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L'art numérique: médiation et mises en exposition d'une esthétique communicationnelle


par Lauren Malka
Celsa-Paris IV - Master 2 de Management Interculturel et Communication 2005
  

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3. Définitions de l'art numérique en acte : confrontation des points de vue de trois artistes et médiateurs sur leur travail et sur la création numérique actuelle

La rencontre d'artistes, médiateurs de l'art numérique, d'un public initié et agissant pour son développement artistique et institutionnel est apparue comme nécessaire pour dépassionner la polyphonie énonciative définissant l'art numérique. A la suite d'entretiens individuels, il s'agit ainsi de confronter les discours des artistes aux différentes problématiques soulevées, à savoir les appropriations par les artistes, par le public et par les institutions de ce lieu singulier et éphémère. Les trois artistes qui ont accepté de répondre à nos questions ont pour point commun d'appréhender tous les trois l'art numérique au travers d'une double approche : personnelle et institutionnelle. Ils diffèrent cependant par le type d'institution auxquels ils appartiennent dans la mesure où ils sont les porte-parole respectifs d'une école, d'un musée et d'une institution spécialisée dans la création numérique.

.Présentation des trois artistes interrogés

Moïra Marguin réalise, à titre privé, des oeuvres sur ordinateur grâce à des logiciels de création en trois dimensions et est par ailleurs fondatrice et directrice, depuis deux ans, du pôle numérique de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris : son point de vue est donc à la fois celui d'une artiste, celui d'une enseignante d'art numérique, et enfin celui de l'unique médiatrice du numérique aux Beaux-Arts de Paris (Cf. Entretien avec Moïra Marguin en annexe p.XI).

Régis Cotentin réalise essentiellement, en tant qu'artiste, des créations vidéo et est également, à titre professionnel, commissaire d'exposition au Musée des Beaux-Arts de Lille. Il s'est chargé de l'organisation et de la scénographie de la première exposition d'art numérique au Musée des Beaux-Arts de Lille, l'exposition « Volupté numérique »29(*), et projette de développer ce courant, comme une véritable discipline à part entière au sein de l'institution. C'est donc en tant qu'artiste, mais également en tant que scénographe et porte parole institutionnel de l'art numérique que Régis Cotentin a accepté d'éclairer nos problématiques (cf. Entretien avec Régis Cotentin en annexe p.III).

Enfin, Daniel Cacouault est, à titre personnel, artiste peintre et utilise les logiciels de peinture numérique comme supports de brouillon. Sur le plan professionnel, il est directeur artistique de la société de production cinématographique DreamWorks et réalise également les clips vidéo de musiciens tels que Gorillaz30(*). C'est ainsi, au travers de son usage singulier de l'outil numérique pour la réalisation de ses oeuvres plastiques, et au travers de son expérience professionnelle que ce dernier a enrichi notre travail de réflexion (cf. Entretien avec Daniel Cacouault en annexe p. XIX).

Comment ces trois artistes parviennent-ils à se positionner et à tenir un parti pris cohérent au sein de cette expression artistique qui se revendique d'une part marginale, révolutionnaire et indéfinissable, et d'autre part comme un mouvement créatif pluridisciplinaire, démystifié et démocratisé ? En tant qu'artistes, porte-parole institutionnels et acteurs engagés de l'art numérique, comment perçoivent-ils les paradoxes et difficultés du processus de création, de réception et de médiation des oeuvres numériques ?

- Nous verrons dans un premier temps de quelle manière les artistes perçoivent et nuancent le caractère révolutionnaire de la création numérique en réinscrivant cet art dans une esthétique globale.

- Dans un second temps, nous tenterons de comprendre de quelle manière ces artistes et médiateurs conçoivent la démocratisation de la réception associée de manière récurrente à l'art numérique.

- Enfin, nous étudierons leur conception des différentes possibilités et difficultés de la médiation de l'art numérique.

a) Remise en cause de l'idée de « révolution » de la création numérique

Au travers des entretiens, nous avons cherché à savoir, dans un premier temps, ce qui avait amené les trois artistes interrogés à choisir le numérique comme médium d'expression artistique, et à comprendre ainsi la perception qu'ils avaient de leur propre activité artistique personnelle. Dans quelle mesure se sont-ils appropriés les discours énonciatifs de l'art numérique, le définissant comme un art « bouleversant » les règles techniques et philosophiques de la création? Nous notons que les trois artistes s'accordent pour réinscrire l'art numérique dans l'histoire de l'art au travers des notions paradoxales de rupture et de continuité. Plus précisément, il semble que le courant soit souvent défini, d'une manière théorique ou institutionnelle, comme une rupture esthétique flagrante tandis qu'il constitue, sur le plan de la pratique artistique, le simple héritage des formes traditionnelles et le prolongement de l'art contemporain.

.Une transformation du rapport à l'objet artistique ?

D'une part en effet, l'art numérique est défini par les artistes interrogés comme une forme transformant considérablement les règles de la création. Moïra Marguin affirme que le moment de la création, en art numérique, est déjà gouverné par l'idée récente d'interactivité et d'expérimentation interactive de l'oeuvre par l'artiste :

« Ce qui est intéressant dans l'art numérique, c'est l'aspect « nodal » (...), c'est ce qui permet de connecter les événements les uns aux autres qui vont engendrer des modifications et une interactivité interne propre au logiciel. En 3D, par exemple, lorsque mon personnage avance, la couleur de son vêtement peut changer». (Cf. Annexe p. XI)

L'artiste entre en dialogue avec son oeuvre, expérimente ses couleurs, ses formes et ses concepts, en ayant la possibilité d'effacer et de recommencer, et devient ainsi « maître » de son oeuvre. On remarque que les trois artistes évoquent cet aspect expérimental comme un relatif bouleversement du rapport à la création dans la mesure où l'oeuvre créée n'est qu'une forme ponctuelle et modifiable à tout instant. L'artiste expérimente son oeuvre avec une sorte d'insouciance et de ludisme. Moïra Marguin confie à ce sujet :

« Ce qui m'a séduite, c'est d'être maître du monde en un clin d'oeil (...) On a une liberté qui est extraordinaire. On peut créer de la lumière négative sans structure derrière pour soutenir le spot, des choses qui sont impossibles dans la réalité. On est à l'extrême de l'artifice et du paraître ». (Cf. Annexe p. XI)

Ces notions d'expérimentations interactives et artificielles et de maîtrise presque ludique du processus de la création permettent à celle-ci de se démocratiser d'une manière considérable, dans la mesure où tout individu s'intéressant au numérique peut adopter cette démarche créative et devenir maître d'une oeuvre. Moïra Marguin illustre cette notion de démocratisation de la création par la formule anglaise « Do it yourself ». Daniel Cacouault confirme et renforce cette idée de maîtrise ludique et insouciante de la création numérique puisqu'il définit celle-ci comme « la structure de l'enfance, de la lumière de l'innocence ». Pour lui, les réelles mutations apportées par l'art numérique dans la pratique artistique résident dans cette notion d'expérimentation infinie de l'oeuvre :

« C'est du ludique : on s'amuse parce que c'est sans conséquence, on ne touche pas à la matière, on n'est pas responsable parce qu'on peut faire tout ce qu'on veut (...) L'ordinateur lui-même et sa logique peuvent dérégler en une seconde l'ensemble de l'image ; tandis qu'avec une peinture il faut une journée pour modifier un petit coin. C'est ça qui est fantastique». (Cf. Annexe p.XIX)

Ainsi, l'art numérique semble, à plusieurs égards, transformer la pratique artistique dans la mesure où il permet l'apparition d'un travail créatif, expérimental et ludique autour de procédés artificiels. Les deux artistes évoqués utilisent d'ailleurs le même terme d' « immatérialité » pour définir l'aspect le plus marquant de l'art numérique.

. La « révolution du numérique » : un argument communicationnel ?

Or, les idées de « rupture » et de « bouleversement » de la pratique artistique, très présentes dans les discours concernant le courant, sont fortement nuancées par les trois artistes interrogés. Ces derniers y voient un argument communicationnel, une sorte d'étiquette permettant de rendre cet art plus attrayant et d'en élargir la diffusion. Pour Régis Cotentin, il existe « un principe de permanence dans l'art », c'est-à-dire une linéarité esthétique dans l'histoire de l'art qui rend obsolète toute catégorisation schématique :

« Ca va être plus facile pour le journaliste, pour la personne qui a un article ou un travail à défendre (...) Ce sont des notions de facilités qui deviennent des notions de genre (...) Il y a un certain romantisme dans l'idée de rupture, de nouveauté. Les artistes adorent dire qu'ils ont rompu avec ce qui était, qu'ils ont renié les anciens et qu'ils font du nouveau (...) [l'art] est une sorte de langage qui se développe sans arrêt, face auquel on est de plus en plus exigeant mais qui se développe sans rupture réelle. » (cf. Entretien avec Régis Cotentin en annexe p.III)

Pour lui, les pratiques artistiques comprises par l'expression « art numérique » ne constituent pas une révolution, mais des évolutions progressives et attendues de la création. La démonstration de Régis Cotentin, car il s'agit d'une véritable démonstration de la permanence de l'art, part des pratiques artistiques les plus primitives, telles que les portraits du Fagum, évoque la Renaissance et les évolutions des deux siècles passés. Pour lui, l'histoire de l'art est une quête perpétuelle, sans progrès ni rupture, du « trompe l'oeil parfait» et d'une identification possible du spectateur. L'art numérique s'inscrit tout à fait dans ce processus historique dans la mesure où il « insère le spectateur dans un univers trompeur, très proche du réel à la fois visuel et sonore, dans lequel il peut vivre des sensations optiques et physiques (...) On est dans un procédé de relation à l'oeuvre, de sensation visuelle et physique qui s'enchaîne par rapport à une histoire de l'art. Mais il n'y a pas de notion de progrès » (cf. Entretien avec Régis Cotentin en annexe p.III). Ainsi, si le médium utilisé implique quelques changements sur le plan de la création, le courant artistique en lui-même ne fait que prolonger une quête esthétique, une démarche artistique traditionnelle et sans surprise.

.Arts traditionnels et arts numériques : les continuités

Daniel Cacouault confirme cette idée de marche linéaire et cohérente de l'esthétique dans l'histoire de l'art mais y apporte quelques nuances. Pour lui, l'art numérique apparaît dans une certaine mesure comme une inversion des pratiques artistiques traditionnelles. Cependant, en inversant précisément les pratiques classiques, l'art numérique se réfère aux pratiques passées. Comme nous l'avons vu, ce type de création constitue pour lui la partie extérieure et immatérielle de l'art, celle qui est ludique parce que « sans conséquence ». Il utilise l'image très significative des vêtements pour définir ce que représente à ses yeux l'art numérique par rapport à l'art traditionnel :

« Pour moi, c'est ma part professionnelle, celle que je vends, dont je profite, et la peinture c'est la part intime. Je n'y mets qu'une partie extérieure de moi, c'est la partie que je communique, c'est comme les vêtements ». (Cf. Annexe p.XIX)

On ne peut donc parler de « bouleversement » pour deux pratiques artistiques qui sont comme les deux facettes d'une même pièce. Daniel Cacouault développe d'une manière très intéressante ce rapport d'inversion entre la création numérique et la pratique artistique traditionnelle en associant l'oeuvre numérique à l'idée de pureté, de propreté, et l'oeuvre plastique à l'idée de rature, d'épaisseur ou de « pâté » :

« Si la peinture pousse à une intériorisation, par la rature, la digression, l'impact de la personnalité, le numérique pousse à une extériorisation. (...) Avec le numérique on essaye de faire de la matière avec de la lumière tandis qu'avant on essayait de faire de la lumière avec de la matière ». (Cf. Annexe p.XIX)

Ainsi, pour Daniel Cacouault, l'art numérique ne peut être perçu comme une révolution dans la mesure où il s'inscrit dans une quête perpétuelle et paradoxale d'intériorisation et d'extériorisation par la création : « Pour moi, il n'y a pas de révolution, c'est dans la continuité de l'approfondissement de la matière, son intériorité, son extériorité».31(*)

Enfin, pour l'artiste Moïra Marguin, les rapports d'héritage entre l'art numérique et l'art traditionnel sont plus nuancés. Pour elle, l'apparition de l'oeuvre numérique ne peut que rompre avec les pratiques classique dans la mesure où elle est, par essence, totalement immatérielle et interactive : « On est dans l'immatériel total. Voilà ce qui bouleverse totalement l'art. C'est devenu un art complètement démocratique et impalpable » (Cf. Annexe p. XI) Le lien d'héritage entre la création numérique et la création traditionnelle n'est pas évident et ce sont les artistes eux-mêmes qui doivent construire ce lien. En effet, pour cette artiste, l'art numérique est un art coupé de la réalité, un art de l'artifice et du paraître qui ne peut représenter que des lignes droites ou des ronds parfaits, sans aspérité ni texture : « En peinture on va avoir de la couleur, de la brillance, une odeur. Avec l'art numérique, on n'a plus d'odeur, on va perdre le côté tactile». La reconstruction d'un rapport au réel, au palpable et donc, quelque part, aux pratiques traditionnelles de l'art, constitue ainsi une sorte de défi pour l'artiste. L'exemple de la première oeuvre de Moïra Marguin illustre tout à fait cette idée de reconstruction, par l'artiste, d'une continuité entre l'art plastique et l'art numérique :

« J'ai commencé à travailler avec l'outil numérique avec mon premier film « Histoire de Crayons ». Au départ, ce sont des dessins d'enfants, c'est un travail sur le mode d'expression des enfants. Et au moment où j'ai fait ce film, y'avait un style 3D (...) Il y avait une recherche de la réalité virtuelle. Il y avait encore trop peu d'artistes qui avaient commencé à transposer une esthétique autre que l'hyperréalisme. Donc j'ai pensé : « le propre du logiciel c'est de faire des choses parfaites : un rond parfait, un cube parfait. Mais il se trouve que la réalité même n'est pas parfaite (...) Les dessins d'enfants sont très vivants et pour moi, c'était le contre-pieds de ce qu'on pouvait faire avec un logiciel 3D. Donc je me suis mise à transposer ces dessins d'enfants dans un logiciel pour arriver à faire quelque chose de spontané avec un outil qui au départ n'est absolument pas spontané. Mon idée de départ c'était de régénérer de la spontanéité». (Cf. Annexe p. XI)

Ainsi, pour Moïra Marguin, alors même que le médium numérique devrait transformer remarquablement la pratique artistique, il engendre un retour paradoxal au dessin et aux autres formes artistiques traditionnelles.

On peut donc considérer qu'en théorie, l'art numérique apparaît comme une transformation du processus créatif dans la mesure où il participe à l'introduction dans le domaine de l'art des notions d'expérimentation infinie, d'immatérialité et de perfection artificielle de la représentation. Cependant, ces idées de transformation et de rupture de la pratique artistique se révèlent assez formelles et réductrices dans la mesure où les artistes, dans la pratique, réinscrivent naturellement le courant auquel ils se sentent appartenir dans une marche globale de l'esthétique dans l'histoire. Ces rencontres et entretiens avec trois artistes nous ont ainsi permis de mesurer l'écart entre les discours concernant l'art numérique et son exercice pratique : si les discours extérieurs sur ce courant artistique, entretenus par les médias et institutions culturelles, font apparaître celui-ci comme un courant explicitement marginal et contestataire, les acteurs de celui-ci l'utilisent comme un simple mode d'expression artistique, non comme un message de contestation et y voient souvent une évolution naturelle et attendue de l'art contemporain.

* 29 Nous étudions précisément les dispositifs de cette exposition en deuxième partie.

* 30 Ce groupe de rock est célèbre pour les personnages et univers imaginaires en trois dimensions qui accompagnent visuellement leur musique.

* 31 Nous regrettons de ne pouvoir nous attarder davantage sur le système philosophique construit par cet artiste, définissant l'histoire de l'art comme la confrontation d'une structure sociale, extérieure, et de sensations plus intérieures, et sur la place légitime qu'il accorde à l'art numérique au sein de ce système ; nous invitons cependant notre lecteur à prêter attention à cet entretien, retranscrit en annexe, qui met en lumière et enrichit d'une manière singulière, nos questionnements.

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