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L'art numérique: médiation et mises en exposition d'une esthétique communicationnelle


par Lauren Malka
Celsa-Paris IV - Master 2 de Management Interculturel et Communication 2005
  

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b) Un art démocratique ?

Parallèlement à ces interrogations sur l'aspect révolutionnaire de la création numérique, se dégage des entretiens une remise en question de l'idée de démocratisation impliquée par l'art numérique. Il se développe en effet un discours théorique sur la réception valorisant l'aspect démocratique de l'art numérique, et de manière plus générale et plus ancienne, de l'art contemporain. En effet, les expérimentations de l'art moderne, inaugurées notamment par Marcel Duchamp, revendiquent une libération générale de la pratique de l'art des contraintes classiques de représentation. La pensée post-moderniste a formulé des caractéristiques inhérentes à l'art contemporain, telles que celle d'une relation horizontale et interactive entre l'oeuvre d'art et le public. L'ère contemporaine est ainsi définie comme proprement démocratique dans la mesure où elle vise une désacralisation de l'oeuvre et une mise en relation interactive et parfois ludique à l'oeuvre d'art. L'art numérique confère à la notion de démocratisation de l'art contemporain une dimension particulièrement significative dans la mesure où il implique une relation non seulement interactive entre l'oeuvre et le public, mais également la possibilité d'une participation individuelle à la réalisation et à la définition de l'oeuvre, qu'il s'agisse d'une participation physique ou interprétative. Ainsi, le fait que le spectateur puisse reconnaître son action individuelle et collective sur l'oeuvre en acte semble constituer une illustration tout à fait symbolique et éloquente à l'idée de démocratie.

Or, comment parler de démocratisation et de grand public pour un art qui d'une part ne parvient pas à s'installer de manière durable dans les institutions, et qui d'autre part revendique un aspect conceptuel, parfois difficile à saisir pour le public ? Nous avons cherché à savoir, au travers des entretiens, quelle était la prégnance de cet aspect démocratique dans la conception des artistes et acteurs institutionnels. Le mythe d'un art démocratisé est-il, aux yeux de ces derniers, vérifiable en pratique ?

.Le potentiel de « séduction » de l'art numérique

Une fois de plus, cette question d'un art démocratique ne paraît aller de soi pour aucun des trois artistes interrogés et constitue l'objet de questionnements définitionnels qui se révèlent essentiels. Il semble évident, pour les trois artistes, que l'art numérique possède un potentiel démocratisant qui réside d'une part dans la désacralisation de l'oeuvre d'art et, d'autre part, dans l'implication individuelle du spectateur et son rapport interactif avec l'oeuvre qui lui permet de se reconnaître, physiquement ou mentalement, dans celle-ci. Or, on note dans les trois discours une certaine difficulté à imaginer la perspective réelle d'une démocratisation pour un art aussi conceptuel et difficile à cerner. Pour Moïra Marguin, le potentiel démocratique de l'art numérique réside aussi bien dans les possibilités de diffusion de celui-ci que dans ses possibilités de réception par le public. D'une part, les nouvelles possibilités de diffusion offertes par l'art numérique démystifient l'oeuvre d'art et son public en affranchissant ces derniers du cadre conventionnel du musée. Ces modalités de diffusion étendent le public d'une manière considérable dans la mesure où elles attirent les initiés à l'art contemporain, mais permettent également de toucher des individus qui ne fréquentent pas les musées, ou qui n'ont pas nécessairement développé d'intérêt culturel ou artistique jusqu'alors :

« L'oeuvre numérique pour moi est largement démocratisée par Internet (...) Mais je pense que l'art sera moins dans les musées que sur les réseaux. Les gens qui seront touchés par l'art numérique seront d'abord touchés via Internet» (Cf. Annexe p. XI)

Par ailleurs, sur le plan esthétique, Moïra Marguin souligne le pouvoir démocratisant, qu'il faut comprendre cette fois-ci comme convainquant en soi ou séduisant pour un large public, de ce courant artistique. Ce potentiel de « séduction » de l'art numérique, réside pour elle dans l'aspect tactile, ludique des oeuvres, et précisément dans cette relation de reconnaissance interactive, d'appartenance mutuelle, s'établissant entre le spectateur et l'oeuvre :

« Je pense que l'interactivité en numérique c'est quelque chose qui plaît, c'est très attractif de pouvoir participer à l'oeuvre. On se sent faire partie de l'oeuvre c'est très convivial. Ca amène les gens à la créativité donc c'est forcément positif » (Cf. Annexe p. XI). Régis Cotentin développe également cette idée d'ouverture de l'oeuvre aux spectateurs mais y ajoute une notion plus large de générosité des oeuvres d'art numérique. Pour lui, « les disciplines qui font intervenir du numérique sont des disciplines généreuses et ouvertes, au sens où elles font souvent intervenir différents arts, et au sens où elles vont à la rencontre du public, par leur dispositif et par leur discours esthétique en quelque sorte» (cf. annexe p.III)

Ce courant ouvre aussi bien la pratique artistique que le discours esthétique au sens où il mêle les disciplines et ne s'adresse pas à un public prédéfini ou initié. Enfin, Daniel Cacouault souligne également les éléments expliquant le potentiel démocratisant de l'art numérique. L'artiste élabore une esthétique de la réception au travers d'une typologie sensorielle. Pour lui, la démocratisation ne peut s'élaborer que sur un vécu sensitif, sur des sensations communes. Ainsi, un courant artistique ne peut se démocratiser que dès lors qu'il évoque des sensations communes aux spectateurs :

« Il y a six sens : les sens inférieurs et les sens supérieurs. Les sens inférieurs sont le toucher, le goût et l'odorat ; les sens supérieurs sont l'ouïe, la vue et l'intellect. Les gens qui ne sont pas éduqués, pas cultivés auront toujours un attrait plus spontané pour les choses qu'ils peuvent toucher, sentir, et voir, pas les choses qu'ils peuvent imaginer. Le grand public sera donc attiré par l'aspect multi-sensoriel des oeuvres numériques » (Cf. Annexe p.XIX)

Ainsi, il semble que les trois artistes s'accordent pour voir en l'art numérique un art ouvert, tourné vers un public large, particulièrement par son aspect ludique, interactif et expérimental.

.La tendance hermétique d'un art conceptuel

Or, comme nous l'avons vu, l'art numérique a pour particularité de mêler l'expérimentation multi-sensorielle du publique à un versant interprétatif, souvent impalpable et éphémère. Par ailleurs, la dimension artistique des oeuvres réside souvent moins dans l'aspect expérimental de l'oeuvre que dans son aspect interprétatif. De même que pour nombreux courants de l'art moderne, les oeuvres numériques font primer le concept sur l'aspect matériel de l'oeuvre et ne peuvent être comprises par le spectateur comme des oeuvres d'art qu'après une certaine interprétation, une intellectualisation. Ce dédoublement de l'oeuvre est clairement évoqué par les trois artistes comme l'élément central de la difficulté de la réception et de la médiation de l'art numérique. Ne dit-on pas, en effet, que l'art moderne a signé la fin de l'idée de beauté universelle en art ? Pour Daniel Cacouault, si l'art numérique semble avoir un potentiel démocratisant, en ce qu'il implique une concordance de sensations individuelles, il se révèle très vite peu séduisant pour le public non initié dans la mesure où il implique également et surtout un effort d'interprétation et de conceptualisation qui ne saurait être collectif:

« Le grand public sera donc attiré par l'aspect multi-sensoriel des oeuvres numériques, mais pour le reste c'est de l'art abstrait, c'est un art sans sujet, dont il faut imaginer le thème (...) l'art numérique restera communautaire, ça restera très élitiste. Il y a un potentiel du numérique à la démocratisation mais l'oeuvre d'art numérique ne peut pas être vraiment démocratique puisqu'elle reste l'expression d'une conception du monde sur laquelle tout le monde ne peut pas forcément se retrouver. Pour qu'une oeuvre soit démocratique, il faut qu'elle réussisse à unifier, à connecter les spectateurs autour d'une conception, autour d'un ego d'artiste (...) C'est de l'intime, c'est tout sauf voluptueux. C'est très subtil, c'est du parfum. ». (Cf. Annexe p.XIX)

Ainsi, pour cet artiste, la perspective du développement d'un art démocratique au travers de l'art numérique ne peut être que déceptive pour le public. En effet, cette idée d'un art démocratique peut se créer au travers d'une certaine coïncidence des sensations du public et autour du simple versant interactif et ludique de certaines oeuvres, qui ne saurait être considéré comme artistique. Cependant, un courant dont la dimension artistique réside toute entière dans son aspect conceptuel, c'est-à-dire son versant interprétatif et impalpable, ne saurait durablement, selon lui, réunir un public étendu. En d'autres termes, si une oeuvre d'art comporte toujours plusieurs lectures, plusieurs étapes de compréhension, l'oeuvre numérique a pour particularité de n'acquérir sa dimension artistique qu'à la suite d'une interprétation conceptuelle. Comment démocratiser une oeuvre qui, tout en se présentant comme expérimentale, est entièrement intellectuelle ?

.Le caractère déceptif de certaines initiatives démocratisantes

Moïra Marguin confirme et renforce cette idée en évoquant certains exemples concrets de ce caractère déceptif de l'art numérique pour le grand public. Comme on l'a vu, cette artiste et enseignante considère que l'art numérique dispose d'un potentiel démocratisant considérable dans la mesure où il offre des oeuvres attractives et séduisantes pour un public initié et non initié, et est véhiculé par des canaux de diffusion très larges, affranchis de l'élitisme artistique. Cependant, elle nuance cette idée en montrant que d'une part, certaines oeuvres qui ne reposent pas sur des concepts pertinents sont totalement dénuées de valeur artistique. Ces oeuvres tout à fait attractives pour le public ne pourraient être considérées comme des oeuvres d'art et s'apparentent plus à des « gadgets ». Moïra Marguin montre ainsi l'importance fondamentale de l'aspect conceptuel des oeuvres en art numérique et s'interroge sur la compréhension du public : comment un art peut-il s'annoncer aussi généreux, ouvert aux publics et offrir finalement un grand nombre d'oeuvres totalement impalpables et parfois illisibles pour ses spectateurs ?

« Moi je pense que le public veut comprendre. Quand il y a rien à comprendre je pense que le public est frustré. Ce n'est pas comme ça qu'on attire le public. (...)Mais s'ils se retrouvent face à un objet non identifié, (Cf. Annexe p. XI) qu'ils n'arrivent même pas à cerner ou à définir, cela ne sert vraiment à rien ! Et ça arrive ! ».

L'artiste interrogée soulève ainsi, au travers d'exemples d'expositions ou d'oeuvres numériques, le paradoxe d'oeuvres d'art qui se mettent à la portée du public pour ensuite lui échapper, qui sont attractives et interactives en théorie, mais se révèlent très souvent insaisissables en réalité. Le paradoxe est ensuite bien résumé par cette phrase : « C'est devenu un art totalement démocratique et impalpable ».

.Le mythe d'un art démocratique remis en question par les artistes

En effet, cet écart entre l'aspect matériel et expérimental et l'importance du concept et de l'immatériel dans l'esthétique numérique est confirmé par la perception que les trois artistes ont de leurs propres oeuvres. Le langage particulièrement abstrait et parfois complexe utilisé par ces derniers pour décrire leurs oeuvres semble très éloigné des ambitions démocratiques de leurs institutions à l'égard de l'art numérique. Moïra Marguin par exemple, qui évoque avec récurrence l'idée d'une démocratisation institutionnelle de l'art par l'esthétique numérique montre ici l'écart existant entre sa perception institutionnelle et sa perception personnelle d'artiste :

« Mes oeuvres sont plus spontanées que le discours que je tiens ici. Ce sont des oeuvres inspirées de situations du moment, du vécu, du quotidien. Ce sont souvent des choses assez personnelles qui ne peuvent pas être montrées » (Cf. Annexe p. XI).

Il a été difficile d'en savoir plus sur le travail personnel de cette artiste. Par ailleurs, Régis Cotentin, qui par son activité professionnelle de scénographe définit l'art numérique comme un art de l'ouverture aux autres disciplines et aux publics, définit ses oeuvres par l'abstraction et l'éphémère :

« Mes oeuvres parlent de ça : de cette tension entre l'abstrait et le concret, entre l'éphémère et le durable. Ce qui est intéressant c'est justement le fait de ne jamais parvenir à concrétiser quoi que ce soit ».(cf. annexe p.III)

Au cours de l'entretien, cet artiste s'étendait volontiers sur ces aspects conceptuels, sur cette compréhension seconde et intellectualisée de ses oeuvres et n'a évoqué, à aucun moment, la mise en forme concrète de ces concepts, et à la réception plus immédiate de ses oeuvres. Enfin, Daniel Cacouault, plus qu'aucun artiste interrogé, développe un système théorique particulièrement complexe à propos de ses oeuvres et montre qu'il ne saurait considérer cette partie de son travail comme attrayante pour le public :

« J'utilise le support numérique comme il est c'est-à-dire les synthèses lumineuses et les espaces sans matière. C'est un travail personnel, intime, je ne recherche pas du tout le contact avec les autres ».

Se dégage ainsi, au travers de ces trois discours, un écart flagrant entre la perception personnelle et institutionnelle de l'art numérique. Si les trois artistes ne nient pas l'idée d'une certaine ouverture, et d'une idéologie démocratique de l'art numérique en tant que courant naissant, ils ne peuvent évoquer leurs propres oeuvres sans en évoquer l'aspect complexe, éphémère, et peu attractif pour le public. Ainsi, si l'on ne peut tirer de conclusions concernant la réception des oeuvres personnelles de ces artistes en particulier par le public, l'on peut imaginer que ces dernières, loin de démocratiser l'art numérique, risquent de demeurer hermétiques au grand public, non seulement par leur complexité conceptuelle et leur caractère éphémère, mais surtout par cet écart considérable créé entre le versant attractif, ludique et peu artistique de l'oeuvre, et son versant intellectuel parfois impalpable.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle