur l'économie. Le système de garantie des dépôts fait l'objet d'une directive 2014/49/UE publiée au journal officiel de l'Union européenne le 12 juin 2014.

Il conviendra de s'intéresser plus particulièrement au Mécanisme de Surveillance Unique et aux questions qu'il pose, notamment dans les relations avec les autorités nationales des Etats membres. Cependant, auparavant, d'autres interrogations émanent de la création du MSU, tout d'abord au sein même de l'Union européenne. C'est pourquoi il faudra, en premier lieu, évoquer la question de l'indépendance de la Banque centrale européenne dans le cadre de ses nouvelles missions issues du règlement de 2013.

L'Indépendance de la BCE dans les missions de surveillance prudentielle

La question de la séparation des missions de politique monétaire et des missions de surveillance prudentielle ne se serait sans doute pas posée s'il avait été possible de confier ces dernières à une autre

11Commission européenne - Communiqué de presse, L'union bancaire de l'UE est sur les rails : le Conseil nomme les membres permanents du conseil de résolution unique et adopte la méthode de contribution des banques aux fonds de résolution, 19 décembre 2014

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autorité que la Banque centrale.

L'impossibilité de confier la surveillance prudentielle à une autre autorité

La surveillance prudentielle unique a été confiée à la Banque Centrale Européenne, ce choix n'est pas sans poser de nombreuses questions. Tout d'abord, il faut se demander s'il s'agit d'un choix opportun ou d'un choix par défaut.

Selon un arrêt du 13 juin 1958 de la Cour de Justice des Communautés Européennes ; « l'autorité déléguante ne peut investir l'autorité délégataire de pouvoirs différents de ceux qu'elle-même a reçus du traité. La délégation d'un pouvoir discrétionnaire à des autorités différentes de celles qui ont été établies par le traité pour en assurer et en contrôler l'exercice dans le cadre de leurs attributions respectives porterait atteinte à la garantie résultant de l'équilibre des pouvoirs »12.

Ainsi il était difficile de confier à une autre autorité que la BCE les missions de surveillance prudentielle. En effet, l'article 127 (6) du TFUE dispose que le BCE peut se voir confier des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit et autres établissements financiers. La possibilité pour la BCE d'exercer des missions de surveillance prudentielle était donc prévue par le traité et ne se heurtait pas à l'arrêt Meroni sus-cité.

De plus, le service juridique du Conseil a déclaré que le Traité, bien qu'autorisant une telle délégation de pouvoir à la BCE, l'exercice de cette dernière ne devait pas altérer de façon trop sensible le pouvoir décisionnaire de la Banque centrale européenne. De telle sorte que le dernier mot doit revenir au Conseil des gouverneurs13.

Cependant, récemment, la Cour de Justice de l'Union européenne a rendu une décision susceptible de modifier la portée de la « doctrine Meroni »14. D'après cet arrêt du 22 janvier 2014, elle a décidé que le régime de la délégation de pouvoir est différent selon que l'autorité délégataire soit de droit privé ou de droit public. En l'espèce l'autorité délégataire était l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), « entité de l'Union créée par le législateur de cette dernière ». Elle a ensuite précisé, dans le cas de l'AEMF, que les pouvoirs dont dispose cette dernière sont encadrés de façon précise et sont susceptibles d'un contrôle juridictionnel au regard des objectifs fixés par l'autorité déléguante et qu'ils

12Arrêt de la Cour du 13 juin 1958. Meroni & Co., Industrie Metallurghiche, società in accomandita semplice contre Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Affaire 10-56

13Avis juridique (9 octobre 2012, 14752/12) non publié

14Arrêt de la Cour (grande chambre) du 22 janvier 2014 : Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord contre Parlement européen et Conseil de l'Union européenne. Affaire C-270/12

9

n'impliquent pas que l'AEMF est investie d'un large pouvoir discrétionnaire incompatible avec le traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne TFUE.

Par conséquent, au vu de cet arrêt, le pouvoir de surveillance prudentielle n'aurait-il pas pu être délégué à une entité de l'Union autre que la BCE ? Par exemple l'Autorité bancaire européenne, qui semblait mieux adaptée à ces missions. En outre, les questions relatives à la séparation entre les missions de surveillance et de politique monétaire propres à la BCE ne se seraient pas posées. Peut-être aurait il fallu conférer les pouvoirs de surveillance à l'ABE en les encadrant suffisamment de manière à ce qu'ils ne soient pas incompatibles avec les dispositions du TFUE.

La Commission était consciente des contraintes que faisait peser le TFUE sur la création du MSU. Dans une communication du 28 novembre 2012 « Projet détaillé pour une Union économique et monétaire véritable et approfondie », elle a déclaré qu'il était possible de songer à une modification de l'article 127 §6 du TFUE15. Ce n'est toutefois pas le choix qui a été fait. Se posent donc des interrogations relatives à l'indépendance de la BCE. Les choix de cette dernière ayant trait aux missions de surveillance seront-ils influencés par ses compétences d'origine concernant la politique monétaire ? Quels dispositifs le règlement MSU a t-il mis en place pour contrer une confusion qui serait néfaste et réduirait substantiellement la qualité de la surveillance prudentielle unique ?

Le système envisagé par le règlement MSU a du mal à convaincre, il est prévu que les décisions relatives aux questions de surveillance prudentielle soient préparées par un conseil de surveillance et soumises ensuite au Conseil des gouverneurs, qui aurait le pouvoir de rejeter la décision. Cependant, il convient de rappeler que le Conseil des gouverneurs décide également des questions de politique monétaire. Cela peut sembler contraire au principe de séparation des pouvoirs souhaité et indispensable.

Le règlement MSU a fait de la question de la séparation des pouvoirs un point crucial en affirmant clairement que les deux missions de la BCE « devraient (...) être exécutées de manière totalement séparée afin de prévenir les conflits d'intérêts et de faire en sorte que chacune des missions soit exercée conformément aux objectifs applicables »16.

Il est donc impératif de s'intéresser à l'examen concret des solutions mises en place pour assurer une

15« Some of the instruments can be adopted within the limits of the current Treaties. Others will require modifications of the current Treaties and new competences for the Union ».

16Considérant 65 du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013

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séparation efficace entre les missions de surveillance et de politique monétaire.

La séparation des missions de surveillance et de politique monétaire

Le règlement MSU prévoit un article spécifique17 sur la séparation des différentes missions au sein de la BCE. Il est prévu que « la BCE s'acquitte des missions que lui confie le présent règlement sans préjudice de ses missions de politique monétaire et de toute autre mission et séparément de celles-ci . Les missions que le présent règlement confie à la BCE n'empiètent pas sur ses missions en rapport avec la politique monétaire et ne sont pas influencées par celles-ci ». Cette affirmation n'est qu'un principe et ne nous donne aucune information concrète sur la séparation des missions de la BCE.

Il faut lire la suite de l'article pour avoir un aperçu de la méthode suivie par le règlement afin de réaliser une séparation effective : « le personnel chargé des missions confiées à la BCE par le présent règlement relève d'une structure organisationnelle distincte et de lignes hiérarchiques séparées de celles dont relève le personnel chargé d'autres missions confiées à la BCE ». Ici, il est possible de comprendre que les missions relatives à la surveillance prudentielle relèveront d'une organisation séparée. Comment sera mise en place cette séparation ? s'agit-il d'une séparation seulement organisationnelle ou également géographique ?

Il se trouve que le conseil de surveillance sera basé à Francfort, en Allemagne tout comme les autres organes de la BCE. Il devrait donc s'agir d'une séparation fonctionnelle. Quant aux lignes hiérarchiques distinctes, les termes sont assez peu compréhensibles puisque le conseil des gouverneurs sera amené à se prononcer sur les décisions préparées par le conseil de surveillance. Il est donc difficile de distinguer une différence dans la hiérarchie selon la mission exécutée par la BCE.

L'article semble expliciter la notion de lignes hiérarchiques distinctes dans son paragraphe 4 : « la BCE fait en sorte que le fonctionnement du conseil des gouverneurs soit totalement différencié en ce qui concerne les missions de politique monétaire et les missions de surveillance. A cette fin il convient de prévoir notamment des réunions et des ordres du jour strictement séparés ». Le Conseil des gouverneurs devrait donc adopter un fonctionnement différent lorsqu'il évoque les questions de surveillance prudentielle. Il est possible de penser que la séparation des réunions et des ordres du jour n'aura que peu d'influence sur la possibilité qu'auront les gouverneurs d'influer sur la surveillance prudentielle. Concrètement, rien n'empêche véritablement les gouverneurs de s'appuyer sur les décisions en matière de politique monétaire pour décider de refuser une décision préparée par le

17Article 25 du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013

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conseil de surveillance. Ce seront les mêmes personnes qui devront décider de questions portant tant sur les missions de surveillance que sur les missions de politique monétaire.

L'instrument qui semble le plus efficace, prévu par le règlement MSU, afin de garantir l'indépendance de la BCE dans sa fonction de surveillance, est en réalité le comité de médiation censé régler les divergences de vues exprimées par les autorités compétentes des Etats membres participants concernés quant à une objection du conseil des gouverneurs à l'égard d'un projet de décision du conseil de surveillance. Ce comité inclura un membre par État membre participant choisi parmi les personnes composant le Conseil des gouverneurs et le conseil de surveillance. Son président sera le vice président du conseil de surveillance prudentielle et ne sera pas membre du comité, il devra favoriser l'équilibre entre le nombre de membres du Conseil des gouverneurs et le nombre de membres du conseil de surveillance prudentielle. Ce comité statuera à la majorité simple, chaque membre disposant d'une voix18. Il faudra examiner dans quelle mesure les décisions de ce comité de médiation contraindront le Conseil des gouverneurs à revoir sa position. S'il s'agit d'un simple avis, il est ici aussi possible d'émettre des doutes sur la séparation effective des missions de surveillance prudentielle et de politique monétaire. Il semblerait que la médiation consiste simplement en une discussion avec la Banque centrale européenne aux fins d'établir une solution. Par conséquent, le conseil des gouverneurs pourrait de toute façon passer outre la solution proposée par le comité de médiation.

Le seul recours contre la décision du conseil restera donc la Cour de Justice.

Selon certains auteurs19, la procédure de médiation ne pourrait être mise en oeuvre qu'en cas d'objection du conseil des gouverneurs relative à des questions de nature monétaire. Comment sera définie l'objection de nature monétaire ? Si cette dernière est définie trop strictement, il deviendra compliqué de saisir le comité de médiation et cela affaiblira encore plus l'indépendance de la BCE dans sa fonction de surveillance.

Il aurait certainement été préférable de pousser plus loin la séparation des fonctions de surveillance et de politique monétaire. Par exemple en séparant géographiquement les organes chargés de chacune des missions. Malheureusement, le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdit de confier le pouvoir décisionnaire à un autre organe que le Conseil des gouverneurs. Néanmoins, il aurait peut être fallu approfondir la réflexion relative à la modification du traité car tant que le conseil

18Article 25(5) du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013

19The single supervisory mechanism or «SSM«, part one of the Banking Union by Eddy Wymeersch

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aura le mot final sur les deux piliers de la Banque centrale européenne il sera difficile de parler de réelle indépendance malgré toutes les affirmations de principe du règlement. Les mesures organisationnelles mises en place, notamment la séparation des organes de « préparation » des décisions, ne garantissent pas une totale autonomie de la fonction prudentielle de la BCE.

Le 17 septembre 2014, la Banque Centrale Européenne a toutefois rendu une décision relative à la mise en oeuvre de la séparation des fonctions de politique monétaire et de surveillance prudentielle de la Banque centrale européenne20. Cette décision traite particulièrement du secret professionnel et de l'échange d'information entre les deux domaines fonctionnels. Selon cette décision : « la BCE garantit des procédures décisionnelles indépendantes pour ses misions de surveillance prudentielle et de politique monétaire »21. Elle vient rappeler également que le personnel participant à l'exécution de missions de surveillance prudentielle est différent de celui participant aux autres missions confiées à la BCE. Il est intéressant de noter que le personnel relatif à la surveillance, dans le cadre de ses missions, dépend hiérarchiquement du président et du vice-président du conseil de surveillance prudentielle22. Cela explique peut être la notion de lignes hiérarchiques distinctes sus-citée. Cela ne résout cependant pas le problème d'absence d'indépendance car le personnel sera, certes, indépendant dans la préparation de la décision, cependant cette décision devra tout de même être soumise au conseil des gouverneurs qui aura le pouvoir d'émettre une objection.

A propos du secret professionnel, cette décision de la BCE précise que « l'échange d'informations confidentielles entre les deux domaines fonctionnels est soumis aux règles de gouvernance et de procédure fixées à cette fin et au besoin d'être informé, lequel est prouvé par le domaine fonctionnel de la BCE qui fait la demande »23. Les conflits relatifs à l'accès à l'information seront réglés par le directoire24. Il est également prévu qu'aucun des deux domaines fonctionnels ne divulgue d'informations contenant des évaluations ou recommandations à l'autre domaine fonctionnel, sauf sur demande25. Ces dispositions relatives à l'échange d'informations sont primordiales pour préserver un minimum d'indépendance entre les deux structures organisationnelles, il ne faudrait pas qu'une des structures puisse influencer l'autre en lui indiquant, même de manière non-coercitive, une façon de fonctionner. Comme l'exige le règlement MSU, la BCE devra compléter ses règles internes afin de

20Décision de la Banque Centrale Européenne du 17 septembre 2014 relative à la mise en oeuvre de la séparation des fonctions de politique monétaire et de surveillance prudentielle de la Banque centrale européenne (BCE/2014/39) (2014/723/UE)

21Article 3(1) de la Décision de la Banque Centrale Européenne du 17 septembre 2014 (BCE/2014/39) (2014/723/UE) 22Article 3(3) de la Décision de la Banque Centrale Européenne du 17 septembre 2014 (BCE/2014/39) (2014/723/UE) 23Article 5(2) de la Décision de la Banque Centrale Européenne du 17 septembre 2014 (BCE/2014/39) (2014/723/UE) 24Article 5(3) de la Décision de la Banque Centrale Européenne du 17 septembre 2014 (BCE/2014/39) (2014/723/UE) 25Article 6(2) de la Décision de la Banque Centrale Européenne du 17 septembre 2014 (BCE/2014/39) (2014/723/UE)

13

garantir la séparation entre les deux fonctions26.

Pour conclure sur l'indépendance de la Banque centrale européenne dans ses fonctions de surveillance, il faut tout d'abord saluer le fait que le Conseil des gouverneurs ne dispose que d'une possibilité d'objection envers les projets de décisions qui lui sont soumis par le conseil de surveillance. Il est heureux que le Conseil ne puisse faire de propositions de modifications de la décision. En outre, le règlement MSU prévoit également que les représentants de la BCE au sein du conseil de surveillance n'ont pas de « fonctions en rapport direct avec les fonctions monétaires de la BCE »27. Au delà de ces deux points positifs, il reste encore beaucoup d'améliorations à prévoir pour garantir une séparation effective. Devenir une autorité de surveillance prudentielle ne s'improvise pas et les débats qui ont remis en cause l'indépendance réelle des autorités nationales ne devraient pas épargner la Banque centrale européenne dans son rôle de régulateur des établissements de crédit.

Avant d'aborder les relations entre les autorités nationales et la Banque centrale européenne, il convient de s'intéresser aux conséquences, internes aux institutions de l'Union européennes, qu'aura le Mécanisme de surveillance unique.

La BCE n'est pas la seule institution européenne ayant des compétences en matière bancaire, il faut donc examiner les conséquences du MSU sur le rôle de l'Autorité bancaire européenne (ABE).

Les conséquences de la création du MSU sur l'Autorité bancaire européenne

*

Le règlement insiste sur la nécessaire coopération entre la BCE et les autres institutions européennes ayant des compétences en matière bancaire et financière. Ainsi « la BCE devrait (...) être tenue de coopérer étroitement avec l'ABE, l'AEMF et l'AEAPP, le comité européen du risque systémique (CERS) et les autres autorités qui font partie du SESF »28. Le règlement parle ainsi d'un devoir de coopération. Il s'agit donc d'une obligation imposée à la BCE dans le cadre de ses missions de surveillance prudentielle.

L'ABE est sans doute la plus concernée par la mise en place du Mécanisme de Surveillance Unique, elle a pu craindre une diminution de ses compétences au profit de la BCE, cependant, le règlement

26Article 25(3) du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013 27Article 26(4) du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013 28Considérant 31 du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013

14

MSU affirme, dans son considérant 31 que : « la BCE devrait remplir ses missions (...) sans préjudice des compétences et des missions incombant aux autres participants dans le cadre du SESF ». L'ABE, faisant naturellement partie du système européen de surveillance financière (SESF), est donc concernée par ces dispositions et ne devrait normalement pas perdre de compétences.

Le devoir de coopération entre la BCE et les autres autorités faisant partie du SESF est réaffirmé à l'article 3 du règlement MSU29.

Le règlement MSU comporte diverses illustrations de mise en oeuvre concrète de ce devoir de coopération. Par exemple dans les contrôles prudentiels nécessitant la réalisation de tests de résistance : « La BCE est (...) compétente pour exercer (...) les missions suivantes (...) : mener des contrôles prudentiels, y compris, le cas échéant en coordination avec l'ABE, par la réalisation de tests de résistance et leur publication éventuelle »30. Cette disposition a, en réalité, déjà eu l'occasion d'être mise en oeuvre car préalablement à la mise en place du MSU, un processus d'évaluation approfondie des banques a été mené par la BCE et l'ABE en trois phases : une analyse préliminaire du profil de risque des banques, un examen de la qualité des actifs et enfin un « stress test ». Au cours de cette procédure, la BCE et l'ABE ont du coopérer étroitement. En effet, chacune de ces institutions a des compétences spécifiques en matière de test de résistance, la Banque centrale européenne peut entreprendre un test individuel de chaque établissement de crédit sur la base des compétences qui lui sont conférées par le règlement MSU tandis que l'ABE a la capacité d'engager un test de résistance global à l'échelle de la zone euro indépendamment des tests réalisés par la BCE. Toutefois, la Cour des comptes européennes estime « qu'il existe une ambiguïté quant à l'entité qui assume la responsabilité globale de ces tests »31.

La coopération entre la BCE et l'ABE sera également nécessaire au sein des collèges d'autorité de surveillance notamment en raison de la possibilité pour la BCE de conclure des accords avec des Etats qui ne participent pas au MSU portant sur la surveillance prudentielle des banques. Le règlement MSU évoque la conclusion d'accords avec les autorités de surveillance des pays tiers et rappelle que ceux ci devront respecter les compétences de l'ABE32.

29La BCE coopère étroitement avec l'ABE, l'AEMF, l'AEAPP, le Comité européen du risque systémique (CERS) et les autres autorités qui font partie du SESF, qui assurent un niveau adéquat de réglementation et de surveillance dans l'Union

30Article 4(1)f) du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013

31Rapport spécial « La surveillance bancaire européenne prend forme -L'ABE évolue dans un contexte mouvant » FR 2014 n°05 Cour des comptes européenne

32Considérant 80 du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013

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Au delà de ce devoir de coopération, il existe également une obligation d'information de la BCE envers l'ABE prévu par le règlement cadre de 2014 : « La BCE informe l'ABE de toutes les sanctions administratives (...) qui sont infligées à une entité soumise à la surveillance prudentielle dans un État membre de la zone euro, y compris de tout recours relatif à ces sanctions et son issue »33.

La Cour des comptes européenne a émis des doutes sur la réalité de l'absence de chevauchement de compétences entre l'ABE et la BCE, elle s'est interrogée sur le futur rôle de l'ABE dans la surveillance des banques et a clairement recommandé une « séparation claire des rôles et des responsabilités de l'ABE, de la BCE et des ANS ».

La commission a ensuite répondu à la Cour des comptes européenne en estimant que le rôle de l'ABE et de la BCE est « clairement défini dans les règlements correspondants ». Elle n'a cependant pas donné d'éléments probants qui garantissent une réelle distinction des compétences de chacune de ces institutions et s'est contentée de rappeler les affirmations de principe concernant notamment le devoir de coopération34.

Malgré tout, il ne faut pas exagérer l'éventuelle superposition de compétences entre ces deux institutions, l'Autorité bancaire européenne n'est pas une autorité de régulation et n'a aucun pouvoir coercitif direct sur les banques, elle ne peut que coordonner l'action des diverses autorités nationales.

La question qui se pose est de savoir si la BCE sera considérée comme une autorité nationale dans le cadre du rôle normatif que continuera d'avoir l'ABE.

*

L'Autorité Bancaire Européenne a un rôle important d'élaboration de normes : « L'ABE est chargée d'élaborer des projets de normes techniques, ainsi que des orientations et des recommandations, en vue d'assurer la convergence de la surveillance et la cohérence des résultats de la surveillance dans l'ensemble de l'Union »35. Dans cette fonction, elle pourra être assistée de la BCE. Selon le règlement MSU, elle pourra par exemple attirer l'attention sur la nécessité de proposer à la commission des projets de normes modifiant celles déjà en vigueur36. L'ABE est également en charge de la conception

33Article 133 du Règlement (UE) n°468/2014 de la Banque centrale européenne du 16 avril 2014

34Rapport spécial « La surveillance bancaire européenne prend forme -L'ABE évolue dans un contexte mouvant » FR

2014 n°05 Cour des comptes européenne

35Considérant 32 du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013

36Article 4(3) du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013

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du règlement uniforme. Encore une fois, le règlement MSU affirme le maintien des compétences de l'ABE en ce que la BCE ne pourra s'y substituer dans l'exercice de ses misions de surveillance. Pourtant, l'article 132 du TFUE donne pouvoir à la BCE d'adopter des règlements. Comment le pouvoir réglementaire de la BCE s'articulera-t-il avec le rôle normatif de l'ABE ?

Le rôle réglementaire de l'Autorité Bancaire Européenne ne sera pas affecté par la mise en place du Mécanisme de surveillance unique. Cette affirmation est rappelée dans le règlement de 2013 modifiant le règlement instituant une Autorité européenne de surveillance en ce qui concerne des missions spécifiques confiées à la Banque centrale européenne en application du règlement n°1024/201337.

La Cour des comptes européennes signale cependant que la BCE travaille aussi sur des manuels de surveillance et qu'il faudrait clarifier les aspects couverts par chacun de ces manuels. Elle pointe du doigt le risque de règles contradictoires ou confuses.

Malgré tout, les dispositions du règlement MSU semblent claires ; si la BCE peut adopter des orientations, recommandations et arrêter des décisions, elle reste soumise, dans cet exercice « aux normes techniques contraignantes de réglementation et d'exécution élaborées par l'ABE et adoptées par la Commission (...) et aux dispositions (...) relatives au manuel de surveillance européen élaboré par l'ABE »38.

Un point reste cependant en suspens à propos de la possibilité, pour la BCE, d'adopter des règlements, prévue par le règlement MSU : il n'est pas spécifié que ceux-ci devront respecter les normes techniques élaborées par l'ABE mais simplement qu'ils ne pourront être pris que « dans la mesure où cela s'avère nécessaire pour organiser ou préciser les modalités de l'accomplissement des missions qui lui sont confiées par le règlement ». En réalité ces règlements ne devraient pouvoir violer les normes de l'ABE puisque se limitant à l'organisation des missions confiées à la BCE par le règlement MSU, ce dernier garantissant lui même l'absence d'interférence de ces missions de surveillance avec celles de l'ABE. A condition toutefois que la BCE interprète strictement l'article lui octroyant ce pouvoir réglementaire.

Tout porte à croire que la BCE sera tenue de respecter les normes techniques élaborées par l'ABE ainsi que son manuel de surveillance européen. Il est opportun qu'il en soit ainsi car ce serait conférer

37Considérant 4 du Règlement (UE) n°1022/2013 du 22 octobre 2013

38Article 4(3) du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013

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un pouvoir trop important à la Banque centrale que de l'affranchir de règles auxquelles sont soumises les autorités nationales de surveillance. De plus la possibilité, pour la BCE, de bénéficier d'un pouvoir de réglementaire général aurait réduit l'équilibre entre les compétences de cette dernière et celles de la Commission européenne et de l'Autorité bancaire européenne.

Enfin, l'ABE exercera les mêmes missions sur la BCE que celles qu'elle exerce sur les autorités de surveillance des Etats membres. Cette solution a été confirmée par le règlement du 22 octobre 2013. Cette décision est logique, il aurait été étrange que la BCE, nouvelle autorité de supervision unique, ne soit pas soumise à l'ABE, en particulier dans les contextes de règlement des différends entre autorités de régulation. L'ABE continuera d'être compétente, en conséquence, en cas de conflit entre la BCE et une autorité nationale d'un Etat membre non-participant par exemple39.

Sur certains points, la Banque centrale européenne aura même moins de prérogatives que les autres autorités nationales puisque dans la composition du conseil des autorités de surveillance, il est prévu, certes, un représentant de la Banque centrale européenne nommé par le conseil de surveillance, mais ce dernier ne pourra prendre part au vote contrairement au directeur de chaque autorité publique nationale compétente « pour la surveillance des établissements financiers dans chaque État membre »40. Il peut paraître étonnant que la BCE n'ait pas le droit de vote alors même qu'elle est désormais l'autorité de régulation pour la majorité des Etats membres de l'Union européenne. Cela peut poser problème puisqu'il était prévu dans le règlement portant sur l'ABE, avant sa modification en 2013, que les membres du conseil des autorités de surveillance n'ayant pas le droit de vote ne pouvaient pas assister aux discussions portant sur des établissement financiers individuels41. Or, la BCE, dans sa fonction de surveillance prudentielle est directement intéressée par ces questions. Fort heureusement, la modification du règlement a introduit une exception et il est désormais prévu que : « Les membres ne prenant pas part au vote et les observateurs, à l'exception du président, du directeur exécutif et du représentant de la Banque centrale européenne nommé par son conseil de surveillance, n'assistent pas aux discussions du conseil des autorités de surveillance portant sur des établissements financiers individuels »42.

Les craintes de l'ABE de voir ses compétences s'amoindrir en raison de l'apparition du Mécanisme de surveillance unique ne semblent pas fondées. En réalité l'ABE aura substantiellement les mêmes

39Considérant 12 du Règlement (UE) n°1022/2013 du 22 octobre 2013

40Article premier(21)a) du Règlement (UE) n°1022/2013 du 22 octobre 2013

41Article 44(4) du Règlement (UE) n°1093/2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire

européenne)

42Article premier(24)b) du Règlement (UE) n°1022/2013 du 22 octobre 2013

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pouvoirs sur la BCE que ceux qu'elle a exercé jusqu'à présent sur les différentes autorités nationales des Etats membres. Au moins, les inquiétudes de l'ABE auront eu le mérite de faire réagir le législateur européen qui a affirmé à de nombreuses reprises, que ce soit dans le règlement MSU ou dans le règlement modifiant le règlement instituant l'ABE, que les nouvelles compétences de la BCE n'empièteront pas sur les missions dévolues à l'Autorité bancaire européenne.

*

La création du MSU a donc posé de nombreuses questions, tout d'abord au sein même de la BCE puis au regard des autres institutions de l'Union européenne ; il est désormais essentiel de se consacrer au coeur du fonctionnement du MSU : les relations entre les autorités nationales et la Banque centrale européenne.

Le règlement MSU définit l'autorité nationale comme « une autorité compétente nationale désignée par un Etat membre participant conformément au règlement (UE) n°575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement et à la directive 2013/36/UE »43. La définition nous renvoie donc à d'autres dispositions qui définissent l'autorité nationale comme une autorité publique ou un organisme officiellement reconnu par le droit national, qui est habilité en vertu du droit national à surveiller les établissements dans le cadre du système de surveillance existant dans l'État membre concerné44.

Les autorités nationales qui rentreront dans le cadre du Mécanisme de surveillance unique seront donc celles des Etats membres participants habilitées à surveiller les établissements de crédit de leur zone.

L'État membre participant est soit un État membre dont la monnaie est l'euro, soit un État membre qui n'a pas adopté la monnaie unique mais qui a établi une coopération rapprochée45 avec la BCE. Toutes les autorités des États membres ayant adopté l'euro rentrent de fait dans le fonctionnement du MSU. Ce qui n'exclut pas pour autant les autres États membres qui pourront, par le biais d'une coopération, faire partie du MSU. Même si seront examinées plus tard les différences de régimes substantielles en fonction de l'adoption ou non de la monnaie unique par les États membres participants.

43Article 2(2) du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013

44Article 4(1)40) du Règlement (UE) n°575/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 45Article 2(1) du Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013

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En France, l'autorité compétente nationale sera l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), le code monétaire et financier le confirme : « pour la mise en oeuvre du mécanisme de surveillance unique (...) l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution est l'autorité compétente nationale pour la France. A ce titre elle assiste la Banque centrale européenne dans l'exercice des missions de surveillance prudentielle qui lui sont confiées »46.

Un exemple d'autorité de régulation qui ne participera pas au MSU serait la « Prudential Regulation Authority » (PRA), autorité de régulation bancaire britannique47. La Grande-Bretagne étant en dehors de la zone euro, elle ne fait pas partie du mécanisme de surveillance unique. De plus, le gouvernement britannique semble avoir refusé l'éventualité même de conclure un accord de coopération rapprochée préférant conserver la souveraineté de son autorité nationale48.

Quelle place auront les autorités nationales au sein du mécanisme de surveillance unique ?

Jusqu'au 4 novembre 2014, les autorités telles que l'ACPR exerçaient une surveillance directe des établissements de crédit situés au sein de leur État. Avec l'entrée en application du MSU, le rôle des autorités nationales sera certainement moins décisif. La BCE devenant l'autorité de supervision unique, elle sera à priori seule compétente pour exercer ses missions à l'égard de toutes les banques situées dans la zone euro. A s'en tenir à cette affirmation, il est possible de se demander quelle utilité continueront d'avoir les autorités de régulation nationale en matière bancaire.

En vérité, le système mis en place est plus complexe qu'une délégation de pouvoirs totale des autorités nationales envers la BCE. Les autorités nationales continueront de jouer un rôle important au sein du MSU. Cependant , la Banque centrale s'est vue conférer un tel pouvoir par les règlements européens qu'il est parfois difficile de croire que les autorités nationales conserveront une influence prépondérante en matière de surveillance prudentielle.

La question se pose donc de savoir si les autorités nationales continueront d'avoir un réel pouvoir de surveillance prudentielle indépendant ou si leur rôle se limitera à l'assistance de la Banque centrale européenne ?

46Article L612-1 du Code monétaire et financier

47The Prudential Regulation Authority's approach to banking supervision June 2014

48«European Union towards the banking union, single supervisory mechanism and challenges on the road ahead« Mandana Niknejad

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Les autorités nationales n'auront parfois aucun rôle décisif à l'égard des établissements de crédit, et cela, quelle que soit la taille et l'importance systémique de ces derniers. En effet le règlement, sur certains points, a conféré une compétence exclusive à la Banque centrale européenne ne laissant qu'un rôle de préparation et d'assistance aux autorités des Etats membres (Partie I). Cependant, dans le cadre du fonctionnement courant du Mécanisme de surveillance unique, il demeure plausible de croire en une réelle compétence des autorités nationales envers certains établissements de crédit ne remplissant pas les critères des règlements les soumettant à la supervision directe de la BCE. Quoique cette dernière affirmation puisse, elle aussi, être remise en question (Partie II).

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