C- Les néo structuralistes et le
dualisme financier
Les néo structuralistes reprochent aux tenants de la
libéralisation financière de négliger un aspect structurel
des économies des pays en développement : l'existence d'un
secteur financier informel. Mc Kinnon/Shaw considéraient ce secteur
comme un avatar de la répression financière et de la segmentation
de l'économie (Venet, 1994). Pour eux, la segmentation du marché
financier agit négativement sur l'efficacité du système
économique. Dans ce cas, le recours à la libéralisation
financière peut contribuer à réduire la part du secteur
informel et par là, diminuer l'influence du taux d'intérêt
du secteur informel en faveur de celui du secteur formel pour accroitre le
volume de crédit nécessaire pour l'investissement productif. Mais
les néo structuralistes s'opposent à l'idée selon laquelle
le secteur financier informel serait la cause du sous-développement de
ces pays pauvres. Loin d'être un handicap au développement
économique, le secteur informel est le reflet de la structure de la
production et de la richesse de ces pays et serait un facteur de croissance
économique. Ils lui attribuent une grande efficacité en termes
d'allocations des ressources.
Les néo structuralistes considèrent que les
réserves obligatoires constituées par les banques commerciales
auprès de la banque centrale sont un obstacle à
l'intermédiation financière. C'est dans cette mesure que les
préteurs du secteur informel constituent une véritable
alternative aux banques dans le secteur formel d'autant qu'ils ne sont pas
obligés de constituer des réserves obligatoires. Ensuite, dans
l'hypothèse d'une augmentation du taux d'intérêt
réel consécutive à la libéralisation
financière, les néo structuralistes identifient deux
conséquences négatives pour la croissance. D'abord elle
accroît le coût du capital productif, ce qui conduit à une
augmentation du niveau général des prix et à une baisse de
l'investissement qui réduit le taux de croissance de l'économie ;
aussi l'augmentation du taux d'intérêt peut réduire la
demande d'encaisses monétaires, ce qui affecterait alors, à la
baisse l'offre de prêts sur les marchés financiers informels,
provoquant ainsi une augmentation du taux d'intérêt nominal sur le
marché informel (Venet, 1994).
Van Wijnbergen (1983) construit un modèle dans lequel
il suppose que la richesse réelle des agents (w) est composée de
la monnaie (m), des dépôts bancaires à terme (DT) et des
prêts directs au secteur informel (PI). Les trois secteurs sont par
hypothèse substituables et dépendent des mêmes variables
qui sont le taux d'inflation, le taux d'intérêt nominal
d'équilibre du secteur informel (i), le taux d'intérêt
appliqué aux dépôts bancaires à termes et le revenu
(y). Dans ce modèle, les banques constituent des réserves
obligatoires et sont contraintes par les taux d'intérêt
administrés. Les néo structuralistes (Taylor, 1983 ; Van
Wijnbergen, 1983) défendent l'argument selon lequel la mise en oeuvre
d'une politique de libéralisation financière, à travers
l'augmentation des taux d'intérêt sur les dépôts
bancaires, ne contribue en rien au financement de la croissance
économique dans la mesure où l'investissement ne dépend
que du taux d'intérêt réel du secteur informel (i) et du
revenu (y). Mais la hausse de la rémunération des
dépôts à terme des banques peut entrainer deux effets sur
le marché de la monnaie : D'une part, la hausse des taux
créditeurs accroît la demande d'encaisses monétaires et
fait donc déplacer la courbe LM vers le haut (passage en LM'). D'autre
part, il y a un effet de substitution entre la monnaie et les
dépôts à terme: les agents ont tendance à se tourner
vers les dépôts à terme au détriment de la
détention d'encaisses monétaires. Cela provoque une hausse de
l'offre de monnaie.
Pour les Néo-Structuralistes, c'est le premier effet de
substitution qui l'emporte. La libéralisation financière ne
provoquerait que des effets néfastes car les agents substituent
principalement des dépôts à terme aux actifs du
marché informel de sorte que l'offre totale de fonds disponibles pour le
secteur productif diminue car une partie de l'accroissement des
dépôts à terme vient alimenter les réserves
obligatoires, ce qui assèche de surcroit l'offre de fonds
prêtables. Dans ce cas, LM se déplace vers le haut (LM'). La
hausse du taux servi sur les dépôts à terme se traduit par
une hausse du taux nominal sur le marché informel (i passe en i') et par
une baisse du revenu (passage de y à y'). On peut remarquer qu'une
politique monétaire restrictive aura les mêmes effets
néfastes.
Figure 6 : Les effets d'une augmentation du taux
réel sur les dépôts à terme
Source : Lajili (2015), p 23
Cependant L'approche néo structuraliste pose, elle
aussi, un certain nombre de problèmes. Ce modèle suppose une
allocation efficiente des ressources par le secteur informel, et le
côté négatif de la constitution systématique de
réserves obligatoires par le système bancaire. Il est vrai la
finance informelle a un certains nombres d'avantages : bonne implantation
géographique dans des zones où il est difficile au secteur
bancaire officiel de s'implanter compte-tenu des coûts ; absence
d'asymétrie d'information entre prêteurs et emprunteurs dans la
mesure où les prêts ne sont accordés qu'à des
individus membres de la communauté (village, quartier...) où
l'information circule très vite ; enfin, faiblesse du risque
d'aléa de moralité car le mauvais débiteurs risquent
l'exclusion pure et simple de la communauté.
Pourtant le secteur financier informel n'est pas un secteur
homogène. Comme le souligne Venet (1994), il s'agit plutôt d'une
multitude de micromarchés disséminés
géographiquement et n'ayant que peu de rapports entre eux et prenant des
formes très différentes (tontines, prêteurs
individuels...). Dans ces conditions, il paraît difficile de parler de
taux d'intérêt unique d'équilibre du secteur non-officiel.
Par ailleurs le secteur financier informel n'exerce pas à proprement
parler une activité d'intermédiation. En effet
l'intermédiation consiste en la collecte d'épargne et le
financement des activités par la transformation de maturité. Or
il est difficile de trouver des intervenants sur le marché informel qui
assurent à la fois la mobilisation de l'épargne, l'octroi de
prêts et le financement des investissements. On y observe plutôt
une spécialisation de l'activité : collecte de l'épargne
ou octroi de crédit. Les prêts sont de courte durée et de
faibles montants, d'où des coûts de transaction
élevés.
Aussi les néo structuralistes attribuent le faible
niveau d'intermédiation du système financier formel à la
constitution des réserves obligatoires. Prenant cette réflexion
à contre-pieds, Kapur (1992) affirme que les réserves
détenues par le secteur bancaire officiel sont un gage de
liquidité à court-terme et donc qu'elles accroissent la
sécurité du système. Les réserves sont
indispensables compte tenu de l'activité de transformation de
maturité des ressources bancaires (les banques effectuent des
prêts à long terme à partir des dépôts
à court terme). Le système bancaire formel tire donc son avantage
de sa liquidité. Ainsi si le système financier informel veut
connaitre une aussi bonne sécurité, il lui faut constituer des
réserves. Eggoh (2009) rajoute que les activités financées
par les prêts informels sont souvent des activités
illégales et que dans le meilleur des cas, les projets financés
par la finance informelle sont des projets de faible envergure ; et donc pour
un grand projet d'investissement et de développement le recours au
système bancaire formel est indiscutable. Dans la finance informelle les
prêteurs ne sont pas protégés en cas de faillite des
emprunteurs. Ceci rend le marché financier informel très volatile
par rapport aux rumeurs sur les faillites. Les agents courent un risque de
liquidité important qui explique le niveau élevé des taux
d'intérêt sur les marchés informels.
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